« Ils sont tombés silencieux sous le choc, comme une muraille. » (inscription sur le mausolée du lieutenant-colonel Émile Driant et de ses chausseurs tués pour la défense de Verdun les 21 et 22 février 1916 au Bois des Caures). Première partie.
Il y a précisément cent ans, ce dimanche 21 février 2016, la Bataille de Verdun avait commencé. Elle fut l’une des plus meurtrières de la Première Guerre mondiale et la plus longue puisqu’elle dura jusqu’au 19 décembre 1916. Elle a été décidée par les Allemands et les Français se sont vaillamment défendus au point de reprendre les quelques bouts de champs conquis au début par l’ennemi. En tout, 306 000 soldats sont morts dans cette bataille, 163 000 Français et 143 000 Allemands. 70% des Poilus ont connu cette bataille car le turn-over était très grand tant les conditions de vie durant la bataille furent infernales.
La visite de Verdun
Parce que j’étais lorrain, j’ai eu l’occasion deux fois, enfant, une fois avec l’école et une fois en famille, de visiter les forts de Douaumont et de Vaux. Sur la plaine de Meuse. Des champs, des villages complètement détruits. À l’époque où j’y étais allé, des paysans m’avaient raconté qu’ils trouvaient dans leurs champs encore des bouts d’os, des restes de munitions, et qu’il faudrait probablement plusieurs siècles pour en venir à bout.
On m’avait fait visiter les deux forts. Les couloirs où les soldats étaient stationnés, immobilisés pour se défendre. Il faisait obscur, froid et humide. Le guide avait alors allumé un pétard qu’il a balancé au bout du couloir. Le bruit fut assourdissant. Or, durant la bataille, le bruit d’un pétard n’était rien par rapport à celui des armes et des obus, explosant en permanence. Si le soldat n’était pas tué, de toute façon, il était devenu sourd et surtout, fou. On ne pouvait pas ressortir indemne de ces trous de vie. L’état psychologique ne pouvait rester intact.
J’avais notamment visité l’ossuaire très impressionnant de Douaumont et je conseille vivement aux personnes qui habitent dans la région ou qui y passent de s’y arrêter une journée. Des tas d’os, de soldats anonymes, inconnus, ramassés et entassés dans un grand cube en verre, transparent. L’image ne peut être que marquante. Il faut se souvenir. Il faut toujours se souvenir, malgré les années, les décennies, les siècles qui passent.
C’est vrai qu’en 1916, on n’imaginait pas la suite, on ne savait pas qu’il y aurait Auschwitz et d’autres camps d’extermination par les nazis. C’est vrai aussi que le XXe siècle ne faisait que commencer, avec ses atrocités, ses cruautés, idéologiques (nazisme, communisme) ou même sans idéologie, que les dictateurs parmi les plus inhumains de l’histoire du monde ont pu garder le pouvoir, pendant parfois une période très longue, sur des peuples opprimés, oppressés.
Quand les peuples d’Europe centrale et orientale se sont enfin libérés du joug soviétique après la chute du mur de Berlin, j’avais beaucoup écrit sur cette Première Guerre mondiale, en disant notamment que tous ces jeunes soldats, souvent d’une vingtaine d’années, qui sont tombés durant ces deux guerres mondiales, avaient sacrifié leur vie pour que moi, bien confortablement assis dans un pays désormais en paix, je puisse choisir librement le destin commun de notre nation par mon vote. Ceux qui crachent sur la démocratie française, et plus généralement européenne, n’ont visiblement rien compris à l’histoire de ce si poignant XXe siècle. Ils crachent aussi sur tous ces jeunes combattants morts et sur la paix.
La leçon du XXe siècle ?
Si la leçon de la Première Guerre mondiale n’a pas pu être entendue par la classe politique des années 1930, cette leçon que cette guerre serait la "der des der", il serait bon qu’elle le soit enfin aujourd’hui, cent ans plus tard.
Et pourtant, est-ce si sûr ?
