« L’Union va franchir une étape importante de son histoire. Il faut repenser, réajuster et réinventer le système en proposant une nouvelle Europe, une Europe du XXIe siècle, projetée vers l’avenir. Telle est la mission de la Convention. » (Valéry Giscard d’Estaing, le 30 octobre 2002 à Rome).
« Je dis simplement que cette Constitution est essentielle pour avoir une Europe organisée et sauver les valeurs qui sont essentiellement les valeurs françaises et qui s’imposent en réalité à l’Europe depuis deux siècles. (…) Je reconnais que nous avons de graves problèmes (…), tous les problèmes liés à l’exclusion, tous les problèmes liés au chômage, notamment chez les jeunes. Je connais ces problèmes mais il est évident qu’en affaiblissant la France, on ne va pas régler nos problèmes, on ne fera que les empirer. » (Jacques Chirac, le 14 avril 2005 à Paris).
Il y a exactement dix ans, le peuple français a rejeté le Traité établissant une Constitution pour l’Europe (TCE, que je simplifierai par Traité constitutionnel européen) par 54,7% des suffrages exprimés lors du référendum du 29 mai 2005 (avec 30,7% d’abstention). Le peuple espagnol avait voté "oui" lors du référendum consultatif du 20 février 2005 (par 76,7% des voix).
Rappelons que parmi ceux qui étaient favorables au "non", certains, et pas des moindres, sont membres du gouvernement actuel, en particulier Manuel Valls (qui paradoxalement a fait cependant campagne pour le "oui"), Laurent Fabius et Christiane Taubira.
Ce fut le 31 décembre 2004 que le Président Jacques Chirac annonça l’organisation d’un référendum pour ratifier le Traité constitutionnel européen : « Entre le repli et l’ouverture, le choix que nous ferons sera décisif. Ce choix engage l’avenir de la France et de l’Europe. Il ne devra être altéré ou détourné par aucune autre considération. ». Durant ses deux mandats, Jacques Chirac a usé les deux grands outils constitutionnels dont dispose le Président de la République, la dissolution (21 avril 1997) et le référendum (29 mai 2005), outils que ses deux successeurs n’ont pas osé (à ce jour) réutiliser.
On pourra toujours regretter qu’un référendum à l’échelle européenne n’ait pas pu être organisé (notamment à cause de la Constitution de certains États membres), seul échelon pertinent pour ce genre de question, le fait est qu’un grand pays fondateur a rejeté ce traité.
Ceux qui avaient eu peur d’une France européanisée avaient en fait rejeté la dernière possibilité d’une Europe francisée, d’une Europe qui aurait été marquée par le modèle social français.
J’ai voté "oui", c'est ma fierté, et je le referais volontiers si c’était à refaire, car ce "non" a eu la même répercussion historique que le "non" des députés français à la Communauté européenne de défense (CED, traité signé le 27 mai 1952) le 30 août 1954 (par 319 voix contre 264). Depuis dix ans, l’Europe est en panne de projets, en panne de vision, en panne de rêve, et de toute part, les enfants gâtés de la démocratie et de la paix sont prêts à jeter le bébé avec l’eau du bain.
Un texte effectivement compliqué
Il est intéressant cependant de voir que les reproches faits à la CED n’ont guère varié avec le TCE : « Le traité est illisible et si riche d’arrière-pensées qu’il faut se prendre la tête à deux mains pour saisir le sens de certaines phrases. » (Michel Debré en 1988, dans le 2e tome de ses mémoires "Trois Républiques pour une France, Mémoires").
Le Traité constitutionnel européen avait eu l’ambition de reprendre juridiquement en compte tous les traités européens antérieurs (le Traité de Rome du 25 mars 1957 et le Traité de Maastricht du 7 février 1992) et de les formaliser sous une appellation commune de "Constitution" pour en faire un texte plus compact.
