« Il est frappant de constater l’absence de scientifiques parmi les ministres, les députés, les sénateurs, les directeurs des journaux ou des moyens audiovisuels, les membres des cabinets ministériels, les capitaines d’industrie ou les acteurs des lieux de décision. (…) Ce hiatus est dommageable pour la bonne marche de notre pays et favorise nombre d’attitudes irrationnelles. » (André Brahic, 5 juillet 2012).
Il y a trente-cinq ans, le 21 mai 1981, François Mitterrand fut officiellement investi 21e Président de la République française. L’occasion de me replonger sur quelques "mémoires"…
J’ai toujours eu beaucoup d’estime et de respect pour Jacques Attali, notamment pour le bouillonnement d’idées dont il est capable de produire, parfois très loufoques mais c’est le propre du brain storming, et aussi pour son côté un peu touche-à-tout (il a même appris à diriger des orchestres, par exemple), mais il faut bien avouer ma déception à la lecture d’un de ses très nombreux ouvrages, "C’était François Mitterrand" (publié le 2 novembre 2005 chez Fayard), au style assez laborieux et avec un manque de rigueur et de précision étonnants pour un témoignage biographique provenant d’un des technocrates les plus brillants de sa génération.
Mais ce qui prédomine, ce n’est pas la déception mais l’illustration de ce qu’avait observé à maintes reprises l’astrophysicien André Brahic, à savoir l’absence généralisée de culture scientifique chez les politiques.
Dans son livre, Jacques Attali raconte en effet qu’en décembre 1988, alors qu’il était conseiller spécial du Président de la République, son éminence grise en quelques sortes, il avait accompagné François Mitterrand à la cathédrale Sainte-Sophie de Kiev et l’avait surpris en train de prier.
Jacques Attali relate alors ce qu’il lui a affirmé pour évoquer une certaine transcendance, et en particulier cette phrase stupéfiante d’ignorance : « Pour prendre un exemple simpliste, en voyant la manière dont les ondes portent le son et l’image, on peut se demander pourquoi elles ne porteraient pas aussi une très grande intensité de pensée. ».
Je ne critique évidemment pas l’idée de porter la pensée, pourquoi pas ? C’est du domaine de la foi. Mais il ne viendrait à l’esprit d’aucun physicien ni d’aucune personne connaissant un minimum de mécanique et d’électromagnétisme, de sortir une telle ânerie. Je ne connais aucune onde capable de porter le son et l’image. Ce mélange de torchons et de serviettes est assez symptomatique de l’ignorance scientifique des dirigeants politiques.
D’un côté, le son est une onde mécanique, qui n’est que le résultat de la vibration d’un milieu, l’air la plupart du temps, ou l’eau éventuellement. De l’autre, la lumière ("l’image") est une onde électromagnétique et se propage dans le vide selon des lois optiques très particulières. Mélanger dans un même concept ces deux phénomènes est malheureusement une preuve d’ignorance dont même un lycéen devrait pouvoir se passer. On connaît les lois de l’électromagnétisme depuis au moins 1865 avec James Clerk Maxwell. Si le son était une onde électromagnétique, on résoudrait de nombreuses querelles de voisinage en éliminant facilement la pollution sonore.
Je ne veux pas pointer du doigt spécialement François Mitterrand car il ne fut pas le seul à avoir aussi peu de bagages scientifiques, ses successeurs n’en ont pas montré plus. Le débat sur l’énergie nucléaire du 2 mai 2007 entre Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal fut lui aussi très symptomatique. Le dernier successeur en date, François Hollande, a particulièrement brillé en voulant rendre hommage à l’un des meilleurs scientifiques du pays, André Brahic, découvreur de nouveaux anneaux planétaires, en confondant de planète (Saturne au lieu de Neptune).
J’ai saisi au bond cette petite anecdote racontée par Jaques Attali car je ne sais pas ce qui est le plus regrettable. Est-ce l’ignorance d’un Président de la République formé à l’ancienne, ayant suivi des études de droit et de sciences politiques, et surtout féru de littérature (cela ne l’a pas empêché de nommer quelques scientifiques dans ses gouvernements), ou le silence de son principal collaborateur, pourtant issu de Polytechnique (major !) et des Mines de Paris, en plus de l’IEP de Paris, de l’ENA et d’un doctorat d’État en sciences économiques à Paris-Dauphine, fort en thème, à prétention intellectuelle et universaliste ?
Certes, on ne doit jamais pointer du doigt l’ignorance du chef devant lui (c’est mieux pour sa carrière), mais dans son livre, aucune remarque sur cette phrase. Juste un témoignage sans vouloir commenter plus précisément cette absence de connaissance scientifique élémentaire.
Le 28 septembre 2015 sur iTélé, Jacques Attali a d’ailleurs révélé qu’il était en train de rédiger un programme présidentiel pour 2017 et n’excluait pas d’être lui-même candidat à l’élection présidentielle, même s’il n’en était pas encore là : « Si dans six mois ou un an, j’estime que personne n’a envie d’agir dans ce pays, dans l’intérêt du pays, je reconsidèrerais ma position. Je ne l’espère pas, car j’espère que des hommes ou des femmes politiques dont c’est le métier le feront, mais il est essentiel qu’en 2017, ce pays agisse, et agisse massivement dans des secteurs-clefs. ».
Et le clou final, en parlant de son avant-avant-dernier livre "Peut-on prévoir l’avenir ?" (publié le 26 août 2015 chez Fayard), l’économiste polytechnicien et ingénieur des Mines a donné toute sa mesure scientifique : « J’ai voulu faire la synthèse des différentes techniques de prévision depuis l’astrologie jusqu’aux méthodes mathématiques les plus modernes (…) avec des choses très intéressantes, en particulier les techniques tibétaines ou africaines. » (28 septembre 2015).
En résonance avec ces propos d’André Brahic : « Je recommande à mes étudiants de boycotter toutes les maisons de presse, d’édition et de moyens audiovisuels qui diffusent un horoscope, une rubrique d’astrologie ou des histoires de soucoupes volantes. (…) La République, qui consacre avec raison d’importantes sommes d’argent à l’éducation, ne devrait pas tolérer ces escroqueries. La pollution intellectuelle qu’elles engendrent est tout aussi dangereuse que les autres formes de pollution. » (Université de tous les savoirs, le 7 juillet 2000).
Bien sûr, on pourrait toujours répliquer que les dirigeants politiques ne peuvent pas tout savoir, vu l’étendue actuelle des savoirs. Mais les carences en science fondamentales sont pourtant de véritables handicaps pour la France moderne. La plupart des enjeux politiques sont avant tout des enjeux scientifiques : mutation climatique, énergie, transports, communication, sûreté de l’État, armement, biotechnologies, santé publique, sécurité sanitaire, OGM, expérimentation sur les embryons humains, etc. sont des sujets d’abord scientifiques avant d’être des sujets politiques. Avoir quelques notions de physique et de biologie paraîtrait adéquat pour qui veut prétendre diriger un grand pays. Rappelons que la Chancelière allemande Angela Merkel avait soutenu dans sa jeunesse une thèse de doctorat en physique...
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (21 mai 2016)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
André Brahic, pourfendeur de l’ignorance scientifique dans la vie politique.
François Mitterrand et la science.
François Mitterrand et la cohabitation.
François Mitterrand et l'Algérie.
François Mitterrand, l’homme du 10 mai 1981.
François Mitterrand et la peine de mort.
François Mitterrand et le Traité de Maastricht.
François Mitterrand et l’extrême droite.
François Mitterrand et l’audiovisuel public.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20160521-mitterrand.html
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