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22 novembre 2015 7 22 /11 /novembre /2015 06:46

« Le patriotisme, c’est aimer son pays. Le nationalisme, c’est détester celui des autres. » (Charles De Gaulle, 1951).



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Ce dimanche 22 novembre 2015, c’est le 125e anniversaire de la naissance de Charles De Gaulle. Un siècle un quart. Autant dire qu’il est à la fois hors du temps et pourtant, toujours aussi moderne dans sa manière de gouverner.

Ah, si De Gaulle avait été là, il aurait… Qu’aurait-il fait ? Eh bien, en fait, personne n’en sait rien ! Il n’y a rien de pire que faire parler un mort. Ce qui le caractérisait avant tout, c’était le pragmatisme, face à une situation donnée, dans l’intérêt du peuple français. En dehors de toute idéologie et de tout dogmatisme, De Gaulle était un vrai pragmatique. L’indépendance de l’Algérie l’a démontré.

Aujourd’hui, beaucoup de responsables dans la classe politique se réfèrent à la pensée de De Gaulle. Cela aurait pu signifier la victoire définitive du gaullisme sur toute autre opposition, mais en fait, il n’en est rien. On ne cesse d’instrumentaliser la figure de De Gaulle à des fins de récupération électorale. De Gaulle a dû se retourner plusieurs fois dans sa tombe depuis quarante-cinq ans et en particulier depuis qu’un parti issu du pire anti-gaullisme des années 1960 a le toupet de se référer au gaullisme aujourd’hui.

Je profite de cet anniversaire (d’aucuns préfèrent célébrer sa mort, ce qui, en novembre, revient à peu près à la même période) pour revenir sur neuf éléments historiques à propos de la pensée et de l'action de De Gaulle et pointer du doigt les incohérences de certains qui veulent récupérer, à des fins démagogiques, la stature du Général De Gaulle.


1. La "race" des Français

Je ne pouvais pas faire l’impasse de cette polémique stérile même si je considère que le sujet ne méritait pas une aussi volumineuse mousse médiatique sur la maladresse puis la susceptibilité d’une élue de la République (en général, on fait amende honorable quand on fait une maladresse et on passe à autre chose, cela arrive à tout le monde de faire un dérapage incontrôlé).

Deux citations ont été reprises fréquemment, souvent par l’extrême droite (De Gaulle, plutôt que se retourner, doit parfois se gondoler à Colombey-les-Deux-Églises), où il aurait employé le mot "race". L’une serait issue de ses mémoires, l’autre d’un témoignage de son ministre Alain Peyrefitte qui avait rassemblé tout le contenu de leurs discussions entre quatre yeux et publié trente-cinq ans après. Évidemment, il faut croire sur parole Alain Peyrefitte mais on peut se fier à la rigueur du normalien dans sa volonté de laisser à la postérité les échanges les plus proches de la réalité pour au moins lui accorder la sincérité de ce témoignage.

La première réflexion est que le mot "race" n’a pas été employé dans le même contexte qu’en 2015 : d’une part, les avancées de la génétique mais aussi de l’anthropologie (lire les travaux de Claude Lévi-Strauss) n’étaient sinon pas entamées en tout cas pas bien connues ni assimilées par De Gaulle, au même titre que beaucoup de personnes de sa génération ; d’autre part, ces paroles n’ont pas été lancées dans un climat de surenchères électoralistes et démagogiques amorcées par un parti d’extrême droite.

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De plus, aucune déclaration n’a été dite en ce sens publiquement, et Dieu sait qu’il aurait eu l’occasion de le faire, De Gaulle, à ma connaissance (je peux me tromper, je ne connais pas toutes ses déclarations) n’a pas prononcé une seule fois le mot "race" dans un discours public. D’ailleurs, convaincu que l’Afrique était le seul moyen de changer le cours de la guerre, il a toujours eu beaucoup de respect pour tous les peuples africains et d’origine africaine. On peut le voir entre autres avec beaucoup de respect pour Félix Éboué (1884-1944), gouverneur du Tchad puis gouverneur-général de l’Afrique Équatoriale française, qui avait dès le 18 juin 1940 entendu l’appel de De Gaulle et dès le 26 août 1940 proclamé le ralliement du Tchad à la cause gaulliste. Le racisme semble donc complètement absent du comportement de De Gaulle malgré sa génération.

