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17 septembre 2015 4 17 /09 /septembre /2015 06:50

« Je suis indulgent pour les autres car je le suis pour moi. J’admire beaucoup les gens qui sont sévères pour les autres. À condition qu’ils soient sévères pour eux-mêmes. N’étant pas sévère pour moi-même, je ne le suis pas pour les autres. Car ce qu’il y a de plus ignoble, c’est les gens indulgents pour eux-mêmes et sévères pour les autres. » ("L’Est républicain" du 23 août 2015).



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Lorsque il a été élu à l’Académie française, le 18 octobre 1973, au fauteuil de Jules Romains, Jean d’Ormesson n’avait que 48 ans, le benjamin. La noble assemblée a eu ensuite le temps d’être renouvelée plusieurs fois et voici depuis le 30 octobre 2009 (à la mort de Claude Lévi-Strauss, premier "centenaire immortel"), qu’il est devenu le doyen des académiciens, c’est-à-dire le plus anciennement élu. Le 16 juin 2015, il y a trois mois, il a par ailleurs franchi le cap des 90 ans et vient de sortir le 20 août 2015 un nouveau livre, son quarante-cinquième livre, "Dieu, les affaires et nous. Chronique d’un demi-siècle" (éd. Robert Laffont). Celui qui l’avait reçu sous la Coupole le 6 juin 1974, Thierry Maulnier, lui avait prédit : « Vous êtes et resterez sans doute assez longtemps le plus jeune d’entre nous. ».

Jean d’Ormesson est sans doute encore un jeune homme dans sa tête, au visage certes bien ridé mais au cœur toujours enthousiaste et émerveillé par la vie, encore un peu plus depuis son passage délicat par la maladie en 2013 : « J’avais une chance sur cinq de m’en sortir. » (RTS, le 4 juin 2014). Il en a écrit un livre, "Comme un chant d’espérance" (publié le 12 juin 2014), et il revient régulièrement dans les médias sur ses huit mois de dur combat : « Cela a été une rude épreuve. J’en suis sorti avec une grande reconnaissance pour le système médical français, qui est un système merveilleux, et j’ai ressenti une grande compassion. J’ai vu des gens qui ont souffert plus que moi. Des gens qui n’arrivaient pas à exprimer leur douleur, les mots leur manquaient. » (juin 2014).

L’émerveillement et l’étonnement qui caractérisent Jean d’Ormesson sont pour lui la raison de croire, comme Voltaire croyait au grand horloger : « Ce qui me fait croire à Dieu, c’est le soleil qui se lève le matin. Je ne peux pas croire que ce soit le fruit du hasard. Je veux bien croire que dans la vie quotidienne, le hasard joue énormément, mais pour la création du monde, il aurait fallu de telles successions de hasards qui aillent tous dans le même sens… C’est cela qui me fait croire qu’il y a quelque chose que nous appelons Dieu. » (juin 2014). Dieu, ou ce qu’un autre appelait "réalité voilée". Il trouve d’ailleurs exceptionnellement complémentaire la succession des trois derniers papes : Jean-Paul II qui a incarné l’espérance, Benoît XVI qui a incarné la foi, et le pape François qui incarne la charité.

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L’Académie française, elle est maintenant sous son influence. C’est lui qui l’aurait poussée à élire Alain Finkielkraut ou encore, auparavant, Marguerite Yourcenar (la première femme académicienne), ainsi que Simone Veil : « L’Académie n’est pas une réunion d’écrivains mais de notables. Il y a de grands chirurgiens, de grands architectes, des maréchaux, des amiraux, des anciens Présidents de la République. Je suis de ceux qui pensent qu’il devrait y avoir de grands cinéastes ou de grands chanteurs. J’étais pour Trenet et j’aurais sûrement voté pour Barbara. Il y a aussi quelques écrivains, mais assez rares ! » ("L’Est républicain" du 23 août 2015). Il fait partie des peu nombreux écrivains qui vivent de leurs ouvrages, et qui en vivent très bien. Mieux, le 17 avril 2015, il a été consacré de son vivant par La Pléiade (annonce des éditions Gallimard le 3 janvier 2015), c’est le "paradis des écrivains" selon son expression : « C’est comme un Nobel. Mes prédécesseurs sont Gide, Malraux, Montherlant, Ionesco, Yourcenar et Gracq : c’est affolant ! » ("L’Est républicain" du 23 août 2015).