Ce texte était néanmoins assez compliqué à lire et à comprendre. Il était composé de 448 articles, avec 36 protocoles et 50 annexes. Il a été signé formellement au Conseil européen du 29 octobre 2004 à Rome (l’accord a eu lieu au Sommet de Bruxelles du 19 juin 2004) après une longue maturation organisée par une institution spécialement dédiée à cet objectif, la Convention sur l’avenir de l’Europe, qui fut créée par le Conseil européen du 15 décembre 2001 à Laeken.
Loin du principe des conférences intergouvernementales, cette convention, inspirée de la Convention américaine de Philadelphie (du 25 mai 1787 au 17 septembre 1787) et de la Convention européenne sur la Charte des droits fondamentaux (du 4 juin 1999 au 2 octobre 2000), travailla du 28 février 2002 au 18 juillet 2003 ; elle fut composée de cent cinq membres et présidée par l’ancien Président de la République française Valéry Giscard d’Estaing avec notamment pour Vice-Président Jean-Luc Dehaene. Le processus de ratification devait se terminer avant décembre 2006, mais a été interrompu avec le "non" français et aussi le "non" néerlandais (par référendum consultatif du 1er juin 2005, par 61,6% des voix). Pourtant, certains pays ont continué à ratifier, comme le Luxembourg où le référendum consultatif du 10 juillet 2005 a apporté 56,5% de "oui".
Pourquoi un tel traité ?
Parce que la réforme des institutions était devenue le serpent de mer impossible des sommets européens pendant une dizaine d’années, au point de coller quelques rustines provisoires avec le Traité d’Amsterdam du 2 octobre 1997 et le Traité de Nice du 26 février 2001. Pourquoi réformer les institutions s’avérait-il nécessaire ? Parce que l’Europe des Vingt-huit ne peut pas se gérer comme l’Europe des Six sur laquelle étaient basées les institutions européennes. Il aurait fallu évidemment réformer les institutions européennes bien avant d’élargir aux pays d’Europe centrale et orientale, mais il n’était politiquement plus envisageable de faire attendre plus longtemps cette partie de l’Europe-là qui avait dû déjà patienter une quinzaine d’années.
Le 1er mai 2004, l’Europe est passée de Quinze à Vingt-cinq d’un seul coup. Cet élargissement historique rendait indispensable la fin des décisions à l’unanimité, à moins de renoncer à prendre des décisions. Il a donc fallu trouver des mécanismes de majorité qualifiée en fonction de l’enjeu des décisions, qui devaient tenir compte de la taille des pays (en population) et du nombre de pays. Si l’on reprend la Constitution des États-Unis, qui a très peu évolué depuis la fondation des États-Unis, on se rend compte d’un grand archaïsme et d’injustices démographiques puisque certaines décisions, comme l’élection présidentielle, se font dans le cadre des États et pas de manière fédérale, ce qui a pu aboutir à l’échec d’un candidat qui avait plus de voix que son concurrent (comme Al Gore en 2000).
Il a donc fallu, d’une part, trouver des mécanismes originaux, d’autre part, atteindre l’unanimité pour les adopter. Ce furent des négociations très délicates que Valéry Giscard d’Estaing a su mener à bien en tentant de préserver le modèle français et même de l’insuffler dans le modèle européen.
Par exemple, le modèle républicain de la laïcité, qui ne reconnaît aucun communautarisme, et qui a rejeté l’évocation des racines chrétiennes de l’Europe, ou plus exactement, la mention de "l’héritage chrétien" soutenue entre autres par Angela Merkel, car Valéry Giscard d’Estaing considérait qu’il n’aurait pas fallu citer qu’une seule religion mais toutes les religions pratiquées en Europe.
Mais pas seulement le modèle républicain. Aussi le modèle social. Par exemple, le TCE avait institué une limite de 50 heures de travail par semaine. Honteusement, l’extrême gauche menée par Jean-Luc Mélenchon a voulu (et réussi à) faire croire que le TCE remettait en cause les 35 heures alors que l’idée (formalisée) était de limiter à 50 heures, c’est-à-dire d’interdire aux pays des législations qui autoriseraient plus de 50 heures de travail. En clair, ceux qui avaient le plus à perdre dans ce système, ce n’était pas la France qui était largement protégée par ses propres lois sociales, très avancées (trop pour certains), mais des pays comme la Grande-Bretagne, la Pologne et la plupart des anciens pays du Bloc soviétique.
