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19 juin 2015 5 19 /06 /juin /2015 06:12

« Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France. Le sentiment me l’inspire aussi bien que la raison. Ce qu’il y a, en moi, d’affectif imagine naturellement la France, telle la princesse des contes ou la madone aux fresques des murs, comme vouée à une destinée éminente et exceptionnelle. J’ai, d’instinct, l’impression que la Providence l’a créée pour des succès achevés ou des malheurs exemplaires. S’il advient que la médiocrité marque, pourtant, ses faits et gestes, j’en éprouve la sensation d’une absurde anomalie, imputable aux fautes des Français, non au génie de la patrie. Mais aussi, le côté positif de mon esprit me convainc que la France n’est réellement elle-même qu’au premier rang ; que, seules, de vastes entreprises sont susceptibles de compenser les ferments de dispersion que son peuple porte en lui-même ; que notre pays, tel qu’il est, parmi les autres, tels qu’ils sont, doit, sous peine de danger mortel, viser haut et se tenir droit. Bref, à mon sens, la France ne peut être la France sans la grandeur. » (De Gaulle, 1954).


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Double anniversaire que le 18 juin 2015, la bataille de Waterloo, en 1815, et voici l’appel à la résistance des Français libres.


L’Appel du 18 Juin

Pour comprendre l’Appel du 18 Juin, il est intéressant de connaître la chronologie politique précise de mai et juin 1940 (je recommande "L’Histoire de la France au XXe siècle" de Serge Berstein et Pierre Milza). Paul Reynaud a été nommé Président du Conseil le 22 mars 1940, en succédant à Édouard Daladier. Dans son gouvernement, il avait entre autres nommé, outre Daladier, Camille Chautemps, Georges Mandel, Albert Sarrault, Henri Queuille, Anatole de Monzie, Louis Marin, Robert Schuman, Louis Jacquinot, Joseph Laniel, Auguste Champetier de Ribes, Paul Baudouin, Yvon Delbos. et Yves Bouthillier.

Le 10 mai 1940, les nazis ont commencé une offensive massive contre la France en envahissant la Belgique (contournant l’inutile ligne Maginot). Le 18 mai 1940, Reynaud se nomma à la Guerre et Philippe Pétain à la Vice-Présidence du Conseil. À partir de mai, les ministres furent très divisés sur les décisions à prendre, entre poursuivre les combats et négocier avec les nazis l’arrêt des combats. Reynaud, Mandel, Delbos, Louis Marin et De Gaulle étaient contre l’armistice, Pétain, Bouthillier, et quelques autres pour l’armistice. Le général Maxime Weygand, qui n’était pas au gouvernement mais placé à la tête des armées françaises depuis un mois, était lui aussi favorable à l’armistice.

Venant d’être promu général de brigade (le 25 mai 1940), Charles De Gaulle fut nommé par Paul Reynaud le 6 juin 1940 Sous-Secrétaire d’État à la Guerre et à la Défense nationale rapportant directement à Reynaud responsable aussi de la Guerre. Nommé malgré l’opposition de plusieurs ministres : De Gaulle était connu pour ses vues très modernes et la certitude qu’il fallait tout miser sur la motorisation, en particulier les blindés et l’aviation (thèse exposée dans son livre "Vers l’armée de métier" publié en 1934 chez Berger-Levrault). Beaucoup dans la classe politique, dont Léon Blum, voyaient dans cette proposition de créer un corps de manœuvre professionnel le moyen de faire un coup d’État. En mission à Londres le 9 juin 1940, De Gaulle y rencontra Winston Churchill pour la première fois. Il retourna ensuite à Paris.

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En raison de l’avance des nazis, le gouvernement de Paul Reynaud quitta Paris le 10 juin 1940 pour Orléans puis Tours. Churchill et Anthony Eden (son Ministre de la Guerre) rencontrèrent les membres du gouvernement français les 11 et 12 juin 1940 au château du Muguet, près de Briare (dans le Loiret), dans le cadre du conseil suprême interallié. Churchill a compris très vite que seul De Gaulle avait une vision plus large que les considérations franco-allemandes : « Notre conversation fortifia la confiance que j’avais dans sa volonté. Lui-même en retint sans doute que De Gaulle, bien que démuni, n’en était pas moins résolu. » (De Gaulle dans "Mémoires de guerre"). Churchill confirma aussi par la suite : « [De Gaulle] était jeune et énergique et m’avait fait une impression très favorable. Je croyais probable que si la ligne actuelle s’effondrait, Reynaud lui demanderait de prendre le commandement. ». Après une nouvelle réunion interalliée à Tours le 13 juin 1940, le gouvernement Reynaud se réfugia le soir à Bordeaux.

