« Shakespeare, c’est la fertilité, la force, l’exubérance, la mamelle gonflée, la coupe écumante, la cuve à plein bord, la sève par excès, la lave en torrent, les germes en tourbillons, la vaste pluie, tout par milliers, tout par millions. » (Victor Hugo en 1865).
Les Britanniques ont déjà célébré le grand écrivain dès le 23 avril 2016 mais en fait, c’est ce mardi 3 mai 2016 qu’aura lieu précisément le quatrième centenaire de la mort de William Shakespeare. Pourquoi cette différence ? Parce que la Grande-Bretagne était encore au calendrier julien et pas grégorien (dix jours ont été supprimés en octobre 1582 dans les pays catholiques pour réharmoniser le calendrier avec le cours des astres). Le 23 avril 1616, c’était un autre grand écrivain qui fut enterré (le lendemain de sa mort), Miguel de Cervantès (1547-1616), auteur du célèbre roman "L’Ingénieux Hidalgo Don quichotte de la Manche" (1605).
Né en avril 1564 (il n’avait que 52 ans à sa mort), Shakespeare, évidemment, est un monstre de la littérature anglaise et il serait bien prétentieux d’en faire un portrait ou une analyse rapide ici. De sa vie, d’ailleurs, il reste beaucoup de mystères, il n’y a eu par exemple quasiment aucune représentation de son visage de son vivant. En revanche, il est intéressant de se pencher furtivement sur sa tombe.
Comme il avait été un généreux donateur, Shakespeare a été enterré dans le chœur de l’église de la Sainte-Trinité à Stratford-upon-Avon, sa ville natale où il s’était retiré en 1611. Et pour éviter que ses restes fussent évacués ultérieurement, il s’était amusé à rédiger une épitaphe en utilisant la superstition des gens.
En effet, il affirmait que ceux qui toucheraient à sa tombe seraient maudits :
« Good friend, for Jesus’ sake forbear,
To dig the dust enclosed here.
Blest be the man than spares these stones,
But cursed be he that moves my bones. »
Ce n’était pas anodin car de nombreuses rumeurs ont été diffusées dont celle qui affirme qu’il y aurait des manuscrits inédits dans sa tombe. Mais personne n’a jamais osé soulever la pierre tombale pour vérifier cette rumeur et éventuellement découvrir de nouveaux écrits. Par peur de la malédiction peut-être.
Personne ?
Peut-être que si, finalement.
Car ce quatre centième anniversaire de la mort de Shakespeare a donné l’occasion à des chercheurs de Cambridge d’aller voir un peu plus précisément ce qu’il y a dans la tombe …sans rien toucher !
La radiographie de la tombe a apporté d’étonnantes conclusions.
D’une part, il n’y a aucune pièce métallique, ce qui voudrait dire que Shakespeare aurait été enterré peut-être dans un linceul mais pas dans un cercueil. D’autre part, il manque le crâne de Shakespeare. Le corps qui repose n’a pas de tête. Il y a eu des rumeurs de profanation de la tombe en 1794. Pour l’instant, la tête est introuvable …et on la retrouvera peut-être dans quelques siècles de manière très improbable, par un hasard détourné…
La paroisse refuse toujours obstinément (depuis quatre siècles) l’exhumation de Shakespeare, comme l’écrivain l’avait exprimé dans ses dernières volonté. En gros, qu’il repose en paix et qu’on le laisse reposer en paix.
Pour terminer, laissons parler un autre monument de la littérature européenne.
En avril 1865, Victor Hugo, décrivait le "colosse" anglais avec un style inimitable : « Shakespeare, c’est la fertilité, la force, l’exubérance, la mamelle gonflée, la coupe écumante, la cuve à plein bord, la sève par excès, la lave en torrent, les germes en tourbillons, la vaste pluie, tout par milliers, tout par millions, nulle réticence, nulle ligature, nulle économie, la prodigalité insensée et tranquille du créateur. À ceux qui tâtent le fond de leur proche, l’inépuisable semble en démence. A-t-il bientôt fini ? Jamais. Shakespeare est le semeur d’éblouissement. À chaque mot, l’image ; à chaque mot, le contraste ; à chaque mot, le jour et la nuit… ».
Il rajoutait encore : « Raffinement, excès d’esprit, afféterie, gongorisme, c’est tout cela qu’on a jeté à la tête de Shakespeare. On déclare que ce sont les défauts de la petitesse, et l’on se hâte de les reprocher au colosse. Mais aussi ce Shakespeare ne respecte rien, il va devant lui, il essouffle qui veut le suivre, il enjambe les convenances, il culbute Aristote ; il fait des dégâts dans le jésuitisme, dans le méthodisme, dans le purisme et dans le puritanisme ; il met Loyola en désordre et Wesley sens dessus dessous ; il est vaillant, hardi, entreprenant, militant, direct. Son écritoire fume comme un cratère. Il est toujours en travail, en fonction, en verve, en train, en marche. Il a la plume au poing, la flamme au front, la diable au corps. (…) Être fécond, c’est être agressif. ».
Encore : « Un seul n’a pas droit à tout, la virilité toujours, l’inspiration partout, autant de métaphores que la prairie, autant d’antithèses que le chêne, autant de contrastes et de profondeurs que l’univers, sans cesse la génération, l’éclosion, l’hymen, l’enfantement, l’ensemble vaste, le détail exquis et robuste, la communication vivante, la fécondation, la plénitude, la production, c’est trop ; cela viole le droit des neutres. (…) Shakespeare n’a point de réserve, de retenue, de frontière, de lacune. Ce qui lui manque, c’est le manque. Nulle caisse d’épargne. Il ne fait pas carême. Il déborde, comme la végétation, comme la germination, comme la lumière, comme la flamme. Ce qui ne l’empêche pas de s’occuper de vous (…). Vous pouvez vous chauffer les mains à son incendie. ».
C’est sûr que la rencontre de deux mastodontes ne peut faire que des étincelles éblouissantes et réchauffantes…
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (2 mai 2016)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Autre colosse de la Couronne britannique.
Victor Hugo.
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