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15 avril 2017 6 15 /04 /avril /2017 01:35

« J’ai consacré dix années de ma vie à écrire l’histoire de notre immense révolution ; je l’ai écrite sans haine, sans passion, avec un vif amour pour la grandeur de mon pays ; et quand cette révolution a triomphé dans ce qu’elle avait de bon, de juste, d’honorable, je suis venu déposer à vos pieds le tableau que j’avais essayé de tracer de ses longues vicissitudes. (…) Je vous remercie surtout, vous, hommes paisibles, heureusement étrangers pour la plupart aux troubles qui nous agitent, d’avoir discerné au milieu du tumulte des partis un disciple des lettres, passagèrement enlevé à leur culte, de lui avoir tenu compte d’une jeunesse laborieuse, consacrée à l’étude, et peut-être aussi de quelques luttes soutenues pour la cause de la raison et de la vraie liberté. Je vous remercie de m’avoir introduit dans cet asile de la pensée libre et calme. » (13 décembre 1834, discours de réception à l’Académie française).


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Le premier "vrai" chef de la République française Adolphe Thiers est né il y a deux cent vingt ans, le 15 avril 1797, à Marseille. Il était un grand homme dans un corps de petite taille (1 mètre 55), comme le fut également Napoléon Bonaparte. Grand républicain à la fin de sa vie, libéral favorable à une République conservatrice, il fut ces dernières décennies un peu malmené… J’en veux pour preuve la ville de Nancy, qui avait érigé une statue de l’illustre homme au milieu de la place qui porte son nom juste devant la gare et qui a été évacuée dans un obscur entrepôt de banlieue il y a une quarantaine d’années.

Il faut admettre que durant son existence, Thiers a reçu un grand nombre de surnoms pas très flatteurs, le plus connu est Foutriquet, et était la cible des caricaturistes car lui-même était assez caricatural (petit, agité, la voix aiguë et nasillarde).

Parmi les autres surnoms ou insultes, surtout utilisés par les futurs communards, on peut citer : le nain grotesque, Tamerlan à lunettes, cœur saignant, petit jeanfoutre, crapaud venimeux, magot de l’exécutif, Adolphe le Petit, bandit sinistre, roi des Versailleux, général Tom-Pouce, satrape de Seine-et-Oise, Myrmidon Ier, le nabot, serpent à lunettes, vieille canaille. Et j’en passe. Balzac constatait son grand narcissisme : « Monsieur Thiers n’a jamais eu qu’une seule pensée : il a toujours songé à Monsieur Thiers. » (12 mai 1836). Même Karl Marx y est allé de sa touche personnelle : « Thiers, ce nabot monstrueux, a tenu sous le charme la bourgeoisie française pendant plus d’un demi-siècle, parce qu’il est l’expression intellectuelle la plus achevée de sa propre corruption de classe. » (1871).

Comme on le voit, il y avait de l’imagination et de la diversité, si bien que les insultes qu’ont eu à subir Nicolas Sarkozy et même François Hollande étaient assez modérées, en fin de compte !

D’un caractère très volontaire, Thiers savait prendre la parole à l’assemblée, et comme il était un très mauvais lecteur de discours, assez ennuyeux, il préférait laisser de côté ses notes, au risque de faire plein de fautes de français, mais avec le talent de parler spontanément avec une force de persuasion exceptionnelle.

D’ailleurs, certains n’ont pas hésité à faire une comparaison entre Nicolas Sarkozy et Adolphe Thiers, l'ambition, le côté bling-bling, l'audace, l'énergie, la combativité, meilleure comparaison que celle avec Napoléon III, même s’il faut la pondérer car Nicolas Sarkozy n’a pas la culture ni l’érudition de Thiers.

En effet, Thiers fut de ces hommes à plusieurs facettes, l’une intellectuelle et littéraire et l’autre purement politique. Homme brillant et très rare, il a été de ces hommes d’État qui furent au sommet de la vie politique encore jeunes, et qui furent rappelés vieillards (on peut en citer d’autres dans la courte histoire de la République française : Clemenceau, De Gaulle, et même François Mitterrand et Jacques Chirac, etc.).

