« À partir du moment où un homme politique se met à penser qu’il peut être Président, il devient marteau. » (Daniel Cohn-Bendit, le 28 juillet 1999).
Il est des destins qui se terminent avec un peu de malice. On savait que le Conseil Constitutionnel était la maison de retraite des vétérans de l’Élysée. En effet, les anciens Présidents de la République en sont membres de droit à vie. C’était une disposition qu’a voulu accorder De Gaulle à ses prédécesseurs René Coty et Vincent Auriol.
Il y a une dizaine d’années, cela avait donné des séances assez surréalistes présidées par Jean-Louis Debré entouré de Valéry Giscard d’Estaing (qui siège depuis 2004) et Jacques Chirac, deux grands rivaux "de droite" qui ont guerroyé l’un contre l’autre pendant une vingtaine d’années et qui se sont ainsi retrouvés dans une paisible retraite. Cela n’a pas duré très longtemps, en raison de la santé défaillante de l’un d’eux, mais il n'y a pas eu de séance avec trois anciens Présidents de la République, avec Nicolas Sarkozy (qui n'a siégé qu'entre mai 2012 et juillet 2013), car Jacques Chirac ne siège plus depuis mars 2011. François Hollande a annoncé qu'il ne siégerait pas dans cette instance.
On le dit assez peu, le Conseil Constitutionnel est en passe de devenir aussi le cimetière des vieux éléphants socialistes, ou plutôt… de Matignon. François Hollande a en effet nommé Laurent Fabius en février 2016 pour succéder à Jean-Louis Debré à la tête de cette cour suprême à la française. Ce qui était plus discrètement annoncé, c’était que quelques mois auparavant, Claude Bartolone avait remplacé Jacques Barrot, membre éminent qui a succombé alors qu’il prenait le métro parisien, aussi par un ancien Premier Ministre socialiste, Lionel Jospin, en fonction depuis le 6 janvier 2015. On imagine ainsi les séances avec Laurent Fabius et Lionel Jospin, ces deux rivaux du mitterrandisme historique qui se retrouvent maintenant dans une retraite à dorures.
Justement, ce mercredi 12 juillet 2017, Lionel Jospin fête son 80e anniversaire.
Que devient-il ?
C’est moins coquet et plus studieux que l’Académie française, mais le Conseil Constitutionnel était tout indiqué pour trouver une utilité républicaine à celui qui présida, du 14 juillet 2012 au 9 novembre 2012, la Commission sur la rénovation et la déontologie de la vie publique dont il n’est sorti aucune réforme constitutionnelle concrète (faisaient notamment partie de ce comité Théodule : Roselyne Bachelot, Jean-Claude Casanova, Chantal Arens et Olivier Schrameck). Il ne manquerait plus que nommer Édouard Balladur au Conseil Constitutionnel pour parfaire l’édifice.
Claude Allègre (qui fut un très proche de Lionel Jospin) et Denis Jeambar étaient assez dubitatifs le 24 septembre 2012 sur l’intérêt d’une telle commission : « La qualité des hommes et des femmes n’est pas en cause. En revanche, la méthode rend l’échec presque inévitable. Ces commissions travaillent dans la confidentialité. Du coup, lorsque sont dévoilées leurs conclusions, l’esprit critique l’emporte, les polémiques s’installent, les oppositions font feu de tout bois et le Président, pour calmer le jeu politique, enterre tout. On verra s’il en va autrement avec François Hollande, mais un changement de méthode pourrait lui donner une plus grande liberté d’action et de décision. » ("Le Point"). En fait, si effectivement le comité Jospin n’a débouché sur rien, c’est faux de le dire pour le comité Balladur de 2007 qui a engendré la (grande) révision constitutionnelle du 23 juillet 2008.
Revenons à Lionel Jospin lui-même. Si l’on regarde un peu son parcours, il a fait à peine mieux que François Hollande, ou à peine moins bien, cela dépend de savoir si c’est à Matignon version cohabitation ou à l’Élysée version majoritaire qu’il y a le plus de pouvoir.
La légitimité politique de Lionel Jospin fut la même que celle de François Hollande : premier secrétaire du Parti socialiste, du 24 janvier 1981 au 14 mai 1988 et du 14 octobre 1995 au 2 juin 1997. Il faut évidemment bien distinguer les deux périodes.
La première période, qui correspond au premier septennat de François Mitterrand, il n’était que le prête-nom de ce Président de la République très sourcilleux sur les affaires internes de "son" parti d’Épinay. Il n’a dû cette place qu’à la volonté du prince, une place si ennuyeuse qu’il lui a demandé la permission d’agir pendant le second septennat : Ministre d’État, Ministre de l’Éducation nationale du 12 mai 1988 au 2 avril 1992, numéro deux des gouvernements de Michel Rocard et d’Édith Cresson.
