« Pour moi, la France, ce n’est pas une page blanche. (…) Et il faut en respecter l’histoire, la culture et la tradition. » (François Bayrou, le 12 novembre 2015).
Le président du MoDem François Bayrou, maire de Pau, a été l’invité de l’émission de David Pujadas "Des paroles et des actes" diffusée en direct sur France 2 le jeudi 12 novembre 2015. Malgré sa longueur (deux heures et demi), cette émission fut plutôt intéressante car le niveau, pour une fois, volait assez haut. Cette haute tenue était très perceptible dans son débat avec l’essayiste Natacha Polony. Il n’était plus question de langue de bois mais d’une sincérité politique qui caractérise François Bayrou depuis maintenant près de quinze années.
Candidat ou pas en 2017 ?
Le moment fort de la soirée, à la fin de l’émission, a été la clarification de François Bayrou sur sa position pour l’élection présidentielle de 2017. Sans surprise, puisque cela avait été déjà évoqué le 19 février 2015 mais ici dans une déclaration plus formelle, François Bayrou a confirmé sans ambiguïté son soutien à Alain Juppé mais reste très réservé sur le principe de la primaire LR. Il a laissé entendre qu’il n’hésiterait pas à s’engager dans la bataille présidentielle si Nicolas Sarkozy était désigné le candidat LR pour 2017, afin d’éviter la « triple impasse », celle de François Hollande, celle de Nicolas Sarkozy et celle de Marine Le Pen, et de proposer une autre offre politique aux électeurs.
En disant cela, il n’a pas précisé quelle serait sa position dans le cas de la désignation à la primaire LR d’un autre candidat, comme François Fillon ou encore Bruno Le Maire. La carence journalistique est telle que cette déclaration n’a pas été vraiment "exploitée" par David Pujadas, en ce sens que l’une des conséquences directes d’une participation de François Bayrou à l’élection présidentielle serait une augmentation de la probabilité de l’élimination du candidat LR pour le second tour. Cela signifie que la candidature de Nicolas Sarkozy, même désigné à la primaire, aurait un lourd "handicap" pour gagner l’élection. Si les dés de la primaire LR ne sont pas pipés par les sarkozystes, ils le sont déjà par François Bayrou qui a ainsi émis aux futurs participants de la primaire une forte contrainte (avec que le risque que des partisans d’une candidature Bayrou votent pour Nicolas Sarkozy à la primaire pour provoquer sa candidature !).
François Bayrou est revenu sur son différend avec Nicolas Sarkozy qu’il refuse de qualifier de personnel. Il a décrit le comportement en campagne de Nicolas Sarkozy qui, peut-être avec raison, pense qu’il faut jeter de "l’huile sur le feu" et "embraser les questions" de campagne pour rassembler son camp (la ligne Buisson), alors que lui, au contraire, considère qu’il faut s’exprimer de telle manière qu’on n’exclut personne, qu’on rassemble, qu’on unit : « On n’a pas le droit de fracturer le pays. ».
Un Président qui devrait être impartial
Des internautes ont reproché à François Bayrou une trop grande prétention parce qu’il avait dit au début de l’émission qu’il ne faisait jamais d’erreur, mais cela avait été dit pour faire sourire, au second degré (en politique, je pense qu’il ne faut jamais aller au-delà du premier degré car le risque d’être mal interprété est toujours grand), et d’ailleurs, un peu plus tard, il reconnaissait une erreur. En revanche, il n’a pas été très crédible quand il expliquait qu’il ne désirait pas tant que cela la Présidence de la République en déclarant simplement que l’Élysée était juste l’un des meilleurs moyens de faire bouger les choses en France.
D’ailleurs, François Bayrou a réaffirmé sa volonté de changer la pratique présidentielle en rappelant le discours fondateur de la pensée de De Gaulle sur les institutions (le discours de Bayeux) qui voulait un gouvernement qui ne dépende plus du jeu des partis mais d’un Président de la République dont la légitimité est issue directement du peuple. Le chef de l’État ne doit pas être un chef de parti comme cela est trop le cas depuis une trentaine d’années et en particulier avec François Hollande (François Bayrou a été choqué dès la passation des pouvoirs, quand François Hollande avait refusé de raccompagner son prédécesseur jusqu’à la voiture). Pour le leader centriste, le Président de la République doit d’abord regarder l’intérêt de la France et donc, parfois, donner raison à l’opposition quand cela s’avère pertinent. Thème qu’avait aussi développé Raymond Barre lors de sa campagne présidentielle de 1988.