Jean d’Ormesson fait partie de l’élite française, par deux voies .Celle de l’inné, issue d’une très ancienne lignée de notables, de premier président de chambre des comptes sous les Valois-Angoulême, de chancelier de France, de premier président du Parlement de Paris, de contrôleurs généraux des Finances, d’ambassadeurs, d’écrivains, etc., jusqu’à son oncle Wladimir d’Ormesson qui était encore académicien quelques semaines avant que lui-même le soit devenu (l’oncle est mort le 15 septembre 1973). Mais aussi la voie de l’acquis, issue de l’excellence républicaine, de la méritocratie universitaire, avec de très brillantes études, lycée à Louis-le-Grand, hypokhâgne à Henri-IV, puis Normale Sup, enfin l’agrégation de philosophie.

Après quelques années d’enseignement de grec et de philosophie, il mena en parallèle deux carrières, celle de journaliste et celle d’écrivain, avec quelques autres fonctions comme secrétaire général du Conseil international de la philosophie et des sciences humaines à l’Unesco en 1950 (choisi par Jacques Rueff, ami de son père, lui-même ambassadeur et proche de Léon Blum) ou conseiller dans quelques cabinets ministériels sous De Gaulle qui reste l’homme de son siècle. Sa carrière de journaliste l’a conduit à l’influent poste de directeur général du journal "Le Figaro" de mars 1974 à 1977 (poste qu’il quitta après l’arrivée de Robert Hersant qu’il jugeait trop interventionniste sur le plan éditorial). Il continua à écrire des éditoriaux dans "Le Figaro Magazine" jusqu’en 1983 et c’est à ce titre-là qu’au début des années 1980, après l’élection de François Mitterrand, qu’il débattait le vendredi soir sur France Inter avec d’autres éditorialistes comme Henri Amouroux, Roland Leroy, Jean Daniel, Claude Cabanes (mort le 25 août 2015), etc.

Jean d’Ormesson n’a jamais caché sa proximité avec la droite française, celle qu’il voudrait à la fois gaulliste, sociale, européenne et progressiste. À ce titre, il aurait sans doute pu devenir Ministre de la Culture lorsque la droite et le centre étaient revenus au pouvoir dans les années 1980 et 1990 mais il préférait écrire. Il s’était ouvertement opposé à François Mitterrand mais dans l’adversité, une amitié étrange se noua entre les deux hommes au point que Jean d’Ormesson fut la dernière personnalité à avoir visité François Mitterrand à l’Élysée : « J’avais donc un adversaire qui était aussi un ami. Parler avec lui était délicieux. » ("L’Est républicain" du 23 août 2015). C’est d’ailleurs assez paradoxal que Jean d’Ormesson (comme un peu plus tard Michel Houellebecq) commença une (courte) carrière au cinéma en interprétant aux côtés de Catherine Frot le rôle de François Mitterrand dans le film "Les saveurs du palais" réalisé par Christian Vincent et sorti le 29 août 2012. L’imitation fut excellente : « Au cinéma, mon côté cabotin est enchanté. ».

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Concernant son cheminement littéraire, la plus connue de ses existences, Jean d’Ormesson a montré sa liberté et son indépendance de plume, tant pour les romans que les essais. Il publia son premier livre le 23 avril 1956 ("L’Amour est un plaisir") mais son premier succès (tiré à 100 000 exemplaires) fut pour "La Gloire de l’Empire" publié le 29 septembre 1971, récompensé par le Grand prix du roman de l’Académie française. Ses romans sont souvent des divagations sur lui, la vie, le temps, la mort et Dieu. Les titres de ses œuvres sont assez éloquents, comme : "Du côté de chez Jean" (1959), "Au revoir et merci" (1966), "Au plaisir de Dieu" (1974), "Dieu, sa vie, son œuvre" (1981), "Histoire du Juif errant" (1990), "Presque rien sur presque tout" (1995), "C’était bien" (2003), "La Vie ne suffit pas" (2007), "Qu’ai-je donc fait ?" (2008), "Un jour je m’en irai sans en avoir tout dit" (2013), etc.

Jean d’Ormesson avait donné sa définition du bon écrivain : « C’est d’abord le style. Beaucoup de gens arrivent chez des éditeurs et disent : "J’ai une histoire merveilleuse". Mais ce ne sont pas les histoires merveilleuses qui font les écrivains, c’est le style. (…) Le style, c’est la littérature. (…) On n’écrit pas avec des histoires, on écrit avec des mots. » ("Lire", octobre 2009). Parlons donc justement du style de Jean d’Ormesson décrit par l’un de ses condisciples de l’Académie : « Votre phrase est allègre, parfois jusqu’à l’insolence, souple et précise, d’un équilibre sûr. Vous êtes de ceux, un peu moins nombreux, je le crains, à chaque génération, qui savent que l’écrivain de race n’a pas besoin de s’inventer un langage pour parler un langage qui soit à lui. Votre style est donc celui d’un classique. » (Thierry Maulnier, 6 juin 1974).

