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23 août 2015 7 23 /08 /août /2015 01:51

« Rocard vous brode et vous saoule d’interminables discours, incompréhensibles et bousculés, que vous vous jugerez incapable d’interrompre pour en demander le sens. Bizarre qu’un homme qui prétend parler vrai, et en tire gloire, le fasse en des termes si obscurs. » (Philippe Alexandre dans "Paysages de campagne", 5 octobre 1988).


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C’est son dernier mandat et toujours en cours, nommé par le Président Nicolas Sarkozy le 18 mars 2009 "ambassadeur de France chargé de la négociation internationale pour les pôles arctique et antarctique". Retour sur l’héritier du mendésisme et le mentor d’origine de l’actuel Premier Ministre Manuel Valls.

Dans la série des anniversaires symboles, voici Michel Rocard qui fête son 85e anniversaire ce dimanche 23 août 2015. Un anniversaire que je lui souhaite de tout cœur joyeux pour un homme modéré, raisonnable et dynamique qui a été, contrairement à son collègue socialiste Jacques Delors, un véritable "animal politique".

Fils et père de physiciens réputés (Yves Rocard et Francis Rocard), Michel Rocard est un peu comme Michel Debré, un Premier Ministre dans une famille républicaine de scientifiques, physiciens pour le premier, médecins pour le second. Durant ses brillantes études (IEP Paris et ENA), il fut le condisciple notamment de Jacques Chirac, de Bernard Stasi, de Robert Pandraud et aussi de Jacques Andréani (ambassadeur qui vient de disparaître le 25 juillet 2015).

Michel Rocard s’est consacré entièrement à la vie politique et à la montée vers le pouvoir, caractérisée essentiellement par une véritable haine réciproque de François Mitterrand qui a tout fait pour lui barrer la route de l’Élysée, quitte à le nommer à Matignon ou, pire, à favoriser une liste de centre gauche aux élections européennes du 12 juin 1994 dirigée par …Bernard Tapie ! Candidat marginal à l’élection présidentielle à 38 ans (en 1969), il échoua de l’être avec une grande chance de gagner en 1981, 1988 et 1995 et était même prêt à remplacer Ségolène Royal en 2007 !

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Heureusement que François Mitterrand était là et irresponsable. Privilégiant les petits calculs d’arrière-boutique politicienne, François Mitterrand ne se préoccupait pas de l’intérêt général, et c’est pour cette raison, paradoxalement, que Michel Rocard fut (heureusement) nommé Premier Ministre du 10 mai 1988 au 15 mai 1991 : « Rocard n’a ni la capacité ni le caractère pour cette fonction. Mais, puisque les Français le veulent, ils l’auront. En revanche, c’est moi qui ferai le gouvernement. » (propos rapporté par Jacques Attali dans "Verbatim" en 1995).

Le magazine "Le Point" n’était pas non plus avare de critiques contre la gouvernance de Michel Rocard : « Il parle comme Pierre Mendès France, il gouverne comme Henri Queuille et veut faire croire qu’il est le successeur de Pinay. » (19 juin 1989).

C’est un peu injuste, car comme Pierre Mendès France avec l’Indochine, Michel Rocard a mis toute son énergie à en finir avec la crise en Nouvelle-Calédonie en favorisant un accord entre Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur (les accords de Matignon furent signés le 26 juin 1988).

Il fut aussi le créateur du RMI (revenu minimum d’insertion) instauré le 12 octobre 1988 et voté à l’unanimité au Palais-Bourbon, et de la très controversée CSG (contribution social généralisée) adoptée à l’Assemblée Nationale le 19 novembre 1990 à 5 voix près, les communistes ayant décidé de joindre leur vote à la motion de censure déposée par l’UDF et le RPR.

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Je ne m’étendrai pas ici sur le bilan de sa très longue carrière politique et en particulier de ses deux gouvernements qui ont joui d’une belle période de prospérité comme sous le gouvernement de Lionel Jospin, plus grâce à la conjoncture internationale qu’à leur propre politique économique. Période qui leur a permis une belle popularité au pouvoir mais pas assez pour atteindre la magistrature suprême.

Lionel Jospin, qui est un grand comique quand il s’exprime dans la presse écrite, avait d’ailleurs tout de suite compris de quelle farine il était fait : « Rocard est un giscardien qui s’ignore. Giscard est un rocardien qui a réussi. » ("VSD" du 28 juin 1979).

