« Le monde dépend d’une Europe démocratique, qui porte les principes de pluralisme, de diversité et de liberté fondant nos valeurs communes. En tant que peuples libres, nous ne pouvons laisser l’inquiétude économique ou le sentiment d’insécurité miner notre engagement pour les valeurs universelles qui sont à l’origine de notre force. » (Hanovre, le 25 avril 2016).
Le Président des États-Unis Barack Obama termine son second mandat de quatre ans ce vendredi 20 janvier 2017 et laisse la Maison-Blanche au nouveau Président Donald Trump. Pour faire ses "adieux", Barack Obama a prononcé son dernier discours le 10 janvier 2017 à Chicago, ville qui lui est chère, où il a répondu à son "Yes We Can" de 2008 par un : "Yes We Did" !
Je profite des derniers jours de Présidence Obama pour revenir à un discours important qu’il a prononcé le 25 avril 2016 à Hanovre, en Allemagne, où il a évoqué, ce qui a été très rare pendant ses huit années de mandats, la construction européenne et les relations entre l’Europe et les États-Unis.
L’antiaméricanisme, qui est une caractéristique commune de l’extrême droite, de l’extrême gauche et des djihadistes, voudrait faire croire que sous prétexte que les États-Unis disent que la Terre est ronde, il faudrait qu’elle soit plate. Si l’Europe et les États-Unis ont pris beaucoup de positions en commun ces dernières décennies, c’est parce qu’il y a des valeurs communes de liberté, d’égalité, de démocratie, ce qui n’empêche pas quelques graves divergences comme la peine de mort ou la guerre en Irak.
En présence de la Chancelière allemande Angela Merkel, Barack Obama est venu ainsi dire à l’Europe entière la considération que les États-Unis avaient pour l’unité du continent européen. Il est venu en Allemagne et pas en France. Lors de sa tournée d’adieu, le Président américain s’était rendu aussi en Allemagne, le 16 novembre 2016, à Berlin sans passer par Paris. Cela donne une idée de la dégradation de la parole de la France dans le monde. Le changement de 2017 donnera probablement plus de crédit à la France.
L’important était ailleurs. Il faut d’abord rappeler que Barack Obama, malgré ses nombreux soutiens en Europe lors de ses campagnes électorales, n’a jamais porté une attention très soutenue à l’Europe. Ses préoccupations étaient surtout asiatiques. Barack Obama était absent lors du vingtième anniversaire de la chute du mur de Berlin, ainsi que lors de son vingt-cinquième anniversaire, il fut absent aussi lors de la grande manifestation du 11 janvier 2015 à Paris à la suite des attentats de "Charlie-Hebdo".
Je propose donc de retrouver ici les passages les plus marquants de ce discours de Hanovre, qui n’a pas reçu l’écho mérité en France à l’époque (il y a neuf mois).
Barack Obama a commencé par une "déclaration d’amitié" aux Européens : « Nous comptons (…) tous nos alliés européens parmi nos plus proches amis dans le monde. Car nous partageons tellement d’expériences et de valeurs communes ! Nous croyons que les nations et les peuples doivent vivre dans la sécurité et dans la paix. Nous croyons que les progrès réalisés doivent bénéficier non pas à quelques-uns, mais au plus grand nombre. (…) Nous croyons à l’égalité et à la dignité propre à tout être humain. ».
Ensuite, il a poursuivi avec le sentiment optimiste que notre époque n’a jamais été aussi positive dans l’histoire des hommes : « C’est la vérité : nous avons la chance de vivre à l’époque la plus pacifique, la plus prospère, la plus avancée de l’histoire humaine. Cela surprendra les jeunes qui voient surgir un flot incessant de mauvaises nouvelles de la télévision et de leurs portables. Mais rappelez-vous ceci : des décennies se sont écoulées depuis le dernier affrontement entre grandes puissances ; de plus en plus de gens vivent en démocratie ; nous sommes plus riches, en meilleure santé, mieux éduqués, avec une économie mondiale qui a permis de sortir de l’extrême pauvreté plus d’un milliard de personnes et qui a créé une nouvelle classe moyenne sur les continents américain, africain et asiatique. Et songez à l’état de santé moyen des humains aujourd’hui : nous sauvons des dizaines de millions de vies de la maladie et de la mortalité infantile, et l’espérance de vie générale augmente. ».
Et de donner un critère : « Si nous pouvions choisir le moment de notre naissance, à n’importe quelle époque de l’histoire humaine, sans connaître à l’avance notre nationalité, notre sexe ou notre statut économique, nous choisirions certainement le temps présent. Même avec ses incommensurables souffrances, ses drames infinis et l’immense travail qui nous reste à faire. ».
