« Rien n’est fait. Un vote, ça se mérite, ça se conquiert, ça se justifie, ça se porte. (…) Il n’y a pas eu de prise de conscience de ce qui s’est passé dimanche. (…) L’enjeu est que le FN ait le score le plus faible possible. » (François Hollande, le 25 avril 2017 à Laval).
Le rappel à l’ordre du Président de la République sortant, responsable de l’état pitoyable de la démocratie française d’aujourd’hui, est justifié. La soirée du 23 avril 2017 fut pour Emmanuel Macron comme une soirée de victoire. Pourtant, rien n’est acquis, ce n’est pas parce que les sondages donnent un rapport 60/40 (ce qui est déjà serré pour un tel duel) que la victoire est dans la poche.
Amener son épouse sur la scène de la Porte de Versailles de Paris, crier la victoire alors que pour la seconde fois de son histoire, le peuple français venait de placer au second tour une représentante de l’extrême droite la plus dure en position de pouvoir être élue Présidente de la République ne relevait pas du sens des responsabilités. En plus, une représentante assez jeune (beaucoup moins que son adversaire) et une femme (la seconde à être à un second tour après Ségolène Royal en 2007).
Le dîner qui a suivi à La Rotonde avec de nombreuses célébrités dites "people" n’a rien arrangé non plus. Certes, ce n’était pas le Fouquet’s, mais Nicolas Sarkozy avait eu la décence d’attendre la fin du second tour avant de crier victoire. Car ce cri de victoire prématuré, Emmanuel Macron pourrait le faire sur le dos de toute la classe politique. Tel l’orchestre du Titanic. Cela donne une atmosphère d’arrogance et de narcissisme, sinon de légèreté, d’amateurisme au mieux, pour un événement à connotation pourtant tragique.
Je ne peux m’empêcher de proposer à la lecture ce texte dessiné d’un blog très fréquenté qui traduit bien l’état d’esprit du moment, de manière politiquement incorrecte (blog de l’odieuxc@nnard).
Plus inquiétant, Emmanuel Macron a attendu trois jours avant de démarrer sa campagne du second tour (qui ne dure que treize jours, dont un jour férié, le 1er mai). Avec une image plutôt désastreuse en allant (courageusement) à la rencontre des salariés de Whirlpool à Amiens (sa ville natale), mais en se faisant voler la vedette par …Marine Le Pen venue lui couper l’herbe sous les pieds. Certains disent qu’une visite dans une usine qui risque de fermer ou de se délocaliser est un événement de premier tour, en début de campagne, pour éviter que l’image de protestation reste trop longtemps dans les mémoires. Elle avait plombé la candidature de Lionel Jospin en 2002.
Le meeting à Arras qu’il devait faire le 21 avril 2017, juste avant le premier tour, et qu’il a tenu finalement le 26 avril 2017, a été l’occasion pour lui de reprendre un peu pieds dans une campagne pas forcément facile.
Et pourquoi pas facile ?
Parce que, d’une part, il est un extraterrestre de la vie politique, héritier d’aventures individuelles centristes qui n’ont jamais abouti jusqu’à maintenant (Jean Lecanuet, Alain Poher, Jean-Jacques Servan-Schreiber, Michel Jobert, Raymond Barre, François Bayrou) à l'exception de Valéry Giscard d’Estaing en 1974. Et comme extraterrestre, il effarouche autant la gauche que la droite, alors qu’il voudrait rassembler et la gauche et la droite.
Parce que, d’autre part, il a une stratégie de second tour assez médiocre et contestable. Les lieutenants d’Emmanuel Macron ont insisté dans les médias pour dire qu’il leur restait deux semaines à convaincre les Français du bien-fondé du programme d’Emmanuel Macron. Erreur ! C’est une stratégie de premier tour, pas de second tour.
