« Traversée de références multiples qui se coagulent en des complexes sonores d’une profonde originalité, l’œuvre de György Ligeti résonne d’une présence mystérieuse doublée d’une étonnante et permanente mise en question du sens. Des prismes musicaux répétitifs et déformants (…) jusqu’aux œuvres les plus récentes marquées par le sceau de multiples lamentations stylisées, en passant par le recours à l’absurde et l’ironie distanciée (…) se dessinent les arcanes d’une pensée à l’œuvre qui déborde les œuvres (…), le "travail du négatif". » (Joseph Delaplace, "Filigrane", mai 2011).
Le compositeur György Ligeti est mort il y a maintenant dix ans, le 12 juin 2006 à Vienne.
Né en Transylvanie (à Tarnaveni maintenant) le 28 mai 1923, György Ligeti était ce qu’on pourrait appeler un enfant de l’Europe centrale sans arrêt exilé ou réfugié par les différentes scories de l’histoire du monde, en particulier le nazisme et le communisme.
Il fut en effet hongrois mais la Hongrie fut dépecée par le Traité de Trianon signé le 4 juin 1920 à Versailles, perdant les deux tiers de son territoire, après le démantèlement de l’empire d’Autriche-Hongrie décidé par le Traité de Saint-Germain-en-Laye signé le 10 septembre 1919. Donc, en fait, il s’était retrouvé roumain à la naissance.
Mais en 1940, l’armée hongroise avait réoccupé le nord de la Transylvanie et ce pendant toute la guerre. Hitler a ensuite envahi la Hongrie le 19 mars 1944 pour affronter les troupes soviétiques.
György Ligeti, qui étudiait depuis 1929 à Cluj (en Transylvanie), a dû alors fuir en 1943 la Transylvanie à cause de l’antisémitisme du régime de l’amiral Miklos Horthy, régent de Hongrie du 1er mars 1920 au 16 octobre 1944 puis la répression antisémite encore plus dure du Parti des croix fléchées, hitlérien, dirigé par Ferenc Szalasi, au pouvoir à Budapest après l’éviction de Miklos Horthy par Hitler (le lendemain du début de l’invasion des troupes soviétiques en Hongrie), jusqu’à la prise de Budapest par l’Armée rouge le 28 mars 1945. Quasiment toute la famille de György Ligeti fut déportée et exterminée sur ordre d’Adolf Eichmann qui envoya 450 000 Juifs hongrois dans les chambres à gaz.
Après la guerre, György Ligeti poursuivit ses études musicales à Budapest, à l’Académie Franz Liszt, mais l’échec de l’insurrection de Budapest en 1956 l’a conduit une nouvelle fois à s’exiler comme des centaines de milliers de Hongrois. Il s’installa à Vienne, en Autriche, pour fuir le communisme. Il découvrit alors Karlheinz Stockhausen (1928-2007) qui le recruta à Cologne. Ce fut dans cette ville rhénane qu’il fit la connaissance du compositeur Pierre Boulez (1925-2016), et de Mauricio Kagel (1931-2008) et Luciano Berio (1925-2003), pionniers de la musique électroacoustique.
Ligeti est devenu citoyen autrichien en 1968 et enseigna ensuite la musique à Darmstadt, à Stockholm et enfin, à Hambourg où il fut nommé à la chaire de composition en 1973. Il prit sa retraite d’enseignant en 1989 mais continua de composer. Il s’est éteint le 12 Juin 2006 à Vienne où il est enterré dans un secteur du cimetière réservé aux musiciens.
L’œuvre de György Ligeti est très diverse et il est difficile en quelques lignes de l’analyser. Ceux qui voudraient en savoir plus pourraient lire trois analyses à télécharger ici. Je propose plutôt d’écouter une sélection de morceaux choisis, ce que peut heureusement permettre Internet.
György Ligeti a inspiré beaucoup de compositeurs. Je n’en citerai qu’une seule car j’ai eu la chance d’écouter quelques-unes de ses œuvres très originales en octobre dernier, la Coréenne Unsuk Chin qui vit à Berlin (grande ville culturelle) depuis 1988 après avoir étudié la musique trois ans à Hambourg auprès de Ligeti. Elle aurait préféré être l’élève de Stockhausen mais il n’enseignait pas. Ligeti était du genre exigeant et réservé et Unsuk Chin n’a pas vraiment reçu beaucoup d’encouragement dans ses compositions (que je recommande d’écouter). Mais un jour, Ligeti lui a dit à voix basse qu’elle ignorait elle-même le niveau de son grand talent pour la composition. Il faut dire aussi qu’Unsuk Chin a une méthode de travail très différente de son maître : elle pond d’un coup un morceau seulement après avoir longtemps cogiter, triturer, maturer dans sa tête. Tandis que Ligeti, très rigoureux et perfectionniste, n’avait pas peur de la page blanche et rajoutait sans arrêt des modifications, des corrections à ses compositions, un peu comme Henri Dutilleux.
Ligeti a aussi inspiré des chorégraphies, comme celle du Ballet de Lorraine qui a fait des représentations sur la base de la musique de Ligeti il y a une dizaine d’années. Et il a collaboré aussi avec quelques réalisateurs de film, dont le principal est très connu…
1. Lux Aeterna
C’est une pièce micropolyphonique pour chœur à seize voix mixtes a cappella qui fut utilisée dans la bande originale du film de Stanley Kubrick "2001, Odyssée de l’Espace", la scène où les astronautes découvrent le monolithe. Elle fut créée le 2 novembre 1966 à Stuttgart par la Schola Cantorum Stuttgart sous la direction de Clytus Gottwald.