Cette "déclaration d’amitié" ne pouvait pas se faire sans "déclaration de grandeur" : « Je suis donc venu aujourd’hui, au cœur de l’Europe, pour affirmer que les États-Unis et le monde entier ont besoin d’une Europe forte, prospère, démocratique et unie. Peut-être faut-il un étranger, un non-Européen, pour vous rappeler la grandeur de vos accomplissements. Le progrès dont je parle a été essentiellement réalisé grâce aux idéaux nés sur ce continent au temps des Lumières et par la fondation de nouvelles républiques. ».
Barack Obama a cité Konrad Adenauer, l’artisan, avec De Gaulle, de l’amitié franco-allemande : « L’unité européenne était le rêve de quelques-uns. Elle devint l’espoir d’une multitude. Elle est aujourd’hui une nécessité pour nous tous. ».
Le Président Obama n’a pas ignoré les freins à la construction européenne, les risques de repli sur soi : « Cela n’a pas été facile. Il a fallu surmonter de vieilles animosités. L’orgueil national a dû s’accommoder d’un engagement pour le bien commun. Des questions complexes de souveraineté et de partage des charges ont fini par trouver des réponses. À chaque palier, il a fallu réprimer la tentation de rétrograder et de reprendre sa propre route. Plus d’une fois, les sceptiques ont annoncé l’échec de ce grand projet. Mais le projet de l’Europe unie a tenu bon ! ».
L’une des motivations premières de cette unité européenne, c’est la paix et c’est la liberté. Le Président américain a cité son prédécesseur John Kennedy, venu dire aux Allemands, près de la Porte de Brandebourg, à Berlin-Ouest, le 26 juin 1963 : « La liberté est indivisible, tant qu’un seul homme se trouve en esclavage, aucun autre ne peut être libre. ».
Barack Obama a donc tiré son chapeau à la construction européenne après l'éclatement de l’Union Soviétique : « Vous pouvez toujours vous disputer à propos des meilleurs clubs de football ou voter pour différents chanteurs de l’Eurovision, mais ce que vous avez accompli, plus de cinq cents millions de citoyens parlant vingt-quatre langues dans vingt-huit pays, dont dix-neuf partagent une monnaie commune, tous réunis dans une seule Union, reste l’une des plus grandes réalisations économiques et politiques des temps modernes. ».
Son admiration fut encore plus grande quand il a évoqué ce qu’en Europe, on appelle improprement les eurocrates de Bruxelles, montrant d’ailleurs une très bonne connaissance des institutions européennes et de leur image auprès des peuples européens : « Oui, l’unité européenne peut exiger des compromis et susciter des frustrations. Oui, elle ajoute des difficultés administratives susceptibles de ralentir les prises de décision. Je le sais : j’ai assisté à des réunions de la Commission Européenne. Nous autres Américains, bien connus pour notre dédain des gouvernements, comprenons combien il est facile de mettre tout et son contraire sur le dos de Bruxelles. Rappelez-vous cependant que tous les membres de votre Union sont des démocraties. Ce n’est pas un hasard. Rappelez-vous encore qu’aucun pays de cette Union n’a pris les armes contre un autre. Ce n’est pas un hasard. ».
Au-delà de faire l’apologie de l’unité européenne, Barack Obama a fait également l’apologie de l’économie de marché, ce qui rend les pays attractifs aussi auprès des réfugiés : « Nos économies de marché (…) constituent le plus grand moteur d’innovations, de richesses et d’opportunités que l’histoire ait jamais connu. Notre liberté et notre qualité de vie représentent encore un bien si précieux aux yeux du monde que des parents sont prêts à traverser des déserts et à franchir des mers sur des embarcations de fortune, au risque de tout perdre, dans le seul espoir de prodiguer à leurs enfants les bienfaits dont nus jouissons tous. ».
Au-delà de l’économie, c’est bien une question de valeurs qui lie les États-Unis et les peuples européens : « Nous ne pouvons pas nous détacher de vous. Nos économies ont partie liée. Comme nos cultures. Comme nos peuples. Vous avez vu la manière dont les Américains ont réagi aux attentats de Paris et de Bruxelles : c’est parce que, dans nos esprits, ces villes sont aussi les nôtres. ». Et réciproquement, la réaction des Européens après les attentats du 11 septembre 2001 ont montré que les valeurs étaient fondamentalement partagées des deux côtés de l’Atlantique.
