« Alors que le naufrage électoral de la gauche est annoncé pour 2017, ceux qui ont été nommés aujourd’hui sont soit des fidèles qui se préparent à la défaite, soit des inconnus qui ont eu la chance de leur vie d’entrer dans un gouvernement. (…) Comment pourraient-ils incarner quelque chose ? » (Thomas Guénolé, politologue, le 11 février 2016).
Il était assez fâcheux pour l’Élysée d’annoncer un pseudo-remaniement ministériel le triste jour de l’accident de car à Rochefort qui a coûté la vie à six lycéens (au lendemain d’un autre accident de car qui a coûté la vie à deux collégiens à Montbenoît, dans le Doubs). C’est peut-être pour cette raison que, sortant des habitudes des institutions, ce remaniement ministériel n’a pas été annoncé oralement par le Secrétaire Général de l’Élysée mais simplement par un communiqué de presse publié ce jeudi 11 février 2016 trois heures avant l’intervention télévisée du chef de l’État.
Heureusement pour le pouvoir, les journalistes ne sont pas exigeants et se nourrissent de ce qu’on leur donne. Pourtant, il faut vraiment se forcer pour imaginer un instant que ce remaniement est la composition d’une dream team qui rendrait heureux enfin les Français. Ce serait plutôt le Retour des momies qui faudrait imaginer. Un élu a même dit que ceux qui sont nommés sont là pour éteindre la lumière avant de partir…
Un remaniement ministériel insignifiant
L’une des deux principales informations, c’est le retour de Jean-Marc Ayrault qui succède à Laurent Fabius au Quai d’Orsay. Les diplomates sont soulagées, car Ségolène Royal avait été annoncée. Les commentaires journalistiques sont assez pitoyables. Sous prétexte qu’il parle allemand, il infléchirait alors la politique étrangère dans le sens d’un rapprochement franco-allemand. Pourquoi donc ? Laurent Fabius était-il germanophobe ? Et à quoi sert Harlem Désir ? Impossible de savoir ! Ce serait aussi une revanche de l’ancien Premier Ministre. Ah bon ? Quelle revanche ? sur Manuel Valls qui lui a "chouravé" Matignon et qui reste encore à ce poste ? Certains journalistes ont vu dans cette nomination une nouvelle règle, celle de nommer au Quai d’Orsay un ancien Premier Ministre, puisque ses deux prédécesseurs directs, Laurent Fabius et Alain Juppé, ont été également anciens Premiers Ministres (en oubliant d’ailleurs qu’Alain Juppé avait été aussi à ce ministère avant d’avoir été nommé Premier Ministre). D’autres journalistes ont même cru y voir une première, celui du retour d’un ancien Premier Ministre dans un gouvernement d’un même Président de la République… en oubliant que Michel Debré, ancien Premier Ministre de De Gaulle, fut nommé Ministre des Affaires étrangères le 31 mai 1968 dans le dernier gouvernement de Georges Pompidou. Enfin, quelle cohérence y a-t-il d’un retour de Jean-Marc Ayrault au gouvernement ? Aucune. C’est juste le recasage d’un ami de l’Élysée : il voulait la Présidence du Conseil Constitutionnel, à défaut le perchoir, le voici chef de la diplomatie française… à titre intérimaire ("quatorze mois", a répété François Hollande).
L’autre information du remaniement, c’est le retour des écologistes. Vraiment ? En tout cas sur le papier. Pas besoin de quitter EELV pour avoir le poste. L’exécutif a réussi à hameçonner trois écologistes, ce qui donnent quelques titres plaisants comme "Trois Verts et bonjour les dégâts" ou "Les Verts pour la route" !
Emmanuelle Cosse, secrétaire nationale d’EELV (très vite remplacée par David Cormand dans la soirée), est nommée Ministre du Logement. Deux dissidents EELV, Jean-Vincent Placé (qui rêvait d’un poste ministériel depuis quatre ans) et la très charmante Barbara Pompili (sans doute la plus travailleuse des trois) héritent chacun d’un sous-ministère aux attributions baroques. Rien pour François de Rugy (sans doute trop habile), et un bon coup d’épée dans le dos de Cécile Duflot. Tout cela par défaut puisque l’idée avait été de nommer Nicolas Hulot qui avait écarté l’idée le 4 février 2016 (tout comme Martine Aubry avait rejeté l’idée d’être elle-même nommée au Quai d’Orsay). Pas de changement de politique gouvernementale ou alors dans un sens plus sécuritaire, alors, où est la cohérence des écologistes à partir du moment où il n’y a pas de différence entre leur départ du gouvernement en avril 2014 et maintenant ? Aucune, c’était juste pour profiter au maximum de la dernière année du quinquennat…
Et dans ce gouvernement, on profite bien. Rappelez-vous lors de la nomination de Manuel Valls à Matignon. La communication s’était portée sur un "gouvernement resserré". Sauf qu’au fur et à mesure qu’on ajuste, qu’on remanie, loin d’élaguer, on élargit. En tout, il y a désormais 38 membres du gouvernement, au lieu des 32 précédents. Là encore, la seule cohérence, c’est de nommer des amies. Plutôt au féminin à cause de la parité. Jean-Michel Baylet, un vieux routard de la politique cassoulet, qui rêvait de redevenir ministre depuis quatre ans, fait enfin son retour au gouvernement dans un ministère plein axé sur le territoire (lui qui a été renvoyé par les électeurs de sa présidence du conseil départemental en mars 2015).