Il jouit auprès de certains mouvements d’extrême gauche d’une mauvaise réputation, relayée par Georges Clemenceau qui ne lui pardonna pas la répression de la Commune de Paris. Clemenceau fut un député de Paris plutôt neutre, à l’époque, et pensait sincèrement qu’il y avait une possibilité pour éviter l’effusion de sang. Clemenceau disait ainsi le 2 octobre 1927 : « J’ai pour Monsieur Thiers une exécration profonde et qu’il me rendait bien, d’ailleurs. » ou encore : « Thiers est le type de bourgeois borné et féroce, qui s’enfonce dans le sang, sans broncher. ».

Pourtant, Thiers a joué un rôle essentiel dans la construction du consensus républicain français et dans l’évolution des institutions entre 1830 et 1870. En clair, il fut l’homme de la génération née en pleine Révolution française qui a permis d’en revendiquer les bienfaits (liberté, égalité, fraternité) en éliminant ses aspects les moins admissibles pour la bourgeoisie.

Une ardente ambition doublée d’une soif de reconnaissance l’ont nourri dès son jeune âge, expliquant ses brillantes qualités de bon élève à Marseille. Il a commencé sa vie professionnelle comme avocat après des études de droit à Aix-en-Provence. Boulimique de travail, il comptait rédiger un traité de trigonométrie sphérique, une tragédie, un traité de philosophie, etc. Il réussit à se faire récompenser par l’Académie d’Aix-en-provence pour son Éloge de Vauvenargues. En septembre 1821, il quitta Marseille pour Paris afin d’y trouver prospérité, pouvoir, influence : « Je ne suis pas heureux, j’éprouve d’adents besoins et je suis pauvre. J’aimerais les femmes, la table, le jeu et je n’ai point d’or. » (novembre 1820). La vénalité et la cupidité furent sans doute des moteurs aussi forts chez lui que l’ambition politique et la reconnaissance intellectuelle.

Très rapidement, il commença son réseautage parisien et fut introduit chez le banquier Jacques Laffitte, futur premier chef du gouvernement de Louis-Philippe. Jacques Laffitte, banquier libéral, était une figure de l’opposition sous la Restauration. Thiers se transforma en journaliste, un métier beaucoup plus rémunérateur. Éclectique, il s’intéressa aux finances, à la littérature, à la politique, et aussi à l’art : il fut l’un des premiers à avoir découvert le talent d’un jeune peintre, Delacroix (le 11 mai 1822). À l’époque, il n’avait que 25 ans.

Son ambition intellectuelle fut aussi de rédiger son "Histoire de la Révolution française", dont les dix volumes, publiés entre 1823 et 1827, reçurent rapidement le succès et l’éloge de grands écrivains (comme Chateaubriand) et furent traduits en anglais et après sa mort, en espagnol. Ce succès lui apporta la richesse, la réputation et même son élection à l’Académie française le 20 juin 1833 (à l’âge de 36 ans) au fauteuil qui fut ensuite attribué à Ferdinand de Lesseps, Anatole France, Paul Valéry, Henri Mondor et François Jacob.

En tout, Thiers fut l’auteur d’une trentaine d’ouvrages parfois référence en histoire ou en littérature, et après son histoire de la Révolution, il publia également une imposante "Histoire du Consulat de l’Empire" en vingt volumes de 1845 à 1862.

Auparavant, la Révolution de 1830 qui renversa Charles X amena au pouvoir un roi libéral, Louis-Philippe Ier qui forma un premier gouvernement avec Jacques Laffitte puis un autre avec Casimir Perrier, beaucoup plus ferme contre les républicains. Casimir Périer resta le modèle de Thiers, élu député et nommé Ministre de l’Intérieur le 11 octobre 1832 (à l’âge de 35 ans) dans le gouvernement de Nicolas Soult. De là commença une rivalité politique avec un autre ministre, François Guizot qu’il retrouva ensuite à l’Académie française.