De ce gouvernement, seuls Reynaud, De Gaulle, Delbos, Mandel et Louis Marin étaient vraiment favorables à la poursuite des combats malgré l’avancée allemande. De Gaulle quitta Bordeaux pour Rennes le 15 juin 1940 (pour sonder les capacités de la Bretagne à résister aux nazis) puis arriva le soir à Brest pour traverser la Manche la nuit et déjeuner avec Churchill le 16 juin 1940 à Londres à propos d’un projet d’Union franco-britannique initié par Jean Monnet. Churchill avait donné son feu vert. De Gaulle téléphona alors à Paul Reynaud : « Je viens de voir Churchill. Il y a quelque chose d’énorme en préparation au point de vue entité entre les deux pays. Churchill propose la constitution d’une gouvernement unique franco-britannique et vous, Monsieur le Président, pouvez être Président du cabinet de Guerre franco-britannique. » (selon l’historien Jean-Pierre Guichard le 16 juin 2008). L’idée était surtout de garder la maîtrise de la flotte française, la seconde plus puissante d’Europe que les nazis ne devaient pas contrôler.

L’historien Jean-Baptiste Duroselle, qui commenta les "Mémoires de guerre" de De Gaulle, observa : « Signalons, à propos de cette courte et dramatique période, deux points essentiels : le sens de l’État que manifeste l’auteur lorsque, le 10 juin, Weygand lui dit : "Avez-vous quelques chose à proposer ? – Le Gouvernement, répondis-je, n’a pas de propositions à faire mais des ordres à donner. Je compte qu’il les donnera". Il y a là la clé de son action ultérieure. D’autre part, l’interprétation qu’il donne du projet d’Union franco-britannique du 16 juin, simple aliment destiné à ranimer les énergies des adversaires de l’armistice, plutôt que projet sérieux, vient confirmer des conclusions auxquelles nous étions déjà arrivés. » (1955).

Les nazis entrèrent dans Paris le 14 juin 1940. Reynaud n’a pas eu le courage de limoger Weygand. Finalement, en désaccord avec une supposée petite majorité des ministres qui souhaitaient l’armistice, Paul Reynaud démissionna le 16 juin 1940. Sur l’erreur d’appréciation de penser que la négociation avec Hitler serait un échec, le Président de la République Albert Lebrun nomma Philippe Pétain à la tête du gouvernement. Dans son gouvernement dans lequel participaient deux socialistes avec l’accord de Léon Blum, Pétain nomma Weygand Ministre de la Défense nationale (jusqu’au 6 septembre 1940), et François Darlan Ministre de la Marine. Il n’intégra Pierre Laval que le 23 juin 1940 comme Vice-Président du Conseil. Pétain fit immédiatement « don de [sa] personne à la France » et prépara aussitôt l’armistice : « C’est le cœur serré que je vous dis aujourd’hui qu’il faut cesser le combat. » (17 juin 1940). Celle-ci fut signée le 22 juin 1940 à Compiègne au même endroit que la capitulation allemande du 11 novembre 1918, en signe de revanche.

À Bordeaux le matin même et retourné à Londres le 17 juin 1940, De Gaulle a pu se mettre d’accord avec Churchill pour bénéficier de la BBC dès l’annonce de la "capitulation" française. Ce fut donc le 18 juin 1940 en fin d’après-midi que De Gaulle a répondu à Pétain : « (…) Rien n’est perdu pour la France. Les mêmes moyens qui nous ont vaincus peuvent faire venir un jour la victoire. Car la France n’est pas seule ! Elle n’est pas seule ! Elle n’est pas seule ! Elle a un vaste Empire derrière elle. Elle peut faire bloc avec l’Empire Britannique qui tient la mer et continue la lutte. Elle peut, comme l’Angleterre, utiliser sans limites l’immense industrie des États-Unis. Cette guerre n’est pas limitée au territoire malheureux de notre pays. (…) Cette guerre est une guerre mondiale. Toutes les fautes, tous les retards, toutes les souffrances n’empêchent pas qu’il y a dans l’univers tous les moyens nécessaires pour écraser un jour nos ennemis. Foudroyés aujourd’hui par la force mécanique, nous pourrons vaincre dans l’avenir par une force mécanique supérieure. Le destin du monde est là. Moi, Général De Gaulle actuellement à Londres, j’invite les officiers et les soldats français qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s’y trouver avec leurs armes ou sans leurs armes (…), à se mettre en rapport avec moi. Quoi qu’il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas. Demain, comme aujourd’hui, je parlerai à la Radio de Londres. » (Ce texte a été longuement discuté au conseil des ministres britannique, la plupart des ministres souhaitaient encore ménager Pétain mais Churchill a mis tout son poids politique pour soutenir De Gaulle).

