Oubliant le slogan de son affiche ("La France apaisée"), Marine Le Pen, par ses invectives continuelles et redondantes, a fait du Jean-Marie Le Pen au cours de ce débat présidentiel historique face à Emmanuel Macron.
Ce mercredi 3 mai 2017 a eu lieu en direct sur TF1 et France 2 le débat de second tour de l’élection présidentielle entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Qu’on ne s’y trompe pas : on peut imaginer que ce type de débat politique est ancré dans les mœurs depuis 1974, mais une élection n’avait pas eu ce débat, c’était en 2002, justement quand Jean-Marie Le Pen était le candidat opposé à Jacques Chirac au second tour.
Ce débat de second tour avec l’extrême droite est donc sans précédent, comme le fut le débat faisant intervenir les onze candidats du premier tour le 4 avril 2017. Rien que cela, ce fut une grande victoire de Marine Le Pen dans la banalisation de son parti et de ses idées. Refuser un tel débat de la part d’Emmanuel Macron, dans le contexte politique et social actuel, aurait été considéré comme une véritable lâcheté. Or, s’il y a bien un point sur lequel tout le monde peut se mettre d’accord, c’est qu’Emmanuel Macron n’est pas un lâche et n’a jamais hésité à rencontrer des personnes connues pour leur opposition à lui, comme à Whirlpool le 26 avril 2017 à Amiens.
Pourtant, après ce débat, on peut se demander légitimement si Emmanuel Macron a eu raison de débattre. Alors que le duel entre Jacques Chirac et Lionel Jospin en 1995 fut le plus courtois et le plus intellectuel, on peut dire sans risque qu’à l’inverse, ce débat de 2017 fut le pire de tous les duels de second tour. En raison de la posture Marine-la-peste, le débat, qui a rassemblé 16,5 millions de téléspectateurs (c'est faible), était d'un niveau encore plus nul que les débats entre Donald Trump et Hillary Clinton ! Rétrospectivement, ce n’était pas étonnant et cela pouvait même être prévisible avec la présence de la représentante de l’extrême droite.
Marine Le Pen n’a jamais abordé le fond et, souvent avec un sourire insolent, celui du faible contre le fort, n’a cessé d’interrompre son interlocuteur, n’a cessé de proférer des invectives, des outrances souvent déplacées, de se placer sur le plan de l’émotion et de l’anathème. Aucun raisonnement, aucun aspect de fond, la vacuité complète.
Malheureusement, Emmanuel Macron l’a suivi dans cette crevasse du débat politique. Il aurait pu surfer et refuser de répondre aux nombreux mensonges répétés pendant tout le débat, mais Emmanuel Macron, peut-être parce que novice, a préféré répondre et se justifier, s’enfonçant ainsi de ce puits sans intérêt. Il s’est mis à son niveau très bas, lui a donné ainsi une place honorable, et heureusement pour lui, au milieu du débat, il a compris qu’il fallait baisser le ton, reprendre le souffle, mettre des silences et reprendre le fil sans se préoccuper des incessantes interruptions.
Ce débat stressant a même mis mal à l’aise les téléspectateurs pour la simple raison que la tension était contaminante. À la fin, il n’en est rien ressorti. Il sera à l’image de cette campagne présidentielle, de caniveau, où les enjeux politiques ont laissé place à des thèmes complètement abjects.
Le comportement de Marine Le Pen a été très étonnant. On prédisait qu’elle aurait une face apaisée, voulant rassurer. C’est le contraire. Sans arrêt en train de harceler son contradicteur, elle n’a jamais eu une posture présidentielle. Elle était plus en commentatrice qu’en actrice. Elle a montré qu’elle a atteint son niveau d’incompétence. Elle avait une tribune essentielle, la plus importante en France tous les cinq ans, et elle en était visiblement réjouie, mais à aucun moment, elle ne s’est sentie en mesure de gagner cette élection. Pire, son comportement, particulièrement contreproductif, laisse même entendre qu’elle ne voudrait pas être élue, surtout pas. À la dernière partie du débat, Marine Le Pen était carrément dans le délire, parlant de choses sans relations entre elles, à tort et à travers, gardant un sourire narquois qui pouvait même laisser entendre qu’elle pouvait avoir un léger dérangement mental.
