« Lorsque nous nous sentons parfois enfermés dans les divisions, les dissensions, les intrigues, nous n’avons qu’une chose à faire : monter un peu plus haut, nous élever, regarder le but. Et alors, nous verrons que nous sommes profondément d’accord. Nous ressemblons à ces voyageurs qui, dans la montagne, se voient pris dans les nuages et dans le brouillard. Eh bien, on n’a qu’une chose à faire : monter, monter plus haut, et quand on monte plus haut, on trouve l’air pur, la lumière libre et le soleil. » (Léon Blum, le 21 avril 1919). Première partie.
Il y a quatre-vingts ans, le 4 juin 1936, le leader de la SFIO Léon Blum est devenu le premier chef du gouvernement socialiste en France. Sous la IIIe République, il fut Président du Conseil du 4 juin 1936 au 22 juin 1937 puis du 13 mars 1938 au 10 avril 1938 (en cumulant avec le Ministère du Trésor), et aussi Vice-Président du Conseil du 22 juin 1937 au 18 janvier 1938 dans le troisième gouvernement de Camille Chautemps. Cet anniversaire est l’occasion de revenir sur l’homme qu’il était.
J’ai déjà évoqué les conditions de la victoire du Front populaire, le déroulement de son programme jusqu’en avril 1938, ainsi que le contexte très violent de ces élections (émeutes du 6 février 1934 et les insultes de leaders d’opinion d’extrême droite notamment ; Léon Blum a même été victime d’une tentative d’assassinat le 13 février 1936 par des membres d’Action française). La France, là encore, était divisée en deux. Mais devait-elle encore dépenser de l’énergie pour se diviser alors que toute la vie internationale fonçait droit vers la Seconde Guerre mondiale ?
Avant de diriger le gouvernement à la suite de la victoire de la SFIO à ces élections, Léon Blum a fait un voyage "triomphal" aux États-Unis
Un programme très dense
En dix semaines, Léon Blum fit adopter par les parlementaires de nombreux projets : « l’amnistie ; la semaine de quarante heures ; les contrats collectifs ; les congés payés ; un plan de grands travaux, c’est-à-dire d’outillage économique, d’équipement sanitaire, scientifique, sportif et touristique ; la nationalisation de la fabrication des armes de guerre ; l’office du blé qui servira d’exemple pour la revalorisation des autres denrées agricoles, comme le vin, la viande et le lait ; la prolongation de la scolarité ; une réforme du statut de la Banque de France, garantissant dans sa gestion la prépondérance des intérêts nationaux ; une première révision des décrets-lois en faveur des catégories les plus sévèrement atteintes des agents des services publics et des services concédés, ainsi que des anciens combattants ».
Puis une seconde série : « le fonds national de chômage, l’assurance contre les calamités agricoles, l’aménagement des dettes agricoles, un régime de retraites garantissant contre la misère des vieux travailleurs des villes et des campagnes, (…) un large système de simplification et de détente fiscale, soulageant la production et le commerce, ne demandant de nouvelles ressources qu’à la contribution de la richesse acquise, à la répression de la fraude, et surtout, à la reprise de l’activité générale » (discours du 6 juin 1936).
Mais sans avoir tenu compte du contexte économique et financier
La confiance économique ne fut pas au rendez-vous. Au grand dam des communistes, Léon Blum préconisa alors une pause dans ses réformes pour réduire la fuite des capitaux (l’observateur attentif de la vie de la Ve République se rappelle la demande parallèle d’une pause formulée par le Ministre de l’Économie et des Finances Jacques Delors le 29 novembre 1981 sur RTL, six mois après l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand et de ses gouvernements socialo-communistes).
Ce fut l’annonce d’un crédit de 14 milliards de francs pour renforcer la défense nationale qui engendra le 1er octobre 1936 une dévaluation du franc. Léon Blum a alors demandé les plein pouvoirs aux parlementaires mais les sénateurs ont voulu les lui refuser, ce qui a abouti à sa démission le 21 juin 1937 (avant le vote des sénateurs).
