Où sont les valeurs républicaines ? L’expulsion d’une collégienne, arrêtée lors d’une sortie scolaire, a ému de nombreux Français. La gauche se frotte à des pratiques peu défendables…
Ceux qui, au second tour de la dernière élection présidentielle, après quelques hésitations, avaient finalement choisi François Hollande contre Nicolas Sarkozy en mettant la priorité sur les valeurs républicaines et la cohésion nationale (par exemple François Bayrou) en sont pour leurs frais : François Hollande n’est pas un meilleur garant des principes qui ont fondé la République que son prédécesseur.
Une société en manque de cohésion
Sans même évoquer le "mariage pour tous" où il est parvenu à couper la France en deux, le Président de la République laisse sans entrave son Ministre de l’Intérieur Manuel Valls faire du sarkozysme électoraliste. Le Manuel Valls 2012 serait-il le Nicolas Sarkozy de 2002 ? Aucune reproche ne lui a été fait au plus haut niveau de l’État lorsqu’il a affirmé le 24 septembre 2013 que les "Roms" (à l’appellation non contrôlée), dans leur ensemble, étaient incapables de s’intégrer à la société française. On savait déjà l’importance qu’il avait dans l’affichage, la communication et aussi la démagogie, par exemple, son regret de la faible proportion de "blancos" dans sa ville d’Évry.
Chaque jour de ce gouvernement montre que la République continue de mal tourner. Qu’il n’y a aucune différence entre la politique de Manuel Valls et celle de Brice Hortefeux ou de Claude Guéant. Que les récépissés de contrôle d’identité ont été abandonnés sur l’autel du populisme. Que François Hollande laisse filer sans ciller les valeurs qui ont construit la société française depuis plus de deux siècles.
Un drame dont sont victimes des enfants innocents
Il s’agit d’un fait divers qui, paradoxalement, est aussi un démenti net aux fausses affirmations du ministre sur la non-intégrabilité des "Roms". Il s’agit de Leonarda, 15 ans, une élève en Troisième d’un collège de Pontarlier, "Rom" de nationalité kosovare, qui a été arrêtée le matin du mercredi 9 octobre 2013 dans un car, aux côtés de ses camarades de classe, alors qu’elle était en sortie scolaire et se rendait à Sochaux accompagnées de ses enseignants.
Tout s’est passé sur le parking du Collège Lucie Aubrac, au nom oublié pour l’occasion. Heureusement, la présence de médias comme Internet a permis que l’information passe autrement que dans les éléments de langage très lisses de la préfecture du Doubs et du ministre où "expulsion" se traduit par "mesure d’éloignement" (le secrétaire général de la préfecture par exemple : « Les choses se sont déroulées sans coercition et sans incident. C’est un éloignement triste, mais tous les recours légaux avaient été utilisés. »). Les enseignants de Leonarda, qui étaient présents au moment de l’arrestation, ont ainsi témoigné le 14 octobre 2013 sur le site Internet de Réseau Éducation Sans Frontières (RESF) en donnant des indications précises sur le déroulement des faits (témoignage ici).
Leonarda a été expulsée avec ses cinq autres frères et sœurs, ainsi que sa mère, vers le Kosovo, rejoignant son père expulsé la veille. Pourtant, cette famille était loin d’être des gens douteux qu’on n’aurait pas envie de croiser dans la rue. Au contraire, cette famille avait tout fait pour s’intégrer. Elle résidait en France depuis quatre ans et dix mois (arrivée en France le 26 janvier 2009), ce qui signifie que dans deux mois, avec la circulaire Valls du 28 novembre 2012, elle aurait été automatiquement régularisée. Elle habitait dans un appartement de Levier, dans le Doubs. C’est le maire de Levier qui a appelé Leonarda puis ses enseignantes pour faire stopper (immédiatement) le car. Sans aucune considération psychologique.
