« La Chine est devenue la deuxième plus grande puissance économique du monde grâce à trente-huit années de réformes et d’ouverture. Un chemin droit mène à un avenir brillant. La Chine est arrivée à ce niveau parce que le peuple chinois, sous la direction du parti communiste chinois, a ouvert une voie de développement qui correspond aux conditions réelles de la Chine (…). La Chine a, ces dernières années, réussi à s’engager dans une voie de développement qui lui convient, en s’appuyant à la fois sur la sagesse de sa civilisation et sur les pratiques des autres pays de l’Est et de l’Ouest. En explorant ce chemin, la Chine refuse de rester insensible à l’évolution des temps ou de suivre aveuglément les pas des autres. » (Xi Jinping, Davos le 17 janvier 2017).
Vincent Giret, journaliste de France Info, ne s’y est pas trompé lorsqu’il en a parlé, le mois dernier : « Il s’est passé, mardi 17 janvier [2017], dans la petite station suisse de Davos, un moment absolument incroyable, un retournement historique qui figurera demain dans tous les manuels. » (18 janvier 2017).
De quoi parlait-il ? Du Forum économique mondial de Davos qui a eu lieu du 17 au 20 janvier 2017 et qui a réuni de nombreux décideurs économiques et politiques du monde entier. Or, pour la première fois, un Président chinois est venu en personne y prononcer un discours, et pas n’importe lequel. Le discours d’ouverture, le 17 janvier 2017.
Presque quarante ans après le début des réformes économiques de Deng Xiaoping qui ont fait de la Chine une superpuissance économique mondiale, Xi Jinping, le Président de la République populaire de Chine depuis presque quatre ans, secrétaire général du parti communiste chinois depuis plus de quatre ans, habillé d’un costume "à l’occidentale", a fait la promotion du libéralisme économique, de la mondialisation des échanges et de l’ouverture au monde.
Plus étonnant encore ! Dans ce monde aux tourments incertains, où les États-Unis sont désormais dirigés par un Donald Trump incompétent et agressif, où le terrorisme islamiste rôde dans tous les pays, où le spectre d’une nouvelle crise financière inquiète toutes les entreprises, la Chine communiste fait désormais figure de pôle de stabilité.
Certes, comme je l’ai expliqué ici, la démocratie et la liberté d’expression ne font pas partie des priorités du gouvernement chinois depuis toujours, ce qui est inadmissible pour un citoyen français, par exemple, tout comme les écarts avec les droits de l’homme, la justice qui condamne et exécute encore des milliers de personnes chaque année, un budget militaire colossal, une économie qui maintient encore beaucoup de barrières protectionnistes, etc.
Mais la Chine d’après Deng Xiaoping a réussi à trouver un équilibre politique en évitant tout culte de la personnalité, en évitant toute fièvre folle comme ce le fut du temps de Mao Tsé-Toung, et en donnant à ses dirigeants seulement deux mandats de cinq ans. Les futurs dirigeants sont d’ailleurs souvent connus et préparés de longue date puisque le Premier Ministre a été précédemment Vice-Premier Ministre, le numéro un du parti communiste chinois a été de son côté, lui aussi, précédemment numéro deux du parti, etc.
Ce renouvellement décennal des dirigeants politiques est un pont entre la dictature (le dictateur généralement reste au pouvoir aussi longtemps que possible) et une véritable démocratie où les dirigeants sont réellement choisis par le peuple. On pourrait comparer la sélection des dirigeants de ce pays ultra-élitiste à un concours général où les lauréats deviendraient ministres et membres du bureau politique du comité central du parti communiste chinois.
C’était d’ailleurs ainsi que Vincent Giret a perçu le discours de Xi Jinping : « d’un ton grave, celui du vieux sage ». Son discours peut être lu sur Internet ici. Les extraits proposés ici sont traduits (sans prétention) de l’anglais.
Xi Jinping s’est fait le promoteur des investissements technologiques, de la transition énergétique (il me semble que la Chine est maintenant le premier pays producteur d’automobiles électriques), et surtout, refusant le principe d’un monde bipolaire bloc contre bloc, trop associé à la guerre froide, il a prôné le multilatéralisme.
Sur la mondialisation, il a été très clair : « La mondialisation a favorisé la croissance mondiale, a facilité la circulation des biens et des capitaux, a fait progresser la science et la technologie, a renforcé les civilisations et les échanges entre les peuples. ».
Xi Jinping a rappelé la genèse de l’implication chinoise au commerce international : « Il fut un temps où la Chine avait aussi des doutes sur la mondialisation économique, et elle ne savait pas si elle devait rejoindre l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Mais nous sommes arrivés à la conclusion que l’intégration dans l’économie mondiale était une tendance historique. Pour faire croître son économie, la Chine doit avoir le courage de nager dans le vaste océan du marché mondial. Si quelqu’un a toujours peur d’affronter la tempête et d’explorer le nouveau monde, il finira tôt ou tard par se noyer dans l’océan. C’est pourquoi la Chine a pris cette courageuse décision d’aller dans ce marché mondial. (…) Nous avons rencontré des tourbillons et des vagues agités, mais nous avons appris à nager dans cet environnement. Nous sommes convaincu que ce fut un bon choix stratégique. ».
