La Commission Juncker redécouvre le principe de subsidiarité avec un nouveau slogan : moins d’Europe, mieux d’Europe. Les débuts sont encourageants, tant sur le fond que sur la méthode (concertation avant de finaliser le programme d’action).
Les dix années d’exercice de Présidence de la Commission Européenne par José Manuel Barroso ont coïncidé avec dix ans de stagnation de l’idée européenne et l’arrivée massive de la pensée antieuropéenne qui a commencé par l’échec du référendum du 29 mai 2005 en France et a fini par l’élection de nombreux députés européens europhobes le 25 mai 2014 (comme si avaient été élus des cardinaux anticléricaux !).
C’est simple, chaque fois que José Manuel Barroso s’était exprimé en France, dans un français impeccable (reconnaissons-le lui), il faisait monter les populismes d’un cran. Par contre-réaction à ses propos qui étaient perçus comme de la provocation.
Associé à une personnalité terne qui ne faisait aucun ombrage au Conseil Européen (aux chefs d’État et de gouvernement), son double mandat s’était surtout plongé dans une sorte d’ultralibéralisme anachronique ou théorique où la notion de concurrence devenait un dogme. Si l’Europe existe, c’est d’abord pour être solidaire au sein de l’Europe pour mieux faire concurrence à l’extérieur. Or, c’est exactement l’inverse qui s’est produit : la Commission Européenne pendant dix ans a tout fait pour que la concurrence se fasse à l’intérieur de l’Europe, si bien que, affaiblie par celle-ci, l’Europe ne faisait plus que pâle profil face aux concurrents extérieurs.
Et pourtant, paradoxalement, jamais l’Europe ne s’est occupée aussi précisément de petits détails complètement insignifiants de la vie quotidienne, comme de la taille des bananes ou encore de l’interdiction des concombres déformés. Car imposer autant de normes, quand elles ne sont pas guidées par des objectifs sanitaires, environnementaux voire sociaux, c’est bâtir un étatisme pesant à l’échelon européen qui est tout le contraire du libéralisme. Or, dans les Commissions Barroso, il y a eu environ un millier de décisions de ce type chaque année. Pas étonnant qu’ensuite, les peuples européens s’en prennent aux eurocrates, aux burocrates de Bruxelles (Bruxelles a toujours bon dos, vue de Paris !), au point que les plus audacieux (qui oublient quand même que le Conseil Européen et le Parlement Européen sont issus d’élections authentiquement démocratiques et sincères) vont jusqu’à comparer l’Union Européenne à une nouvelle Union Soviétique (sans tenir compte de la concurrence intérieure, évidemment).
Les premiers actes du premier Président de la Commission Européenne démocratiquement choisi par les cinq cents millions d’électeurs européens constituent à cet égard une petite révolution.
En effet, le 16 décembre 2014, en présentant son programme d’action pour l’année 2015, la Commission Européenne a décidé de renoncer à 80 propositions de nouvelles normes que voulaient imposer l’équipe précédente (sur les 450 en attente). Elle a au contraire adopté 23 nouvelles initiatives qui se recentrent sur l’essentiel : le plan d’investissement, le marché unique du numérique (le dada de Jean-Claude Juncker), la création de l’union européenne de l’énergie, l’harmonisation fiscale (lutte contre la fraude fiscale), la définition d’une véritable programme européen pour les migrations, et l’approfondissement de l’union économique et monétaire.
Très clairement, et sans surprise, Jean-Claude Juncker veut que « l’Union Européenne soit plus grande et plus ambitieuse à l’égard des grands enjeux, plus petite et plus modeste à l’égard des enjeux de moindre importance ».
Parmi les projets abandonnés, des mesures concernant l’environnement, ce qui a inquiété plusieurs ONG défendant l’environnement. La Commission Européenne a surtout voulu appliquer le principe de subsidiarité et laisser les États décider de mesures qui dépendent d’une situation nationale.
Je rappelle que le principe de subsidiarité a été placé au cœur du projet européen par les pères de l’Europe : il s’agit de choisir l’échelon de décision le plus proche possible de la base. C’est le contraire de l’eurocratisation à outrance vécue depuis une dizaine d’années. Quand un échelon de niveau inférieur est capable de résoudre un problème, l’échelon supérieur l’abandonne (ville, intercommunalité, département, région, État, Union Européenne, ONU, union des planètes du Système solaire, etc. !).
Le communiqué de la Commission Européenne est sans ambages : « Les citoyens aspirent à moins d’ingérence de l’Union Européenne dans leur vie quotidienne, surtout lorsque les États membres sont mieux placés pour agir et apporter des solutions. Ils attendent de l’Union Européenne qu’elle apporte une valeur ajoutée sur les grands défis économiques et sociaux, comme la lutte contre le chômage et l’amélioration de la compétitivité. Les citoyens attendent de l’Union Européenne qu’elle soit plus transparente sur ce qu’elle fait et la façon dont elle le fait. L’adoption du programme de travail est un bon point de départ en ce qu’il souligne en toute transparence ce que l’Union Européenne fera et ne fera pas en 2015. ».
Dans son programme présenté le 15 juillet 2014 à Strasbourg, Jean-Claude Juncker avait insisté sur son objectif : « Je considère que ma mission première est de reconstruire des ponts en Europe après la crise. De restaurer la confiance des citoyens européens. D’axer nos politiques sur les grands défis que doivent relever nos économies et nos sociétés. Et de renforcer la légitimité démocratique sur la base de la méthode communautaire. ».
Pour la première fois de son histoire, la Commission Européenne a établi son programme de travail en concertation avec le Parlement Européen et les États membres avant de le finaliser, pour avoir le maximum de soutien dans sa mise en œuvre. Sans cet appui collectif, l’action de la Commission Européenne ne sera jamais couronnée de succès. C’était le minimum qu’elle pouvait faire, mais aucune Commission ne l’avait fait avant elle.
Une Europe plus concentrée sur l’essentiel, une déburocratisation des contraintes, des décisions prises dans la concertation, une gouvernance adaptée à l’esprit démocratique : décidément, l’ère Juncker commence bien !
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (19 décembre 2014)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Les priorités de Jean-Claude Juncker.
La parlementarisation des institutions européennes.
Donald Tusk.
Angela Merkel.
La France est-elle libérale ?
Le pape pour le renouveau de l'Europe.
Conseil Européen du 30 août 2014.
Composition de la Commission Juncker (10 septembre 2014).
Les propositions européennes de VGE.
Effervescence à Bruxelles.
Résultats des élections européennes du 25 mai 2014.
Déni de démocratie pour le Traité de Lisbonne ?
Guy Verhofstadt
La France des Bisounours à l'assaut de l'Europe.
Faut-il avoir peur du Traité transatlantique ?
Le monde ne nous attend pas !
Martin Schulz.
Jacques Delors.
Jean-Luc Dehaene.
Débat européen entre les (vrais) candidats.
Les centristes en liste.
Innovation européenne.
L’Alternative.
La famille centriste.
Michel Barnier.
Enrico Letta.
Matteo Renzi.
Herman Van Rompuy.
Gaston Thorn.
Borislaw Geremek.
Daniel Cohn-Bendit.
Mario Draghi.
Le budget européen 2014-2020.
Euroscepticisme.
Le syndrome anti-européen.
Pas de nouveau mode de scrutin aux élections européennes, dommage.
Risque de shutdown européen.
L’Europe des Vingt-huit.
La révolte du Parlement Européen.
La construction européenne.
L’Union Européenne, c’est la paix.
L'écotaxe et l'Europe.
http://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/la-debarrosoisation-de-l-europe-160944