On peut dire que plus de trois électeurs sur quatre sont opposés au programme d’Emmanuel Macron puisqu’ils n’ont pas voté pour lui au premier tour. Vouloir insister, c’est se réduire à être ultraminoritaire alors que l’objectif serait de rassembler. Si beaucoup veulent ne pas choisir, c’est justement à cause d’un programme qu’ils jugent (à tort) ultralibéral.
Or, qui rassembler ? Inutile de vouloir rassembler les électeurs de Jean-Luc Mélenchon, parce que le programme de Jean-Luc Mélenchon est beaucoup trop éloigné d’Emmanuel Macron qui devient, pour les mélenchonistes, pire que Marine Le Pen, pire que Nicolas Sarkozy, pire aussi que Jacques Chirac ("Supermenteur") pour qui Jean-Luc Mélenchon avait ardemment appelé à voter en 2002. Pourtant, dans son meeting à Arras du 26 avril 2017, Emmanuel Macron a clairement racolé du côté de la France insoumise, en parlant ainsi de Jean-Luc Mélenchon : « Ses électeurs méritent mieux que lui ! ». Quelle erreur de ciblage !
Inutile aussi de vouloir séduire les socialistes : trop heureux d’imaginer une reconversion sinon une possibilité de rebondissement dans leur effondrement, tous les socialistes voteront Emmanuel Macron comme un seul homme. Un tract du PS a même déjà été imprimé pour appeler à voter Emmanuel Macron. Plus la peine de faire sa "chochotte", le PS devient macroniste et la seule question qui se posera sera en termes d’appareil : le Parti socialiste sera-t-il dissout dans En Marche ou pas ? Mais c’est une question d’après-élection, prématurée maintenant.
Et donc, le seul effort qui devrait être fait chez Emmanuel Macron, c’est d’attirer les électeurs de François Fillon. Et il faut dire qu’il y a une raison politique à cela : Emmanuel Macron et François Fillon étaient les deux seuls candidats du réel, les seuls qui partaient de la situation actuelle, qui disaient que la mondialisation n’était pas une idéologie mais un fait qui devait faire réagir la France pour être gagnante et pas perdante dans la compétition mondiale. Compétition à laquelle la plupart des électeurs français contribuent en tant que consommateurs, en achetant leurs smartphones américains, leurs tablettes sud-coréennes, leurs voitures allemandes ou leurs chemises chinoises…
Mais François Fillon avait surtout tapé sur Emmanuel Macron pendant la campagne du premier tour, créant ainsi ce joli nom, "Emmanuel Hollande" qu’a bien sûr repris le FN pour faire l’équivalence entre Emmanuel Macron et François Hollande, toujours ultra-impopulaire. C’est donc essentiel pour Emmanuel Macron de se démarquer du PS et du hollandisme pour se rapprocher du centre droit et de la droite républicaine.
Pour cela, bien sûr, il ne faut pas imposer un programme qui a été désapprouvé par 76% des Français. Il faut juste rassurer. Rassurer et rassembler. Rassembler en faisant des gestes d’ouverture en direction de LR et de l’UDI, et rassurer en expliquant quelles seraient les contours politiques de sa future majorité présidentielle.
Car la différence avec 2002, c’est que Jacques Chirac était soutenu par l’UMP qui a pu devenir majoritaire à l’Assemblée Nationale quelques semaines plus tard. C’est très différent de 2017 dans la mesure où En Marche n’a encore jamais eu un seul élu parlementaire avec cette étiquette et la plupart de ses candidats risquent d’être peu implantés, et donc d’être battus sur le terrain local.
On a reproché à Jacques Chirac d’avoir nommé sous la houlette de Jean-Pierre Raffarin un gouvernement réduit à l’UMP alors qu’il avait reçu plus de voix de gauche que de droite au second tour. François Bayrou aurait voulu un gouvernement d’unité nationale qui retrouvât la majorité présidentielle du second tour. Cela ne s’est pas fait et peut-être tant mieux, car cela aurait pu donner un boulevard au FN. Remarque, le boulevard est quand même là et bien là, et le FN est au second tour quinze ans plus tard, avec beaucoup plus de voix que le paternel.
