« Depuis que la naissance ne joue plus un grand rôle, les chemins sont variés qui mènent au pouvoir : la force des armes, la faveur de l’opinion, l’intrigue. Mais les hommes d’État sont jugés sur l’usage qu’ils en font, surtout dans les épreuves qui, tôt ou tard, frappent les nations et même une grande partie de l’humanité : catastrophes naturelles, crises économiques, guerres, révolutions. La France en a souffert plusieurs en ce vingtième siècle ; nos pères et nous-mêmes les avons vécues. Deux guerres mondiales, des guerres de décolonisation, mais aussi une élévation du niveau de vie, des progrès scientifiques et techniques fabuleux, au point que tout le monde en a été bouleversé. » (Pierre Messmer, le 10 février 2000 à Paris).
Ce dimanche 20 mars 2016 a lieu le centenaire de la naissance de Pierre Messmer.
Disparu il y a plus de huit ans (le 29 août 2007), Pierre Messmer aurait pu devenir Président de la République à la mort de Georges Pompidou. Premier Ministre, il voulait être le candidat du rassemblement de la majorité qui allait s’éparpiller autour de trois candidatures : Jacques Chaban-Delmas, Valéry Giscard d’Estaing et Edgar Faure : « Devant la situation créée par plusieurs candidatures de la majorité de Georges Pompidou, en raison du risque que cela fait courir à la France, je me suis résolu à me présenter aux suffrages des Français si ces candidats se retirent. Je le leur demande. ». Edgar Faure renonça mais pas les deux autres.
La candidature de Pierre Messmer n’a duré que quelques heures dans la journée du 9 avril 1974 : « Les conditions n’étant pas réunies, j’ai décidé de ne pas poser ma candidature à la Présidence de la République. Ma décision est irrévocable. ». Il expliqua plus tard, très humblement : « Depuis le début de ma vie active, j’avais toujours eu conscience de dominer ma fonction, grande ou petite, donc d’être capable de l’assumer au mieux, ce qui me donnait assurance et autorité. Pour la première fois, depuis mon entrée à Matignon, je n’étais plus sûr de moi et je devais me poser la question : serais-je capable d’être Président de la République ? La réponse n’était pas évidente. ».
François Jacob commenta cette réflexion le 10 février 2000 ainsi : « Pour moi, ces lignes sont le signe d’une véritable grandeur. Je ne vois guère d’hommes politiques, parvenus à ce niveau de responsabilité, susceptibles de se poser ainsi une telle question et surtout de l’avouer. Eussiez-vous décidé de vous présenter à cette élection, l’évolution de notre République eût été profondément différente. ».
Le jeune résistant
Ce n’est ni l’homme politique (il fut notamment Ministre des Armées du 5 février 1960 au 22 juin 1969 et Premier Ministre du 5 juillet 1972 au 27 mai 1974, à l’origine de l’indépendance nucléaire de la France tant militaire que civile) ni son métier d’administrateur de la France d’Outre-mer (il fut diplômé de l’École nationale de la France d’Outre-mer, de l’École des langues orientales et docteur en droit), mais le jeune militaire engagé dans la Résistance, sur lequel je voudrais revenir à cette occasion du centenaire.
Et avec les témoignages de ses collègues de "fin de vie", à savoir, de l’Académie française qui l’a élu le 25 mars 1999 au siège de Maurice Schumann, autre résistant historique.
Pierre Messmer, Maurice Schumann, Jacques Chaban-Delmas, Yves Guéna, Daniel Cordier et quelques autres, ils ne furent pas nombreux à tout quitter au moment de la débâcle et à rejoindre le Général De Gaulle à Londres. Ces hommes ont été l’honneur de la France et surtout, ont été des héros car ils ont agi au péril de leur vie et au service d’une certaine idée de leur patrie.
Pierre Messmer était un peu plus vieux que Yves Guéna et Daniel Cordier lorsqu’il a entendu Philippe Pétain le 17 juin 1940 demander de déposer les armes (« C’est le cœur serré que je vous aujourd’hui qu’il faut cesser le combat. »). À 24 ans, Pierre Messmer avait été mobilisé pour son service miliaire en octobre 1937, après ses études, et ne fut démobilisé qu’en novembre 1945.
Comme l’expliqua Simone Veil le 18 mars 2010, « né à Vincennes au creux de la Première Guerre mondiale, Pierre Messmer était lesté d’un patriotisme familial venu de l’Alsace-Lorraine, cette province qui fut longtemps la pomme de discorde entre la France et l’Allemagne ».