Sa professeure d’histoire-géographie a raconté : « J’ai demandé à Leonarda de dire au revoir à ses copines, puis je suis descendue du bus avec elle, nous sommes allés dans l’enceinte du collège à l’abri des regards et je lui ai expliqué la situation, elle a beaucoup pleuré, je l’ai prise dans les bras pour la réconforter et lui expliquer qu’elle allait traverser des moments difficiles, qu’il lui faudrait beaucoup de courage… (…) J’ai demandé aux policiers de laisser s’éloigner le bus pour que les élèves ne voient pas Leonarda monter dans la voiture de police, elle ne voulait pas être humiliée devant ses amis ! Mes collègues ont ensuite expliqué la situation à certains élèves qui croyaient que Leonarda avait volé ou commis un délit. Les élèves et les professeurs ont été extrêmement choqués. ». Le Ministère de l’Intérieur devrait prévoir dans ces cas-là une cellule psychologique pour les camarades des enfants scolarisés et expulsés par ses soins…
Pas "intégrables", vraiment ?
Les cinq enfants entre 5 ans et 17 ans sont scolarisés depuis plus de trois ans. Ils parlent parfaitement le français. Et la dernière est née il y a un an en France. L’aînée est entrée au lycée en première année de CAP, et son professeur de français avait observé chez elle sa volonté et son enthousiasme. Les deux plus âgées (dont Leonarda) avaient obtenu avec succès le DELF, diplôme de français de niveau B1 nécessaire pour l’obtention de la nationalité française.
Le pire, dans cette affaire, c’est que ces enfants ne connaissent pas le Kosovo. Leur pays, c’est la France et la France le leur rend très mal. Interrogée depuis le Kosovo par France Info ce 16 octobre 2013, Leonarda a confirmé : « Moi, tout ce que je veux, c’est recommencer mes cours pour avoir un avenir. ». C’est clair que tout son environnement humain est en France, pas au Kosovo.
Émotion légitime
Alors que Manuel Valls, soutenu par un de des prédécesseurs, Jean-Pierre Chevènement, est resté "droit dans ses bottes" (expliquant froidement dans un communiqué le 15 octobre 2013 au soir : « La jeune fille est descendue du bus pour attendre les fonctionnaires qui sont venus la prendre en charge. »), certains de ses collègues socialistes se sont émus (notamment la Ministre des Affaires sociales Marisol Touraine le 16 octobre 2013 sur France Info et le Ministre de l'Éducation nationale Vincent Peillon le 16 octobre 2013 à la sortie du conseil des ministres), ainsi que le Président de l’Assemblée Nationale Claude Bartolone (le 16 octobre 2013 sur Twitter) ainsi que Bruno Le Roux, l’influent président du groupe socialiste à l’Assemblée Nationale (sur i-Télé).
La dignité n’est pas négociable
Je conçois évidemment qu’il faut refuser par principe l’entrée illégale en France d’étrangers (sinon, à quoi serviraient les lois ?). Que la France ne peut pas supporter toute la misère du monde. Mais cela ne peut pas se faire sans rester en cohérence avec nos propres valeurs, et en particulier, avec un minimum de respect de la personne humaine. Cette considération n'est pas de la "moraline" pour bisounours, c'est l'un des fondements du "vivre ensemble".
Ces enfants sont des victimes innocentes. Des victimes politiques. Ils ne sont coupables de rien. Victimes de l’ambition démesurée de deux Ministres de l’Intérieur qui pensent que la politique du nombre est un gage de redressement national (juridiquement, il vaut d’ailleurs mieux s’en prendre à des nationalités hors Union Européenne, comme ici le Kosovo).
Obsessions et réalités
Il faudra m’expliquer en quoi l’expulsion de Leonarda et de sa famille constituerait un élément tangible pour redonner un emploi aux millions de chômeurs en France, en quoi elle réduirait l’insécurité urbaine et même rurale qui mine le moral d’un certain nombre de citoyens énervés, en quoi elle découragerait les tentatives d’entrée illégale dans notre pays ou dans l’Espace de Schengen.