S’il n’a pas caché sa satisfaction de se situer en haut des sondages de popularité avec Alain Juppé et Emmanuel Macron, il a gardé la tête froide et son expérience et sa prudence savent bien que trouver une personnalité sympathique ne signifie pas pour autant voter pour elle (les cimetières de l’ambition politique en sont truffés : Raymond Barre, Jacques Delors, Michel Rocard, Édouard Balludur, Simone Veil, etc.).
Carriériste, vraiment ?
Autre critique souvent émise à propos des centristes, leur opportunisme et leur arrivisme, ou leur illisibilité. François Bayrou ne pouvait qu’être convaincant car sa démarche politique n’avait aucune visée carriériste puisque, depuis 2002, il aurait pu cumuler de nombreux ministères (voire Matignon) s’il était rentré dans le rang (il ne l’a pas évoqué mais on peut penser assez facilement à la longue carrière ministérielle de Jean-Louis Borloo). Je reviens sur Matignon. Répondant à un internaute qui le voyait Premier Ministre d’Alain Juppé, François Bayrou a immédiatement exclu une telle hypothèse, considérant que le Premier Ministre, au contraire du Président de la République, devait forcément provenir du parti le plus important de la majorité parlementaire afin de diriger celle-ci, ce qui l’excluait naturellement (n’imaginant pas le MoDem devenir majoritaire en 2017).
Fusion de listes aux régionales ?
François Bayrou a réagi aussi aux propos de Manuel Valls qui envisageait le 12 novembre 2015 des fusions de listes entre LR et PS aux régionales pour éviter toute victoire du FN. Remarquons que cette hypothèse (je l’avais évoquée ici) ne manque pas d’interroger : des fusions LR-PS seraient contreproductives et, sur une supposée collusion LR-PS, donneraient raison au FN qui en sortirait renforcé. On voit ainsi que Manuel Valls se préoccupe beaucoup plus de l’intérêt de boutiquier à court terme du PS que de l’intérêt national. François Bayrou a de toute façon estimé que c’était peu pertinent car ce n’était pas réaliste (les listes LR-UDI-MoDem n’accepteront aucune fusion avec les listes PS).
Modèle familial et respect des citoyens
La sincérité de François Bayrou, elle s’est aussi exprimée lorsqu’il n’a pas hésité à rappeler qu’il était un chrétien croyant, que son modèle familial restait traditionnel (il a six enfants), mais qu’il ne souhaitait pas imposer ce modèle familial à l’ensemble de la société parce qu’il peut y avoir des accidents de la vie qui font qu’un enfant n’a pas forcément "un père et une mère" et cela ne l’empêchera pas d’avoir une éducation satisfaisante. Il a aussi affirmé que personne ne pourrait revenir sur le mariage gay. Il avait préconisé lors de sa première campagne présidentielle, en 2002 (quatre ans après le pacs), l’union civile pour permettre l’égalité des couples, et à l’époque, on l’avait dit beaucoup trop progressiste. François Bayrou a d’ailleurs rappelé que l’engagement politique, ce n’est pas de faire triompher ses idées mais de permettre la meilleure coexistence de toutes les opinions dans la société.
La politique familiale de l’actuel gouvernement est tellement désastreuse que l’un des points forts de la France face à ses partenaires européens, la natalité, est maintenant en baisse.
François Bayrou vs Stéphane Le Foll
François Bayrou a participé à deux duels. Le premier l’a opposé au très hollandiste Stéphane Le Foll, Ministre de l’Agriculture à la carrure imposante, qui a montré à quel point il est très fort (avec Michel Sapin) pour réciter ses éléments de langage et détourner des vrais sujets.
Bien qu’il ait voté pour François Hollande en 2012, François Bayrou est désormais dans une opposition résolue au gouvernement alors que l’aile gauche estime au contraire que le gouvernement est devenu social-libéral et s’est rapproché des centristes. François Bayrou s’oppose principalement à la méthode ubuesque de François Hollande. Il l’a illustré avec trois exemples.
