Convocation d’urgence du Conseil de défense ce mercredi matin à l’Élysée.
La publication, dans la soirée de ce mardi 23 juin 2015, de documents confidentiels de l’agence américaine NSA par Mediapart et "Libération" transmis par WikiLeaks a de quoi créer un incident diplomatique entre la France et les États-Unis. En effet, il est désormais prouvé que les Présidents de la République française, de 2006 à 2012, ainsi que leur entourage direct (proches collaborateurs) ont été mis sur écoute téléphonique : Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande.
Au-delà de la teneur anecdotique des conversations et de leurs commentaires américains de ce qui a été publié (Nicolas Sarkozy se prenant pour Superman pour résoudre la crise mondiale en 2008 ou voulant relancer le processus de paix israélo-palestinien avec Dmitri Medvedev en 2011, François Hollande très mitigé sur ses premiers contacts avec Angela Merkel en 2012, etc.), qui n’apporte qu’un intérêt d’historien à la vie politique française, il paraît probable que des informations nettement plus confidentielles touchant à la sécurité intérieure du pays ont été écoutées par les Américains.
De quoi être furieusement fâché contre les États-Unis même si, depuis la connaissance des écoutes américaines du téléphone d’Angela Merkel (révélées le 23 octobre 2013 par Edward Snowden), les Français pouvaient se douter de se retrouver dans la même situation (un dessin humoristique paru dans la presse ce matin montre d’ailleurs le Français soulagé qu’il soit écouté, car considéré comme aussi important que les Allemands pour les Américains).
Lors de son voyage à Washington (pour le G20), François Hollande aurait pourtant annoncé le 11 février 2014 après son entrevue avec Barack Obama : « L’engagement a été pris de ne plus pratiquer d’écoutes indifférenciées concernant les services de l’État des pays alliés. » (déclarations citées par Mediapart le 23 juin 2015 mais pas retrouvées sur le site officiel de l’Élysée). Que cela serve aussi de leçon pour celui qui s’apprête à promulguer la loi sur le renseignement !
La réaction de la Maison-Blanche a été on ne peut plus laconique. Ned Price, le porte-parole du Conseil de sécurité nationale (NSC) des États-Unis, a en effet déclaré à l’AFP : « Nous ne ciblons pas et nous ne ciblerons pas les communications du Président Hollande. » en ajoutant seulement : « Nous travaillons étroitement avec la France sur tous les sujets de dimension internationale et les Français sont des partenaires indispensables. ».
Le Conseil de défense (français) s’est donc réuni en toute hâte ce mercredi 24 juin 2015 dans la matinée pour réagir officiellement. Le communiqué final a de quoi montrer une colère impuissante en condamnant des faits « inacceptables » : la France « ne tolérera aucun agissement mettant en cause sa sécurité ».
J’aurais tendance à penser que même scandaleux, ce type d’espionnage était assez prévisible et la tentation d’écoute généralisée doit être grande dans tous les États ayant une certaine capacité technologique.
Néanmoins, je considère que les premiers responsables de ces écoutes, ici, ce ne sont pas les espions mais ceux qui se font espionner : pourquoi la France, au plus haut niveau de l’État et pour des communications de la plus extrême confidentialité, n’est-elle pas en mesure d’empêcher technologiquement toute écoute ?
Pour un grand pays où l’innovation et la technologie sont puissantes, c’est très étonnant. Cela peut faire vraiment peur sur la capacité de la France à se défendre : que l’État américain ait connaissance d’informations confidentielles, c’est très ennuyeux, surtout dans le cadre de négociations économiques longues et cruciales, mais il reste un État ami.
Ce qui est nettement plus grave, c’est que cela signifie surtout que n’importe qui pourrait écouter l’Élysée, y compris des groupes terroristes très organisés, et cela a de quoi angoisser les responsables de la sécurité. Il s’agit donc pour le gouvernement français de lancer immédiatement un plan pour rendre les écoutes technologiquement très difficiles sinon impossibles.
Il a déjà été dit récemment que le service de sécurité présidentiel n’était pas à la hauteur des enjeux de sécurité, notamment en raison d’un manque de professionnalisme de la protection rapprochée de François Hollande (par exemple, aucun rapport d’incident n’est rédigé en cas de problème).
Sécuriser les moyens de communication du Président de la République et de ses proches collaborateurs me paraîtrait donc une urgence fondamentale dans un contexte terroriste particulièrement grave.
Pour autant, comment pourrait réagir la France face à de telles informations ? Il est bien sûr impossible de rompre les relations diplomatiques entre la France et les États-Unis, les deux pays ayant des partenariats dans de nombreux domaines et en particulier dans la lutte contre le terrorisme.
En revanche, il me semble qu’une mesure symbolique, certes audacieuse, aurait une véritable justification pour exprimer la colère de la France : accorder l’asile politique aux deux lanceurs d’alerte pourchassés par les États-Unis, à l’origine de ces révélations, à savoir Julian Assange (reclus à l’ambassade d’Équateur à Londres depuis le 19 juin 2012), par qui le scandale viens d’arriver et sans qui la France serait dans l’ignorance de l’espionnage des États-Unis, et également Edward Snowden (exilé depuis le 23 juin 2013 en Russie qui lui a accordé un asile temporaire le 31 juillet 2013).
Cela n’aurait pas de conséquences majeures dans les relations franco-américaines mais montrerait un certain panache dans la réaction française, et une certaine indépendance.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (24 juin 2015)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Loi sur le renseignement.
WikiLeaks.
François Hollande.
Barack Obama.
Angela Merkel.
Nicolas Sarkozy.
Jacques Chirac.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20150624-wikileaks.html
http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/l-elysee-espionne-par-les-usa-168939
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2015/06/24/32265205.html
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