Limogé un an trop tôt (la législature se terminait en mars 1993), Lionel Jospin a subi une cuisante défaite aux élections législatives à Toulouse, si bien qu’il avait demandé à son ministre de tutelle (énarque, il était haut fonctionnaire au Quai d’Orsay), à savoir Alain Juppé, de réintégrer son corps d’origine et d’obtenir une ambassade prestigieuse, comme Berlin ou Rome. Mais Alain Juppé a refusé. Ce dernier l’a regretté amèrement par la suite puisque quatre ans plus tard, Lionel Jospin lui succéda à Matignon. En le nommant ambassadeur, il aurait définitivement éliminé un concurrent politique. C’est ce qu’avait tenté de faire Nicolas Sarkozy à la mort de Philippe Séguin en ayant proposé à François Hollande lui-même de lui succéder comme Premier Président de la Cour des Comptes (sans succès).
La seconde période de direction du PS, c’était vraiment lui le patron, il n’était plus un prête-nom. Après avoir affronté Henri Emmanuelli dans une primaire fermée, il fut désigné candidat socialiste à l’élection présidentielle de 1995. Son arrivée en tête du premier tour lui a donné toutes les clefs de son parti d’opposition à partir de 1995, au grand dam de son rival de toujours, Laurent Fabius, englué (un peu injustement) dans l’affaire du sang contaminé, qui lui avait déjà disputé la direction de la campagne des élections européennes en juin 1984 (Jospin à la tête du PS, Fabius à la tête du gouvernement et donc naturellement chef de la majorité). S’il a abandonné la direction du PS en 1997, c’était pour devenir Premier Ministre (du 2 juin 1997 au 6 mai 2002) : il restait cependant maître du PS, mais par procuration, avec François Hollande pour prête-nom.
Le destin tragique de Lionel Jospin, politiquement tragique car humainement, finalement, il n’y a rien eu de tragique, l’élection n’est pas la santé, c’était ce fameux 21 avril 2002, où il n’a même pas pu atteindre le second tour de l’élection présidentielle alors qu’il était le favori dans la course à l’échalote élyséenne. Peut-être même que le tragique ne fut pas les résultats électoraux eux-mêmes que la réaction très orgueilleuse de son retrait définitif de la vie politique qu’il a regretté d’avoir annoncé.
Finalement, François Hollande a fait pire après cinq ans de pouvoir ; il n’a même pas osé se représenter devant les électeurs, tellement personne n’en voulait plus. Et cela a abouti, là aussi, à un second "21 avril", mais un double "21 avril", ni le parti socialiste, ni le principal parti d’opposition ne se sont retrouvés au second tour, laissant place à un populisme extrémiste et à un centrisme novateur qui a surgi de nulle part.
Lionel Jospin a été l’un des chefs de gouvernement les plus "longs" de la République française, avec Georges Pompidou, François Fillon et Raymond Barre. Il faut admettre qu’il a été l’une des trois figures majeures du socialisme auxquelles les électeurs ont fait confiance dans l’histoire de la Ve République, avec François Mitterrand et François Hollande. Ces trois "leaders" ont succédé à Léon Blum (sous la IIIe République) et à Guy Mollet (sous la IVe République) et ont eu beaucoup plus de temps et de pouvoirs que leurs "prédécesseurs".
Aujourd’hui, le socialisme est un parti en voie de disparition, éclaté de toutes parts, déserté par les deux principaux protagonistes de la primaire de janvier 2017, Manuel Valls qui a rejoint Emmanuel Macron, et Benoît Hamon qui tente de refaire le coup de Jean-Luc Mélenchon avec neuf ans de retard, en créant une secte à sa dévotion (le 1er juillet 2017 à Paris).
Lionel Jospin était socialiste, il fait maintenant partie des dinosaures qui pourront dire qu’ils ont connu le socialisme à la française. Il faut qu’il témoigne vite, car dans les pays de l’Europe centrale et orientale, les jeunes de 20 ans, anglicisés et globe-trotters, ont complètement oublié ce qu’était le socialisme, même à visage humain…
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (12 juillet 2017)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Lionel Jospin, éléphant à la retraite.
Nomination au Conseil Constitutionnel (9 décembre 2014).
Le coup de Jarnac du 21 avril.
Lionel Jospin était le meilleur ! (22 janvier 2010).
Le jospinosaure, un ruminant qui rumine encore et toujours.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20170712-jospin.html
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/lionel-jospin-elephant-a-la-194888
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2017/07/12/35456691.html
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