Ces valeurs communes ont pour conséquence la nécessité d’une coopération renforcée entre les États-Unis et l’Europe : « Nous avons besoin d’une Europe forte pour porter sa part du fardeau et œuvrer avec nous à la sécurité de tous. Les États-Unis disposent d’une armée extraordinaire, la meilleure que le monde ait jamais connue, mais nous ne pouvons répondre à nous seuls aux défis actuels. Aujourd’hui, l’organisation Daech présente la menace la plus urgente, et nous sommes unis dans notre détermination à la détruire. (…) N’en doutez pas : ces terroristes recevront la même leçon que d’autres avant eux. Leur haine ne fait pas le poids face à nos nations unies dans la défense de notre mode de vie. (…) Les terroristes font tout leur possible pour frapper nos villes et tuer nos concitoyens. Nous devons faire tout notre possible pour les arrêter. Y compris en comblant nos lacunes pour les empêcher de mener des attentats comme ceux de Paris ou de Bruxelles. ».
Enfin, comme si c’était une sorte de testament politique, le Président Obama voudrait faire vivre la mondialisation économique au profit de tous.
Le danger, ce serait un fossé qui s’élargirait : « L’inquiétude économique ressentie par beaucoup (…) est légitime. L’économie mondialisée a introduit des changements brutaux qui, malheureusement, touchent plus lourdement certaines catégories de la population, en particulier les ouvriers. Si les charges et les richesses de notre économie ne sont pas réparties équitablement, on ne peut s’étonner que les populations se révoltent et rejettent la mondialisation. Si les gagnants de l’intégration économique sont trop rares et les perdants trop nombreux, les peuples feront machine arrière. ».
Face à ce danger, il faut lutter contre les inégalités : « Nous devons affronter l’injustice liée à l’accroissement des inégalités économiques. Nous devons nous y atteler collectivement. En raison de la mobilité des capitaux, si seuls quelques pays se préoccupent de cet enjeu, beaucoup d’entreprises partiront s’installer là où l’attention est moindre. ». Autrement dit : « Nous ne pouvons pas agir seuls, chacun dans nos frontières, car la finance n’en connaît pas Tous se déplace trop vite. Sans coordination entre l’Europe, les États-Unis et l’Asie, nous n’y arriverons pas. ».
Cette lutte contre les inégalités est morale mais aussi pragmatique : « La concentration de plus en plus grande des richesses entre les mains de quelques-uns non seulement constitue une épreuve morale pour nos sociétés, mais amenuise leur potentiel de croissance. Nous avons besoin d’une croissance élargie et qui profite à tous. Nous avons besoin d’une fiscalité qui bénéficie aux travailleurs et à leurs familles. Ceux qui, comme moi, soutiennent l’unité européenne et le libre-échange ont la responsabilité impérieuse de veiller à la protection des travailleurs (…). Si nous voulons vraiment réduire les inégalités, nous devons nous assurer que tous ceux qui travaillent dur bénéficient équitablement d’une éducation, d’une formation professionnelle, de services de santé de qualité et d’un bon niveau de rémunération. ».
Cette empathie américano-européenne basée sur un socle commun a d’autant plus de valeur maintenant qu’il y a des chances que son successeur, Donald Trump, par ses outrances, par ses comportements imprévisibles, oublie le poids de l’histoire et la nécessité de "l’unité dans la diversité", qui est la devise de l’Union Européenne qu’a rappelée avec pertinence Barack Obama à la fin de son discours, prononcé deux mois avant le vote du Brexit.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (18 janvier 2017)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Obama termine européen.
Cassandre ?
Donald Trump, 45e Président des États-Unis.
La doxa contre la vérité.
Peuple et populismes.
Issue incertaine du match Hillary vs Donald.
Donald Trump, candidat en 2016.
Match Hillary vs Donald : 1 partout.
Hillary Clinton en 2016.
Hillary Clinton en 2008.
Donald Trump et Fidel Castro ?
La trumpisation de la vie politique américaine.
Mode d’emploi des élections présidentielles américaines.
Idées reçues sur les élections américaines.
Malcolm X.
Le 11 septembre 2001.
Honneur aux soldats américains en 1944.
Hommage à George Stinney.
Obama et le "shutdown".
Troy Davis.
Les 1234 exécutés aux États-Unis entre 1976 et 2010.
La peine de mort selon Barack Obama.
Barack Obama réélu en 2012.
Ronald Reagan.
Gerald Ford.
Jimmy Carter.
John Kennedy.
Al Gore.
Sarah Palin.
John MacCain.
Mario Cuomo.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20160425-obama.html
http://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/obama-termine-europeen-188640
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2017/01/18/34813432.html