Le journaliste Daniel Schneidermann a émis dans sa chronique du 1er octobre 2015 une hypothèse très vraisemblable, celui de la "sonde", en reprenant le contexte de 1959 : « Qui est Peyrefitte à l’époque ? (…) L’homme qui sur son bureau avait un bouton lui permettant d’appeler directement le patron de la radio-télévision publique (…). En 1959, De Gaulle est revenu au pouvoir depuis un an. Il ne s’est évidemment pas encore prononcé publiquement pour l’indépendance de l’Algérie, qui interviendra en 1962 [le 3 juillet 1962]. L’armée l’a ramené au pouvoir pour qu’il fasse l’inverse [c’est la version de Daniel Schneidermann, mais précisons quand même ce n’est pas l’armée mais René Coty ainsi que la grande majorité des députés de l’époque qui l’ont ramené au pouvoir] : mater la rébellion du FLN, et maintenir l’Algérie dans la France. Mais il envisage l’indépendance comme une des hypothèses de sortie de guerre. Et il utilise Peyrefitte comme "sparring partner", pour tester les hypothèses les plus indicibles. Tenus à Peyrefitte dans le secret de son bureau, à la tombée du soir, ses propos sont à mi-chemin entre le monologue intérieur et la délivrance officieuse d’éléments de langage. ».

Et Daniel Schneidermann d’y voir exactement l’inverse de ce qu’on a voulu lui faire dire : « De Gaulle évoque la "race blanche" justement pour expliquer que les Algériens ne seront jamais de vrais Français. Dans sa tête, dès 1959, il fomente l’Algérie indépendante, et sa tirade vise sans doute à y préparer son jeune ministre Peyrefitte, pour que celui-ci fasse infuser cette hypothèse dans la tête de ses interlocuteurs journalistes. Aucune trace de démagogie dans sa tirade, pas trace de pression électorale d’un parti xénophobe (il n’en existe pas). Les immigrés, en France, ne constituent nullement un problème économique. Ils sont, au contraire, un atout indispensable. (…) Dans l’esprit de De Gaulle, le mot "race" n’est nullement connecté à "la question e l’immigration". Il pense Histoire, France éternelle, sacre de Reims, cathédrales. (…) Mais De Gaulle (…) ne méprise pas les musulmans davantage que les Pieds noirs, ou les généraux, ou les Français en général, ces "veaux", et sur toutes ces catégories, on en trouve de gratinées, dans le livre de Peyrefitte (et davantage encore dans les souvenirs de Jacques Foccart, son autre visiteur du soir). » (1er octobre 2015).


2. De Gaulle et l’Europe

Je l’ai déjà évoqué. Contrairement à ce qu’on semble lui faire dire, De Gaulle a été, de fait, le premier qui a appliqué le Traité de Rome. Il a été convaincu par un certain nombre d’experts que l’intérêt général des Français aurait été négligé s’il avait "enterré" le Traité de Rome (comme il en avait la possibilité en juin 1958 : la signature a eu lieu le 25 mars 1957 et son entrée en vigueur le 1er janvier 1958).

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Il n’a jamais considéré que la souveraineté de la France était en concurrence avec la construction européenne même s’il s’est "gaussé" des responsables du MRP qui auraient pu parler en "volapük" : « Dante, Goethe, Chateaubriand appartiennent à toute l’Europe dans la mesure où ils étaient respectivement et éminemment italien, allemand et français. Ils n’auraient pas beaucoup servi l’Europe s’ils avaient été des apatrides et s’ils avaient pensé et écrit en quelque espéranto ou volapük intégré. » (conférence de presse du 15 mai 1962) ou sauter comme des cabris : « Bien entendu, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant l’Europe ! l’Europe ! l’Europe !… mais ça n’aboutit à rien et cela ne signifie rien ! » (entretiens avec Michel Droit du 14 décembre 1965, en campagne présidentielle). Il se moquait surtout de ceux qui parlaient alors que lui agissait, et ses actes ont été décisifs pour construire l’Europe d’aujourd’hui.

