« Si je suis tué par des hommes ordinaires, par mes frères, toi, tsar Nicolas, tu vivras. Tu resteras sur le trône et tes enfants vivront. Si je suis tué par des seigneurs, des aristocrates, mon sang coulera sur toute la Russie, et ils devront quitter le pays qui basculera et sera vaincu. » (décembre 1916).
Il y a un siècle, dans la nuit du 29 au 30 décembre 1916 (pour le calendrier grégorien), Grigori Efimovitch Raspoutine fut assassiné à Petrograd (Saint-Pétersbourg). Il devait avoir probablement 47 ans, presque 48 ans.
Raspoutine avait déjà été victime d’une première tentative d’assassinat, par une ancienne prostituée qui l’avait poignardé le 29 juin 1914. Il en réchappa et en profita pour renforcer son emprise auprès de la famille impériale.
À sa mort, Raspoutine était donc au sommet de son influence, voire de son pouvoir. Réel personnage de roman, vaguement mystique, pseudo-moine originaire de Sibérie, il était un conseiller tellement proche de la tsarine Alexandra Fiodorovna (Alix de Hesse-Darmstadt), chargée de gouverner la Russie à partir du 21 août 1915, pendant que son époux Nicolas II commandait lui-même les armées impériales, qu’il prenait des décisions importantes (des nominations notamment) alors qu’il n’avait aucune légitimité, suscitant jalousie et agacement dans la famille impériale et parmi les autres proches du tsar, suscitant aussi l’inquiétude par sa proximité avec l’Allemagne, pays contre lequel la Russie était en guerre depuis le 1er août 1914.
Mikhaïl Rodzianko, président de la Douma, avait ainsi mis en garde Nicolas II : « Je dois dire à Votre Majesté que cela ne peut pas continuer beaucoup plus longtemps. Personne ne vous ouvre les yeux sur le rôle véritable que cet homme joue. Sa présence à la Cour de Votre Majesté sape la confiance dans le pouvoir suprême et peut avoir un effet néfaste sur le sort de la dynastie et détourner le cœur des gens de leur empereur. ».
Alexandre Kerenski, député et futur Président du gouvernement provisoire de la Russie du 21 juillet 1917 au 8 novembre 1917, s’était également inquiété : « La foi aveugle de la tsarine en Raspoutine l’a amenée à lui demander conseil, non seulement dans les questions personnelles, mais aussi sur des questions de politique d’État. Le général Alekseïev, tenu en haute estime par Nicolas II, a essayé de parler à la tsarine au sujet de Raspoutine, mais il réussit seulement à s’en faire une ennemie implacable. Le général m’a dit plus tard à ce sujet sa profonde préoccupation en apprenant qu’une carte secrète des opérations militaires avait trouvé son chemin dans les mains de l’impératrice. Mais comme beaucoup d’autres, il était impuissant à prendre des mesures. ».
Touché par de nombreux scandales mettant en jeu la réputation de la cour, Raspoutine a fédéré autour de lui tellement de détestation et de crainte qu’il fut finalement assassiné. Il fut invité à dîner dans le palais de son futur assassin et fut empoisonné au cyanure de potassium (introduit dans des pâtisseries) mais insuffisamment (ou même pas du tout) au point d’être achevé par beaucoup de coups et par cinq coups de feu issus de trois revolvers différents. Son corps fut ensuite jeté dans la Nevka. Lorsque que le corps a été retrouvé, gelé, le 1er janvier 1917, on a fait une autopsie qui révéla la présence d’eau dans les poumons, ce qui signifiait que Raspoutine n’était pas encore mort malgré ses blessures lorsqu’il fut jeté dans l’eau et mourut noyé.
Ce fut le prince Félix Youssoupov, issue d’une famille encore plus riche que celle de Nicolas II, qui organisa le complot visant à l’éliminer. Les parents de Félix Youssoupov avaient été humiliés par Raspoutine quelques mois auparavant. Parmi ses complices, le grand-duc Dimitri Pavlovitch Romanov (très "proche" sentimentalement de Féix Youssoupov), le député Vladimir Pourichkevitch (leader d’un parti d’extrême droite), le lieutenant Sergueï Soukhotine et le docteur Stanislas Lazovert (médecin-chef d’un train-hôpital de la Croix-Rouge qui fut sous les ordres de Vladimir Pourichkevitch mais qui apparemment, n’aurait pas fourni le cyanure de potassium mais une poudre inoffensive).
Lorsque la police arriva, les deux derniers conspirateurs avaient déjà fui Petrograd, et les trois premiers, interrogés, dont la mort était réclamée par la tsarine pour venger Raspoutine, ont eu la vie sauve et furent seulement exilés par le tsar, car la population fut réjouie et soulagée de l’assassinat de Raspoutine.