Alors sous-lieutenant (au 12e régiment de tirailleurs sénégalais) posté dans l’Allier, Pierre Messmer décida dès l’après-midi du 17 juin 1940 de partir résister. Il quitta sa caserne avec son camarade Jean Simon (1912-2003), lieutenant à l’époque et futur général d’armée, devenant des déserteurs pour leur hiérarchie, quittèrent leur uniforme, et dérobèrent une moto pour descendre vers le sud. La moto en panne, ils firent du stop jusqu’à Tarascon, puis prirent le train à Beaucaire pour arriver à Marseille où ils se firent embaucher comme dockers, histoire d’avoir accès à un bateau.
François Jacob, autre académicien ancien résistant, rappelait le caractère de Pierre Messmer le 10 février 2000 : « Vous n’êtes pas homme à faire les choses à moitié. Vous travaillez donc dur [comme docker]. Au point de recevoir une sévère admonestation de votre délégué syndical. Vous avez le tort d’améliorer inutilement le rendement de votre équipe, donc de gâcher le métier. ».
Le 20 juin 1940, ils rencontrèrent un capitaine prêt à détourner son navire italien (le "Capo Olmo") vers l’Angleterre, alors qu’ils lurent le même jour l’appel du 18 juin de De Gaulle ("Le Petit Provençal" avait mal orthographié De Gaulle, avec un seul l). Malgré la présence d’un convoi (dont un torpilleur), le cargo qui devait se rendre à Oran réussit à simuler une avarie le 23 juin 1940 pour bifurquer vers Gibraltar le 27 juin 1940 puis Liverpool le 16 juillet 1940 après avoir vendu toute la cargaison du cargo, apportant ainsi les premières recettes à la France libre.
Pierre Messmer écrivit plus tard : « Pas un instant, nous ne nous sommes interrogés pour savoir si nous devions suivre les mouvements de notre cœur plutôt que les ordres de nos chefs ; aucun doute n’a assailli notre esprit ; aucun doute n’y entrera jamais au cours des années suivantes. ».
Petites parenthèses : Jean Simon fut chancelier de l’Ordre de la Libération du 21 septembre 1978 au 26 septembre 2002, Pierre Messmer le fut du 6 juin 2006 au 29 août 2007 et François Jacob du 12 octobre 2007 au 11 octobre 2011.
Le légionnaire
Pierre Messmer et Jean Simon furent reçus pendant quelques minutes dans le petit bureau de De Gaulle lors de leur arrivée à Londres, sans remerciement ni compliment car De Gaulle considérait que leur venue était normale. Mais comme ils avaient apporté les premiers fonds à la France libre, De Gaulle leur demanda dans quel corps ils souhaitaient servir. Les deux dirent immédiatement : à la Légion étrangère. Pourquoi ? Pierre Messmer s’en est expliqué : « Parce que je voulais faire la guerre avec des gens sérieux ! ».
La 13e demi-brigade de la Légion étrangères venait de battre les Allemands à Narvik le 27 mai 1940 (en Norvège). Elle était commandée par le colonel Ralph Monclar, de son vrai nom Raoul Magrin-Vernerey (1892-1964), qui avait rejoint Londres dès le 21 juin 1940, et qui avait adopté la devise : « More majorum » qui veut dire : "à l’exemple des Anciens", et qui est devenue la devise de la brigade (13e DBLE).
Pierre Messmer servit à la 13e DBLE comme lieutenant puis capitaine commandant de compagnie (à partir de 1941) à Dakar, Libreville, puis en Érythrée, en Libye, en Tunisie, et combattit à Keren, Massava, Kissoué, Damas, Bir Hakeim, El Alamein. Il débarqua en Normandie en juin 1944 et arriva à Paris en août 1944. La vie parisienne ne lui convenait pas : « J’avais l’illusion que pour être propre, il suffisait que je risque ma vie. ».
Il continua donc de servir dans la Légion étrangère après la guerre en se faisant parachuter en Indochine en août 1945 avec un capitaine pharmacien et un sergent-chef radio, fut fait prisonnier par le Vietminh et s’évada au bout de deux mois en traversant une rivière à la nage puis en marchant dans un marais, pour rejoindre Hanoi en octobre 1945.
Sa première vie venait de s’achever et deux autres s’ouvraient à lui : le haut fonctionnaire dans les colonies (il fut le directeur de cabinet de Gaston Defferre, Ministre de la France d’Outre-mer en 1956), puis le ministre fidèle gaulliste qui a gravi jusqu’aux marches de Matignon, tout en assumant quelques mandats locaux (député-maire de Sarrebourg et même président du conseil régional de Lorraine).