Le seul point sur lequel il était ferme, c’était de refuser l’entrée dans la CEE du Royaume-Uni. François Bayrou ne semble pas dire autre chose lorsqu’il évoque le Brexit qu’il préférerait à un traité qui dénaturerait tous les principes qui ont régi la construction européenne.


3. La réconciliation avec l’Allemagne

Et De Gaulle a sûrement fait beaucoup dans la construction européenne en renouant avec l’amitié franco-allemande avec le Chancelier allemand Konrad Adenauer le 8 juillet 1962 à Reims. De Gaulle après la Première Guerre mondiale a toujours été fasciné par l’Allemagne, sa capacité d’organisation, d’ordre, et s’il l’a combattue pendant les deux guerres, ce fut toujours avec un profond respect pour le peuple allemand, respect qu’il montrait d’ailleurs en prononçant ses discours en allemand lorsqu’il se rendait en Allemagne (il le faisait aussi dans d’autres pays étrangers).

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Aujourd’hui, ce sont ceux qui dénoncent le plus ouvertement le modèle allemand, au point d’en devenir germanophobes, qui croient intelligent de brandir la figure tutélaire de De Gaulle. Où est la cohérence ?


4. L’OTAN

Même réflexion à propos de l’OTAN. De Gaulle n’a jamais fait quitter la France de l’OTAN. Il a juste décidé le 7 mars 1966 de retirer la France du commandement militaire intégré de l’OTAN, mais la France est toujours restée dans l’alliance atlantique d’autant plus que c’était en période de guerre froide : « La France considère qu’encore aujourd’hui, il est utile à sa sécurité et à celle de l’Occident qu’elle soit alliée à un certain nombre d’États, notamment à l’Amérique, pour leur défense et pour la sienne dans le cas d’une agression commise contre l’un d’eux. » (conférence de presse du 21 février 1966).

D’ailleurs, cette décision, provoquée surtout pour préserver l’indépendance de la force de dissuasion nucléaire française, n’a pas forcément été très pertinente. Le commandement était basé à Paris et il a dû quitter la France pour aller à Bruxelles. Surtout, cela n’a pas empêché des troupes françaises de continuer à se battre sous drapeau de l’OTAN, notamment en ex-Yougoslavie, au Koweït et en Afghanistan, alors que la France n’avait plus aucune capacité de prendre des décisions concernant l’action de ses soldats (dont certains sont morts), drôle de souveraineté…

C’est pour cette raison que la France a finalement réintégré le commandement militaire intégré de l’OTAN le 3 avril 2009 à Strasbourg (pour ou contre ?). Ce retour a été annoncé par Nicolas Sarkozy le 7 novembre 2007 devant le Congrès des États-Unis à Washington. Cependant, la France n’a pas réintégré le comité des plans nucléaires pour préserver sa totale liberté concernant son armement nucléaire.

C'est d'ailleurs fort instructif de rappeler ce qu'en disait François Hollande, dans l'opposition, le 8 avril 2008 à l'Assemblée Nationale : « Eh bien, je vous l’affirme : cette décision de revenir dans le commandement militaire de l’OTAN est fâcheuse ! (...) Car si notre pays renonçait à son autonomie de jugement au sein de l’Alliance, c’est l'ensemble de l'Europe, pas simplement la France, qui se trouverait en situation d'alignement sur les États-Unis. Et que vaut l'argument sur la contrepartie offerte en termes de reconnaissance de l'Europe de la défense ? C’est un jeu de dupes ! Les États-Unis ne peuvent donner aucune garantie tout simplement parce que l’Europe de la défense ne dépend pas d’eux. (...) L’OTAN, dans ce schéma, deviendrait le bras armé d'un bloc occidental dont la mission principale serait de défendre partout les valeurs de l’Occident. » (débat sur la motion de censure).

Aujourd’hui, certains brandissent la mémoire de De Gaulle pour réclamer de quitter purement et simplement l’OTAN, ce que De Gaulle n’avait jamais envisagé.