Pour Xi Jinping, il n’est donc pas question de remettre en cause ce choix de l’ouverture mondiale : « Toute tentative d’arrêter les échanges de capitaux, de technologies, de produits, d’industries et de personnes entre les économies, comme de canaliser l’eau de l’océan dans des lacs et des étangs isolés, est tout simplement impossible. Effectivement, cela irait à l’encontre de la tendance historique. (…) Nous devons trouver un équilibre entre l’efficacité et l’équité pour faire en sorte que tous les pays, toutes les catégories sociales, tous les groupes humains puissent bénéficier des avantages de la mondialisation économique. ».
En d’autres termes : « Se contenter de blâmer la mondialisation économique à cause des problèmes du monde n’est pas en cohérence avec la réalité, et cela n’aidera pas à résoudre ces problèmes. ». Car Xi Jinping a reconnu les problèmes de l’économie mondiale et il a identifié trois problèmes majeurs qu’il faudra résoudre.
D’abord, la croissance mondiale est beaucoup trop lente depuis sept ans parce qu’il n’y a plus de « forces motrices robustes » pour tirer la croissance mondiale. Les moteurs traditionnels se sont affaiblis et il faut faire émerger de nouvelles sources de croissance.
Ensuite, la gouvernance économique mondiale n’est pas adaptée : « Madame [Christine] Lagarde [(directrice générale du FMI)] m’a récemment dit que les pays émergents et en voie de développement contribuaient déjà à 80% de la croissance de l’économie mondiale. Le paysage économique mondial a profondément évolué au cours des dernières décennies. Toutefois, le système de gouvernance n’a pas évolué et n’est donc plus adapté en termes de représentation et de participation. ». Il a cité notamment le problème de la volatilité fréquente des marchés financiers internationaux et l’accumulation de bulles d’actifs.
Enfin, le troisième problème concerne les inégalités croissantes : « Le 1% plus riche de la population mondiale possède plus de richesses que les 99% restants ! Plus de 700 millions de personnes dans le monde vivent encore dans l’extrême pauvreté. Pour beaucoup de familles, avoir un domicile chauffé, assez de nourriture et un emploi sûr est encore un rêve lointain. C’est le plus grand défi auquel le monde est confronté aujourd’hui. ».
Le seul moteur de croissance est l’innovation : « Contrairement aux révolutions industrielles précédentes, la quatrième révolution industrielle se déroule à un rythme exponentiel plutôt que linéaire. Nous devons poursuivre sans relâche l’innovation. Ce n’est qu’avec le courage d’innover et de réformer que l’on peut éliminer les goulets d’étranglement qui bloquent la croissance et de le développement mondial. ».
Comme un candidat à l’élection présidentielle (mondiale ?), Xi Jinping a énuméré les travaux d’Hercule pour résoudre ces problèmes de fond. J’en cite quatre (et pas douze).
D’abord, la nouvelle économie : « Nous devons adopter de nouveaux instruments politiques et faire avancer les réformes structurelles pour créer plus de marges pour la croissance et consolider son élan. Nous devons développer de nouveaux modèles de croissance et saisir les occasions offertes par le nouveau cycle de la révolution industrielle et par l’économie numérique. Nous devons relever les défis du changement climatique et du vieillissement de la population. Nous devons nous soucier de l’impact négatif de l’informatisation et de l’automatisation sur les emplois. En créant de nouvelles activités et en créant de nouveaux modèles économiques, nous devrions créer de nouveaux emplois et restaurer la confiance et l’espoir de nos peuples. ».
Ensuite, une structuration de l’ouverture : « Nous devons (…) développer un modèle ouvert de coopération gagnant/gagnant. Aujourd’hui, l’humanité est devenue une communauté étroite d’avenir partagé. Les pays ont des intérêts convergents nombreux et dépendent des uns et des autres mutuellement. Tous les pays ont droit au développement. En même temps, ils devraient voir leurs propres intérêts dans un contexte plus large et s’abstenir de les défendre au détriment des autres. (…) Nous devons redoubler nos efforts pour développer la connectivité mondiale et permettre à tous les pays d’atteindre une croissance interconnectée et prendre part à la prospérité. ».
On a peine à réaliser que c’est bien le maître tout puissant de l’une des dernières puissances communistes qui a fait ce genre de déclaration : « Nous devons rester déterminés à développer le libre-échange et l’investissement mondial, à promouvoir la libéralisation et la facilitation du commerce et des investissements par l’ouverture, et dire non au protectionnisme. ».
