« J’aimais Bernard Bosson fraternellement. Un lien forgé dans le feu des combats, et dans les longues soirées de jeunesse. Nous sommes tristes. » (François Bayrou, le 16 mai 2017).
Tous ceux qui ont connu la fougue, la jeunesse, le dynamisme, la convivialité et le sens du contact de l’ancien ministre centriste Bernard Bosson n’ont pu qu’avoir un pincement au cœur en apprenant sa mort à 69 ans, le samedi 13 mai 2017 dans la soirée, dans un hôpital à Lyon, à la suite d’une douloureuse maladie. Ses obsèques ont eu lieu très discrètement le 15 mai 2017 avant l’annonce publique de sa disparition.
Bernard Bosson était l’un des trois B de la "nouvelle génération" du centre en France à la fin des années 1980, avec Dominique Baudis et François Bayrou qui en est le dernier survivant. Ils avaient remplacé petit à petit une autre "bande des trois", Jacques Barrot, Bernard Stasi et Pierre Méhaignerie. Les deux premiers sont aussi partis récemment, tandis que Pierre Méhaignerie a pris sa retraite parlementaire en 2012 avec quelques regrets d’avoir rejoint l’UMP en 2002.
Bernard Bosson, avocat, n’était pas un énarque, mais il faisait partie de ces jeunes loups conquérants de l’opposition, opposition à François Mitterrand, trentenaires, pleins d’ambition et de conviction des années 1980. Et cette reconquête de l’électorat avait commencé par les grandes villes en mars 1983 : Bernard Bosson à Annecy, Dominique Baudis à Toulouse, Alain Carignon à Grenoble, Michel Noir à Lyon (seulement en 1989), Philippe Séguin à Épinal, etc. Une nouvelle génération qui s’est présentée aux élections européennes de juin 1984 (quand elle n’était pas déjà au Palais-Bourbon) puis aux élections législatives de mars 1986.
Bernard Bosson, comme Dominique Baudis du reste, a été le "fils de son père", à savoir Charles Bosson (1908-2001), ancien parlementaire (1946 à 1948 et 1958 à 1986) et ancien maire d’Annecy (1954 à 1975). Dès 1986, il est entré au gouvernement et fut au sommet de son influence nationale lorsqu’un autre Édouard était Premier Ministre, Édouard Balladur.
La carrière politique de Bernard Bosson était assez brillante mais il lui manquait d’être un véritable leader du centre en France, qu’il a tenté de devenir en décembre 1994. Son échec au sein du CDS, celui d’Édouard Balladur à l’élection présidentielle de 1995, son propre échec aux élections législatives de juin 2007 (battu par l’actuel député LR Lionel Tardy) ont réduit à peu de chose l’investissement d’une douzaine d’années de suractivité dans les instances nationales de la droite et du centre.
Sa ville d’Annecy (où il est né le 25 février 1948) fut l’une de ses joies d’élu dans l’action : conseiller municipal dès le 13 mars 1977, il fut maire d’Annecy du 14 mars 1983 au 5 janvier 2007 (il resta au conseil municipal jusqu’à sa mort), conseiller général d’Annecy centre du 18 mars 1979 au 7 octobre 1988, conseiller régional de Rhône-Alpes du 17 mars 1986 au 6 avril 1992 et député de Haute-Savoie du 16 mars 1986 au 19 juin 2007 (sauf pendant les périodes ministérielles).
Il a eu très rapidement des responsabilités nationales : il fut nommé à 38 ans membre du gouvernement de Jacques Chirac, lors de la première cohabitation, d’abord aux Collectivités locales du 20 mars 1986 au 19 août 1986 (auprès de Charles Pasqua), puis aux Affaires européennes du 19 août 1986 au 10 mai 1988. Il retourna au gouvernement lors de la deuxième cohabitation, avec Édouard Balladur, au poste stratégique de Ministre de l’Équipement, des Transports et du Tourisme du 30 mars 1993 au 11 mai 1995.
Soucieux de la compétitivité des grandes entreprises françaises, il déclara par exemple le 27 octobre 1993, à l’Assemblée Nationale, alors que la compagnie Air France était en grande difficulté financière : « Ne rien faire pour Air France serait, demain comme hier, condamner à terme cette compagnie. N’ayez aucune illusion : il n’y aura pas de place, dans l’Europe du XXIe siècle, pour toutes les compagnies nationales existantes. Or, tout le monde voit aujourd’hui quels sont les pavillons qui gagnent de l’argent : British Airways qui se redresse à une vitesse accélérée ou Lufthansa. Le problème est de savoir si les 50 000 salariés du groupe auront ou non un emploi demain et si notre pavillon continuera de voler ou non. ».
