« La fatigue qu’on ressent dans le pays, son angoisse, elle se nourrit justement de ce manque de lucidité, de celles et ceux qui veulent installer l’idée qu’on pourrait continuer comme avant. Parce que quand on ne regarde pas le monde tel qu’il va, ses risques, ses changements, on ne peut plus porter une vision nouvelle, proposer un projet et une action utile. La réponse, ce n’est pas de l’agitation, ce n’est pas de participer à un grand cirque, c’est de refonder une action qui ne peut s’appuyer que sur un constat lucide, établi. » (Emmanuel Macron, le 12 juillet 2016 à la Mutualité de Paris).
L’ancien Ministre de l’Économie Emmanuel Macron a été le premier invité de la nouvelle émission politique "Questions politiques" animée par Nicolas Demorand et diffusée le dimanche 4 septembre 2016 de 12 heures 30 à 14 heures en direct sur la nouvelle chaîne d’information continue France Info (canal 27) ainsi que sur France Inter.
Toutes les grosses pointures de la politique invitées s’étaient prudemment récusées, refusant d’essuyer les plâtres d’une nouvelle émission. Emmanuel Macron, moins professionnel de la politique, a en revanche accepté, à ses risques et périls. Car les quatre journalistes qui l’ont interrogé n’étaient pas tendres avec lui. Il faut dire que les journalistes à la télévision jouent leur réputation et veulent éviter toute allégeance trop visible avec leurs invités politiques.
Un petit mot sur l’émission elle-même : produite par la radio France Inter, elle n’est pas formatée pour la télévision. L’apparence de studio de radio, l’absence ou la rareté d’éléments visuels (car il fallait que ce soit compréhensible aussi à la radio), l’absence de citations sonores ou visuelles, ont rendu l’émission assez ennuyeuse aux téléspectateurs qui ne seraient pas passionnés par la politique politicienne. De plus, des décors peu pertinents ont rendu l’image peu agréable, comme ces colonnes verticales qui cassent complètement les personnages (pourtant, l’un des conseils les plus basiques de photographie, c’est justement d’éviter les grandes barres verticales).
Revenons sur Emmanuel Macron qui est désormais hors du navire de Bercy et seul à bord de sa petite embarcation "En Marche". Certes, il n’a cessé de répéter que son mouvement a conquis 75 000 adhérents, mais il faut rappeler que leur adhésion était gratuite (c’est sans précédent pour un parti politique et un peu facile) et aussi (et je regrette que les journalistes présents ne l’ont pas rappelé), ces nombreuses adhésions, aussi sincères soient-elles, ne sont rien, absolument rien, dans le jeu politique et électoral. Il suffit de se rappeler que le MoDem, durant l’année 2007, juste après les près de 7 millions de voix du candidat François Bayrou le 22 avril 2007, avait atteint la barre des 100 000 adhésions (payantes, elles !) grâce à la magie d’Internet (et de son paiement en ligne) mais cela n’était pas allé très loin (François Bayrou avait même reculé en 2012).
Dans cette émission, Emmanuel Macron est resté sur le mode défensif, toujours à se justifier, à cause des questions assez perspicaces de ses interlocuteurs. Résultat, l’un de ses atouts, sa sympathie, n’est pas apparu durant ce dialogue souvent interrompu par des journalistes plus soucieux de poser leurs questions que d’écouter les réponses.
Il y a une certaine naïveté, une certaine candeur, c’est d’ailleurs ce qui fait son charme, dans la démarche d’Emmanuel Macron. Certes, il est du sérail. Tout le monde le sait et lui ne s’en cache pas. Il est du sérail et réagit parfois de la même manière que les autres, par des pirouettes, par des réponses évasives. Par ailleurs, sa jeunesse n’est pas en elle-même un argument. À son âge, Laurent Fabius était déjà Premier Ministre !
Un auditeur lui a posé une question tellement "vache" que Nicolas Demorand s’en voulait de ne pas l’avoir posée : dans un an, où sera-t-il ? à l’Élysée, à la direction d’une banque d’affaires, à la tête d’un think tank, ou …à la rédaction du magazine "Closer" ? Cela en référence aux unes qu’il fait régulièrement dans les magazines people. Emmanuel Macron le regrette lui-même, mais n’a rien fait pour l’éviter. C’est ce discours paradoxal qui est le plus critiquable chez Emmanuel Macron, au même titre que son mouvement est ni à droite ni à gauche mais lui serait de gauche. Je suis énarque, mais je suis contre le système, etc.
La question principale des journalistes était : sera-t-il candidat ou pas à l’élection présidentielle de 2017 ? Il a eu beau affirmer qu’il ne veut pas de démarche personnelle mais seulement collective, la réalité institutionnelle, c’est que cette question est l’essentiel de son existence politique. S’il n’était pas candidat, à huit mois de l’échéance, pourquoi serait-il invité dans une grande émission politique alors qu’il y a pléthore de (plus ou moins) vrais candidats ? À quel titre ?
Or, Emmanuel Macron est resté dans le flou concernant ses intentions. Pourtant, il n’y a aucune donnée supplémentaire à attendre pour prendre sa décision. Il n’a pas d’argent (il est certes soutenu par quelques richissimes mécènes, mais leur don reste strictement limité par la loi, et n’ayant aucun élu, son mouvement n’a droit à aucun financement public). Il n’a pas beaucoup de soutiens politiques à part quelques élus socialistes en rupture de hollando-libéralisme, et personne d’autres sauf… les dirigeants de l’UDI qui seraient prêts à conclure un accord politique avec lui.