Le premier, c’est le CICE (crédit impôt compétitivité emploi) qui est une véritable usine à gaz, sans beaucoup d’intérêt car avec cela, les PME n’ont pas d’horizon très clair et donc, n’embauchent pas. Le dispositif a renforcé la bureaucratie, avec un dossier à envoyer à l’URSSAF en même temps qu’au service des impôts. Ces complexités administratives auraient pu être très facilement évitées en réduisant les charges à montant identique au coût du CICE. De plus, reprenant une étude INSEE qui expliquait qu’en deux ans (2013 et 2014), le CICE aurait créé 140 000 emplois, François Bayrou a conclu que le prix de ces emplois étaient très élevés puisque 33 milliards d’euros ont été consacrés au CICE, soit 250 000 euros par emploi créé (en fait, 236 000 euros). À ce prix-là, effectivement, il y aurait peut-être eu d’autres mesures plus efficaces à prendre.
Le deuxième sujet est la réforme du collège. Là encore, François Bayrou est favorable à une réforme, mais pas celle de Najat Vallaud-Belkacem qui a supprimé l’enseignement du latin et du grec et les classes internationales (Stéphane Le Foll a botté en touche sur cette suppression). Cela dénote un égalitarisme stupide par un nivellement par le bas qui va renforcer le fossé social entre ceux qui n’ont pas besoin de l’école pour apprendre le latin et ceux qui n’en auront plus la possibilité faute d’un environnement familial adéquat. François Bayrou a eu ensuite l’occasion d’en reparler avec une professeure de français au collège qui était d’accord avec lui sur le fait d’enseigner le français avec la méthode syllabique aux enfants qui ont des difficultés pour la lecture et le langage.
Enfin le troisième exemple, c’est la réforme territoriale, complètement absurde, qui a redécoupé des grandes régions en refusant les identités régionales (mettre l’Alsace avec les Ardennes, le Pays basque avec le Limousin, etc.) et en plus, cela n’a pas réduit le mille-feuilles administratifs car les départements n’ont pas été supprimés, et cela coûtera même plus cher aux contribuables. En passant, il a rendu hommage à la réforme de Nicolas Sarkozy (immédiatement abrogée par François Hollande) qui avait créé le conseiller territorial chargé de gérer à la fois la région et le département.
François Bayrou vs Natacha Polony
Le second duel l’a opposé à Natacha Polony (qui vient de publier "Nous sommes la France" chez Plon, réflexion sur l’après-Charlie). Comme je l’ai écrit en début d’article, les échanges ont été d’une belle tenue intellectuelle parce qu’il n’était pas question de politique politicienne mais de l’un des sujets les plus cruciaux d’aujourd’hui, l’identité nationale.
Natacha Polony est d’abord revenue sur les premières déclarations de François Bayrou après l’assassinat des enfants juifs dans une école par Merah. François Bayrou a confirmé ses anciens propos en disant qu’il est des mots qui tuent et qu’il faut faire très attention en les employant (il faisait notamment allusion à ce qu’on peut lire sur les forums sur Internet), car l’antisémitisme est encore très répandu et certains esprits "faibles" sont capables du passage à l’acte. En revanche, il a refusé d’en conclure que la classe politique en portait responsabilité car le sujet est plutôt la radicalisation, le moment où la personne, plutôt bien intégrée dans la société (ou à l’école), tombe dans le terrorisme le plus meurtrier.
Je regrette que François Bayrou ait banalisé l’expression "Français de souche" (j’y reviendrai un jour) en disant même qu’elle était employée par François Mitterrand et par François Hollande (ce qui n’est pourtant pas un gage de bonne "moralité" !).
La réflexion de Natacha Polony était bien construite et paraissait pertinente : elle a expliqué que la France n’est pas un pays multiculturel mais un pays multiethique qui rassemble sa communauté nationale dans une seule culture. Sauf que depuis quelques temps, on fait comme si le pays était multiculturel (d’où le développement du communautarisme) et la culture commune n’est plus transmise, n’est plus connue, et donc, il y a une véritable angoisse de ne plus savoir quelle est cette identité, angoisse qui resurgit même lorsqu’il y a devoir d’accueillir des réfugiés syriens par peur de perdre le peu de culture nationale qu’il reste.
François Bayrou n’est pas très éloigné de cette analyse en affirmant qu’il faut évidemment rappeler ce qu’est la culture française, l’histoire française, les traditions françaises (ce qui revient au sujet de l’éducation, d’ailleurs).