Pareillement, dans les mêmes entreprises de désinformation, avec un raisonnement très tordu qu’il paraît sans intérêt de rappeler ici, il a même été dit que le TCE aurait permis le rétablissement de la peine de mort !
C’est vrai que ce qui ne s’énonce pas simplement peut facilement être l’objet de tentatives désinformation, mais comment rédiger simplement la règle du jeu pour vingt-cinq pays (maintenant vingt-huit) très différents, à la culture et au passé différents, sans renier aucune des spécificités nationales ?
L’autre enjeu était purement de la rédaction juridique : le rejet du TCE a conduit logiquement au statu quo. Mais les partisans du "non" ont voulu déplacer l’enjeu du référendum entre pour ou contre l’Europe. Or, même si le Traité de Rome et le Traité de Maastricht ont été inclus dans le TCE, ne pas adopter le TCE ne voulait pas dire que les précédents traités seraient rejetés puisqu’ils avaient déjà été démocratiquement ratifiés (notamment le Traité de Maastricht qui a fait l’objet en France d’un référendum le 20 septembre 1992 : l’euro est donc bien une monnaie démocratiquement choisie par le peuple français et tous ceux qui disent le contraire n’apprécient le vote populaire que lorsque cela les arrange).
Les raisons du "non"
Au moins quatre motivations, parfois divergentes, peuvent être citées pour le vote "non".
J’évacue rapidement la première motivation qui était une occasion de se défouler contre le Président Jacques Chirac qui, à l’époque, était particulièrement impopulaire (ainsi que son Premier Ministre Jean-Pierre Raffarin). De même que pour Maastricht pour sanctionner François Mitterrand, cette motivation a existé, mais le débat public s’est tellement développé voire emballé sur les enjeux européens qu’il me semble qu’elle n’a eu qu’une part marginale dans le résultat final.
La principale motivation est la souveraineté nationale, et d’ailleurs, la plupart des groupes politiques qui se sont constitués depuis un quart de siècle à la suite d’un débat européen se revendiquent justement "souverainistes", qu’ils fussent de gauche (comme Jean-Pierre Chevènement et Jean-Luc Mélenchon) ou de droite (comme Charles Pasqua, Philippe de Villiers, Nicolas Dupont-Aignan). Je mets de côté l’extrême droite qui, elle, n’est pas souverainiste mais nationaliste. C’est l’argument le plus solide et pourtant le plus compliqué à entendre.
Même les mots de vocabulaire ont eu leur importance. Ainsi, la mention d’une "Constitution" a fait frémir les souverainistes en raison du symbole qui pouvait donner à penser à une future fusion des nations européennes. Or, les traités internationaux ont déjà valeur constitutionnelle, en France en particulier. Les précédents traités européens ont donc la même valeur juridique que le TCE (confirmé par le rapport n°363 déposé par le sénateur Hubert Haenel le 7 juin 2001). Le mot a été une concession aux fédéralistes européens qui a coûté très cher au processus de ratification. Un mot très contreproductif.
Sur le fond, l’opposition souverainiste est évidemment recevable sous deux réserves essentielles : la première concerne le citoyen qui peut bénéficier d’une meilleure protection de ses droits avec des institutions supranationales (comme l’Union Européenne mais aussi l’ONU), et cet enchevêtrement juridique peut, à l’occasion, entamer la souveraineté nationale (l’État n’est plus le seul garant des droits du citoyen) ; la seconde est la plus essentielle : dans le monde multipolaire d’aujourd’hui dirigé par de grands blocs continentaux, les États-Unis, la Russie, la Chine, l’Inde et le Brésil, il devient illusoire aux pays européens de ne pas s’unifier pour former une puissance continentale de même envergure. En somme, rester replié sur la seule France sans coopération économique ou politique avec le reste de l’Europe, c’est assurer certes la liberté, mais dans l’impuissance et l’inefficacité les plus grandes. Dans ce cas, où est la souveraineté ?
