« Bayrou ? Mais on a intérêt à ce que Bayrou soit candidat ! Regardez les chiffres : au deuxième tour, le tiers de ses électeurs votent pour moi. Et au premier ? Au premier tour, il prend à la gauche ! C’est simple, Bayrou, c’est le Taubira de Hollande ! » (Nicolas Sarkozy, le 4 novembre 2015).
La campagne de Nicolas Sarkozy s’enfonce. À Neuilly-sur-Seine dont il fut le maire pendant deux décennies, le 7 novembre 2016, il a déclaré : « Si, à la cantine, il y a jambon-frites et que le petit ne mange pas de jambon, il prendra une double ration de frites ! ». Une obsession, une fixation sur l’islam, qu’il semble découvrir.
Comme si un candidat à l’élection présidentielle considérait qu’il n’y avait pas de problème plus important, plus urgent, que de gérer une cantine scolaire ! Un homme qui se targue de vouloir libéraliser l’économie nationale et qui veut dicter jusque dans les assiettes des enfants ce qu’ils mangeraient ? C’est pire que de la planification soviétique ! Au point que le lendemain, même l’adepte du pain au chocolat s’est dit « consterné » par de telles déclarations.
Depuis quelques semaines, la chasse aux centristes est ouverte ! Elle a été ouverte par Nicolas Sarkozy, candidat à la primaire LR, qui compte bien capitaliser sur la haine de François Bayrou provenant des sympathisants de "Les Républicains". Il suffit de prononcer son nom dans une salle pour obtenir mécaniquement des sifflets et des huées.
La raison ? Au-delà d’une détestation réciproque qui date de plus de vingt-cinq ans, il y a ce crime de lèse-majesté d’avoir cru à un gouvernement socialo-centriste avec François Hollande, ancien proche de Jacques Delors. Il avait déjà laissé passer l’occasion en décembre 1994. Du coup, François Bayrou a annoncé qu’il voterait pour François Hollande au second tour de l’élection présidentielle de 2012.
François Bayrou a eu tort et l’a dit très rapidement. François Hollande, loin de se chercher une majorité pour son social-libéralisme, est resté arc-bouté dans une vision très passéiste du paysage politique en refusant toute alliance avec François Bayrou et en croyant encore à l’anachronique "union de la gauche". Résultat, les éléments centristes de sa majorité se sont esquivés (le dernier en date est Emmanuel Macron) mais également les éléments un peu plus à gauche (Arnaud Montebourg, Benoît Hamon, qui furent tous les deux ministres pendant quand même deux ans et demi et qui ne sont d’ailleurs pas partis d’eux-mêmes).
François Bayrou a eu tort et s’en est rendu compte très vite, dès lors que François Hollande a usé d’un langage à gauche sans forcément agir à gauche. La posture a parfois plus d’importance que les actes, en politique. Aux élections législatives de juin 2012, le PS et l’UMP s’étaient même ligués contre lui pour le faire échouer dans sa réélection. Ingratitude de François Hollande. Et colère de Nicolas Sarkozy.
Le leader centriste a fait amende honorable depuis plusieurs années, notamment en acceptant le 5 novembre 2013 une alliance avec l’UDI fondée par Jean-Louis Borloo et un retour à des majorités classiques UMP-UDI-MoDem dans les municipalités, conseils départementaux et conseils régionaux. Valérie Pécresse sait par exemple qu’elle n’aurait jamais été élue présidente du conseil régional de l’Île-de-France sans l’appui de ses alliés centristes.
À l’époque des élections régionales de décembre 2015, des militants LR ont même reproché au président de LR des négociations un peu trop favorables aux centristes sur les listes d’union dès le premier tour. Notons d’ailleurs que même Laurent Wauquiez, l’actuel président par intérim de LR, a eu besoin de l’appui du MoDem pour conquérir la présidence du conseil régional de Rhône-Alpes-Auvergne.
L’équipe de Nicolas Sarkozy a senti que sa campagne, jusqu’à maintenant enlisée, pouvait avantageusement évoluer en tirant sans sommation sur les centristes. C’est assez stupide d’un point de vue électoral car dans tous les cas, il faudra bien rassembler "la droite et le centre" pour faire face aux candidats de l’élection présidentielle de 2017, tant à l’extrême droite qu’à gauche. Mais cela a un but, galvaniser les militants LR. Le sujet lui-même a pris un quart d’heure du deuxième débat télévisé.
C’est stupide aussi intellectuellement. Nicolas Sarkozy reproche à la primaire LR d’être dénaturée si des électeurs du centre venaient en masse. Et même de gauche. D’une part, il est le premier à savoir que "masse" et "électeurs centristes" sont plutôt contradictoires (!) et d’autre part, il est mauvais joueur car l’appellation de cette primaire est justement "primaire de la droite et du centre".
Par ailleurs, le principe d’une primaire ouverte, c’est justement que tout le monde, inscrit sur les listes électorales, peut participer au vote. La pièce de 2 euros et la signature d’une chartre très vague sur les valeurs laissent une latitude très large à ceux qui voudraient y participer sans être forcément très proche de LR.