J’ai eu la chance d’avoir rencontré Bernard Bosson à de nombreuses reprises au début de ces années 1990 par la proximité régionale, à Annecy ou à Lyon, et aussi dans des rencontres nationales. Je m’arrêterai ici à son parcours politique national.
Bernard Bosson fut rapidement apprécié par Charles Pasqua, Ministre de l’Intérieur et son ministre de tutelle en 1986, ce qui a conduit à une promotion rapide au rang de ministre délégué chargé d’un sujet qui ne pouvait que lui tenir à cœur, les Affaires européennes.
Partisan passionné de la construction européenne, Bernard Bosson avait beaucoup réfléchi sur l’avenir de l’Europe juste après la chute du mur de Berlin. Il convenait de la nécessité d’intégrer tous les pays d’Europe centrale et orientale mais avait souhaité une profonde réforme des institutions européennes avant l’élargissement car il voyait le risque de paralysie. Il réfléchissait également à la manière d’engager de nouvelles politiques communes, après l’adoption de l’euro par référendum, en imaginant une Europe par cercles concentriques, où chaque État membre déciderait de son niveau d’implication collective. En ce sens, il avait une vision très forte de l’Europe. Cela associé à la volonté de décentralisation étaient les deux sujets par excellence des centristes français.
C’est pour cette raison qu’il avait vocation à incarner ce centre si difficile à appréhender. Emmanuel Macron est en train peut-être de réaliser une véritable recomposition du paysage politique. Parce qu’il est élu, il a déjà en partie réussi. L’avenir dira ce qu’il en restera. Mais les velléités de recomposition politiques ne datent pas d’Emmanuel Macron. Elles datent déjà de Valéry Giscard d’Estaing en mars 1978, qui aurait souhaité une majorité UDF-PS pour s’affranchir des tirs à l’artillerie lourde des bataillons de RPR à l’Assemblée Nationale, mais le PS ne pouvait succomber aux sirènes giscardiennes en raison de la politique d’union de la gauche PS-PCF voulue par François Mitterrand. Michel Rocard aurait été probablement beaucoup plus favorable à cette réunion des modérés au sein d’un même gouvernement.
Une nouvelle tentative de recomposition fut initiée au printemps 1989, après les élections municipales de mars 1989 et dans l’optique des élections européennes de juin 1989. C’étaient les douze Rénovateurs. Bernard Bosson en faisait partie. Douze jeunes députés, six de l’UDF, six du RPR, à l’initiative de Michel Noir, Philippe Séguin, François Bayrou et Dominique Baudis, voulaient casser le clivage entre Valéry Giscard d’Estaing et Jacques Chirac. Mais les ambitions individuelles et les visions des uns et des autres n’étaient pas homogènes et l’initiative n’a pas été poursuivie au-delà de l’unique grand rassemblement à Lyon le 24 juin 1989. L’enjeu, c’était, après l’échec de Raymond Barre et de Jacques Chirac en 1988, de promouvoir un profond renouvellement de l’opposition (le refrain d’Emmanuel Macron : nouveaux visages et nouveaux usages). Il n’a pas eu lieu, faute de combattant, et parce que ceux qui dirigeaient le RPR, Alain Juppé (secrétaire général) et Nicolas Sarkozy (secrétaire général adjoint) préféraient miser sur le contrôle de l’appareil du RPR.
Je me souviens qu’en début avril 1989 à Narbonne, chacun des "3 B" (Bayrou, Baudis, Bosson) avait fait part de sa vision de l’organisation future de l’opposition de l’époque. Bernard Bosson, qui chuintait un peu comme un giscardien, était alors favorable à une formation unique de l’opposition favorable à la décentralisation et à la construction européenne. C’était avant le Traité de Maastricht et à un moment où Jacques Chirac hésitait encore sur sa vision de l’Europe.
La révolution de salon des rénovateurs a accouché d’une souris en juin 1989 : une liste autonome soutenue par les seuls centristes et menée par Simone Veil (dans la liste, éligible, un certain Jean-Louis Borloo), qui s’est retrouvée face à une liste menée par Valéry Giscard d’Estaing et Alain Juppé, ce qui n’avait pas beaucoup de sens politique. L’échec de Simone Veil (8,4% alors que cinq ans auparavant, elle avait réuni 43,0%) a été le point de départ d’une détestation de l’ancienne et future ministre contre François Bayrou qui avait dirigé sa campagne.