Au contraire, en prendre pleinement part aux décisions européennes, voire en étant à leur origine, la France peut maintenir sa souveraineté avec un outil continental puissant. Accepter cela, c’est évidemment reconnaître que la France, comme le Royaume-Uni, comme l’Italie, comme l’Allemagne, etc. n’est plus qu’un puissance moyenne. Le projet européen est un projet lucide, pas basé sur un mythe mais sur une réalité géoéconomique concrète, peut-être désolante mais établie.
Face à ceux qui voulaient moins d’Europe, il y a eu des partisans du "non" voulant plus d’Europe qui considéraient que le TCE n’apportaient pas l’Europe de leurs rêves, une Europe sociale par exemple. Leurs arguments ne tenaient pas longtemps la route. D’une part, la question était de savoir si le TCE était meilleur que le statu quo et pas s’il était meilleur que leurs rêves. D’autre part, ceux-là expliquaient qu’en cas de "non", un "plan B" serait mis en place avec renégociation. Sachant que le TCE était déjà le résultat très fragile et équilibré d’une négociation laborieuse, dans laquelle la France avait su prendre une grande influence, il était très probable qu’un "plan B" serait moins proche des rêves que le propre TCE.
En clair, le "non" pérennisait le Traité de Nice, bien moins "avancé" que le TCE. Parmi les sujets de critique, l’aspect démocratique. Or, le TCE apportait bien plus de pouvoirs au Parlement Européen que le Traité de Nice. De même, la création d’une Présidence de l’Union Européenne renforçait la lisibilité des institutions et permettait une plus grande efficacité dans les relations extérieures, avec un seul représentant, au lieu d’une Présidence tournante tous les six mois. Par ailleurs, le TCE prévoyait un droit de pétition pour permettre à un million de citoyens européens de proposer une loi, un moyen d’entendre directement les citoyens sans passer par des intermédiaires.
Quatrièmement, il existait aussi des motivations de politique politicienne dans les postures en faveur du "non". En particulier, la position de Laurent Fabius, numéro deux du PS à l’époque, en faveur du "non" avait étonné, lui qui fut le grand argentier du passage à l’euro et dont la conviction européenne n’avait jamais été mise en défaut pendant plus de vingt ans (depuis mars 1983 précisément, où il avait conseillé au Président François Mitterrand de quitter le Serpent monétaire européen). Sa posture avait un but, la primaire "fermée" du PS de 2006 pour l’élection présidentielle, et tenter de conquérir le PS par sa gauche (leçon élémentaire du mitterrandisme). La position de Laurent Fabius a sans doute influencé beaucoup de socialistes lors du référendum et profondément divisé le PS, mais n’a pas été couronné de succès, Ségolène Royal a en effet remporté très largement cette primaire et Laurent Fabius est arrivé dernier, derrière Dominique Strauss-Kahn.
Le climat général n’avantageait pas particulièrement le "oui" notamment en raison de la très controversée directive Bolkestein du 12 décembre 2006 issue d’une proposition votée par le Parlement Européen le 13 février 2003 sur le code du travail qui s’applique lors de prestations de service dans un pays européen. Ce qui a fait intervenir dans le débat référendaire l’énigmatique "plombier polonais" : « Cette affaire est très grave, car la directive Bolkestein permet à un plombier polonais ou à un architecte estonien de proposer ses services en France, au salaire et avec les règles de protection sociale de leur pays d’origine. Sur les onze millions de personnes actives dans les services, un million d’emplois sont menacés par cette directive. Il s’agit d’un démantèlement de notre modèle économique et social. » (Philippe de Villiers, dans "Le Figaro" du 15 mars 2005). C’était hors sujet et n’avait rien à avoir avec le TCE. Le "non" français n’a donc pas empêché l’adoption de cette directive européenne un an et demi plus tard. Un autre sujet faisait également débat, sur l’adhésion de la Turquie à l’Union Européenne (là encore, hors sujet par rapport au TCE).