Enterré le 3 janvier 1917 au palais de Tsarskoïe Selo, près de Petrograd, le corps de Raspoutine fut exhumé et brûlé le 22 mars 1917, ses cendres dispersées dans la forêt, par les bolcheviks. La famille impériale fut elle-même massacrée par les bolcheviks dans la nuit du 16 au 17 juillet 1918 à Iekaterinbourg.
Raspoutine aurait fait devant l’impératrice cette prophétie : « Je mourrai dans des souffrances atroces. Après ma mort, mon corps n’aura point de repos. Puis tu perdras ta couronne. Toi et ton fils, vous serez massacrés ainsi que toute la famille. Après, le déluge terrible passera sur la Russie. Et elle tombera entre les mains du Diable. ».
Bien plus tard après son assassinat, beaucoup de témoignages concordants laissèrent entendre que l’agent secret britannique Oswald Rayner, ami d’enfance de Félix Youssoupov, était présent lors de l’assassinat, voire a tiré lui-même sur Raspoutine : la Grande-Bretagne voulait éviter à tout prix que la Russie retirât ses troupes contre l’Allemagne pendant la Première Guerre mondiale. L’ancien diplomate russe devenu romancier français Vladimir Fédorovski, après avoir mené sa propre enquête, a affirmé le 1er décembre 2011 que les coups de feu ont été tirés par le grand-duc Dimitri Pavlovitch et par Oswald Rayner ("Le Roman de Raspoutine" aux éd. du Rocher).
Par ailleurs, le grand-duc Nicolas Mikhaïlovitch Romanov, grand historien à l’esprit très libéral, évoqua, dans son journal, une relation très ambiguë entre Raspoutine et le prince Félix Youssoupov : « Félix Youssoupov me narra toute l’histoire, son affection, sa relation homosexuelle avec Raspoutine. Le starets se prit d’affection pour lui. Peu après, le prince lui fit entièrement confiance. Ils se sont vus presque chaque jour et parlèrent de tout. Raspoutine l’initia à ses projets. Une chose incroyable se produisit, Raspoutine était épris et avait une passion charnelle pour Félix. Je suis convaincu qu’il y avait des manifestations physiques de cette amitié sous forme de baisers, d’attouchements de part et d’autre et peut-être quelque chose de plus cynique. Le sadisme de Raspoutine laisse un doute. Je comprenais peu les perversités sexuelles de Félix. Bien avant son mariage, des rumeurs circulèrent sur sa lascivité. ».
Après l’abdication de Nicolas II le 15 mars 1917, le prince Félix Youssoupov s’exila en Crimée, puis a pu fuir le 11 avril 1919 la Russie devenue soviétique, à bord d’un cuirassé de la Royal Navy. Après un séjour à Rome puis à Londres, lui et sa famille s’installèrent à Paris en 1920 et y restèrent. Il publia ses mémoires, notamment sur la mort de Raspoutine en 1927, et exprima ainsi ses scrupules juste avant l’assassinat : « Une inexprimable pitié pour cet homme m’a soudain saisi. La fin ne justifie pas les moyens ignobles. J’ai ressenti le mépris de soi. Comment pourrais-je commettre une telle infamie ? J’ai regardé la victime. Le "vieil homme" était confiant et calme. Et puis, soudain, apparut devant moi la vie de Raspoutine dans toutes ses abominations. Et mes doutes et scrupules disparurent. ».
Félix Youssoupov est mort le 27 septembre 1967 : Alain Decaux venait de l’interviewer pour réaliser avec Robert Hossein et Claude de Sailly le film "J’ai tué Raspoutine" sorti le 3 mai 1967, film dans lequel, pour le rôle du grand-duc Dimitri Pavlovitch, a joué …l’actuel député-maire de Levallois-Perret, Patrick Balkany ! Félix Youssoupov est enterré au cimetière russe de Sainte-Geneviève-des-Bois.
La fille de Raspoutine, née le 27 mars 1899, Maria Grigorievna Raspoutine, émigra après la Révolution russe en Roumanie, puis en France, enfin aux États-Unis où elle mourut le 27 septembre 1977 (à Los Angeles). Elle chercha à faire juger le prince Félix Youssoupov lorsque ce dernier a reconnu dans un livre qu’il avait été l’un des assassins de son père mais fut déboutée par un tribunal français qui se considéra incompétent. Elle-même a écrit un livre sur son père, publié en 1966 aux éditions Albin Michel.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (29 décembre 2016)
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Pour aller plus loin :
Raspoutine.
Léonid Brejnev.
La fin de l’URSS.
La catastrophe de Tchernobyl.
Trofim Lyssenko.
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L’élection présidentielle de mars 2008.
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L’Afghanistan.
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La chute du mur de Berlin.
La Réunification allemande.
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