Dès lors, chaque "rénovateur" a repris sa liberté : Michel Noir et Alain Carignon se sont carbonisés avec les affaires judiciaires, Charles Millon s’est enferré dans une alliance avec l’extrême droite en Rhône-Alpes, François Fillon, le plus jeune et le plus prudent, a savamment progressé jusqu’à devenir l'un des Premiers Ministres les plus longs de la République et même à se retrouver aux portes de l’Élysée cette année. Philippe de Villiers a pris très vite son indépendance pour s’opposer à la construction européenne. Philippe Séguin fut le mal aimé de Jacques Chirac et s’est lui aussi, par manque de composition, brûlé les ailes jusqu’à renoncer à diriger le RPR, ou à prendre la tête des municipales à Paris. Étienne Pinte n’est pas sorti de son anonymat, François d’Aubert a intégré quelques ministères, Michel Barnier a poursuivi une prudente carrière ministérielle et européenne. Dominique Baudis et Bernard Bosson ont cherché à conquérir l’appareil du CDS. François Bayrou, lui, s’est investi auprès de Valéry Giscard d’Estaing en devenant secrétaire général de l’UDF, confédération centriste qu’a présidée l’ancien Président de 1988 à 1995.
Au début des années 1990, il était convenu par les centristes qu’il fallait renouveler la direction et impliquer les "jeunes quadra" (ils n’étaient plus trentenaires). Cela devait avoir lieu au congrès d’Angoulême en octobre 1991. Pierre Méhaignerie, le président du CDS (depuis 1982), qui avait remarquablement négocié les investitures UDF-RPR aux élections législatives (à l’époque, entre 1988 et 1993, l’UDF faisait jeu égal avec le RPR au Parlement), avait finalement obtenu un sursis, et comme on ne "tuait" personne dans la famille démocrate-chrétienne, la direction ne fut renouvelée qu’à moitié : Dominique Baudis, très populaire, au lieu de conquérir la présidence, devenait un "président exécutif" sans beaucoup de force, laissant à Pierre Méhaignerie la présidence (qu’il cumulait avec la présidence du groupe centriste à l’Assemblée Nationale), et Bernard Bosson a pris le secrétariat général à Jacques Barrot. Il n’y a eu aucune bataille interne, comme cela avait été le cas en 1982 dans la lutte entre Bernard Stasi et Pierre Méhaignerie pour la succession de Jean Lecanuet. La bataille interne a été reportée à avril 1994, à Rouen, puis, pour ne pas perturber la campagne des élections européennes de juin 1994 (Dominique Baudis était la tête de liste UDF-RPR), encore reportée à décembre 1994 à Vincennes.
Pendant ce temps, Bernard Bosson, en manager fébrile, s’était entièrement investi dans les fédérations départementales et était de ceux qui connaissaient le mieux la réalité humaine de ce parti. Cela ne faisait aucun doute qu’il se présenterait à la présidence du CDS et qu’il y serait élu haut la main, avec ou sans concurrent.
C’était sans compter sur l’ambition d’un autre. En été 1994, la situation présidentielle était assez claire : l’UDF n’aurait aucun candidat crédible à l’élection présidentielle de 1995 et s’était déjà jeté à fonds perdus derrière la candidature d’Édouard Balladur, Premier Ministre très populaire, tandis que Jacques Chirac, abandonné même par ses plus proches au RPR, montrait sa détermination à être lui aussi candidat.
Parmi les plus balladuriens des centristes se trouvait Bernard Bosson, ministre clef, qui considérait qu’Édouard Balladur était beaucoup plus européen que Jacques Chirac et qu’il fallait gagner avec lui plutôt que se compter au premier tour. Mais d’autres considéraient qu’il ne fallait absolument pas renouveler cette vacuité de candidature centriste de 1995 : il fallait donc préparer un véritable candidat sur le long terme.
François Bayrou, lui aussi, était balladurien, mais un peu plus prudent. Il décida, lui aussi, de postuler pour la présidence du CDS et grâce à un travail systématique au sein des fédérations, il a finalement réussi à se faire élire président du CDS en décembre 1994, le même jour que la renonciation de Jacques Delors. L’ambition de François Bayrou ne s’est pas arrêtée au CDS : il fut ensuite président de l’UDF avec l’aide de François Léotard (contre Alain Madelin) et son seul but était déjà l’élection présidentielle…. suivante.
Revenons à Jacques Delors, justement, car il avait le profil quasi-identique d’Emmanuel Macron. Très aimé des centristes (de droite) pour sa foi en l’Europe et son réalisme économique, il l’était beaucoup moins de ses amis socialistes de l’aile gauche. Jacques Delors, qui avait 69 ans, jouissait d’une popularité très élevée, au point même de dépasser parfois Édouard Balladur dans les intentions de vote. Le projet politique de Jacques Delors aurait été de réunir le centre gauche et le centre droit, exactement cette politique de La République En Marche. Mais Jacques Delors n’était pas un rigolus comme Emmanuel Macron, il était un tristus, et il ne concevait pas qu’une telle initiative puisse aboutir au succès, ne comprenant pas la logique institutionnelle qui veut qu’une majorité parlementaire se clive selon l’élection présidentielle.