Enfin, une autre raison du "non", ce fut l’incapacité des partisans du "oui" à expliquer clairement les raisons d’un tel choix. Au pire, il y a eu l’arrogance intellectuelle (c’est comme ça et c’est tout !) ; au mieux, une certaine incompréhension consacrée par Jacques Chirac lui-même avouant en direct, dans une émission télévisée spéciale présentée par quatre stars de la télévision le 14 avril 2005, qu’il ne comprenait plus les jeunes : « Et on a l’impression qu’aujourd’hui, on a peur. C’est un sentiment, je ne vous le cache pas, que je comprends mal, notamment de la part des jeunes qui s’engagent dans la vie et qui devraient précisément ne pas avoir peur. Je comprends qu’ils ont énormément de problèmes, je les connais bien entendu, mais c’est une question d’état d’esprit. Moi, j’ai confiance dans l’avenir et dans la France. » et un peu plus tard, il récidivait : « Nous avons une jeunesse, nous avons un peuple, malgré ses difficultés, toutes celles que l’on connaît et que je ne sous-estime pas, qui a lieu, au total, d’être tout de même fier d’être Français et qui peut avoir l’ambition d’être un conducteur et qui risque de se mettre à la remorque. Je vais vous dire, très franchement, je ne le comprends pas et ça me fait de la peine. » ("Référendum, en direct de l’Élysée" sur TF1, France 2, France 3 et M6).
Les conséquences du "non" en France
Sur le plan intérieur, Jacques Chirac a perdu toute légitimité et termina son dernier mandat sans beaucoup de popularité ni d’autorité personnelle, d’autant plus qu’un problème de santé durant l’été qui suivit le référendum renforça son affaiblissement personnel. Le Premier Ministre Jean-Pierre Raffarin a dû donner immédiatement sa démission. Le Ministre de l’Intérieur Dominique de Villepin le remplaça (plein d’impatience) tandis que Nicolas Sarkozy négocia son retour au gouvernement le 2 juin 2005 au prix fort, en revenant Place Beauvau tout en conservant la présidence de l’UMP (Ministre d’État, Ministre de l’Intérieur et de l’Aménagement du Territoire). Pour ce dernier, la route de la candidature présidentielle devenait un boulevard désert.
Au-delà du fonctionnement des institutions, c’est le fonctionnement même de la démocratie qui a pris une allure nouvelle où les simples citoyens (à l’instar d’Étienne Chouard, professeur d’informatique de 48 ans dans un lycée), grâce à Internet, pouvaient influer de manière décisive sur un débat national de grande importance en dehors des voies traditionnelle des médias. Cela a insufflé l’une des plus fortes intuitions de Ségolène Royal, la future rivale présidentielle de Nicolas Sarkozy, deux ans plus tard, en prônant la démocratie participative. Aujourd’hui, avec Twitter, FaceBook et les blogs, la plupart des partis encouragent cette interactivité avec les citoyens (pas forcément exclusivement électronique), en particulier avec leurs adhérents appelés maintenant à prendre part aux principales décisions internes (la dernière en date, ce jeudi 28 mai 2015 pour le changement d’appellation de l’UMP ou pour le choix du premier secrétaire du PS).
Le Traité de Lisbonne
Évidemment, le "non" français a mis fin au processus de ratification du TCE. Or, la situation ne pouvait pas se poursuivre à Vingt-cinq puis Vingt-sept sans modification institutionnelle du Traité de Nice. Le risque de paralysie et d’immobilisme était patent.