Sur le fond, Marine Le Pen était incapable de parler de son supposé programme, incapable de s’y retrouver avec ses nombreuses notes qu’elle ne savait pas lire. Elle a montré une incroyable impréparation, comme si elle n’avait fait confiance qu’en sa spontanéité et son esprit de répartie. Elle n’a jamais parlé que sur le plan de l’émotion, jamais sur le plan de la raison, du raisonnement, de l’explication ou de la pédagogie. Toujours sur le plan de la critique, de la peur, de la colère.
Son incompétence technique était formidablement illustrée à plusieurs reprises, la plus marquante sans doute fut que lorsqu’elle a parlé de SFR à Emmanuel Macron, elle a voulu préciser en regardant ses notes, et a continué à parler de …Alstom !
À d’autres moments, il était visible qu’elle ne comprenait pas ce qu’elle proposait, qui restait très confus, comme sa position sur l’euro, elle veut rétablir le franc sans supprimer l’euro et croyait que l’euro existait avant la mise en place de la monnaie unique, confondant une monnaie avec le principe du serpent monétaire européen (SME) dont les taux d’échange n’étaient pas fixes ! Emmanuel Macron a facilement désarçonné ce type de proposition en prenant l’exemple d’une entreprise qui reçoit des euros en échange de la vente de ses produits et qui devraient payer ses salariés en francs !
La vacuité du programme de Marine Le Pen a pu être ressentie tout au long du débat puisque lorsqu’elle devait par exemple présenter sa position sur un sujet, elle prenait tout son temps de parole à démolir son adversaire de manière péremptoire et sans argumentation. C’était le cas aussi de la "carte blanche", un sujet que chaque candidat avait la liberté d’aborder hors des questions abordées par les journalistes. Tandis qu’Emmanuel Macron a parlé de l’important thème du handicap, qui sera une priorité de son quinquennat, Marine Le Pen a avoué ne pas en avoir, passant simplement son temps à insulter ou à mentir à propos de son contradicteur.
Enfin, Marine Le Pen a montré qu’elle regrettait en fait de ne pas avoir François Hollande en face d’elle. Elle n’a cessé de fustiger les socialistes, les gouvernements socialistes, et a voulu coller cette étiquette socialiste à Emmanuel Macron qui ne l’a jamais acceptée puisqu’il rejette lui aussi le PS.
Ce n’était donc pas très facile pour Emmanuel Macron de pouvoir s’exprimer dans ces conditions et il a montré une certaine combativité et dynamisme qui, pourtant, ont montré qu’il descendait au niveau de la candidate de l’extrême droite. Il a cependant réussi à exposer certains pans de son programme, mais avec une grande difficulté car il était tout le temps coupé.
Au début, il a même montré un peu d’arrogance, celui du sachant face à l’ignorante, qui aurait pu lui porter préjudice s’il avait persévéré dans cette voie. Notamment lorsqu’il a expliqué doctement la différence de produits proposés par SFR et par Alstom.
Il n’a pas pourtant voulu montrer sa culture littéraire, évitant de citer des textes d’auteur (alors qu’il était attaqué sur la "culture française") et il n’a cité qu’un seul livre, le sien ! Probablement qu’Emmanuel Macron est allé trop loin, à la fin, quand il a dit que Marine Le Pen était un « parasite du système », car le mot "parasite" ou "vermine" a des connotations dans l’histoire française particulièrement fâcheuses (associé à l’antisémitisme).
Emmanuel Macron a dû répéter plusieurs fois que sa contradictrice disait n’importe quoi ou mentait, ou disait des choses fausses, ou floues, transformées, etc. Parmi les formules précises : « Vous avez un rapport avec la vérité qui n’est pas le bon ! ». Ou encore : « Je le regrette, Madame Le Pen, la France mérite mieux que vous ! ».
Les deux journalistes choisis ne furent pas des lumières, je dois le dire, incapables de faire correctement la discipline pour laisser chacun parler seul (il semblerait que Léa Salamé aurait été rejetée par Marine Le Pen dans le choix des animateurs). La journaliste retenue a même demandé à Emmanuel Macron s’il comptait réduire le nombre de parlementaires « par ordonnance », montrant une inculture institutionnelle incroyable (le nombre de parlementaires fait partie des dispositions constitutionnelles et donc, il faut réviser la Constitution, ce qui ne se fait évidemment pas par ordonnance !).
Parmi les mots employés au cours de ce débat, il y a ce clivage proposé dès l’introduction par Emmanuel Macron : Marine Le Pen est « l’esprit de défaite », considérant que le mondialisme est trop dur pour la France, et lui, il est « l’esprit de conquête » pour rendre la France dans sa plénitude de sa puissance.