On aurait bien imaginé un gouvernement dirigé par Michel Rocard dès mars 1978, nommé en cohabitation par un Président Valéry Giscard d’Estaing qui se serait éloigné à Rambouillet. L’histoire a cependant voulu que la gauche, la nouvelle comme l’archaïque, perdît encore une fois les élections en 1978. Ce qui a donné le fameux congrès de Metz et finalement, la victoire définitive de François Mitterrand sur Michel Rocard qui solda les comptes seize ans plus tard, le 12 juin 1994 avec un score historiquement bas du PS (14,5%) concurrencé par la liste de Bernard Tapie (12,0%). Un véritable cataclysme pour le rocardisme révolutionnaire qui le fit renoncer à la candidature élyséenne.

Et justement, il avait dirigé la liste socialiste tout simplement parce qu’il était le patron du PS. C’était, après Matignon, son second bâton de maréchal : Premier secrétaire du Parti socialiste du 3 avril 1993 au 19 juin 1994, ramassant à la petite cuillère un parti laminé par la grande débâcle des élections législatives de mars 1993 (qui a probablement coûté la vie à Pierre Bérégovoy) et il fut le premier chef du PS à être élu par l’ensemble des adhérents le 24 octobre 1993.

Ce fut donc du vivant de François Mitterrand que la proie a lâché prise : démission de Michel Rocard de la tête du PS, et renoncement à ses ambitions présidentielles l’année suivante (voile pendant l’été, sa passion). Le 19 juin 1994, Henri Emmanuelli fut élu premier secrétaire du PS par le conseil national de la Villette avec 140 voix grâce au soutien de Laurent Fabius, contre 64 en faveur de son concurrent… Dominique Strauss-Kahn. Cette désignation fut confirmée sans concurrence le 20 novembre 1994 au congrès de Liévin (c’est amusant, au PS, "on", à savoir les adhérents, élit le chef toujours plusieurs mois après sa désignation par une instance dirigeante).

Je saisis l’occasion ici de raconter une petite anecdote alors que Michel Rocard était le chef du PS.

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J’ai toujours été centriste et je n’ai jamais été socialiste. Je ne me suis jamais senti de gauche malgré la proximité de personnalités, comme Pierre Mendès France, Michel Rocard et Jacques Delors pour lesquelles non seulement j’ai beaucoup d’estime et de sympathie mais avec lesquelles je partage un certain nombre de valeurs politiques essentielles. Mais je n’ai jamais voulu me sentir de gauche pour la raison simple que le discours habituel (pas celui des personnes que je viens de citer) est d’évoquer à chaque phrase un "peuple de gauche" aussi mythique qu’inexistant. Pour moi, il n’y a qu’un seul peuple, le peuple français et je ne pourrais jamais accorder mon soutien ou mon vote à un responsable prêt à sectoriser ainsi le peuple (la République étant une et indivisible).

Cela bien précisé au départ, venons-en au fait. Je crois que c’était en automne 1993 (en septembre ou octobre 1993), à une époque où l’on pouvait encore me considérer (raisonnablement) comme un jeune. J’habitais alors à Grenoble. Mon petit réseau local m’avait averti que Michel Rocard allait assister en personne au comité directeur de la fédération PS de l’Isère puis tenir un meeting en soirée. Visite classique d’un chef national d’un parti pour passer en revue ses troupes et surtout, leur donner de la reconnaissance.

L’Isère, terre aride pour les socialistes de l’époque en raison de l’omniprésence d’Alain Carignon alors que la ville et le département étaient sociologiquement de gauche, de cette seconde gauche, moderne et pragmatique. Hubert Dubedout fut le maire historique de la seconde gauche (1965-1983), et Pierre Mendès France y a même été candidat aux législatives, élu le 12 mars 1967 après un mémorable débat le 27 février 1967 avec Georges Pompidou, alors Premier Ministre, mais battu de justesse le 30 juin 1968 (avec un écart de 132 voix) par Jean-Marcel Jeanneney, pourtant assez proche des idées de Pierre Mendès France.

