« En dépit de leur pensée et malgré leur orgueil, je doute un peu que le sort lointain des hommes soit plus enchanteur que celui des dinosaures. C’est drôle : s’il fallait parier, je parierais plutôt sur Dieu, tombé si bas dans nos sondages, que sur les hommes si contents d’eux. » (Jean d’Ormesson, "Comme un chant d’espérance", 12 juin 2014).
Le premier tour de l’élection présidentielle de ce dimanche 23 avril 2017 aura cette particularité que l’incertitude ne pèse pas sur deux ni trois candidats, mais sur quatre candidats. Les derniers sondages donnent en effet des indications de resserrement de vote pour les quatre principaux candidats de 2017.
Par ailleurs, les sondages sur les seconds tours réalisés avant le premier tour n’ont pas beaucoup de pertinence puisque les deux candidats du second tour ne sont pas encore connus. De plus, les dynamiques de premier tour peuvent modifier une logique très arithmétique qui pourrait influencer les personnes sondées. Ces sondages de second tour n’ont pas plus d’intérêt que des sondages de duel entre deux "petits candidats" qui, nécessairement, donneraient un vainqueur mais d’une bataille qui n’aura jamais lieu.
Le vote populaire lèvera rapidement ce suspens dramatique. Il m’a paru intéressant de relire les derniers sondages lors des campagnes des neuf précédentes élections présidentielles depuis l’adoption du suffrage universel direct pour cette élection, à savoir depuis 1965.
J’ai répertorié ici l’historique du dernier sondage en date avant le premier tour de chaque élection présidentielle depuis 1965, et j’ai mis entre parenthèses le résultat réel du vote en % des suffrages exprimés.
Les élections de 1969 et de 1974 ont eu des campagnes très courtes (quelques semaines seulement) en raison de leur organisation anticipée. Jusqu’à il y a trois élections, la publication des sondages était interdite pendant les deux dernières semaines. Maintenant, seulement les deux derniers jours (fin de la campagne officielle). Au fil du temps, les sondages se sont multipliés, les instituts de sondages aussi, et leur méthode s’est affinée, mais pas leurs "prédictions".
Comme on le voit ci-dessous, il y a toujours eu des surprises entre ce qui était attendu des sondages et ce qui est réellement arrivé. Parfois, pas dans le sens imaginable. On peut aussi voir que certains résultats ont été parfaitement anticipés par ces "sondages".
Comme toujours, il faut rappeler qu’un sondage n’est qu’une photographie plus ou moins exacte d’un état de l’opinion. Prendre le dernier sondage avant le scrutin rapproche de la réalité électorale sans pour autant la prévoir. Il se trouve que beaucoup d’électeurs se déterminent au dernier moment (peut-être plus en 2017 qu’en 1965) et qu’il y a donc une part d’incertitude associée.
1. Premier tour du 5 décembre 1965
Sondage de référence : IFOP les 1er et 2 décembre 1965.
Charles De Gaulle : 43,0% (44,7%).
François Mitterrand : 27,0% (31,7%).
Jean Lecanuet : 20,0% (15,6%).
Jean-Louis Tixier-Vignancour : 7,0% (5,2%).
François Mitterrand avait été sous-évalué et Jean Lecanuet surévalué.
2. Premier tour du 1er juin 1969 (démission de De Gaulle)
Sondage de référence : IFOP le 27 mai 1969.
Georges Pompidou : 40,0% (44,5%).
Alain Poher : 31,0% (23,3%).
Jacques Duclos : 17,0% (21,3%).
Gaston Defferre : 7,0% (5,0%).
Michel Rocard : 3,0% (3,6%).
Alain Poher s’est effondré en fin de campagne, sur le point d’être dépassé par Jacques Duclos en pleine ascension. Georges Pompidou a été sous-évalué et Gaston Defferre (candidat officiel des socialistes, en binôme avec Pierre Mendès France) surévalué.
3. Premier tour du 5 mai 1974 (mort de Pompidou)
Sondage de référence : IFOP le 3 mai 1974.
François Mitterrand : 45,0% (43,3%).
Valéry Giscard d’Estaing : 30,0% (32,6%).
Jacques Chaban-Delmas : 15,0% (15,1%).
Sondage à peu près conforme aux résultats réels du vote. C’est le seul scrutin où il n’y a pas eu véritablement de "surprise" par rapport aux derniers sondages.
4. Premier tour du 26 avril 1981
Sondage de référence : TNS Sofres le 24 avril 1981.
Valéry Giscard d’Estaing : 27,5% (28,3%).
François Mitterrand : 21,5% (25,9%).
Georges Marchais : 19,0% (15,3%).
Jacques Chirac : 18,5% (18,0%).
Si Valéry Giscard d’Estaing et Jacques Chirac ont été correctement évalués, François Mitterrand manifestement a été sous-évalué et Georges Marchais surévalué, perdant du terrain dans une sorte de "vote utile" en faveur de son concurrent socialiste (on ne pouvait imaginer Georges Marchais capable de gagner un second tour). Le sondage montrait une possible incertitude de présence au second tour entre Georges Marchais et François Mitterrand, et pourtant, à la fin, dans les urnes, plus de 10% les ont séparés. Il est possible que ce scénario se renouvelle le 23 avril 2017 (dans un sens que je ne connais pas encore).
5. Premier tour du 24 avril 1988
Sondage de référence : Sofres les 20 et 21 avril 1988.
François Mitterrand : 35,0% (34,1%).