5. La fonction présidentielle

Le 8 janvier 1959, lorsqu’il céda l’Élysée au « plus illustre des Français » (une de ses expressions datant du 29 mai 1958), René Coty avait eu cette autre formule : « Le premier des Français est désormais le premier en France. ». C’était exactement cela qu’incarnait De Gaulle, le premier en France. Tous les faits et gestes du chef de l’État sont les faits et gestes de la France. Le protocole a été tellement bien appliqué par la suite que Valéry Giscard d’Estaing en a même manqué de galanterie si ce n’est d’élégance ou de politesse en s’octroyant à toute occasion la première place en tant que Président de la République française (De Gaulle, au contraire, laissait la place d’honneur à sa femme Yvonne, au risque de la faire assassiner à sa place au Petit-Clamart).

Et la moindre des choses, lorsqu’on est un élu responsable, surtout lorsqu’on prétend à la fonction suprême, c’est de respecter la fonction présidentielle, plus encore lorsqu’on est à l’étranger. Spectacle navrant alors de voir une députée européenne française qui se prétend patriote insulter aussi intensément non seulement le Président de la République française mais aussi la France dans une enceinte internationale en rabaissant François Hollande dans le rôle de simple administrateur d’une province allemande, avec des mots qui rappellent en plus la période d’Occupation. Jamais un élu français n’a abaissé de façon aussi affligeante la fonction présidentielle que Marine Le Pen le 6 octobre 2015 au Parlement Européen.


6. Les institutions de la Ve République

On a souvent dit, à tort, que les institutions de la Ve République étaient taillées sur mesure pour De Gaulle. Je considère que c’est complètement faux. C’est même le contraire de l’idée gaullienne.

De Gaulle savait qu’il avait une légitimité historique exceptionnelle par son action courageuse pendant la guerre et notamment par son appel à résister. Si bien qu’il n’avait aucun problème de légitimité. Il n’a jamais été élu député ni élu d’aucun mandat local. Il aurait pu gouverner la France plus longtemps après janvier 1946 s’il n’avait pas démissionné par agacement et lassitude.

Jamais sa légitimité politique n’a été mise en doute entre janvier 1959 et décembre 1965 et pourtant, il n’avait été élu que par des notables et pas par le peuple français, mais personne ne pouvait lui retirer l’idée qu’il était l’émanation du peuple bien avant d’avoir finalement été réélu directement par le peuple français (et seulement au second tour).

Si, profitant de l’attentat du Petit-Clamart du 22 août 1962, il a proposé au conseil des ministres du 12 septembre 1962 l’élection du Président de la République au suffrage universel direct, c’était justement parce qu’il anticipait l’après-De Gaulle et qu’il savait que le seul moyen pour que ses successeurs puissent avoir la même légitimité historique que lui, c’était d’être consacrés, ou plutôt, sacrés par le suffrage universel direct. Et cela a bien fonctionné puisque même une personnalité qu’on a dit hésitante, indécise, normale voire molle, a pu se prévaloir de cette légitimité populaire pour gouverner voire intervenir militairement à l’étranger.

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Voici en quels termes il avait évoqué sa légitimité et celle de ses successeurs : « Pour que le Président puisse porter et exercer effectivement une charge pareille, il lui faut la confiance explicite de la Nation. Permettez-moi de dire qu’en reprenant la tête de l’État en 1958, je pensais que pour moi-même et à cet égard, les événements de l’histoire avaient déjà fait le nécessaire. (…) Il y a entre vous, Françaises et Français, et moi-même, un lien exceptionnel qui m’investit et qui m’oblige. Je n’ai donc pas attaché alors une importance particulière aux modalités qui allaient entourer ma désignation, puisque celles-ci étaient d’avance prononcées par la force des choses. (…) Il n’en serait pas de même pour ceux qui, n’y ayant pas reçu les événements à la même marque nationale, viendront après moi, tour à tour, prendre le poste que j’occupe. Cela pour qu’il soit entièrement en mesure et complètement obligé de porter la charge suprême et qu’ainsi notre République ait une bonne chance de rester cohérente, populaire et efficace en dépit des démons de nos divisions. Cela, dis-je, il faut qu'il en reçoive mission de l'ensemble des citoyens. » (allocution télévisée du 20 septembre 1962). On ne peut pas être plus clair.