Comme on m’avait indiqué l’heure et le lieu du comité directeur (dans une salle municipale), j’ai pris l’audace de m’y rendre alors que je n’étais même pas membre de ce parti (et que je ne serais jamais). L’idée était surtout de rencontrer Michel Rocard pour avoir une idée plus précise de la personne. En fait de comité directeur, ce n’était pas vraiment une réunion formelle. Tout le monde était debout autour d’un pot. J’ai donc pu m’y ajouter assez discrètement en me fondant avec les autres (nombreuses) personnes qui étaient venues, elles aussi, le rencontrer.

Les cocktails sont toujours l’occasion de se comprendre passe-muraille. En tout cas, pour les responsables locaux qui ne m’avaient pas remarqué. Et puis, soudain, j’ai vu Michel Rocard sortir précipitamment d’une petite pièce qui lui avait permis quelques discrètes discussions, il a commencé à serrer beaucoup de mains et je voyais bien qu’il le faisait contraint et forcé, au contraire d’une personne comme Jacques Chirac qui adore sincèrement le contact humain. C’est clair, Michel Rocard est un cérébral et se plaît mieux à disserter de concepts abstraits qu’à tâter une vache au Salon de l’Agriculture. Sa mine était assez crispée, fatiguée, le front plissé comme s’il était préoccupé à vie.

Sans le faire exprès, je me suis trouvé sur son chemin (il se dirigeait en fait vers la sortie), et quand il m’a vu, son visage s’est détendu, s’est illuminé et l’œil redevenait brillant, il m’a serré la main comme s’il avait vu en moi l’avenir de la gauche française. Je lui ai juste souri et je me suis bien gardé de le décevoir durant cette petite minute anodine. Je n’ai évidemment pas osé dire que j’étais en territoire adverse, mais j’ai eu juste l’impression d’un certain …manque de discernement !

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Cela dit, même s’il avait su la nature de mes propres engagements, il m’aurait volontiers serré la main car il est une personne particulièrement ouverte. Il avait d’ailleurs montré beaucoup de compréhension à la campagne présidentielle de François Bayrou en 2007, considérant en effet qu’il était temps d’en finir avec le stérile et artificiel bipartisme gauche/droite (et que Jacques Delors n’a pas osé proposer en 1995).

Ce besoin d’un compromis politique, il l’a encore rappelé très récemment, en présentant son dernier livre "Lettre aux générations futures, en espérant qu’elles nous pardonneront" (éd. Bayard, paru le 26 mars 2015) : « La France prend plaisir à s’entredéchirer. Ce qui paralyse la décision politique et aggrave les choses. (…) Nous sommes une nation douée d’un formidable goût pour le verbe politique et qui ne reconnaît pas du tout la noblesse du compromis. Or, il y a deux moyens de régler une difficulté avec quelqu’un : l’anéantir ou passer un compromis. La France se satisfait d’une politique politicienne bavarde, sectaire, bruyante et intolérante ! » ("Notre Temps" n°547, le 11 juin 2015).

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C’est même d’un compromis planétaire dont on aurait besoin, selon lui : « Nous nous trouvons face à trois problèmes : la régulation de la production de richesses, celle de la circulation de l’argent et les menaces écologiques. Tous ces défis planétaires renvoient les hommes à leur aptitude à réguler leurs activités, à trouver un équilibre, à établir des seuils à ne pas dépasser. Cela nous interroge sur notre capacité en tant qu’humanité à nous organiser et à prendre des décisions ensemble. » (11 juin 2015).

Pourtant, son successeur en titre, Manuel Valls, a montré au congrès de Poitiers, qu’il resterait assurément dans cette logique bipolaire : son objectif est de conquérir le PS en 2017 pour conquérir l’Élysée en 2022. Pas sûr que Michel Rocard, qui a toujours gardé sa liberté d’expression, puisse vraiment l’aider dans ce qui ne serait qu’une aventure personnelle…

« Aussi longtemps que le discours politique sera un bavardage sans rapport avec la réalité, nous n’en sortirons pas ! Là réside mon inquiétude. » (Michel Rocard, 11 juin 2015).


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (21 août 2015)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Le congrès de Metz.
Rocard et la Libye.
Rocard et Ouvéa.
Rocard roule pour Delanoë.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20150823-rocard.html

http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/michel-rocard-ambassadeur-chez-les-170420

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2015/08/23/32439269.html



 

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