Réussissant à "séduire" le roi Louis-Philippe par ses flatteries (mais pas la reine), Thiers amorça une carrière gouvernementale qui l’a conduit au plus haut sommet de l’État : Ministre de l’Intérieur du 11 octobre 1832 au 31 décembre 1832, du 4 avril 1834 au 10 novembre 1834 et du 18 novembre 1834 au 22 février 1836, il fut aussi Ministre des Travaux publics du 31 décembre 1832 au 4 avril 1834 avant de revenir à l’Intérieur, où il fut populaire.

Partisan de l’ordre et de la fermeté, Thiers réprima sévèrement la révolte des canuts à Lyon en avril 1834, adoptant une tactique qu’il répéta contre la Commune de Paris en faisant retirer les troupes de la ville insurgée et en la reprenant de force. L’opération a coûté la vie à environ 300 personnes (peut-être plus), parfois massacrées à tort en réaction à des incidents mineurs.

Le procès des insurgés d’avril 1834 et l’attentat contre le roi du 28 juillet 1835 qui a tué onze personnes ont rendu très impopulaires les républicains notamment parmi la bourgeoisie qui avait peur d’un retour aux excès de l’époque de Robespierre.

Trois lois présentées par Victor de Broglie, le chef du gouvernement, furent adoptées par les députés (respectivement les 13, 20 et 29 août 1835) puis promulguées le 9 septembre 1835 pour consolider la Monarchie de Juillet : « La Charte établit la liberté politique, sous la forme de la monarchie constitutionnelle. Tous les partis sont libres dans l’enceinte de la monarchie constitutionnelle. Dès qu’ils en sortent, la liberté ne leur est pas due. Ils se mettent eux-mêmes hors de la loi politique. » (Victor de Broglie). La loi la plus controversée fut la troisième adoptée par 226 voix contre 163, qui a interdit toute discussion sur le roi, la dynastie et la nature du régime, beaucoup de députés considérant que les pamphlets contre le roi avaient suscité l’attentat contre lui.

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Après le renversement du gouvernement de Victor de Broglie (le premier renversement par les députés), Louis-Philippe, habile manœuvrier de la vie politique,  appela Thiers à tête du gouvernement en profitant de sa position à ce qu’on pourrait appeler aujourd’hui le centre gauche. Le roi voulait faire croire à la parlementarisation du régime et a nommé celui qui pouvait émaner de l’assemblée, mais voulait en fait promouvoir Louis Mathieu Molé. À sa nomination, Thiers est parvenu à garder l’estime de Victor de Broglie qui a juste prévenu le roi qu’après avoir nommé Thiers, il ne faudrait pas le remercier sinon ce dernier se retrouverait dans le camp des républicains. En revanche, Thiers n’a pas pu éviter la rupture avec François Guizot, encouragée par le roi.

Adolphe Thiers (âgé de 38 ans, quelques mois de plus que Laurent Fabius à sa nomination à Matignon en juillet 1984) fut alors Président du Conseil des ministres du 22 février 1836 au 6 septembre 1836 puis du 1er mars 1840 au 29 octobre 1840 (il fut rappelé par Louis-Philippe le 24 février 1848 lors de la Révolution de 1848 mais n’a pas eu le temps de le former avant l’abdication du roi et la formation d’un gouvernement provisoire présidé par Charles Dupont de l’Eure).

Pendant les quelques mois où il dirigea le gouvernement de la France, il avait pris aussi le portefeuille des Affaires étrangères et s’impliqua beaucoup dans la diplomatie pour nouer une alliance contre-nature avec l’Autriche par le mariage entre le duc d’Orléans (jeune fils de 25 ans de Louis-Philippe qui cherchait une descendance dynastique pour asseoir son régime) avec une archiduchesse autrichienne (sans succès : Metternich trouvait que la Monarchie de Juillet n’avait pas assez d’avenir pour engager son pays).

Son gouvernement fut fragilisé par un nouvel attentat contre le roi le 25 juin 1836. Finalement, désavoué par le roi dès le 25 août 1836, qui était hostile à une intervention française en Espagne (en proie à la guerre civile), Thiers démissionna officiellement le 6 septembre 1836. Loin de la parlementarisation, le régime a montré que le roi gardait le contrôle dans la formation du gouvernement. Louis Mathieu Molé, très proche de Louis-Philippe, fut en effet nommé à la tête du gouvernement.