Les naufrages de Lampedusa (il y en a déjà eu un autre après la catastrophe du 3 octobre 2013) montrent à l’évidence que les candidats à l’immigration se moquent complètement des politiques menées dans les pays destinataires, qu’elles soient laxistes ou fermées. Ils la connaissent mal et même s’ils la connaissaient, cela ne les dissuaderait pas franchir les frontières, car leurs motivations sont tout autres que les petits calculs politiciens de personnages qui ne se soucient guère de l’intérêt général.
Des vies inutilement brisées
Certes, ce n’est pas nouveau. En juin 2006, j’ai connu un adolescent de 17 ans, qui était ukrainien, terminant ses études dans un très bon lycée professionnel, excellent élève et qui, juste avant d’avoir ses résultats, risquait l’expulsion.
Mais ces exemples se multiplient. Après Leonarda, c’est Khatchit, 19 ans, lycéen considéré comme bon élève au 11e arrondissement de Paris, réfugié politique arménien pourchassé à cause des activités politiques de son père et risquant cinq ans de prison, qui a été expulsé le 12 octobre 2013 après une première tentative deux jours avant (la contestation des passagers dans un avion peut amener le pilote à décider que les conditions de vol ne sont pas réunies pour la sécurité) .
Ce sont des centaines de vies brisées pour ces gamins qui étaient souvent de bons élèves, qui avaient réussi peut-être ce que leurs parents n’avaient pas pu faire, apprendre la langue, apprendre un métier et finalement, contribuer à la richesse nationale de la France en toute quiétude.
Idée folle et facilité
Alors que le principe même de papiers d’identité n’existait nulle part il y a deux siècles, certains ont réussi à inculquer cette idée folle de croire qu’en fermant les frontières (ce qui, d’ailleurs, à moins d’ériger des murs, est concrètement impossible), on résoudrait tous les problèmes qui se posent : la désindustrialisation du pays, la dette de l’État, le vieillissement de la population et l’accroissement de son espérance de vie, la nécessité d’une transition énergétique…
Je n’ai pas hésité à dire ce que j’ai pensé du discours de Grenoble prononcé par Nicolas Sarkozy le 30 juillet 2010, qu’en stigmatisant ainsi les "Roms" et les étrangers plus généralement, on ne résoudrait rien, au contraire, qu’on empêchait le pays de s’attaquer aux vrais enjeux.
Je n’hésite donc pas non plus aujourd’hui à condamner cette même politique, appliquée étrangement par un gouvernement dit de gauche. La gauche (je ne sais pas vraiment ce que cela signifie mais le candidat François Hollande a beaucoup utilisé ce vocabulaire en évoquant le mythique "peuple de gauche" qui n’est qu’une partition du peuple français) n’a donc aucune leçon de morale à donner à personne en matière de valeurs républicaines et de respect de la dignité humaine.
FN et lepénisation…
Ce n’est pas à Brignoles que le Front national a gagné (ce n'était qu'une cantonale partielle). C’est dans l’esprit de bien des personnalités politiques, réparties sur tout l’échiquier politique, en particulier au sein de l’UMP et du PS, que ce parti a gagné.
Son idéologie, sa facile dénonciation des étrangers comme facteur de troubles, d’insécurité, de chômage massif, de perte des valeurs, sans dire qu’ils sont des apports décisifs dans l’enrichissement national depuis plusieurs décennies, a en effet gagné la communication de bien des arrivistes prêts à toutes les renonciations morales pour atteindre leur but : être élu à la magistrature suprême.
Espérons qu’aux échéances essentielles, le peuple, dans son bon sens qui rassure plus qu’il n’étonne, saura garder raison et se tourner vers son avenir.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (16 octobre 2013)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Témoignage des enseignants de Leonarda (14 octobre 2013).
Les valeurs de la République à Grenoble (30 juillet 2010).
Hollande et Sarkozy, même combat (23 avril 2012).
Le syndrome bleu marine (27 septembre 2013).
Lampedusa (3 octobre 2013).
Éléments factuels assez précis sur la situation de Leonarda et sa famille (Figaro du 16 octobre 2013).
(La première photographie ne représente pas Leonarda mais une jeune fille expulsée le 5 juin 2013 à Lille).
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/leonarda-la-dignite-humaine-n-est-142277
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