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Le 20 juin 1940, plusieurs parlementaires et ministres embarquèrent au bord du Massilia pour atteindre Alger. Ils voulaient résister en Afrique du Nord mais furent arrêtés par les troupes françaises sous commandement de Pétain. Parmi eux, Jean Zay, Georges Mandel, Pierre Mendès France et Yvon Delbos, ministre de Reynaud mais aussi Ministre des Affaires étrangères de Léon Blum et candidat à l’élection présidentielle de décembre 1953.

Le 22 juin 1940, De Gaulle proclama à la BBC : « L’honneur, le bon sens, l’intérêt supérieur de la Patrie, commandent à tous les Français libres de continuer le combat, là où ils seront et comme ils pourront. ». Ces appels quotidiens furent à l’origine de sa condamnation à mort par contumace le 2 août 1940 par le tribunal militaire de la 13e Région à Clermont-Ferrand et de la déchéance de sa nationalité française le 8 décembre 1940 (par décret).

Le texte de l’appel du 18 Juin est un peu différent de celui de l’affiche qui fut diffusée en Grande-Bretagne quelques semaines plus tard avec cette fameuse phrase : « La France a perdu une bataille ! Mais la France n’a pas perdu la guerre ! » (3 août 1940).

Amoureux de la France comme Péguy, De Gaulle n’avait eu aucun souhait de représenter la France à Londres. Il avait été très déçu par la classe politique en général et à part Paul Reynaud qui était épuisé psychologiquement et blessé le 28 juin 1940 dans un accident de la route où sa fiancée fut tuée (il fut arrêté le 7 septembre 1940 et libéré seulement le 7 mai 1945), personne ne l’avait soutenu pour continuer les combats (il voulait prendre l’Afrique du Nord comme base arrière).

Résultat, ce n’était que lui, petit général de brigade à titre temporaire inconnu et sous-secrétaire d’État, pas même ministre, qui allait devoir négocier la France avec le chef du gouvernement britannique : « Quant à moi, qui prétendais gravir une pareille pente, je n’étais rien au départ. À mes côtés, pas l’ombre d’une force, ni d’une organisation. (…) Mais ce dénuement même me traçait ma ligne de conduite. C’est en épousant, sans ménager rien, la cause du salut national que je pourrais trouver l’autorité. (…) Bref, tout limité et solitaire que je fusse, et justement parce que je l‘étais, il me fallait gagner les sommets et n’en descendre jamais plus. » ou encore : « Je m’apparaissais à moi-même, seul et démuni de tout, comme un homme au bord d’un océan qu’il prétendrait franchir à la nage. (…) Devant le vide effrayant du renoncement général, ma mission m’apparut, d’un seul coup, claire et terrible. En ce moment, le pire de son histoire, c’était à moi d’assumer la France. » ("Mémoires de guerre"). Cela expliqua aussi le dégoût que pouvait avoir De Gaulle vis-à-vis des partis politiques qui ont tous failli en juin 1940.

Il faut aussi lire l’excellente autobiographie de Daniel Cordier (94 ans), révolté à 17 ans par le discours de Pétain du 17 juin 1940 et qui a embarqué à Bayonne le 21 juin 1940 pour Londres, futur secrétaire de Jean Moulin ; il était pourtant maurassien, mais fut choqué que Charles Maurras prît le parti des occupants ("Alias Caracalla" publié le 15 mai 2009 chez Gallimard).

Pour complément, la première allocution de De Gaulle à la BBC, l’appel du 18 Juin, ne fut pas enregistré par la BBC car les techniciens de la BBC étaient surtout préoccupés par une allocution radiodiffusée de Churchill au peuple britannique qui lui promettait « du sang, de la sueur et des larmes ».

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C’était donc avec une grande émotion que je suis passé pour la première fois devant le 3 Carlton Gardens dans le quartier St. James à Londres, qui fut le quartier général de De Gaulle, devant sa statue, comme un témoignage historique du soutien indéfectible de Churchill à la France libre (le futur Napoléon III résida au 1 Carlton Gardens de 1840 à 1841).


Dans le prochain article, j’évoquerai les deux figures presque légendaires que furent Napoléon et De Gaulle.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (18 juin 2015)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Le Congrès de Vienne.
Victor Hugo.
De Gaulle.
Les valeurs du gaullisme.
L’héritage du gaullisme.
Péguy.
Pétain.
Hitler.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20150618-napoleon-de-gaulle-2.html

http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/18-juin-napoleon-de-gaulle-2-3-168698

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2015/06/19/32232969.html




 

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