Interrogé par la journaliste Michèle Cotta, qui ne comprenait pas son balladurisme, Bernard Bosson lui a expliqué le 12 octobre 1994 ceci : « Soyons clairs. Je suis un ami de Delors, sans doute le plus proche qu’il ait au CDS. Mais il est candidat de l’autre camp. Je ne suis pas de ceux qui choisiront l’autre camp. Donc, je serai son adversaire, derrière Balladur si Balladur est candidat. ».
Michèle Cotta avait aussi interrogé le même jour Jacques Barrot sur ce sujet, et voici ce qu’elle a retenu de la conversation : « Et si Delors gagne ? "On verra bien. Ce sera une nouvelle cohabitation". Il [Jacques Barrot] songe déjà que, de toute façon, si Delors est élu, il sera possible, pour les centristes, de se rattraper aux branches, avec l’un d’eux, si besoin est, à Matignon. "L’atout véritable de Delors, aux yeux des centristes, me dit-il encore, c’est véritablement l’Europe et sa proximité avec Helmut Kohl. Pour les centristes, la chrétienté et l’Europe, oui, ce sont bien des cartes maîtresses". Si j’ai bien compris, les centristes voteront Balladur au premier tour, et ils espéreront en la victoire de Delors. Je crains fort que, pour Jacques Delors, cet engagement-là ne soit pas suffisant. » (12 octobre 1994).
Bien plus tard, François Bayrou, qui avait la même position, a admis regretter de ne pas avoir saisi l’occasion de cette petite fenêtre de recomposition politique.
Je finis cet hommage par une anecdote décrite encore par Michèle Cotta lors d’un conseil des ministres, le jour anniversaire de François Mitterrand qui le présidait, le 26 octobre 1994. L’automne 1994 était très difficile pour le Président, sa maladie le faisait beaucoup souffrir et René Monory, Président du Sénat, avait même déjà pris ses dispositions pour assurer l’intérim. François Mitterrand a eu un malaise en pleine séance : « Alain Lamassoure, qui remplaçait Juppé, en déplacement, faisait une interminable communication sur la politique internationale. Tout à son sujet, il est le seul à n’avoir rien vu. Michel Barnier m’a raconté que Mitterrand, comme transpercé par la douleur, s’est replié sur lui-même, le souffle coupé. Puis il a sorti de sa poche un cachet qu’il a mis dans sa bouche sans dire un mot. Mais il a eu alors un second malaise : Bernard Bosson qui présentait à son tour une communication, l’a achevée en deux minutes. Au bout de quelques minutes supplémentaires au cours desquelles l’assistance est restée littéralement pétrifiée, Mitterrand est sorti de sa prostration. (…) Pasqua l’a réconforté de quelques mots. Le conseil a alors repris, les ministres achevant à vive, très vive allure leurs travaux. Tout le monde en est sorti bouleversé. ».
Bernard Bosson avait refusé la voie de François Bayrou du centre autonome mais solitaire en 2002 en appelant à voter Jacques Chirac. En 2007, il a soutenu la candidature de François Bayrou au premier tour mais a regretté l’attitude de ce dernier pour le second tour. Il s’est présenté aux législatives sous l’étiquette du Nouveau centre mais a été battu par un candidat divers droite, Lionel Tardy, devenu UMP puis LR, qui était soutenu par son ancien suppléant en 1993 devenu sénateur, Pierre Hérisson. En été 2011, voyant la tournure très droitière du quinquennat de Nicolas Sarkozy, il s’est engagé, pour la campagne présidentielle de 2012, derrière François Bayrou (comme Philippe Douste-Blazy). Comme une sorte de retour au bercail centriste.
Bernard Bosson s’est éclipsé en plein milieu d’une recomposition centriste très incertaine mais en cours de réalisation. Son engagement manquait déjà, l’homme manquera encore plus. Pensée émue à ses proches.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (16 mai 2017)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Bernard Bosson.
Les Rénovateurs de 1989.
Le CDS.
François Bayrou.
Bernard Stasi.
Jacques Barrot.
Dominique Baudis.
Jean Lecanuet.
René Monory.
Simone Veil.
Valéry Giscard d’Estaing.
François Mitterrand.
Jacques Chirac.
Édouard Balladur.
Charles Pasqua.
Emmanuel Macron.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20170513-bernard-bosson.html
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/bernard-bosson-figure-exaltee-du-193237
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2017/05/16/35294385.html
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