Jacques Chirac : 23,5% (20,0%).
Raymond Barre : 16,5% (16,5%).
Jean-Marie Le Pen : 12,0% (14,4%).
André Lajoinie : 7,0% (6,8%).
Si François Mitterrand et Raymond Barre ont été correctement évalués, Jacques Chirac s’est effondré au profit de Jean-Marie Le Pen, le plombant d’un grand handicap pour le second tour.
6. Premier tour du 23 avril 1995
Sondage de référence : TNS Sofres les 20 et 21 avril 1995.
Jacques Chirac : 24,0% (20,8%).
Lionel Jospin : 18,0% (23,3%).
Édouard Balladur : 16,5% (18,6%).
Jean-Marie Le Pen : 14,0% (15,0%).
Lionel Jospin a été largement sous-évalué, tandis que Jacques Chirac s’est effondré au profit d’Édouard Balladur qui aurait pu, à quelques centaines de milliers de voix près, se retrouver finalement qualifié pour le second tour. Le résultat du FN est resté encore légèrement sous-évalué.
7. Premier tour du 21 avril 2002
Sondage de référence : BVA le 18 avril 2002.
Jacques Chirac : 19,0% (19,9%).
Lionel Jospin : 18,0% (16,2%).
Jean-Marie Le Pen : 14,0% (16,9%).
Arlette Laguiller : 8,0% (5,7%).
François Bayrou : 6,0% (6,8%).
Jean-Pierre Chevènement : 6,0% (5,3%).
Robert Hue : 5,0% (3,4%).
Lionel Jospin a été légèrement surévalué, et Jean-Marie Le Pen encore légèrement sous-évalué, mais cela a suffi pour inverser l’ordre des premiers candidats (ce fut une surprise historique puisque, pour la première fois, les sondages n’avaient pas su "prédire" correctement le nom des deux candidats qualifiés pour le second tour). Robert Hue et Arlette Laguiller ont été surévalués.
8. Premier tour du 22 avril 2007
Sondage de référence :Ipsos le 20 avril 2007.
Nicolas Sarkozy : 30,0% (31,2%).
Ségolène Royal : 23,0% (25,9%).
François Bayrou : 18,0% (18,6%).
Jean-Marie Le Pen : 13,0% (10,4%).
Contrairement aux précédents scrutins, Jean-Marie Le Pen a été surévalué, alors que Ségolène Royal a été sous-évaluée. Les différences entre les candidats étaient telles que cette configuration du second tour était attendue.
9. Premier tour du 22 avril 2012
Sondage de référence : CSA le 17 avril 2012.
François Hollande : 28,0% (28,6%).
Nicolas Sarkozy : 24,0% (27,2%).
Marine Le Pen : 17,0% (17,9%).
Jean-Luc Mélenchon : 15,0% (11,1%).
François Bayrou : 11,0% (9,1%).
François Bayrou et surtout Jean-Luc Mélenchon ont été surévalués tandis que Nicolas Sarkozy a été sous-évalué, tout comme légèrement Marine Le Pen. L’ordre dans les sondages n’a cependant pas été bouleversé par les résultats du vote.
10. Premier tour du 23 avril 2017 (pour information)
Sondage de référence : IFOP rolling publié le 21 avril 2017 à 18 heures.
(Rappel : les nouveaux sondages sont interdits de publication à partir du 21 avril 2017 à minuit).
Emmanuel Macron : 24,5%.
Marine Le Pen : 22,5%.
François Fillon : 19,5%.
Jean-Luc Mélenchon : 18,5%.
Benoît Hamon : 7,0%.
Nicolas Dupont-Aignan : 4,0%.
Les différences entre les quatre premiers candidats sont si faibles que leur ordre est probablement erroné. Impossible de commenter plus précisément avant le vote, bien sûr.
Surprise et "vote utile"
Avec ces rappels, on ne s’étonnera donc pas des surprises inévitables des résultats dans la soirée du dimanche 23 avril 2017. Des sondages continuent probablement à être diffusés en dehors du territoire français (c’est la magie d’Internet) ainsi que les estimations de sortie des urnes avant la clôture du scrutin à 20 heures. Leur impact est difficilement évaluable. La lecture quotidienne de sondages les dernières semaines d’une campagne présidentielle peut conduire les électeurs à modifier leur choix originel, passant d’un vote de conviction à un "vote utile" dont l’utilité n’a de raison d’être que par la lecture de ces sondages.
Les réactions aux sondages peuvent être très différentes d’un électeur à l’autre, et donc, peut-être finalement se compenser et s’annuler. Il est difficile de modéliser la réunion de quarante-sept millions de décisions individuelles (y compris l’abstention) dont les motivations sont très diverses et qui peuvent se comparer à un mouvement brownien.
C’est la faiblesse des démocraties représentatives : ce n’est pas la France comme entité unique qui élit son Président de la République, mais les dizaines de millions d’électeurs français. Le caractère démocratique, c’est que chaque voix compte de manière égale, celle des puissants autant que celle des plus faibles et démunis. Donc, rien ne dit qu’une "volonté collective supérieure" puisse être à l’origine d’un choix politique provenant surtout d’une situation particulièrement désordonnée et éparpillée.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (22 avril 2017)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Les derniers sondages des campagnes présidentielles.
L’élection présidentielle de 1965.
La surprise du 21 avril.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20170422-presidentielle2017-at.html
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/les-derniers-sondages-avant-les-192222
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2017/04/23/35200680.html