C’est ainsi que démarra une véritable fidélité à la Légion étrangère que Pierre Messmer exprima même le jour de sa réception à l’Académie française le 10 février 2000 quand il rendit hommage aux légionnaires morts pour la France : « Qu’il me soit seulement permis d’observer que vous n’avez jamais fait large place à ces hommes d’action un peu aventureux que sont les coloniaux et, en particulier, les légionnaires. Puisque je suis le premier officier de Légion appelé à siéger sous cette Coupole, je veux saluer le sacrifice des 35 000 étrangers morts pour la France dans les rangs de la Légion étrangères, dont 20 000 depuis 1940. ».
Ce n’est pas étonnant puisque une autre devise régulièrement adoptée par les légionnaires, c’était : "Honneur et Fidélité". Ce qui caractérisa Pierre Messmer notamment vis-à-vis du Général De Gaulle. Ce fut sans doute une incompatibilité à gagner politiquement face à des personnalités politiques assoiffées d’ambition comme le furent …Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand et Jacques Chirac. Simone Veil qualifia Pierre Messmer de « passionné et raisonnable », en faisant référence au discours de De Gaulle le 18 juin 1942 au Royal Albert Hall de Londres : « "Les raisonnables ont duré. Les passionnés ont vécu" [Chamfort]. Pendant ces deux années, nous avons beaucoup vécu, car nous sommes des passionnés. Mais aussi nous avons duré. Ah que nous sommes raisonnables ! ».
Le contrat de la seconde chance
Lorsqu’elle rendit hommage à Pierre Messmer, le 18 mars 2010, Simone Veil rappela aussi le fonctionnement de la Légion étrangère, et ses paroles prennent aujourd’hui un sens tout particulier avec l’arrivée des nombreux réfugiés syriens et irakiens sur le sol européen.
En faisant référence à un hommage fait à Pierre Messmer en 2005 par de jeunes légionnaires de la 13e DBLE à l’Académie française, elle a notamment dit : « Les légionnaires présents sous la Coupole en 2005 ne venaient pas d’Espagne ou d’Allemagne comme ceux que le lieutenant Messmer avait eus sous ses ordres, mais plus probablement d’Ukraine, de Roumanie ou du Brésil. Pourtant, une commune envie de servir les animait. (…) Ils étaient, à leur manière, les ambassadeurs de la langue française, ayant renoncé à leur passé, à leur nom peut-être, pour se couler dans un nouvel uniforme, apprendre une nouvelle langue, adopter un nouveau pays, épouser une nouvelle histoire. Ce renoncement à soi-même, c’est l’effort que la Légion étrangère demande à ceux qui la rejoignent. Au terme de cinq années de services "avec honneur et fidélité", un passeport leur est accordé. Pareil contrat moral passé entre la France et de jeunes étrangers doit être salué. Il honore une société désireuse de donner aux hommes une second chance. (…) Chacun sait le rôle prioritaire qui demeure le sien dans toute intervention sous nos couleurs. » (18 mars 2010).
Je termine ce modeste hommage à Pierre Messmer le légionnaire par cette question qui taraude les hommes d’État : « Il y a des guerres justes mais il n’y a pas de guerre propre et, dans les grandes crises, nul ne gouverne innocemment. Pour le bien et le repos de la patrie, doit-on prendre le risque de perdre son âme ? » (10 février 2000). C’est à cela que l’électeur doit songer lorsqu’il devra choisir son candidat à la prochaine élection présidentielle…
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (19 mars 2016)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Pierre Messmer le légionnaire.
François Jacob.
Simone Veil.
Yves Guéna.
Qu’aurait pensé le Général De Gaulle ?
De Gaulle en 1940.
De Gaulle en 1965.
Georges Pompidou.
Le gaullisme politique.
Edmond Michelet.
Pierre Messmer.
Robert Boulin.
Jacques Chaban-Delmas.
Valéry Giscard d’Estaing.
Jacques Chirac.
Raymond Barre.
Edgar Faure.
Maurice Faure.
René Monory.
Jean Lecanuet.
Jean Foyer.
Michel Debré.
Jean-Marcel Jeanneney.
Olivier Guichard.
Alain Peyrefitte.
Robert Galley.
Jean Charbonnel.
Pierre Bas.
Philippe Séguin.
Jacques Toubon.
Daniel Cordier.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20160320-pierre-messmer.html
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