Thiers, qui avait dit avant d’être ministre la fameuse phrase : « Le roi ne gouverne pas, il règne. », aurait été insolent avec le roi en lui disant qu’il reviendrait au pouvoir malgré lui comme un homme soutenu par le peuple.

Combattant le nouveau chef du gouvernement, Louis Mathieu Molé, Thiers a été au cœur de la détestation de ses adversaires mais aussi de ses amis politiques pour son comportement très arriviste, au point d’échouer à faire élire Odilon Barrot, futur chef du gouvernement sous la Seconde République (du 20 décembre 1848 au 31 octobre 1849), à la Présidence de la Chambre des députés le 14 avril 1839 (Odilon Barrot, chef de l’opposition dynastique, ne recueillit que 193 voix contre 227 à Hippolyte Passy, candidat dissident du centre gauche).

Après la nomination du nouveau Président (Hippolyte Passy) au gouvernement de Nicolas Soult (aux Finances), Thiers échoua à se faire élire lui-même au perchoir le 14 mai 1839 (206 voix contre 213 à Paul-Jean Sauzet).

Finalement, après la chute du deuxième gouvernement de Nicolas Soult, le roi a dû se résoudre à le rappeler le 1er mars 1840 à la Présidence du Conseil (Thiers nomma Rémusat à l’Intérieur), mais il a dû démissionner le 29 octobre 1840 après les conséquences de sa politique égyptienne sur les relations de la France avec la Prusse. Thiers se remit dans l’opposition au gouvernement de François Guizot.

Selon Louis-Philippe qui l’aurait dit à Victor Hugo, Talleyrand aurait dit au roi en 1844 : « Vous ne ferez jamais rien de Thiers, qui serait pourtant un excellent instrument. Mais c’est un de ces hommes dont on ne peut se servir qu’à la condition de le satisfaire. Or il ne sera jamais satisfait. Le malheur, pour lui comme pour vous, c’est qu’il ne puisse plus être cardinal. ».

Comme on le voit, le premier Thiers politique fut assez confus sur le plan des idées, le seul fil conducteur était son ambition personnelle et sa volonté d’avoir le pouvoir pour le pouvoir. Flaubert disait de lui : « Personne n’a résumé comme lui la France. ».  Un observateur pouvait encore mieux résumer en 1869 : « Monsieur Thiers est le maître de ces farceurs libéraux, très démoc [démocrates] dans l’opposition, et très réac [réactionnaires], dès qu’ils ont pu escalader le pouvoir. ».

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Sous la Seconde République, Thiers, trop « bourgeois orléaniste chimiquement pur » (d’après l’expression de Maurice Agulhon), fut battu aux élections d’avril 1848, mais réélu en juin 1848 dans le cadre de son engagement au parti de l’Ordre : tout doucement, prenant modèle sur le caméléon Talleyrand, il s’est rangé vers la République à condition qu’elle fût conservatrice : « La République sera conservatrice ou ne sera pas ! ». Trop impopulaire pour se présenter à la première élection présidentielle au suffrage universelle direct, Thiers a soutenu Louis Napoléon Bonaparte qui fut élu le 11 décembre 1848 : « C’est un crétin qu’on mènera ! » (pensait-il à tort, selon Adrien Dansette). Le 13 février 1850, pragmatique, il a affirmé : « La République est le gouvernement qui nous divise le moins. ».

En état d’arrestation lors du coup d’État du 2 décembre 1851 (Louis Napoléon Bonaparte avait été élu seulement pour quatre ans et non rééligible immédiatement : seul, un coup d’État pouvait le maintenir plus longtemps à l’Élysée, d’abord pour dix ans puis à vie), Thiers a fui vers la Suisse puis, à son retour en France en 1852, il s’opposa au Second Empire.

Dans un second article, je continuerai sur l’autre partie de sa vie politique, celle du début de la IIIe République.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (14 avril 2017)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Adolphe Thiers.
Napoléon III.
Georges Clemenceau.
Victor Hugo.
L’élection présidentielle de 1848.
Le Traité de Vienne.
Napoléon Ier.
Sarajevo.
De Gaulle.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20170415-thiers.html

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2017/04/15/35154796.html


 

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