La définition de protectionnisme de Xi Jinping, toujours faite d’image comme dans beaucoup de parties de ce discours, est intéressante : « Poursuivre le protectionnisme, c’est comme se verrouiller à l’intérieur d’une pièce sombre. Si cela protège de la pluie et du vent qui sont à l’extérieur, cela empêche aussi la lumière du soleil et l’air de passer. Personne ne sortira vainqueur d’une guerre commerciale. ».
Troisième piste de solution, Xi Jinping voudrait un « modèle de gouvernance juste et équitable en accord avec la tendance de l’époque ». Plus clairement, il souhaiterait que les pays émergents aient plus de pouvoir décisionnel dans les instances financières internationales.
Quatrième piste de solution, Xi Jinging voudrait aussi un « modèle de développement équilibré, équitable et inclusif ». Un modèle adapté à la quatrième révolution industrielle.
En conclusion de son discours, Xi Jinping a énuméré des statistiques très éloquentes sur les performances économiques de son pays. Depuis son ouverture économique, la Chine a attiré plus de 1 700 milliards de dollars d’investissements étrangers et, de son côté, a investi plus de 1 200 milliards de dollars à l’étranger. Depuis une dizaine d’années, la Chine contribue en moyenne à plus de 30% de la croissance mondiale chaque année. Le taux de croissance en 2016 devrait encore être l’un des plus élevés du monde avec 6,7%.
Ce qui lui a fait dire : « Le développement de la Chine est une opportunité pour le monde. La Chine a non seulement bénéficié de la mondialisation économique, mais elle y a aussi contribué. La croissance rapide de la Chine a été un moteur soutenu et puissant pour la stabilité économique mondiale et pour l’expansion. ».
Xi Jinping a donné quelques perspectives de l’économie chinoise : « Nous allons poursuivre la réforme structurelle de l’offre comme objectif général (…). Nous continuerons de réduire la surcapacité de production, de réduire les stocks, de désendetter le financement, de réduire les coûts (…). Nous stimulerons de nouveaux moteurs de la croissance, développerons un secteur industriel de pointe et améliorerons l’économie réelle. (…) La Chine stimulera la vitalité du marché pour donner un nouvel élan à la croissance. (…) Nous permettrons au marché de jouer le rôle décisif dans l’allocation des ressources. L’innovation continuera de figurer en bonne place dans notre programme de croissance. Dans la poursuite de la stratégie de développement axée sur l’innovation, nous renforcerons les industries émergentes stratégiques, appliquerons les nouvelles technologies et favoriserons de nouveaux modèles commerciaux pour consolider les industries traditionnelles. (…) La Chine favorisera un environnement propice aux investissements. Nous élargirons l’accès aux marchés pour les investisseurs étrangers, construirons des zones de libre-échange pilote de haut niveau, renforcerons la protection des droits de propriété et uniformiserons la réglementation afin de rendre le marché chinois plus transparent (…). ».
L’objectif des cinq prochaines années est très ambitieux : importer 8 000 milliards de dollars de biens, attirer 600 milliards de dollars d’investissements étrangers, investir 750 milliards de dollars à l’étranger, encourager les touristes chinois à faire 700 millions de visites à l’étranger : « Tout cela créera un marché plus important, avec plus de capitaux, plus de produits et plus d’opportunités d’affaires pour d’autres pays. Le développement de la Chine continuera à offrir des opportunités commerciales à l’étranger. La Chine gardera sa porte ouverte et ne la fermera pas. (…) La Chine n’a pas l’intention d’accroître sa compétitivité commerciale en dévaluant le yuan, et encore moins en lançant une guerre monétaire. ».
C’est quand même significatif qu’aucun candidat à l’élection présidentielle française n’ait donné son point de vue sur ce discours historique du Président Xi Jinping à Davos, qui a finalement décrit le principal malaise des sociétés post-industrielles.
Dans un monde où les pays qui ont initié cette ouverture économique mondiale (États-Unis et Royaume-Uni) ont choisi un repli national (Donald Trump et Brexit), et où la Russie de Vladimir Poutine veut jouer à monsieur muscle, l’Union Européenne et la France auraient intérêt à recentrer leur politique diplomatique et économique en direction de la Chine qui, de toute façon, devient incontournable dans toutes les questions mondiales, et en premier lieu, sur l’énergie et l’environnement.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (27 février 2017)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
La diplomatie du panda.
Discours de Xi Jinping à Davos le 17 janvier 2017 (texte intégral).
Xi Jinping et la mondialisation.
Deng Xiaoping.
Wang Guangmei.
Mao Tsé-Toung.
Tiananmen.
Hu Yaobang.
Le 14e dalaï-lama.
Chine, de l'émergence à l'émargement.
Bilan du décennat de Hu Jintao (2002-2012).
Xi Jinping, Président de la République populaire de Chine.
Xi Jinping, chef du parti.
La Chine me fascine.
La Chine et le Tibet.
Les J.O. de Pékin.
Qui dirige la Chine populaire ?
La justice chinoise.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20170117-xi-jinping.html
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2017/01/17/34981512.html