« Ce texte est fait pour ceux qui vont mourir, et non pour ceux qui veulent mourir. La fin de vie dérange, dans une société qui a chassé la mort du réel. Elle soulève des questions philosophiques, morales, éthiques et religieuses extrêmement personnelles. Mais nous légiférons ici au nom de la République. Ce texte représente un juste engagement de la société à ne pas abandonner les siens à l’heure ultime. » (Françoise Gatel, sénatrice, le 27 janvier 2016 à propos de la loi Claeys-Leonetti).
Je reviens sur mes précédents articles sur la loi Claeys-Leonetti et sur quelques réactions épidermiques guidées par une animosité inquiétante liée à l’angoisse de la mort, par une idéologie étriquée qui simplifie avec outrance et caricature le complexe, et par une incapacité de donner des arguments clairs et rationnels. J’ai déjà longuement évoqué les arguments sur ce sujet mais j’y reviens en support de mes articles sur la loi Claeys-Leonetti. Le sujet de fond reste finalement la réflexion sur le droit à la sédation profonde et continue qui est la principale disposition de la nouvelle loi promulguée le 2 février 2016.
Je me permets d’ailleurs ici de remercier "l’oncle Archibald" et "Foufouille" qui ont tenté, bien inutilement à mon avis mais très ambitieusement, de répondre aux remarques à l’emporte-pièce et souvent péremptoires qu’on peut lire dans les commentaires.
Je laisse bien évidemment de côté ceux qui se sont exclus d’eux-mêmes d’une réflexion sereine en m’attaquant moi-même alors que c’était me donner trop d’importance dans ce débat qui existe de toute façon en dehors de moi, puisque je ne faisais que présenter le nouveau dispositif législatif.
Les "euthanasistes"…
Il est toujours stupéfiant de constater que le sujet de la fin de vie est pour certains comme un chiffon rouge et que, sous la pression de lobbies de la culture de la mort (le principal est dirigé par une véritable girouette de la vie politique parisienne : conseiller régional d’Île-de-France élu sur une liste UMP il y a quelques temps, il est maintenant au PS… remarque, c’est vrai que le PS appliquant le programme du FN avec la déchéance de la nationalité, on peut s’attendre à tout), certains se croient autorisés à imposer cette culture de la mort à l’ensemble de la société française.
Ceux-là se croient être les seuls détenteurs de la vérité alors que sur ce sujet, elle n’existe pas. Peu avares pour étiqueter leurs interlocuteurs, ils ont encore ce réflexe d’anticlérical primaire en "traitant" ceux qui ne pensent pas comme eux de "catholiques intégristes", en mettant dans le même sac de vrais anticléricaux (comme le professeur Jacques Testart qu’on ne peut pas soupçonner de collusions avec le Vatican !) et, évidemment, la très grande majorité des parlementaires français qui ont adopté la loi Claeys-Leonetti le 27 janvier 2016 : socialistes, centristes, républicains, communistes et même quelques écologistes (seuls quelques parlementaires, notamment écologistes et républicains, ont refusé le consensus forcément nécessaire sur une telle question).
En fait, il faut bien l’avouer, cette critique anticatholique en 2016 me fait toujours sourire car elle ne peut émaner que de personnes assez âgées aujourd’hui, qui ont passer leur enfance avant le Concile Vatican II, qui ont gardé encore plein de rancœur, sans doute familiale, contre l’Église, et qui n’ont pas vu qu’aujourd’hui, le monde a beaucoup évolué et qu’il est particulièrement inutile de s’opposer aux catholiques car il n’en existe pratiquement plus ! De plus, l’Église catholique n’a plus aucune influence dans la société française actuelle (la preuve avec la loi sur l’expérimentation sur les embryons humains). En clair, c’est un argument aussi ringard que peu pertinent au regard des enjeux d’aujourd’hui. (Très étrangement, on ne parle pas d’une autre religion qui, elle pourtant, serait déjà menaçante pour beaucoup de monde).
Ces promoteurs de "l’euthanasie pour tous" pensent généralement qu’ils ont été les seuls confrontés à la mort ou à la maladie, à celle d’un proche. Les seuls touchés par le malheur d’une vie qui se termine, et qui se termine mal, difficilement, lourdement. Réaction très infantile de l’adolescent nombriliste qui se croit seul au monde : eh non, hélas ! Ils ne sont pas les seuls à connaître ces situations.
