« Le seul rempart contre ces forces eurosceptiques est la mobilisation de tous ceux qui croient dans l’idéal européen. (…) Il faudra que les électeurs tranchent et c’est là que les eurosceptiques se trompent. La question posée (…) n’est pas d’être en faveur ou contre l’Europe, la question est quelle Europe nous voulons. Être pro-européen, ce n’est pas être pour l’Europe telle qu’elle est, mais être pour une Europe réorientée. » (Martin Schulz, "Le Monde", le 4 octobre 2013).
Ce dimanche 12 février 2017 a eu lieu à Berlin l’élection présidentielle en Allemagne. Le Président sortant, Joaquim Gauck, dont le mandat finira le 18 mars 2017, avait annoncé le 6 juin 2016 qu’il ne solliciterait pas un nouveau mandat en raison de son âge avancé (il aurait 82 ans à la fin d’un second mandat).
Contrairement à Angela Merkel qui souhaitait un candidat de la CDU (qui détient la majorité relative), comme l’actuel Ministre des Finances Wolfgang Schäuble, très populaire, ou l’actuel Ministre de l’Intérieur Thomas de Maizière, la CDU a décidé le 14 novembre 2016 de soutenir le candidat du SPD, Frank-Walter Steinmeier, très populaire aussi, qui a démissionné de son poste ministériel il y a deux semaines pour cette raison. Le poste de Président de la RFA est une fonction honorifique qui est généralement pourvue de manière consensuelle, en Allemagne.
Frank-Walter Steinmeier, qui fut Ministre des Affaires étrangères du 22 novembre 2005 au 27 octobre 2009 et du 17 décembre 2013 au 27 janvier 2017 (dans deux gouvernements de grande coalition CDU-SPD), avec le titre de Vice-Chancelier du 21 novembre 2007 au 27 octobre 2009, avait été le candidat du SPD à la Chancellerie aux élections législatives du 27 septembre 2009.
Ce fut donc sans surprise que ce dernier a été élu Président de la République fédérale d’Allemagne pour cinq ans, dès le premier tour, avec une large majorité des grands électeurs allemands (députés du Bundestag et représentants des Länder), avec 931 voix face aux quatre autres candidats, sur un corps électoral de 1 260 inscrits, soit 81,0% des suffrages exprimés.
Frank-Walter Steinmeier n’a pas "battu" son homologue turkmène qui, le même jour, 12 février 2017, s’était fait réélire à la tête du Turkménistan au premier tour aussi avec …97,7% des voix contre huit autres concurrents, et avec une participation de 97,3%. Il faut néanmoins reconnaître que le niveau de démocratie n’est pas le même en Allemagne et au Turkménistan.
Adepte du culte de la personnalité à la façon très soviétique, Gourbangouli Berdimoukhamedov avait succédé à un autre adepte du culte de la personnalité Saparmourad Niazov (dont il était le dentiste) à la mort de celui-ci, le 21 décembre 2006 et s’était fait élire et réélire auparavant le 11 février 2007 et le 12 février 2012 avec le même type de score (respectivement avec 89,2% et 97,1% des voix). Son troisième mandat, qui a été autorisé et prolongé à sept ans lors d’une récente réforme constitutionnelle, se terminerait donc le 14 février 2024 (à peu près en même temps que la fin d’un quatrième mandat de six ans en Russie, si Vladimir Poutine se décide de se représenter à la prochaine élection présidentielle russe, prévue en mars 2018).
Mais revenons à la vie politique allemande. L’élection de Frank-Walter Steinmeier a engendré un remaniement dans le troisième gouvernement d’Angela Merkel le 27 janvier 2017 : le Vice-Chancelier SPD Sigmar Gabriel a repris les Affaires étrangères et l’Économie et l’Énergie dont il était responsable sont revenues à une autre SPD, Brigitte Zypries, qui fut une ancienne Ministre de la Justice du 22 octobre 2002 au 28 octobre 2008 (second gouvernement de Gerhard Schröder et premier gouvernement d’Angela Merkel).
Pourtant, ce remaniement n’allait pas de soi. Pendant très longtemps, Sigmar Gabriel, numéro deux du gouvernement de grande coalition depuis le 17 décembre 2013 et président du SPD (parti social-démocrate allemand) depuis le 13 novembre 2009, avait toujours déclaré qu’il serait le concurrent d’Angela Merkel pour les élections législatives du 24 septembre 2017. Non seulement il restait une personnalité assez impopulaire, mais aussi, sa crédibilité pour s’opposer à Angela Merkel était très limitée puisque, pendant toute la législature sortante, il était son Vice-Chancelier.
Après deux mandats à la Présidence du Parlement Européen, Martin Schulz, qui n’a jamais été actif et connu qu’au sein des institutions européennes, avait laissé entendre qu’il serait le futur Ministre des Affaires étrangères pour remplacer Frank-Walter Steinmeier, sans toutefois cacher ses grandes ambitions nationales.