Il faut donc saluer le volontarisme du nouveau Président français Nicolas Sarkozy qui a initié très rapidement les négociations pour sortir de l’impasse institutionnelle et aboutir au Traité de Lisbonne, qui est une sorte de TCE bis uniquement sur le plan institutionnel. Il a proposé aux partenaires européens l’idée d’un traité simplifié dès le Conseil européen du 8 juin 2007 et la décision de faire un nouveau traité a été prise dès le 23 juin 2007. Le Traité de Lisbonne a finalement été signé le 13 décembre 2007 (l’accord a eu lieu le 19 octobre 2007) et a été mis en vigueur le 1er décembre 2009, non sans un laborieux processus de ratification (qui a dû faire face au "non" de l’Irlande par le référendum du 13 juin 2008).
Le Traité de Lisbonne a-t-il été la négation de la décision démocratique du peuple français du 29 mai 2005 ? Je réponds clairement non !
Pour plusieurs raisons.
La première, c’est que tous les candidats à l’élection présidentielle du 22 avril 2007 ont été très clairs sur ce qu’ils feraient sur le plan européen s’ils étaient élus. Or, il se trouve que les trois premiers candidats arrivés en tête, représentant à eux trois les trois quarts de l’électorat (précisément 75,6% des suffrages exprimés) avaient clairement exprimé leur souhait de proposer une modification du Traité de Nice pour prendre acte de l’élargissement. De plus, le candidat élu le 6 mai 2007 avec 53,1%, Nicolas Sarkozy, avait très clairement annoncé durant sa campagne ce qu’il a effectivement fait comme Président de la République française et également comme Président en exercice du Conseil européen (du 1er juillet 2008 au 31 décembre 2008). Au contraire de ce que les partisans du "non" auraient souhaité, les candidats s’étant opposé au TCE n’ont même pas totalisé un quart de l’électorat (précisément 22,8%), ce qui contredisait, sur le plan européen, le vote du 29 mai 2005.
La deuxième raison, c’est justement qu’au fil du temps, les électeurs (qui sont différents, certains meurent, d’autres le deviennent) ont le droit de changer d’avis et la preuve en est des différentes alternances. Rester bloqué sur le référendum d’il y a dix ans serait faire preuve d’un passéisme inutile et impuissant qui nierait toute idée d’évolution : pourquoi donc y aurait-il eu une élection présidentielle en 2012 alors que Nicolas Sarkozy avait déjà été élu en 2007 ? C’est justement que les votes sont des contrats à durée temporaire et que la démocratie, c’est aussi de pouvoir changer d’avis (ce qui est le cas de plus en plus, depuis trente ans, puisqu’il y a de moins en moins d’électeurs inféodés à un parti). Un traité international, c’est comme un contrat de mariage. L’un des fiancés a le droit de refuser un jour une demande en mariage, puis un peu plus tard (deux ans plus tard), a le droit d’accepter la même demande. Et ce n’est pas irréversible, il existe toujours le divorce. Au nom de quoi l’adoption de ce traité n’aurait-il pas été démocratique, dès lors que la Constitution a été respectée ?
La troisième raison, c’est en effet que la Constitution (ratifiée par référendum le 28 septembre 1958) a été scrupuleusement respectée : le Traité de Lisbonne a été doublement ratifié (il a fallu une révision constitutionnelle au préalable) le 4 février 2007 (560 pour contre 181 au Congrès) et le 7 février 2008 (336 députés pour contre 52 et 265 sénateurs pour contre 42), par des parlementaires démocratiquement élus, et les députés avaient même une légitimité plus "fraîche" que le résultat du référendum, puisque élus deux ans plus tard, les 10 et 17 juin 2007.
Et maintenant ?
Comme le disait Enrico Letta, alors Président du Conseil italien, à la Sorbonne le 26 octobre 2013, plus personne n’est capable d’imaginer l’Europe dans dix ans au contraire de ces cinquante dernières années (et au contraire de Victor Hugo). Cette panne d’Europe est d’autant plus préoccupante que les forces europhobes prennent de plus en plus d’influence au niveau médiatique et politique dans la vie intérieure de la plupart des États membres (encore récemment avec l’élection d’Andrzej Duda à la Présidence de la République de Pologne ce 24 mai 2015 avec 51,6% des voix).