Par ailleurs, avec la prédominance de l’exécutif sur le législatif, De Gaulle avait privilégié l’efficacité sur l’expression scrupuleuse de toutes les sensibilités. C’était un choix (que je considère comme judicieux). L’objectif d’une Constitution est de permettre l’exercice du pouvoir par un gouvernement qui puisse jouir d’une légitimité. Celle-ci est double, à la fois parlementaire et présidentielle. C’est ce qu’un constitutionnaliste comme Maurice Duverger a appelé "régime semi-présidentiel".

Ces institutions conviennent justement à un peuple frondeur qui change sans arrêt d’opinion sur les gouvernants. Depuis au moins 2007, si nos institutions avaient été celles de la IVe République, il y aurait eu une succession de crises ministérielles aussi épuisantes qu’inutiles : « Personne au fond ne doute que notre pays serait très vite jeté à l’abîme si par malheur nous le livrions de nouveau au jeu puéril et dérisoire d’autrefois. » (De Gaulle, le 20 septembre 1962).

Heureusement que Nicolas Sarkozy, François Hollande et probablement leurs successeurs aient pu bénéficier de telles institutions pour se focaliser sur les réponses à apporter aux grands problèmes du pays au lieu de se paralyser dans des jeux politiciens pour garder leur pouvoir. Surtout en période d’état d’urgence !


7. Le scrutin majoritaire

De Gaulle a adopté le principe du scrutin majoritaire à deux tours pour les élections législatives, considérant que seul un effet majoritaire donnait le plus de chance de constituer une majorité à l’Assemblée Nationale (ce fut toujours le cas depuis 1958 sauf en juin 1988). Il l’a fait d’ailleurs en arbitrant entre un Michel Debré partisan d’un scrutin à la britannique (majoritaire à un tour seulement, l’effet majoritaire aurait été très amplifié) et ceux, nombreux de l’ancien régime, partisans d’un scrutin proportionnel prêt à paralyser à nouveau la France.

Il faut sans doute sourire quand certains qui brandissent De Gaulle réclament à cor et à cri un scrutin proportionnel qui est la négation même du gaullisme…


8. L’orthodoxie budgétaire

De Gaulle a confié à Jacques Rueff, un proche de Raymond Poincaré, d’inspiration libérale anti-keynésienne, l’animation d’un comité regroupant des hauts fonctionnaires et des patrons (notamment celui de la banque Lazard et celui de Péchiney). Les travaux de ce comité ont abouti au plan Pinay-Rueff sous forme d’ordonnances signées au conseil des ministres du 27 décembre 1958 avec la création du nouveau franc : « J’ai décidé de remettre nos affaires en ordre réellement et profondément (…). Notre pays va se trouver à l’épreuve (…). Le rétablissement visé est tel qu’il peut nous payer de tout (…). Sans cet effort et ces sacrifices, nous resterions un pays à la traîne, oscillant perpétuellement entre le drame et la médiocrité. » (De Gaulle, allocution télévisée du 28 décembre 1958). En raison des réticences de ses ministres au cours du conseil des ministres, De Gaulle a fait planer la menace de sa démission. Il fallait faire adopter ces mesures en urgence car il avait les plein pouvoirs jusqu’au 31 décembre 1958.

Par ce plan, De Gaulle a confirmé qu’il soutenait l’orthodoxie financière qui favorisait une monnaie forte dans un cadre où l’État ne dépensait pas plus qu’il ne gagnait et où il investissait massivement pour l’avenir (augmentation de 26% des investissements de l’État en 1959 !). Les budgets de la France n’étaient pas déficitaires et seulement une faible part du PIB était consacrée aux dépenses publiques (autour de 35% en 1960 contre 57% aujourd’hui, 60% de plus !). Sans être un expert en économie (on lui a assez reproché cela), De Gaulle avait quand même compris que l’inflation serait une perte de souveraineté de la France.