D’ailleurs, ce reproche (qui est stupide dans le cadre d’une primaire ouverte) pourrait être fait également à des sympathisants de l’extrême droite qui pourraient être séduits justement par les thèmes identitaires de Nicolas Sarkozy : les études d’opinion, justement, ont évalué que l’apport de ces électeurs d’extrême droite est de même importance que celui des électeurs du centre voire de gauche.
Enfin, l’argument imparable de Nathalie Kosciusko-Morizet (NKM) détruit complètement l’intérêt des attaques sarkozystes : si seuls ses électeurs de 2012 pouvaient voter, alors ce serait s’assurer un nouvel échec en 2017, puisqu’en 2012, il n’y en a pas eu assez ! Les partisans tant d’Alain Juppé que de NKM ont ainsi trouvé la formule : ils appellent les électeurs déçus par François Hollande à venir les rejoindre.
En outre, croire que les électeurs sont définitivement de droite, du centre, de gauche, ou d’un extrême, c’est croire à une société statique, figée, et surtout, à un électorat fidèle. Or, depuis trente ans, la moindre chose qu’on peut observer, c’est qu’il n’y a plus fidélité électorale. C’est fini qu’un communiste vote communiste de l’âge de ses 20 ans jusqu’à sa mort. Les électeurs sont plus adeptes du zapping, picorent à droite ou à gauche, font leur marché, selon les personnalités et les projets, et multiplient les alternances. À part juin 2007, il n’y a pas eu plus d’une seule majorité parlementaire sortante reconduite depuis 1978 !
Ces fluctuations, François Bayrou en a même été une victime puisqu’il est passé de 18,6% des voix (6,8 millions d’électeurs) en 2007 à seulement 9,1% des voix (3,3 millions d’électeurs) en 2012. Les évolutions de la pyramide des âges ne suffisent pas à expliquer cette déperdition des voix. Que sont devenues les voix 3,5 millions de voix centristes de 2007 ? Sont-elles devenues "de gauche", "de droite", ou encore "d’un extrême" ?
Le pire, c’est qu’au même moment où il a sorti sa kalachnikov verbale contre François Bayrou, il a déclaré sur BFM-TV chez Jean-Jacques Bourdin, le 27 octobre 2016, qu’il voterait pour François Hollande en cas de duel face à Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle. Une position que ni François Fillon ni Alain Juppé n’ont jugé utile de prendre, considérant que le cas était hautement improbable.
Atteint par les sentiments, François Bayrou s’est senti obligé de dégainer à son tour, par une longue tribune très antisarkozyste publiée le 29 octobre 2016 sur sa page Facebook.
Le petit jeu très irresponsable de Nicolas Sarkozy a pourtant des résultats à court terme. Dans le sondage IFOP-Fiducial pour "Paris-Match" et Sud Radio, publié le 8 novembre 2016, François Bayrou est en chute de 5% et passe dans le "tableau de bord" de la deuxième à la quatrième place (François Fillon et Jean-Pierre Raffarin l’ont doublé).
Alain Juppé, en revanche, a préféré calmer le jeu et a prouvé avec Valérie Pécresse, mais aussi Laurent Wauquiez, qu’une région peut être administrée par une alliance LR et centristes sans infléchir le programme politique.
Dernière absurdité proférée par l’équipe de Nicola Sarkozy, c’est que François Bayrou serait obligé de soutenir le candidat issu de la primaire LR même si ce n’était pas Alain Juppé. Pour Nicolas Sarkozy, c’est donc se dire que François Bayrou est lui-même candidat à la primaire LR puisque ce sont seulement les candidats à la primaire LR qui ont pris cet engagement de soutenir quoi qu’il se passe le candidat qui en sortirait.
En effet, il est impossible d’imposer aux électeurs eux-mêmes de la primaire ouverte de voter ensuite à l’élection présidentielle pour ce candidat car il serait impossible de le contrôler et cela irait à l’encontre du principe démocratique de vote libre, sincère et secret. De plus, François Bayrou a lui-même affirmé qu’il ne voterait pas lui-même lors de la primaire LR mais qu’il soutiendrait la candidature d’Alain Juppé si d’aventure elle se dégageait.
En pilonnant François Bayrou qui n’est candidat à rien pour l’instant, Nicolas Sarkozy se trompe à l’évidence de cible…
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (16 novembre 2016)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Nicolas Sarkozy et la chasse aux centristes.
François Bayrou, l’invité de la primaire LR 2016.
Nicolas Sarkozy, star de "L’émission politique".
Nicolas en Sarkini.
Une combativité intacte.
Discours du 30 mai 2015 à la Villette.
Les 60 ans de Nicolas Sarkozy.
Je suis Charlie.
Mathématiques militantes.
Le nouveau paradigme.
Le retour.
Bilan du quinquennat.
Sarkozy bashing.
Ligne Buisson ?
Stigmatisation.
Transgression.
Sarcologie et salpicon socialistes.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20161028-sarkozy-bayrou.html
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/sarkozy-et-la-chasse-au-bayrou-186455
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2016/11/17/34554437.html
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