Pour jouer avec les mots, le dictionnaire est donc un instrument indispensable. Jean d’Ormesson adorait, enfant, lire les dictionnaires à sa portée, notamment le Larousse universel du XIXe siècle : à Bonarparte, c’était indiqué "Né le 15 août à Ajaccio et mort le 18 brumaire" ! Mais c’est le Littré qui a capté sa préférence car toute l’histoire de la littérature y réside : « Un bon dictionnaire se lit comme un roman. Sauf qu’ici, les personnages principaux, ce sont les mots. Car les mots sont des êtres vivants : ils ont une histoire et une généalogie. Ils changent, ils évoluent et parfois meurent quand on ne les utilise plus. » ("Le Figaro" du 21 septembre 2007).

Soixante années de carrière littéraire, cela en fait passer, des générations. Jean d’Ormesson a ainsi constaté le changement lorsqu’il était au contact avec ses lecteurs : « J’avais des lecteurs fidèles mais âgés. On m’a beaucoup dit "ma mère vous admire tellement", puis un jour, "ma grand-mère vous admire tellement". Cela a changé. Je vois maintenant beaucoup de dames âgées me dire "mon fils ou mon petit-fils vous aime bien". Mes lecteurs ont rajeunis et j’en suis très fier. » ("L’Est républicain" du 23 août 2015).

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Quel est l’avenir de Jean d’Ormesson ? Lui le résume en deux mots : Dieu et sa postérité. Il ne tourne pas autour du pot et admet que seule la postérité compte pour un écrivain : « Il n’y a rien d’autre ! Je suis très content d’être dans les listes de best-seller et d’avoir 200 000 lecteurs. Mais je préférerais avoir 200 lecteurs cinquante ans après ma mort que 200 000 de mon vivant. Ce n’est pas bon signe d’avoir tellement de lecteurs. Eugène Sue et Ponson du Terrail avaient beaucoup plus de lecteurs que Stendhal ! Quand Stendhal est mort, il y avait trois personnes à son enterrement, dont Mérimée. Le coup de génie de Stendhal est d’avoir dit : "Je serai lu dans cent ans". C’est vrai. Le seul jugement pour un écrivain n’est pas l’Académie ou les prix littéraire qui se trompent énormément, ou même le nombre de lecteurs. Ce qui compte, c’est le public de demain. Car le public d’aujourd’hui est aveuglé par la mode, les médias. Il se trompe beaucoup. » ("L’Est républicain" du 23 août 2015).

Quant à Dieu, il le voit comme une sorte d’éternité : « Le grand problème, c’est Dieu. Je suis de ceux qui pensent que Dieu tout seul est une catastrophe. Les homme sans Dieu, ce n’est pas brillant. » pour envisager l’issue de son existence : « Nous mourrons tous. Notre vie ici-bas est très peu de choses. Quelques années, et on entre dans une éternité. Le problème est de savoir si cette éternité est vide ou pleine. C’est le problème majeur de l’humanité. Le reste n’est qu’atermoiements avec le confort matériel. Le fond du problème est : qu’est-ce que nous faisons là ? » ("L’Est républicain" du 23 août 2015).

C’est par ce type de pensée qu’il se prépare à mourir …depuis quatre-vingt-dix ans, maintenant.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (17 septembre 2015)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
"Radioscopie de Jean d’Ormesson" (sur France Inter le 15 juin 1978).
Albert Camus.
André Gide.
Victor Hugo.
Eugène Ionesco.
Charles Péguy.
Simone Weil.
Étienne Borne.
Bernard d’Espagnat.
Paul Ricœur.
Germaine Tillion.
Edgar Morin.
Jean d’Ormesson.
Jean-Paul Sartre.
Alexandre Soljenitsyne.
Gotlib.
Amin Maalouf.
Aimé Césaire.
François Nourissier.
Jean Dutourd.
Louis-Ferdinand Céline.
Jacqueline de Romilly.
Xénophon.
José Saramago.
Daniel Cordier.
Thierry Le Luron.
Pierre Dac.
Albert Jacquard.
Roger Garaudy.
Stéphane Hessel.
Henri Amouroux.
René Rémond.
Maurice Druon.
Noël Copin.
Maurice Duverger.
Jean Lacouture.
Bernard Pivot.
Michel Polac.
Hergé.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20150616-jean-d-ormesson.html

http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/jean-d-ormesson-le-dandy-doyen-171894

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2015/09/17/32634422.html

 

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