Or, le 24 janvier 2017, un coup de théâtre a eu lieu. Finalement, Sigmar Gabriel a renoncé à être le candidat du SPD à la Chancellerie : « Si je me présentais, j’échouerais, et avec moi le SPD. ». Martin Schulz, qui ne voulait pas se confronter à Sigmar Gabriel dans une bataille interne au SPD, fut donc désigné à ce premier rôle, sans concurrence et « de manière unanime ». Depuis cette date, soit environ trois semaines, Martin Schulz a réussi à faire remonter le SPD dans les sondages de 20% à 31% et maintenant, il serait légèrement en tête devant la CDU/CSU d’Angela Merkel dans les intentions de vote (la CDU chutant de 35% à 30%).
Martin Schulz, fort de sa popularité, jouit donc actuellement d’une divine dynamique électorale, très étonnante quand on sait que si Angela Merkel est contestée, c’est plutôt sur sa droite, parce qu’elle aurait eu une politique à l’égard des réfugiés syriens trop accueillante. D’ailleurs, l’une des inconnues cruciales du scrutin du 24 septembre 2017 sera le score du parti d’extrême droite AFD (certains sondages le hisseraient jusqu’à environ 13%).
Parlant, au-delà de l’allemand, le français, l’espagnol, l’anglais, l’italien et le néerlandais, Martin Schulz a su se faire apprécier sur la scène européenne : député européen social-démocrate du 19 juillet 1994 au 10 février 2017 (élu cinq fois !), après avoir été le représentant des députés européens allemands du SPD, de 2000 à 2004, il a pris le leadership de la sociale-démocratie européenne (attribué aux Allemands en raison du nombre) en prenant la présidence du groupe des socialistes européens du 5 juillet 2004 au 17 janvier 2012. Il a encouragé la prolongation par un second mandat de José Manuel Barroso à la Présidence de la Commission Européenne en apportant les voix socialistes aux voix du PPE après les élections européennes du 7 juin 2009.
Fort de son autorité, Martin Schulz a réussi le tour de force de se faire élire deux fois (et successivement) Président du Parlement Européen, du 17 janvier 2012 au 17 janvier 2017. Au cours de ces années, Martin Schulz a véritablement représenté la partie parlementaire des institutions européennes, voulant appliquer complètement le Traité de Lisbonne (qui donne de nouveaux pouvoirs aux députés européens). Il a eu aussi des opposants célèbres au cours d’échanges souvent musclés au sein de l’hémicycle de Strasbourg : Silvio Berlusconi, Jean-Marie Le Pen, Daniel Cohn-Bendit, Beata Szydlo (la Premier Ministre polonaise), etc.
Aux élections européennes du 25 mai 2014, Martin Schulz avait été le candidat socialiste au poste de Président de la Commission Européenne face notamment à Jean-Claude Juncker (pour le PPE), Guy Verhofstadt (pour les centristes de l’ALDE) et Alexis Tsipras (pour la gauche radicalisée).
À l’origine, sans diplôme et autodidacte, il a commencé sa vie active comme libraire à Würselen, en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, pendant douze ans avant de se lancer dans la politique européenne (il avait été élu bourgmestre de sa ville de 1987 à 1998). À 61 ans, Martin Schulz n’a donc pas le profil traditionnel d’un responsable politique national. Jusqu’à maintenant, il n’a jamais eu de mandat parlementaire national et n’a jamais eu de responsabilité nationale.
Pourtant, sa popularité et sa combativité placent Martin Schulz désormais en position de favori pour les élections législatives du 24 septembre 2017. Le duel entre lui et Angela Merkel sera probablement serré. Si Angela Merkel remportait un quatrième mandat, elle serait en mesure d’atteindre le record de longévité de son prédécesseur Helmut Kohl. Dans le cas inverse, Martin Schulz, par son talent, hors des intrigues de partis mais bien en phase avec la population, aurait alors démontré qu’il était possible de passer par l’Europe pour avoir une carrière nationale au plus haut niveau, ce qui est très rare (en général, c’est plutôt l’inverse).
L'enjeu des élections législatives allemandes est cependant moins crucial que celui de l'élection présidentielle française où des forces populistes nombreuses sont prêtes à remettre en cause soixante années d'un travail long et fragile de coopération européenne, imparfaite certes, mais indispensable dans le monde globalisé d'aujourd'hui où l'isolement serait synonyme de déclin économique définitif.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (14 février 2017)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Martin Schulz en campagne, en 2017.
Martin Schulz l’Européen, en 2013-2014.
Un nouveau Président du Parlement Européen le 17 janvier 2017.
Angela Merkel, l’honneur de l’Europe de la solidarité.
Hans-Dietrich Genscher.
Dix infographies sur les dix années au pouvoir d’Angela Merkel.
Le décennat de la Bundeskanzlerin.
Vidéos sur Helmut Schmidt.
La Réunification de l’Allemagne.
L’amitié franco-allemande.
Helmut Schmidt.
Helmut Kohl.
Mutti Merkel, reine du monde ?
Joachim Glauck.
Angela Merkel et François Hollande à Strasbourg.
Helmut Kohl et Viktor Orban.
Les risques de la germanophobie.
Jean-Claude Juncker.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20170124-martin-schulz.html
http://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/bientot-l-allemagne-de-martin-189709
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2017/02/14/34935390.html