Un sujet si délicat et si périlleux
Les fins de vie difficiles (il en est des moins douloureuses aussi, heureusement) touchent toute la population, et c’est même un critère d’égalité, toutes les catégories de la population. En revanche, le droit aux soins palliatifs, qui résolvent plus de 99% des situations de fin de vie douloureuses, proclamé dans la loi du 9 juin 1999 (il y a plus de seize ans !), n’est pas appliqué d’une manière très égalitaire sur tout le territoire national et ce scandale, le seul qui vaille et sur lequel on peut faire quelque chose, c’est l’une des raisons principales du vote de la loi Claeys-Leonetti, même si la réalité de ce droit est moins juridique que budgétaire : c’est au gouvernement d’apporter massivement des financements aux unités de soins palliatifs (Marisol Touraine a lancé le 3 décembre 2015 un plan de 190 millions d’euros sur trois ans).
Or, s’il y a un sujet pour lequel il faut éviter de s’énerver et d’être péremptoire, où il faut laisser dogme, idéologie et mauvaise foi avant d’entrer, c’est bien celui de la fin de vie. Car chaque fin de vie est unique, une situation si spécifique qu’une loi n’a pas pour objectif de la réglementer mais simplement d’apporter aux patients un certain nombre de droits, comme celui de ne pas souffrir, comme celui d’être écoutés.
Je rappelle ce qu’est une loi : c’est de proposer ou d’imposer des dispositifs dans un cadre général. Je rappelle ce qu’est la mort : c’est une situation particulière, singulière, unique. On voit que légiférer sur la mort n’a pas beaucoup de sens. On ne peut pas donner un cadre général à ce qui est singulier et unique. Ce n’est d’ailleurs pas le but des quatre lois sur la fin de vie (1999, 2002, 2005 et 2016) qui n’apportent que quelques cadres souples pour rendre plus facile la communication entre le patient, ses proches et le personnel soignant (en ce sens, prendre en compte l’avis du patient me paraît dans tous les cas une avancée majeure).
Le principal contresens dans lequel peuvent tomber ceux qui veulent commenter la loi Claeys-Leonetti, c’est de croire qu’il s’agit d’une loi sur l’euthanasie. Non justement, il ne s’agit pas d’euthanasie et cette considération a été écartée non seulement par les auteurs de cette loi (les députés Alain Claeys et Jean Leonetti ; ce dernier, cardiologue, fait référence en matière de fin de vie en raison de ses réflexions approfondies qui avaient abouti à la loi du 22 avril 2005 adoptée …à l’unanimité !) mais aussi par le Président de la République François Hollande qui ne s’est jamais engagé à introduire l’euthanasie dans le droit français mais à réduire au mieux la souffrance des personnes (il faut relire sa proposition n°21 pour s’en convaincre).
Combattre la souffrance avant toute idéologie
Voilà justement ce qui "cloche" chez les promoteurs inconsidérés de l’euthanasie : ils parlent de l’euthanasie mais se moquent des malades. Le problème, ce n’est pas de continuer à vivre ou de mourir, d’autant plus que mourir, c’est la destinée de chaque homme et en particulier de ceux qui ont une maladie incurable. La seule préoccupation d’un État laïc et solidaire qui se soucie de l’intérêt de chacun, c’est de faire en sorte qu’on ne meurt plus dans la souffrance. Le mot le plus important, ce n’est donc pas la mort mais la souffrance. En tuant la personne, on ne supprime pas la souffrance, on ne supprime pas la maladie, on supprime juste le malade, bravo la solidarité !
Or, les promoteurs dogmatiques de l’euthanasie veulent enfermer le débat dans ce clivage simpliste et caricatural qui, même dans les médias grand public, devient de plus en plus dépassé : mourir ou souffrir.