On imagine ainsi très mal qu’il soit capable d’éviter tous les pièges basiques de la politique en général. Il a raison lorsqu’il dit qu’il n’a pas besoin d’être conseiller départemental, d’être maire, d’être conseiller régional, pour être capable de gouverner le pays. Mais il n’a pas compris non plus qu’en menant une campagne locale, il aurait fait ses premières armes électorales, qu’il aurait acquis quelques règles de campagne qu’on ne peut apprendre que par l’expérience.
Autant les vieux crocodiles très expérimentés ont intérêt à se déclarer candidats le plus tard possible (comme François Hollande), autant ceux qui ont tout à prouver doivent se déclarer le plus tôt possible. Chaque jour qui passe sans annoncer sa candidature réduit sa crédibilité politique.
Sur le fond, Emmanuel Macron a pourtant beaucoup à apporter au débat public. S’il a reconnu qu’il n’avait pas beaucoup travaillé sur les questions internationales, il a une vision de l’économie assez intéressante car elle est sincère et franche.
Il a considéré que le modèle social français devait être adapté aux exigences des temps actuels. On ne peut pas s’opposer à la mondialisation mais on peut s’y adapter. L’idée n’est pas de soutenir de manière très coûteuse et inefficace des activités qui ne pourraient jamais se redresser mais d’investir massivement dans de nouvelles activités, dans la formation continue pour que ceux qui doivent quitter une activité non pérenne, puissent évoluer, changer de compétences. Il a expliqué que si le modèle actuel protégeait effectivement les salariés en CDI, il y en aurait de moins en moins et il fallait aussi protéger les autres, les demandeurs d’emploi, les auto-entrepreneurs etc.
Sur la laïcité aussi, Emmanuel Macron a montré une vision assez réfléchie. Il défend la laïcité dans l’esprit de la loi du 9 décembre 1905, à savoir que chaque religion pratique en liberté son culte. Il a apporté son soutien aux maires qui avaient pris un arrêté d’interdiction du burkini sur les plages, mais il refuse l’interdiction du voile à l’université pour une raison simple : à l’université, les étudiants ont déjà un esprit suffisamment construit pour ne pas être influencés par les autres, au contraire de l’école où l’esprit est en plein apprentissage. De même, il était favorable aux menus de substitution pour les cantines scolaires car sans cela, le communautarisme se renforcerait (les enfants seraient retirés de ces écoles pour suivre les cours dans des écoles musulmanes). L’élément majeur de la laïcité selon Emmanuel Macron, c’est de savoir si la personne croyante fait passer ou pas les lois de la République avant les lois de sa religion.
Sur la dépénalisation du cannabis, en revanche, Emmanuel Macron n’a pas été très convaincant et n’a pas montré un souci très affirmé de santé publique.
Emmanuel Macron a aussi critiqué fortement le PS en disant que ce parti rassemblait des élus qui n’étaient en accord sur rien, sur la construction européenne, sur la politique économique, sur la sécurité etc. Il a revendiqué deux filiations, Pierre Mendès France et Michel Rocard, mais a récusé celle de Manuel Valls, car ce dernier fait une carrière au sein d’un appareil politique et n’a donc plus sa liberté de penser.
Il a aussi critiqué François Hollande en disant : « On a fait beaucoup de choses à moitié ! ». Il n’a pas oublié Nicolas Sarkozy pour faire bonne mesure (qui « exprime la brutalité sociale, le cynisme »).
Emmanuel Macron a également pointé du doigt une contradiction qui veut que la France soit un peuple qui aime le plus la politique et dont la classe politique est la moins appréciée. Il la résout en proposant que ce n’est pas le peuple qui a perdu confiance en sa classe politique mais l’inverse, ce seraient plutôt les "hommes politiques" (selon l’expérience d’Emmanuel Macron, en oubliant les femmes ?) qui n’auraient plus confiance au peuple.
Si Emmanuel Macron reste seul dans sa démarche, seul avec son agence de communication et ses 75 000 adhérents, on peut assez facilement prédire un rapide essoufflement dans la course éventuelle à l’Élysée (les apparatchiks du PS tablent sur l’oubli après sa démission).
En revanche, s’il était vraiment motivé pour porter sur la scène présidentielle ses convictions, il aurait intérêt à se "professionnaliser", et cela passerait avant tout par des accords avec des personnes ou des mouvements qui lui seraient proches et qu’il prétend vouloir rassembler au-delà de sa personne. Sans rassemblement avant l’élection, son crédit à rassembler après l’élection serait en effet très faible. Comme l’a expérimenté François Bayrou.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (05 septembre 2016)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Une colombe dans un nid de crocodiles.
Hollande démacronisé.
François Hollande.
Michel Rocard.
Populismes.
Mystère ou Mirage Macron ?
Discours d’Emmanuel Macron le 8 mai 2016 à Orléans (à télécharger).
La vivante énigme d’Emmanuel Macron.
Le saut de l'ange.
La Charte de En Marche (à télécharger).
Emmanuel Macron à "Des paroles et des actes" (12 mars 2015).
La loi Macron.
Manuel Valls.
Alain Juppé.
François Bayrou.
Le Centre aujourd’hui.
Casser le clivage gauche/droite.
Paul Ricœur.
La France est-elle un pays libéral ?
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20160904-macron-G.html
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/macron-une-colombe-dans-un-nid-de-184338
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2016/09/06/34282626.html
commenter cet article …