Prenons la déchéance de la nationalité. Ce n’était pas le régime de Pétain qui a promulgué la loi permettant cette déchéance. Non, c’était la IIIe République. Ce fut le gouvernement d’Édouard Daladier qui a instauré la déchéance de nationalité pour actes de trahison contre la France par le décret-loi du 12 novembre 1938 relatif à la situation et à la police des étrangers, comme le rappelle très opportunément Hervé Torchet le 26 décembre 2015 dans son excellent blog, juste après les Accords de Munich (signés le 29 septembre 1938). Le décret-loi du 9 septembre 1939 permettait même de déchoir de sa nationalité, à titre exceptionnel, un Français de naissance sans avoir une autre nationalité s’il se comportait en ressortissant d’une puissance étrangère (décret-loi qui toucha deux députés communistes dont Maurice Thorez le 17 février 1940 en raison du Pacte germano-soviétique).
Cette disposition des deux décrets-lois du 12 novembre 1938 et du 9 septembre 1939 n’a pas été appliquée par le gouvernement d’Édouard Daladier (à l’exception de deux députés communistes) mais par Philippe Pétain un an et demi plus tard, et notamment le 8 décembre 1940 contre la personne du Général De Gaulle : « On s’en est servi aussi pour annuler la naturalisation de très nombreux Juifs allemands que l’Allemagne avait rendus apatrides et qui avaient cru pouvoir se ranger sous la protection de la France. Pétain avait promis de protéger les Juifs français contre les nazis. Sa prétendue protection ne s’étendait pas aux naturalisés, dont beaucoup, rendus à l’Allemagne, finirent dans les camps de la mort. On comprend que, depuis cette époque, la déchéance de nationalité ait fait figure de spectre dans le droit français et, compte tenu de ce précédent épouvantable, c’était bien le moins. » (Hervé Torchet).
En effet, l’acte du 22 juillet 1940 a remis en cause toutes les naturalisations survenues depuis le vote de la loi du 10 août 1927 sur la nationalité française. Entre juin 1940 et mai 1944, 15 600 personnes perdirent leur nationalité française (des milliers de Juifs et quelques centaines gaullistes Français de naissance considérés comme des terroristes) sans compter les 110 000 Juifs algériens qui perdirent en octobre 1940 leur citoyenneté française (obtenue par le décret Crémieux, décret n°136 du 24 octobre 1870 « qui déclare citoyens français les Israélites indigènes de l’Algérie »).
C’était l’inquiétude exprimée par l’ancienne ministre Delphine Batho lors de la discussion à l’Assemblée Nationale : « Je suis obligée de regarder cette proposition de révision de la loi fondamentale de la République avec une certaine inquiétude pour l’avenir. Parce que c’est la loi fondamentale que nous mettons entre les mains des majorités futures, avec peut-être le meilleur mais aussi, peut-être, le pire. Or je ne souhaite pas que la loi fondamentale de la République puisse autoriser la déchéance de nationalité de Français de naissance, par une loi simple modifiant le code pénal. » (9 février 2016).
Ce que disait d’ailleurs plus crûment Hervé Torchet : « Une fois que la brèche sera ouverte, nos dirigeants pourront se vautrer tout à fait dans la fange, et étendre à leur guise la "déchéance" pour pouvoir en faire ce qu’ils veulent. » (26 décembre 2015).
Nul doute que comme le gouvernement Daladier, le gouvernement actuel ne se servirait pas du tout, ou uniquement avec une extrême parcimonie, de cette nouvelle disposition constitutionnelle si elle était adoptée par les parlementaires, mais rien ne garantirait qu’un gouvernement futur n’en abuserait pas pour assouvir une colère issue d’une idéologie particulièrement nauséabonde. Exactement comme en fin 1938 et début 1939…
Dans le prochain article, j’évoquerai une figure marquante de cette infernale Bataille de Verdun.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (20 février 2016)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
La déchéance de nationalité.
1914.
Sarajevo.
La Bataille de Verdun.
Charles Péguy.
Jean Jaurès.
Joseph Caillaux.
Philippe Pétain.
Émile Driant.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20160221-verdun.html
http://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/verdun-1-le-souvenir-pour-l-avenir-177897
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2016/02/21/33392484.html