D’un côté, des europhobes qui ne savent que détruire sans proposer de construction de remplacement, sinon un repli sur soi démobilisateur ; de l’autre, des eurocrates qui poursuivent la lente sclérose de l’Europe au point que certains en sont à comparer l’Union Européenne à une nouvelle URSS, ce qui ne manque pas de sel pour des personnes qui, elles, peuvent encore exprimer cette idée stupide librement et sans être inquiétées, et qui, généralement, s’opposent à l’Union Européenne pour cause de déréglementation et de supposé libéralisme économique alors que l’Union Soviétique était avant tout une économie dirigée et planifiée.
Et au milieu, il y a des europhiles orphelins, qui constatent amèrement que depuis 1995, il n’y a plus de personnalité d’envergure historique convaincue de la nécessité de faire avancer la construction européenne, tant en France que dans les autres pays européens.
C’est pourquoi de plus en plus de voix commencent à se dire que l’organisation d’un référendum avant la fin 2017 sur le maintien du Royaume-Uni au sein de l’Union Européenne, proposé par le Premier Ministre britannique David Cameron et confirmé par la reine Élisabeth II le 27 mai 2015, pourrait être un salutaire électrochoc pour penser l’Europe de demain, et imaginer de nouveaux mécanismes qui pourraient reprendre ce qu’il se disait déjà au début des années 1990, à savoir une Europe concentrique à plusieurs vitesses. Ce qu’a d’ailleurs proposé Valéry Giscard d’Estaing.
C’est en donnant une véritable vision d’un avenir commun de tout le continent européen, de son rôle dans le monde globalisé d’aujourd’hui, que cette pépite improbable, fruit d’utopies impensables, pourra retrouver l’adhésion des peuples européens, condition indispensable pour la réussite de toute entreprise.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (29 mai 2015)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
L’idée d’une Constitution pour l’Union Européenne (Rapport Haenel du 7 juin 2001).
L’Europe de Victor Hugo.
Il y a dix ans, le référendum sur le TCE.
David Cameron.
Tournant historique pour l’euro.
La transition polonaise.
Le Traité de Maastricht.
La débarrosoïsation de l’Europe.
Les priorités de Jean-Claude Juncker.
La parlementarisation des institutions européennes.
Donald Tusk.
Angela Merkel.
La France est-elle libérale ?
Le pape pour le renouveau de l'Europe.
Conseil Européen du 30 août 2014.
Composition de la Commission Juncker (10 septembre 2014).
Les propositions européennes de VGE.
Effervescence à Bruxelles.
Résultats des élections européennes du 25 mai 2014.
Déni de démocratie pour le Traité de Lisbonne ?
Guy Verhofstadt
La France des Bisounours à l'assaut de l'Europe.
Faut-il avoir peur du Traité transatlantique ?
Le monde ne nous attend pas !
Martin Schulz.
Jacques Delors.
Jean-Luc Dehaene.
Débat européen entre les (vrais) candidats.
Les centristes en liste.
Innovation européenne.
L’Alternative.
La famille centriste.
Michel Barnier.
Enrico Letta.
Matteo Renzi.
Herman Van Rompuy.
Gaston Thorn.
Borislaw Geremek.
Daniel Cohn-Bendit.
Mario Draghi.
Le budget européen 2014-2020.
Euroscepticisme.
Le syndrome anti-européen.
Pas de nouveau mode de scrutin aux élections européennes, dommage.
Risque de shutdown européen.
L’Europe des Vingt-huit.
La révolte du Parlement Européen.
La construction européenne.
L’Union Européenne, c’est la paix.
L'écotaxe et l'Europe.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20150529-referendum-tce.html
http://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/l-idee-d-une-constitution-167953
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2015/05/29/32129930.html