Emmanuel Macron veut-il donc ne gouverner qu’avec des députés En Marche ou voudrait-il ouvrir à d’autres organisations, le PS ? LR ? le PRG ? l’UDI ? etc. C’est cette capacité de rassembler politiquement et donc électoralement qui lui permettra de gagner. Sans cela, sa défaite est probable, malgré les sondages… car cela provoquerait une vague d’abstentions ou de votes blancs beaucoup trop forte face à la mobilisation du FN.
C’est toujours facile de se dire qu’on préfère quand même éviter Marine Le Pen, mais "sans moi", sans mon vote. Avec une telle philosophie, il ne faudra pas rouspéter dans le cas d’une victoire du FN au second tour. Il y a même pire : Christine Boutin voudrait empêcher Emmanuel Macron d’avoir une victoire large pour qu’il soit un Président sous surveillance, et pour cela, elle va voter …pour Marine Le Pen ! Si tout le monde fait comme elle, il ne restera plus que 24% à Emmanuel Macron.
L’autre erreur qu’Emmanuel Macron semble esquisser, à cause de ses soutiens très contreproductifs, comme Pierre Moscovici (commissaire européen) le 25 avril 2017 et Gérard Collomb (sénateur-maire de Lyon) le 26 avril 2017, c’est de vouloir faire du second tour un référendum sur l’Europe, pour ou contre l’Europe. Quelle bêtise ! quelle imprudence, quelle arrogance de croire qu’en amenant le débat sur l’Europe, Emmanuel Macron gagnerait avec certitude ! En 2005 aussi, les sondages donnaient le "oui" gagnant à 60%...
C’était exactement ce que voulait Marine Le Pen, réduire le débat à un débat sur l’Europe, qui ferait oublier son "origine" d’extrême droite.
Le blogueur chrétien KozToujours, soutien de François Fillon, a rappelé opportunément le 25 avril 2017 : « De fait, je ne crois pas à la modération du Front national, au contraire. Lorsque Louis Aliot affirme sur le plateau de France 2 qu’il n’est pas d’extrême droite et qu’il ne connaît pas de personne d’extrême droite au Front national, il ment. Évidemment. L’un des plus proches amis de sa compagne, Frédéric Chatillon, n’a rien renié de ses convictions gudardes. Un autre proche de Marine Le Pen et ancien du GUD, Axel Loustau, filmé casqué sur la tête et barre à la main à la fin d’une Manif pour Tous, provoquant les forces de l’ordre, frappant des organisateurs de la Manif, aujourd’hui conseiller régional d’Île-de-France, n’est pas simplement "de droite". La "dédiabolisation" du Front national n’est qu’un ripolinage. Certains, bien sûr, s’y laissent prendre de bonne foi (…). Le terme même de "dédiabolisation" lui-même est un travail d’artiste de la part du FN. Car non, décrire la réalité du Front national n’est pas le "diaboliser", mais ils sont parvenus à ce que ce néologisme militant soit largement repris, comme situation de fait. Pourtant, il n’y a pas un scrutin qui passe sans son cortège de retraits d’investiture et d’exclusions du parti, démontrant non seulement que c’est un puits sans fond, mais que le FN sanctionne moins les opinions professées que leur malencontreuse publicité. (…) Le Front national ne se modère pas, bien au contraire, il se durcit. Quand Marine Le Pen exclut son père, elle intègre Philippe Vardon [et son approche ethniciste]. (…) Le refus de se cantonner à une dénonciation morale du Front national ne doit pas conduire à une autocensure sur sa réalité profonde. ».