Aux côtés Laurent Fabius et Sylvia Pinel, sortants volontaires, deux ministres ont été froidement remerciées : Fleur Pellerin, remplacée par Audrey Azoulay à la Culture et à la Communication (poste stratégique en pleine campagne présidentielle), et Marylise Lebranchu, remplacée par Annick Girardin à la Fonction publique. Laurence Rossignol est aussi promue comme ministre de plein exercice, tandis que des secrétaires d’État font leur entrée : la charmante Juliette Méadel, Ericka Bareigts, Estelle Grelier et Hélène Geoffroy renforcent la féminisation du gouvernement à des attributions improbables ("Égalité réelle", "Aide aux victimes", "Mémoire", etc.). Ce casting n’est pas forcément mauvais : il faut noter ainsi la présence au Ministère de la Ville d’Hélène Geoffroy, jeune et dynamique députée-maire de Vaux-en-Velins), qui a la particularité d’être une docteur en mécanique (les scientifiques sont assez rares dans la classe politique), mais il faut bien reconnaître qu’aucune de ces personnalités n’est vraiment connue et n’est un poids lourd national de la majorité présidentielle.
Parmi les quelques autres changements, le plus notable est André Vallini, qui aurait été un excellent Ministre de la Justice, et qui reste Secrétaire d’État mais auprès de Jean-Marc Ayrault au Développement et à la Francophonie.
Enfin, précisons aussi que si Hélène Geoffroy s’est opposée à la déchéance de la nationalité, Jean-Marc Ayrault, qui était contre, a voté pour le 9 février 2016 au Palais-Bourbon, ainsi que Barbara Pompili. Peut-être en rapport avec leur prochaine nomination ?
Une prestation présidentielle pour du beurre
Pour expliquer l’insignifiant remaniement ministériel, le Président de la République François Hollande s’est cru obligé d’inviter dans un salon de l’Élysée deux journalistes vedettes, un de France 2, un de TF1, pour une émission de quarante minutes ce jeudi 11 février 2016 à 20 heures.
Comme il n’avait rien de nouveau à dire, il n’a rien dit. Sinon une dénégation qui semble être un déni de réalité : selon lui, il ne calculerait rien, il ne penserait jamais à l’élection présidentielle de 2017, il resterait Président de la République jusqu’au bout, et agirait en tant que tel… et s’il y a besoin d’appuyer un peu son argumentation, il n’hésite pas avec un argument massue qui efface tous les doutes, ces attentats qui ont fait 130 morts… On avait presque l’impression d’entendre du Nicolas Sarkozy… En fait, chez lui, tout est calcul, jusqu’à la nomination de Laurent Fabius à la Présidence du Conseil Constitutionnel, poste stratégique pour une campagne présidentielle.
Le tableau est surréaliste. François Hollande a parlé comme s’il démarrait son quinquennat. Son action sera avec trois priorités : la sécurité (la lutte contre le terrorisme), l’emploi (en assouplissant le marché de l’emploi et en sécurisant la situation des salariés), et l’environnement (en appliquant la COP21).
Pour la sécurité, il a la mauvaise foi de trouver les débats un peu long sur son inutile projet de loi constitutionnelle et, comme l’a fait remarquer Gérard Longuet, il n’a donné aucun argument sur l’intérêt de constitutionnaliser la déchéance de la nationalité et l’état d’urgence alors que l’application de la Constitution se fait par des lois et que sur ces sujets, les lois existent déjà !
Pour l’emploi, on a l’impression qu’il découvre que le chômage a encore progressé (650 000 demandeurs d’emploi de la catégorie A supplémentaires entre 2012 et 2015 !), et imagine un plan de formation pour 500 000 demandeurs d’emploi qui pourront être ainsi soustraits aux statistiques (cette fameuse "inversion de la courbe" pourrait donc avoir lieu de manière totalement artificielle juste avant la campagne présidentielle).
François Hollande a fait quand même deux annonces concrètes. Pour les agriculteurs, une baisse des charges sociales.
Enfin, sur l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (près de Nantes), dont les travaux devraient commencer en octobre 2016, il a dit qu’il était temps de …décider. Et quelle décision ? De ne rien décider et d’organiser un référendum local. On serait tenter de croire que c’est un moyen coquet pour éviter toute prise de responsabilité. Mais qui votera ? Après tout, si l’aéroport propose des lignes Nantes-Paris, ne serait-il pas normal que les Parisiens participent eux aussi à la "votation" ?! Le choix de l’aire territoriale dont la population donnera son avis sera la clef évidemment du résultat du scrutin qui, de toute façon, ne sera que consultatif : plus la zone est élargie, plus l’approbation paraîtra évidente…
Parlant très brièvement de politique étrangère, et surtout de la situation en Syrie où la Russie aide très activement et très militairement Bachar El-Assad, François Hollande est resté sur une position intenable de souhait d’élections démocratiques dans un pays où l’opposition démocratique est quasi-inexistante.
Tant d’intelligence pour de si petits résultats, c’est la pensée qu’on pourrait avoir après avoir écouté le Président de la République… à moins que le seul résultat qui compterait soit finalement à ses yeux, et malgré ses dénégations, ce qui l’a obsédé depuis le début de sa carrière politique en 1988, à savoir l’élection présidentielle.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (12 février 2016)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Le remaniement ministériel du 11 février 2016 (liste complète du 2e gouvernement Valls).
La déchéance de la République française.
Le livret citoyen.
François Hollande, le grand calculateur.
François Hollande et le grand méchant loup.
François Hollande et le manque d’ambition.
François Hollande et Angela Merkel.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20160211-hollande.html
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/francois-hollande-grand-177550
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2016/02/12/33358034.html