Natacha Polony a rembrayé ensuite sur le thème européen en disant qu’il n’existe pas d’identité européenne, pas de culture européenne et que nous sommes au milieu du gué entre la France et l’Europe et que pour l’instant, c’est à l’échelon de l’État-nation que s’exerce la démocratie, tandis qu’à l’échelon européen, c’est la tradition anglo-saxonne qui l’a emporté pour n’en faire qu’un grand espace commercial et de libre échange sans âme. D’où cette impression (fausse) que l’idée européenne entamerait l’identité française (alors que l’idée française n’a pourtant jamais empêché l’identité alsacienne, bretonne, basque, etc.).
L’Europe, le thème fort de François Bayrou
Cette analyse de Natacha Polony a permis à François Bayrou d’exprimer ses idées sur la construction européenne. Il a d’abord regretté le très faible engagement européen de François Hollande, ce qui, pour un proche de Jacques Delors, est presque une surprise. Il a reproché à François Hollande de ne pas s’être exprimé clairement aux Français cet été lors de la crise grecque pour savoir dans quelle direction nous allions.
François Bayrou non plus n’est pas satisfait de la manière dont les affaires européennes sont menées, mais pas pour les mêmes raisons que les eurosceptiques.
Il a pris un sujet concret et qui va probablement faire l’essentiel de l’actualité dans les prochains dix-huit mois : le Brexit. Le Premier Ministre britannique David Cameron a en effet donné le 9 novembre 2015 ses conditions pour le maintien du Royaume-Uni dans l’Union Européenne, en remettant en cause le fondement même de la construction européenne, alors que le Royaume-Uni avait signé les précédents traités (histoire de dire que la Grande-Bretagne revient maintenant sur ses engagements).
Pour François Bayrou, il n’est pas question de donner raison à David Cameron car cela ferait casser définitivement la mécanique européenne. Alors, le leader centriste y est allé carrément. Il faut que les autres pays européens disent : "Banco !". Refuser de satisfaire le Royaume-Uni et, le cas échéant, et ce serait regrettable, les laisser quitter l’Union Européenne. Mais pas la dénaturer.
François Bayrou, arbitre de 2017 ?
Parmi les "oublis" de l’émission, je pense qu’il en est un très important, c’est que François Bayrou n’a pas parlé d’écologie ni des changements climatiques à pourtant deux semaines du démarrage de la COP21 au Bourget. C’est surtout de la responsabilité des organisateurs de l’émission, plus soucieux de la politique politicienne que des grands problèmes de la planète.
Et l’autre omission, à mon sens, c’est que François Bayrou n’a pas assez expliqué la raison de son refus de la bipolarisation entre la droite et la gauche. Il aurait dû, à mon sens, insister sur le fait que le clivage, dans la société française, n’est plus entre la droite et la gauche, et la percée du FN le démontre bien, mais que le plan de clivage se situe entre les partisans de l’ouverture et les partisans du repli sur soi, entre les partisans de la construction européenne et d’une économie ouverte et libre et les partisans d’une économie dirigée et protectionniste, et de la peur de l’autre.
François Bayrou a montré qu’il était possible que le débat politique prenne de la hauteur et se penche sur les vraies questions, sur les vrais enjeux qui intéressent les citoyens. En soutenant si clairement la candidature d’Alain Juppé, il a fait également la preuve que l’Élysée n’était pas son obsession permanente tout en se laissant la possibilité, le cas échéant, de ne rien exclure. À 64 ans, l’ancien jeune rénovateur plein de fougue est devenu un sage de la République, un sage chevalier du vivre ensemble, et sans doute celui qui a le mieux compris qu’une France apaisée ne pouvait pas être dirigée comme on dirige le Parti socialiste…
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (13 novembre 2015)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Chevalier du vivre ensemble.
Fais-moi peur !
Le vrai clivage.
Soutien à Alain Juppé.
Bayrou et Delors, l’acte manqué.
La clairvoyance de François Bayrou.
L’auto-enfermement de Manuel Valls.
La proportionnelle aux législatives ?
Changement de paradigme.
Mathématiques militantes.
2017, tout est possible…
Bayrou et l'affaire Merah.
Le soldat Bayrou à sauver.
Pourquoi Bayrou ?
Bayrou a refusé des valises pleines de billets.
Moralisation de la vie politique.
Bayrou 2007.
L’homme de Gourette.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20151112-bayrou.html
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/bayrou-de-navarre-chevalier-du-174024
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2015/11/13/32926899.html
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