La suppression de la souffrance se fait avant tout par les soins palliatifs. C’est la première chose évidente : les soins palliatifs soulagent la douleur dans la très grande majorité des situations. Ils signifient qu’on ne soigne plus le patient pour une maladie qui n’a pas, au moment donné, de solution de guérison, mais pour ses symptômes, réduire au mieux toutes les conséquences néfastes de sa maladie, la souffrance. Cela n’empêche pas la conscience, cela ne tue pas, cela ne prolonge pas plus la vie. C’est un accompagnement, rien qu’un accompagnement, et ce fut l’innovation de la loi du 22 avril 2005 (la loi Leonetti) que d’avoir proclamé ce droit pourtant élémentaire au refus de "l’obstination déraisonnable".
La sédation profonde et continue
C’est seulement quand les soins palliatifs n’ont plus d’effet sur la souffrance (on parle de "souffrance réfractaire") que la nouvelle loi propose la "sédation profonde et continue". C’est à ce moment-là qu’il faut comprendre de quoi l’on parle. Cette sédation, elle est déjà pratiquée depuis une dizaine d’années au moins, permise par la loi du 22 avril 2005. La loi du 2 février 2016 ne fait que renforcer ce droit et, en quelques sortes, enfonce le clou pour que toutes les personnes concernées soient informées de ce droit (ce qui n’était pas le cas en 2005).
Ce que cela veut dire, c’est que si les souffrances ne peuvent plus être soulagées par les soins palliatifs (ce qui est, j’insiste, une situation très rare), alors la loi permet de mettre la personne malade dans un état d’endormissement prolongé. Cela a pour résultat qu’elle ne souffre plus. L’objectif de tous (je dis bien tous : je ne connais personne qui souhaite souffrir ou faire souffrir des proches, insistons aussi là-dessus même si cela semble une évidence), l’objectif de tous est alors atteint, combattre la souffrance.
Certains se sont inquiétés pour l’alimentation et l’hydratation artificielles. Pour l’alimentation, il faut vraiment ne pas connaître les situations de ce type pour croire que la faim irait tarauder le patient en fin de vie. Au contraire, cette alimentation donnerait plus de souffrance que de bien à ce patient qui, de toute façon, mourra dans les heures ou les quelques jours qui suivent.
En revanche, l’arrêt de l’hydratation a posé problème à beaucoup de monde, y compris à des parlementaires cancérologues (comme Michèle Delaunay) et c’est l’honneur du Parlement d’avoir su modifier la proposition initiale en laissant la possibilité de ne pas interrompre l’hydratation, en fonction des situations médicales.
Vous avez dit hypocrisie ?
D’autres parlent d’hypocrisie et disent qu’il vaudrait mieux "piquer" le patient. Sans m’arrêter sur la considération fumeuse qu’ils considèrent le patient comme un chien qu’on euthanasie faute de vouloir payer des soins lourds lorsqu’il est atteint d’une maladie grave (pour l’instant, le citoyen français n’en est heureusement pas encore à ce stade malgré le "trou" de la sécurité sociale), c’est vraiment ne rien comprendre au droit et à la médecine que de parler d’hypocrisie.
D’une part, la sédation profonde ne tue pas, elle accompagne. Parfois, elle peut même prolonger la vie au lieu de la précipiter dans la mort, car l’organisme, qui n’est plus soumis à une douleur, peut récupérer un peu plus d’énergie. La sédation est pour les personnes qui vont mourir, pas pour celles qui veulent mourir : c’est cela l’important.
Il y a d’ailleurs une véritable escroquerie intellectuelle à utiliser à la fois l’argument qu’il faut l’euthanasie et celui de dire que la sédation est une hypocrisie : si c’était vraiment une hypocrisie selon eux, alors ils devraient être contents, cela voudrait dire que l’euthanasie serait légalisée sans le dire (ce qui est faux cependant). C’est le principe du double effet qui avait été déjà proclamé dans la loi du 22 avril 2005 : pour soulager la souffrance, on utilise des produits mais en effet secondaire, cela peut avoir pour conséquence d’accélérer la survenue de la mort. Ce n’est qu’un effet secondaire d’ailleurs pas systématique. Dans tous les cas, ce n’est pas un objectif, au contraire de l’euthanasie.
D’autre part, revenons sur cette "piqûre" de produit létal qui fait si "frétiller" les promoteurs de l’euthanasie. Savent-ils au moins ce que c’est ? Comment meurt-on dans ces conditions ? Il y a eu un médecin qui a fait plusieurs fois l’expérience (il a été condamné pour cela).