9. La France de l’excellence technologique

De Gaulle a changé la manière de gouverner la France par rapport aux régimes antérieurs. Si Michel Debré faisait partie de la classe politique, ses deux autres Premiers Ministres étaient avant tout (à l’origine) des hauts fonctionnaires et pas des élus, Georges Pompidou et Maurice Couve de Murville. C’est De Gaulle le 9 octobre 1945 qui créa une grande école pour le service de l’État appelée École nationale d’administration (ENA).

Être parlementaire n’était plus une condition pour être nommé ministre et De Gaulle a choisi parmi ses ministres de nombreux "experts", ingénieurs polytechniciens, hauts fonctionnaires, universitaires qui n’étaient pas des "animaux politiques" mais pouvaient prendre des décisions techniques d’une grande pertinence pour l’avenir national : « J’adopte le projet des experts (…). Du point de vue technique, je m’en remets dans l’ensemble aux spécialistes (…). Mais c’est ce que le projet a de cohérent et d’ardent, en même temps que d’audacieux et d’ambitieux, qui emporte mon jugement. » (De Gaulle, dans "Mémoires d’espoir").

C’est ainsi que furent initiés de nombreux projets technologiques, le nucléaire (militaire), de grands projets industriels (aéronautique, aérospatial, ferroviaire, raffineries pétrolières, etc.) sur lesquels la France continue à se baser pour asseoir sa réputation de grande puissance innovante.

À l’époque, tous ces hauts fonctionnaires nommés au gouvernement ou dans les cabinets ministériels n’étaient pas appelés "technocrates" ni "énarques" ni "bureaucrates" mais experts d’excellence. Là encore, étrange incohérence de certains à brandir De Gaulle tout en vouant aux gémonies tout ce que la France compte d’excellence et de richesse intellectuelle…


Pragmatisme

Même si elles ont été dictées par cette fameuse « certaine idée de la France » que chacun, par la suite, est prêt à mettre à sa propre sauce idéologique ou clientéliste, les décisions de De Gaulle n’ont pas forcément été prévisibles. Sa désertion à Londres le 17 juin 1940 et son insoumission à Vichy (car il s’agissait bien de cela), ses démissions le 20 janvier 1946 et le 28 avril 1969, son accord du parlementarisme rationalisé voulu par le comité Debré, son choix de se porter à la Présidence de la République le 21 décembre 1958 (même si son discours de Bayeux du 16 juin 1946 apportait déjà quelques précieuses indications), l’indépendance de l’Algérie, etc., beaucoup de ses décisions ont été prises à la suite d’une analyse ponctuelle dans une situation donnée à un moment donné.

Je peux me sentir profondément gaulliste en ce sens que je ne peux qu’admirer l’esprit de Résistance qui a animé De Gaulle pendant la guerre et la pertinence et la clairvoyance exceptionnelles dont il a fait preuve en imaginant des institutions adaptées au tempérament frondeur du peuple français, mais je me garderais bien de l’utiliser pour des sujets d’actualité qui sont très différents de son époque (il y a un demi-siècle déjà).

On imagine mal dans les années 1970 des personnalités politiques se demander ce que Clemenceau aurait fait, ou ce que Jaurès aurait fait. En revanche, on pourraient comprendre se référer à leurs pensées, à leurs idéaux, à leurs valeurs, à leurs manières d’agir.

Pour De Gaulle, cela devrait être aussi le cas. En aucune façon un homme né au XIXe siècle ne pourrait raisonnablement résoudre des problèmes du XXIe siècle, mais ceux qui sont aujourd’hui en charge de les résoudre pourront toujours s’inspirer de son pragmatisme, mais devront quand même innover, trouver des solutions originales, sortir des sentiers battus, exactement comme De Gaulle avait innové en son temps. De grâce, laissons De Gaulle sur l’autel consensuel de l’Histoire de France et du monde, mais ne l’utilisons pas à des fins très misérables de basses manœuvres politiciennes !…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (22 novembre 2015)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
De Gaulle face à l’Histoire.
L’appel du 18 juin.
De Gaulle Président.
Les valeurs du gaullisme.
L’héritage du gaullisme.
Péguy.
Le Comité Rueff.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20151122-de-gaulle.html

http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/de-gaulle-halte-a-la-recuperation-174401

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2015/11/22/32957266.html
 

 

 

 

 

 

 

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