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10 juillet 2017 1 10 /07 /juillet /2017 01:45

« De par le roi, laissez aller les vaillants combattants et, sous peine de la vie qu’il soit fait aucun signe de la main, du pied, de l’œil, et de la voix ou en toussant, ni autre faveur de l’un et de l’autre. ».


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Quand on me parlait de "coup de Jarnac", je ne pouvais pas m’empêcher d’y associer dans ma tête la figure manœuvrière de François Mitterrand, né et enterré à Jarnac. Mais l’expression ne vient évidemment pas de lui. Il faut remonter plusieurs siècles dans l’histoire de France. Le coup de Jarnac a eu lieu précisément il y a quatre cent soixante-dix ans, le 10 juillet 1547 (avec le changement du calendrier julien en grégorien, un peu moins, en fait) dans un pré clos devant le château de Saint-Germain-en-Laye.

Il faut en effet retourner dans les temps anciens où un déshonneur, un affront verbal, se lavait dans le sang stupide des duels. La susceptibilité ou la colère devaient s’exprimer d’une manière ou d’une autre et il n’existait pas encore de "réseaux sociaux virtuels" ou de "forum Internet" qui permettaient d’insulter son prochain en tout anonymat et sans coup férir.

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Prenons les deux protagonistes. L’offensé était Guy Chabot de Saint-Gelais, futur baron de Jarnac (ah, voilà le Jarnac). Il avait 33 ans et s’était marié sept ans auparavant avec Louise de Pisseleu, la sœur d’Anne de Pisseleu, la duchesse d’Étampes, une des maîtresses de François Ier (je devrais écrire "favorites"). Le duché d’Étampes fut spécialement créé par le roi en 1536 pour un seigneur ruiné, Jean IV de Brosse, gouverneur de Bretagne, qu’on maria avec la maîtresse en question pour qu’elle fût "quelque chose".

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Anne de Pisseleu, favorite dès l’âge de 18 ans (elle est née fin 1508) et jusqu’à la mort du roi (31 mars 1547), avait beaucoup d’influence sur François Ier. Par exemple, elle l’encouragea à disgracier le connétable de Montmorency en 1541. Elle était considérée comme « la plus savante des belles et la plus belle des savantes ». Anne de Pisseleu fut disgraciée à la mort de François Ier en raison de la grande jalousie de Diane de Poitiers, maîtresse du dauphin qui devint le nouveau roi, Henri II.

Quelques mois avant la mort de François Ier, pour soutenir Diane de Potiers contre Anne de Pisseleu, le futur Henri II fit propager une rumeur sur le proche de cette dernière qu’était Guy Chabot (il était son beau-frère), selon laquelle Guy Chabot pouvait s’habiller très élégamment parce qu’il avait les faveurs avec la seconde femme de son père.

Guy Chabot a dû alors se justifier auprès de son propre père, lui assurer qu’il n’en était rien, et voulait évidemment laver son honneur dans un duel. Mais c’était impossible d’imaginer de provoquer le dauphin du roi en duel. Pour défendre le dauphin qui était son ami, François de Vivonne, frère de Charles, seigneur de La Châtaigneraie, filleul de François Ier, 27 ans au moment du duel, se désigna comme l’auteur de ces rumeurs pour permettre le duel. François de Vivonne était un guerrier très agile et très solide, courageux et très fort en escrime, querelleur, vaniteux, frimeur...

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Cependant, François Ier n’a jamais autorisé à Guy Chabot ce duel, qu’il considérait comme futile et provoqué par de dérisoires jalousies féminines. Après la mort du roi, le successeur Henri II était au contraire tout à fait partant, trop heureux de permettre à son ami de donner une leçon à ce Chabot qui faisait partie du mauvais camp (l’une des raisons de la rivalité de Diane la catholique, c’était la religion puisque, poussé par sa femme, Chabot se fit calviniste après son duel). Il n’y avait aucun doute sur l’issue du duel : la victoire de François de Vivonne était attendue car c’était un véritable athlète.

Quand Guy Chabot demanda au nouveau roi de faire ce duel, il avait alors entre-temps fait un entraînement avec un maître d’escrime italien (le capitaine Caize) qui lui enseigna notamment un coup de revers qui n’était pas connu de son adversaire ni des Français en général à cette époque.

Le duel fut organisé avec tout le protocole le 10 juillet 1547 à Saint-Germain-en-Laye, en présence du roi Henri II et de sa cour (Henri II fut sacré roi le 26 juillet 1547). Après quelques échanges de coups, le baron de Jarnac utilisa la méthode proposée par son professeur et porta l’épée à l’arrière de la jambe de son opposant qui, blessé, s’effondra. Malgré un sursaut de résistance de son adversaire, Guy Chabot fut proclamé vainqueur par le roi, sous les applaudissements des spectateurs, et le roi en a voulu à son ami d’avoir perdu : « Vous avez fait votre devoir, Jarnac, et vous est votre honneur rendu. Qu’en enlève le seigneur de La Châtaigneraie. ».

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François de Vivonne, pourtant très réputé en escrime, avait été déstabilisé par ce "coup de Jarnac", inconnu et inattendu, se retrouva dans l’indignité de la foule et se sentit tellement humilié qu’il refusa de soigner sa plaie, ce qui fit qu’il est mort le lendemain. Ayant perdu un ami cher, Henri II a alors interdit définitivement ce genre de duel complètement stupide.

Ainsi, la définition précise de l’expression fut la suivante : « Le coup de Jarnac désigne une attaque loyale mais imprévue et décisive. ». Et aussi : « une expression synonyme d’habileté et d’ingéniosité ».

Le dictionnaire de Trévoux, publié par les Jésuites en 1771, y plaça une connotation péjorative : « Coup mortel et imprévu. (…) Ce qui se prend toujours en mauvaise part, pour un tour auquel on ne s’attend pas, qui ruine quelqu’un, ou détruit la fortune, par allusion au duel où Jarnac tua La Châtaigneraie par un coup imprévu. ».

Le Littré a rétabli la neutralité à la fin du XIXe siècle : « Ce coup fut trouvé très habile et fournit une expression proverbiale, qui a pris un sens odieux ; mais c’est un tort de l’usage, car le coup de Jarnac n’eut rien que de loyal, et le duel se passa dans toutes les règles de l’honneur. ». Le Larousse aussi.

Quant à Guy Chabot, son destin ne fut pas plus heureux que celui de son opposant. S’il a eu une belle carrière comme sénéchal du Périgord, gouverneur de La Rochelle et maire de Bordeaux, il succomba à 70 ans au cours d’un autre duel le 6 août 1584. Henri II aussi succomba de ses blessures, à 40 ans, onze jours après un tournoi contre Gabriel de Montgommery, le 10 juillet 1559 (encore un 10 juillet). Un tournoi toujours aussi stupide, puisque le roi voulait encore frimer devant les belles dames de la cour…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (10 juillet 2017)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Le coup de Jarnac.
Concini.
Henri IV.
Philippe V.
François Ier.
Louis XIV.
Lully.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20170710-coup-jarnac.html

http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/etonnant/article/le-coup-de-jarnac-pour-les-nuls-194879

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2017/07/10/35455491.html


 

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