Marine Le Pen s’est prétendue être « la candidate du pouvoir d’achat » et a considéré son concurrent comme « le candidat du pouvoir d’acheter ».
À Marine Le Pen qui lui reprochait de susciter la peur en cas de sortie de l’euro, Emmanuel Macron a rappelé que le FN était d’abord le parti qui exploitait la peur des électeurs, proclamant : « La grande prêtresse de la peur, elle est en face de moi ! ».
Sur le fond, j’ai trouvé qu’Emmanuel Macron aurait pu utiliser certains arguments évidents, notamment sur l’Europe.
Par exemple, il aurait dû dire que toutes les directives européennes de Bruxelles ont été d’abord décidées par les conseils européens et la France a pris part à ces décisions. Ce ne sont donc pas des directives imposées par Bruxelles, mais des textes voulus initialement par la France dont l’avis est essentiel dans les conseils européens puis déclinés en directives européennes.
De la même manière, Marine Le Pen a dit que depuis le référendum sur le Brexit, le Royaume-Uni a une économie qui ne se porte pas mal. Sauf que justement : le Royaume-Uni n’est pas encore sorti de l’Europe, et n’était de toute façon pas dans la zone euro (Emmanuel Macron a juste rappelé que le Brexit allait coûter 80 milliards d’euros aux Britanniques).
Emmanuel Macron ne devait pas non plus être au courant que les T-shirts utilisés ans le meeting du FN à Villepinte le 1er mai 2017 (à l’effigie de Marine Le Pen) avaient été fabriqués …au Bangladesh, bonjour le patriotisme industriel !
Sur l’augmentation de la CSG, plus faible que la baisse de charges salariales, Emmanuel Macron aurait dû rappeler que la CSG était aussi payée par les revenus des capitaux, et pas seulement par les salariés et les retraités.
Quand Marine Le Pen a parlé (plusieurs fois) de soumission de Emmanuel Macron (« à plat ventre ») à Angela Merkel, il aurait pu lui dire qu’il était aussi allé à la rencontre du Premier Ministre grec Alexis Tsipras. Marine Le Pen a d’ailleurs trouvé une formule qu’elle a préparée avant de venir : « De toute façon, la France sera dirigée par une femme : ce sera ou moi, ou Madame Merkel ! ».
Marine Le Pen n’a pas évoqué sa proposition de constitutionnaliser la préférence nationale (a-t-elle peur que cela effraie le chaland électeur ?), et était bien en difficulté lorsqu’il fallait convaincre sur le financement de ses 150 milliards d’euros de cadeaux fiscaux, sociaux, etc.
Deux thèmes importants n’ont pas été abordés : l’immigration (pourtant thème de prédilection du FN), et un sujet qui pouvait mettre en difficulté les deux candidats, quelle majorité parlementaire en cas d’élection ?
La nature revient donc vite au galop. Marine Le Pen reste une Le Pen. Elle était donc intellectuellement mauvaise durant ce débat, mais cela n’empêcherait peut-être pas qu’elle ait pu être efficace électoralement.
On peut imaginer que plus les protagonistes d’un tel duel sont jeunes, plus leurs échanges seraient forcément vifs, rudes, virulents. Cela crée un spectacle mais en aucun cas cela aide l’électeur hésitant à être éclairé sur les intentions des deux candidats. Un spectacle très peu constructif.
C’est clair que ce duel avec l’extrême droite est sans doute celui qui a mis en jeu les deux visions les plus éloignées de la société. Les risques sont donc grands que l’histoire de la France soit singulièrement affectée par une victoire de l’extrême droite, même si celle-ci, ce débat l’a confirmé, n’a jamais prétendu gouverner le pays. Emmanuel Macron a conclu le débat télévisé par sa volonté de mener une France réconciliée. C’était le mot qu’il fallait employer, réconciliation des Français, alors que le FN fait tout pour les diviser, même pour des sujets qui mériteraient l’unité nationale, à savoir la lutte contre le terrorisme.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (04 mai 2017)
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Résultats officiels du premier tour du 23 avril 2017.
Premier tour de l'élection présidentielle du 23 avril 2017.
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Deuxième débat télévisé du premier tour de l’élection présidentielle (4 avril 2017).
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Le bilan comptable du quinquennat Hollande.
François Fillon.
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Marine Le Pen.
Nicolas Dupont-Aignan.
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