Son deuxième gouvernement n’a pas duré longtemps. Il avait voulu constituer, le 13 mars 1938, un gouvernement d’unité nationale « de Thorez à Paul Reynaud » mais n’y parvint pas. Il voulait les plein pouvoirs pour préparer l’effort de guerre qui était imminente mais le Sénat le renversa le 8 avril 1938. Léon Blum a été choqué par l’Anschluss (l’invasion de l’Autriche par l’Allemagne hitlérienne) et a rassuré la Tchécoslovaquie du soutien de la France. En octobre 1938, les socialistes finalement ont approuvé les accords de Munich, contre lesquels s’était opposé Léon Blum « partagé entre un lâche soulagement et la honte » ("Le Populaire").
Quelques années avant la guerre
On pourrait bien sûr rappeler que pendant que Léon Blum apportait des congés payés aux travailleurs, Adolf Hitler préparait l’Allemagne à la guerre totale. C’est sûr que l’absence de préparation de la France à un conflit armé contre une Allemagne qu’elle n’avait pas cessé d’humilier avec le Traité de Versailles (le contraire du Traité de Vienne un siècle plus tôt, avec la France, dans la position de l’Allemagne, qui pouvait sauver la face), avec une Ligne Maginot particulièrement naïve, a renforcé la situation d’échec de la première "expérience" socialiste.
Pourtant, l’impréparation de la France était plutôt due aux radicaux qui contrôlaient les gouvernements depuis 1932, et même après 1936 malgré l’arrivée des socialistes au pouvoir, puisque ce sont eux, finalement, qui imposèrent aux socialistes leurs conditions, qui refusèrent le droit de vote aux femmes, qui interdirent à Léon Blum de faire intervenir l’armée française aux côtés des républicains espagnols, et finalement, qui ont clos le Front populaire le 10 avril 1938 en revenant à une alliance plus traditionnelle avec les républicains modérés et les centristes.
On pourrait aussi remarquer que la guerre est passée alors que les "acquis sociaux" sont encore en application de nos jours, quatre-vingts ans après.
Un homme respecté
Indépendamment de son esprit pourtant partisan, il avait une vraie vision de l’intérêt général, qui en fit un homme d’État dont la République s’est servi pour démarrer la IVe République. Parce qu’il avait été l’un des rares à avoir voulu le 10 juin 1940 transférer le siège du gouvernement en Afrique du Nord, à ne pas avoir voté les plein pouvoirs à Philippe Pétain le 10 juillet 1940 et à s’être opposé sans ambiguïté au régime de Vichy, ce qui lui a valu sa déportation à Buchenwald à partir du 31 mars 1943 (libéré par les Américains le 4 mai 1945), Léon Blum est devenu une personnalité très respectée.
De Gaulle, qui lui proposa (en vain) un ministère d’État, le considérait comme un homme très estimable, et c’était bien normal puisque Léon Blum avait reconnu en lui le chef de la France Libre : « Parce le premier vous avez incarné l’esprit de résistance, que vous l’avez communiqué au pays et que vous continuez de le personnifier, nous avons, dès la première heure, reconnu en vous le chef de la bataille qui se joue actuellement et nous n’avons rien négligé pour valider et consolider votre autorité. » (lettre de Léon Blum à De Gaulle en mars 1943).
Ce fut pour cette raison qu’il fut désigné (et investi par 575 voix sur 583) dernier Président du Gouvernement provisoire de la République française du 16 décembre 1946 au 22 janvier 1947 (le premier fut Charles De Gaulle) avant que son ancien Ministre des Finances, Vincent Auriol, fût élu Président de la République.
Dans le prochain article, j’évoquerai Léon Blum homme de lettres et tribun.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (03 juin 2016)
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Pour aller plus loin :
François Hollande quatre-vingts ans après.
Daniel Mayer.
Gaston Defferre.
Charles De Gaulle.
Joseph Caillaux.
Aristide Briand.
Pierre Laval.
Guy Mollet.
André Gide.
La Première Guerre mondiale.
Sarajevo.
Le Front populaire.
Léon Blum.
Jean Jaurès.
Pierre Mendès France.
Jean Zay.
John Maynard Keynes.
Le colonel de La Rocque.
Charles Péguy.
Ce qu’est le patriotisme.
Louis-Ferdinand Céline.
Philippe Pétain.
Pierre Laval.
L'Allemagne en 1933.
L'Espagne en 1936.
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