Mais au-delà de l’opération de diversion, un débat sur l’Europe ne se ferait pas forcément à l’avantage d’Emmanuel Macron, et c’est surtout là le danger. François Fillon, qui était favorable aussi à une relance de la construction européenne, du moins dans la zone euro, avait bien compris que ce thème devait être pris avec des pincettes et qu’il fallait rester à l’écoute des nombreux citoyens inquiets par les transferts de souveraineté dont on leur parle à longueurs de journées depuis plus d’une douzaine d’années. Il ne faut pas être un Européen honteux, mais il faut être conscient que ce thème de campagne, loin d’être porteur, peut plomber un candidat dans une eurobéatitude qui le ferait déconnecter du peuple.
En fait, j’ai eu l’impression que les proches d’Emmanuel Macron ont arboré la campagne du second tour la fleur au fusil, avec une certaine naïveté quand, en face, ils ont une redoutable candidate très politique et très habile. Il faut qu’ils rangent leur programme, il faut que leur candidat, Emmanuel Macron, prenne de la hauteur, parle de la France, parle aux Français, à tous, à ceux qui ont voté pour ses adversaires, et surtout, il faut qu’il prenne au sérieux et avec gravité la colère populaire qui s’est exprimée par au moins 40% du corps électoral. En clair, il faut qu’Emmanuel Macron rassure et s’ouvre à cette classe politique qu’il voulait haïr, car dans tous les cas, personne ne fera plus croire qu’il est le candidat contre le système. Il vaut mieux qu'il assume qu’il est d'abord le candidat du rassemblement et de la cohésion nationale.
Heureusement, Emmanuel Macron apprend vite et sait corriger rapidement ses erreurs. Son déplacement à Oradour-sur-Glane le 28 avril 2017 a relevé le niveau de cette drôle de campagne au moment où le FN pataugeait dans le rappel des déclarations très douteuses de son très furtif président par intérim. Toujours revenir aux fondamentaux, et c'est ce que tente Emmanuel Macron avec raison.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (28 avril 2017)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Macronités.
Choisis ton camp, camarade !
Premier tour de l’élection présidentielle du 23 avril 2017.
Macron ou Fillon pour redresser la France ?
Emmanuel Macron, le clair-obscur.
Le soutien de Manuel Valls.
Deuxième débat télévisé du premier tour de l’élection présidentielle (4 avril 2017).
L’auberge macrospagnole.
Analyse du programme d’Emmanuel Macron.
Le programme d’Emmanuel Macron (à télécharger).
Les onze candidats.
La déclaration de patrimoine des candidats (à télécharger).
Premier débat télévisé du premier tour de l’élection présidentielle (20 mars 2017).
Liste des parrainages des candidats à l’élection présidentielle au 18 mars 2017.
Liste officielle des onze candidats à l’élection présidentielle (21 mars 2017).
L’héritier de François Hollande.
Autorité et liberté.
François Bayrou se maconise.
La démocratie française est devenue quantique (24 avril 2007).
La réduction du paquet d'onde centriste (10 mai 2007).
Comptes à débours.
Emmanuel Macron va-t-il dynamiter la présidentielle 2017 ?
Emmanuel Macron est-il de gauche ?
Bernard Cazeneuve.
Benoît Hamon.
François Fillon.
Primaire socialiste de janvier 2017.
Les investissements productifs.
La France archaïque.
Et si… ?
L’élection présidentielle en début janvier 2017.
Ramasse-miettes du système politique français.
JJSS, un Macron des années 1970.
Le Centre aujourd’hui.
Manuel Valls.
François Hollande.
Une colombe dans un nid de crocodiles.
Hollande démacronisé.
Michel Rocard.
Populismes.
Mystère ou Mirage Macron ?
Discours d’Emmanuel Macron le 8 mai 2016 à Orléans (à télécharger).
La vivante énigme d’Emmanuel Macron.
Le saut de l'ange.
La Charte de En Marche (à télécharger).
Emmanuel Macron à "Des paroles et des actes" (12 mars 2015).
La loi Macron.
Casser le clivage gauche/droite.
Paul Ricœur.
La France est-elle un pays libéral ?
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20170426-macron.html
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/macronites-192459
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2017/04/29/35218953.html
commenter cet article …