2. Musica Ricercata
C’est un ensemble de onze mouvements composés à Budapest entre 1951 et 1953 et qui a été créé le 18 novembre 1969 à Sundsvall, en Suède, par la pianiste finlandaise Liisa Pohjola.
Interprétation avec Nare Karoyan au piano en 2011 à Karsruhe.
3. Poème symphonique des 100 métronomes
Œuvre assez insolite. Ligeti a utilisé 100 métronomes qu’il a réglés différemment pour faire une vingtaine de minutes de musique assez spéciale. Le poème fut créé le 13 septembre 1963 à Hilversum, aux Pays-Bas, sous sa propre direction. Son exécution déclencha un scandale de la part du public choqué, et le maire de la ville refusa sa diffusion à la télévision.
4. Le Grand Macabre
L’unique opéra de Ligeti, inspiré du théâtre de l’absurde, est divisé en deux actes et quatre scènes. Il est considéré comme l’une des œuvre-phare du XXe siècle : « Une fin du monde qui n’a pas lieu avec pour héros la Mort, laquelle n’est peut-être qu’un pauvre charlatan, le monde fichu et cependant prospère, ivre et paillard du pays imaginaire de Breughellande. ».
Adaptée d’une pièce de l’écrivain belge surréaliste Michel de Ghelderode (1898-1962), l’œuvre met en scène notamment Spermando (mezzo-soprano) amoureux de Clitoria (soprano), ainsi que le pervers grand macabre Nekrotzar (baryton-basse).
L’opéra a été créé le 12 avril 1978 à Stockholm dans sa version suédoise et le 23 mars 1981 sous la direction d’Elgar Howarth dans sa version française. Des versions anglaise, italienne, danoise et hongroise ont également été écrites. Ligeti en a fait une nouvelle version en anglais qui fut créée le 28 juillet 1997 au Festival de Salzbourg sous la direction de Peter Sellars mais qui n’a pas plus à Ligeti car la version fut trop associée à la catastrophe de Tchernobyl : « L’œuvre est transformée en une pièce comportant une morale profonde de mouvement antinucléaire. (…) C’est une transformation du contenu de la pièce. ».
Interprétation du 19 novembre 2011 au Gran Teatre del Liceu, à Barcelone.
5. Concerto pour violon et orchestre
Le concerto pour violon a été composé entre 1989 et 1993 et sa (première) création a eu lieu le 3 novembre 1990 à Cologne. La dernière version fut créée le 9 juin 1993 par le violoniste allemand Saschko Gawriloff, sous la direction de Pierre Boulez avec l’Ensemble Intercontemporain.
Interprétation sous la direction de Sir Simon Rattle avec Franck Peter Zimmermann au violon, le 19 avril 2009 à Vienne.
6. Concerto de chambre
Ligeti le définissait ainsi : « Une combinaison d’intervalles clairement audible s’efface peu à peu, et à partir de ce brouillage, une combinaison d’intervalles se cristallise. ». Le concerto de chambre a été créé le 1er octobre 1970 sous la direction de Friedrich Cerha.
Interprétation sous la direction de Pierre Boulez et son Ensemble Intercontemporain.
Interprétation sous la direction de Tito Ceccherini et de l’Ensemble Intercontemporain, le 16 janvier 2015 à Paris.
7. Quatuor à cordes n°1 : Métamorphoses nocturnes
Composé en 1954 peu avant son départ de Budapest, ce premier quatuor fut inspiré de Bartok. Ligeti expliquait ce quatuor ainsi : « Le premier mot se réfère à la forme. Il s’agit d’une sorte de variation, seulement, il n’y a pas de thème, mais une pensée musicale qui apparaît sans cesse sous de nouvelles formes. ». Il fut créé le 8 mai 1958 par le quatuor Ramor.
Interprétation par le Keller Quartet le 27 juin 2010 au Festival Cully Classique, en Suisse.
8. Quatuor à cordes n°2
Ce second quatuor a été créé le 14 décembre 1969 à Baden-Baden par le quatuor américain LaSalle.
Interprétation par le Arditi Quartet.
9. Requiem
Inclus lui aussi dans la bande sonore du film "2001, Odyssée de l’Espace", le Requiem a été créé le 14 mars 1965 à Stockholm avec Liliana Poli (soprano) et Barbro Ricson (mezzo-soprano).
10. Atmosphères
Utilisée aussi dans la bande originale de "2001, Odyssée de l’Espace", la pièce micropolyphonique fut créée le 22 octobre 1961 par l’Orchestre symphonique de la radio allemande Südwestfunk (SWF) sous la direction de Hans Rosbaud au Donauschingen Festival.
Interprétation sous la direction de Claudio Abbado avec l’Orchestre Philharmonique de Vienne.
« La question de savoir si quelqu'un a besoin de ce que je fais est secondaire. »
(Ligeti)
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (11 juin 2016)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
György Ligeti.
Documents pour comprendre la musique de Györgi Ligeti (à télécharger).
Yehudi Menuhin.
Albert Einstein.
Les 90 ans de Pierre Boulez.
Une exposition sur Pierre Boulez.
Jean Sibelius.
Armide.
Pierre Boulez.
Henri Dutilleux.
Pierre Henry.
Myung-Whun Chung.
L’horreur musicale en Corée du Nord.
Mikko Franck.
Le Philharmonique fait l’événement politique.
Concert du 14 juillet 2014.
Le feu d’artifice du 14 juillet 2014.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20160612-gyorgy-ligeti.html
http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/gyorgy-ligeti-le-musicien-de-l-181805
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2016/06/11/33911523.html
commenter cet article …