Ainsi, le curare, qui est un poison violent, a pour effet, avant de tuer, de faire atrocement souffrir : c’est un produit qui n’altère pas la conscience mais qui paralyse les muscles (pas le cœur) et donc, qui empêche de respirer. La mort se fait de manière cruelle puisque le patient n’est pas endormi et meurt étouffé. Le curare est utilisé pour certaines opérations délicates pour être sûr que le patient ne bouge pas, à condition évidemment qu’il bénéficie d’une ventilation par un respirateur artificiel.
D’ailleurs, il faut vraiment croire au Père Noël pour croire qu’on peut "mourir bien" comme le dit l’étymologie grecque du mot "euthanasie". La sédation profonde et continue offre au contraire la solution le plus favorable au patient en fin de vie car elle l’accompagne dans son inévitable passage dans l’Au-delà en supprimant réellement les souffrances, pas en l’étouffant ou en l’empoisonnant comme la "piqûre létale" pourrait le faire.
Le droit de tuer serait sans limite…
Enfin, mais c’est plus un sujet spirituel ou philosophique que médical ou technique, il faut avoir une sacrée prétention humaine à vouloir régenter ainsi l’heure de la mort des personnes en souhaitant les euthanasier.
Mais cette prétention, qui n’est que vanité, n’est rien face aux risques politiques et économiques sur les personnes les plus fragiles de la société : la pente naturelle d’un État fortement déficitaire qui voudrait réduire le plus possible ses dépenses de santé serait d’encourager l’euthanasie si ce droit était fixé dans le marbre de la loi.
C’est pour cela qu’il faut éviter à tout prix un tel dispositif qui ne pourrait jamais contenir toutes les garanties et précautions qu’on voudrait y mettre. La meilleure illustration est en effet l’évolution terrible de la législation belge qui autorise l’euthanasie de personnes dépressives et aussi d’enfants de 7 ans seulement ! et le débat se fait actuellement sur les personnes dont la seule maladie serait …leur grand âge.
Il y a un mot à cela, cela s’appelle eugénisme, et ce n’est pas de l’anticipation, c’est juste de l’histoire récente puisque les nazis l’ont déjà pratiqué notamment sur les personnes en situation de handicap et sur d’autres personnes considérées comme des grands malades, par exemple… les Juifs. C’est pour cela qu’il ne faut pas rétablir par la petite porte ce qu’on avait très justement et honorablement supprimé par la grande porte : la peine de mort. À la logique ultralibérale de l’euthanasie (sommet de l’individualisme), il faut absolument en rester à la conception d’un État avant tout solidaire de ses citoyens les plus faibles. À savoir, les accompagner au mieux dans leur incontournable déclin, et pas les supprimer purement et simplement comme le ferait un pouvoir fasciste.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (14 mars 2016)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Euthanasie ou sédation ?
Une fin de vie particulière.
François Hollande et la fin de vie.
Les embryons humains, matériau de recherche ?
Tuteur juge et partie.
Texte intégral de la loi n°2016-87 du 2 février 2016.
La loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016.
Dernier round de la loi Claeys-Leonetti.
Consensus à la commission mixte paritaire du 19 janvier 2016.
Consensus sénatorial.
La leçon du procès Bonnemaison.
Les deux rapports des commissions sénatoriales en deuxième lecture (à télécharger).
Retour synthétique sur la loi Claeys-Leonetti.
La loi Claeys-Leonetti en commission au Sénat pour la deuxième lecture.
Les sondages sur la fin de vie.
Les expériences de l’étranger.
Verbatim de la deuxième lecture à l’Assemblée Nationale.
Indépendance professionnelle et morale.
Fausse solution.
Autre fausse solution.
La loi du 22 avril 2005.
Adoption en deuxième lecture à l’Assemblée Nationale.
La fin de vie en seconde lecture.
Acharnement judiciaire.
Directives anticipées et personne de confiance.
Chaque vie humaine compte.
Sursis surprise.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20160310-euthanasie-sedation-2016BH.html
http://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/euthanasie-contre-sedation-178786
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2016/03/14/33512392.html
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