« Le général de Villiers a exprimé (…) un désaccord. Il en a, bien sûr, parfaitement le droit. Il a parfaitement le droit d’exprimer un désaccord avec le chef des armées. Mais, comme un militaire, avec honneur, il ne peut pas contester le choix fait par son chef. Il a donc tiré les conséquences du désaccord qu’il avait lui-même exprimé. (…) Dans cette histoire, chacun est dans son rôle : le chef d’état-major des armées, qui exprime son avis et en tire les conséquences, et le Président de la République, qui est l’autorité en la matière et exprime les choix portés par l’autorité légitime. » (Édouard Philippe, le 19 juillet 2017 au Palais-Bourbon).
Peut-être que le général Pierre de Villiers (61 ans le 26 juillet), frère de Philippe, le chef d’état-major des armées qui a donné sa démission le 19 juillet 2017 alors qu’il venait d’être reconduit par le Président de la République Emmanuel Macron le 1er juillet 2017, va devenir un nouveau symbole du souverainisme d’opposition ? En tout cas, je lui souhaite de ne pas devenir un nouveau général Boulanger, étant donné le tragique destin que ce dernier a eu. Il avait été nommé dans ces fonctions le 17 janvier 2014.
Dans cette polémique entre le pouvoir politique et les militaires, l’enjeu n’est pas Emmanuel Macron mais avant tout la démocratie. La suppression de la conscription et la professionnalisation nécessaire de l’armée ont eu un effet néfaste qui a toujours justifié, jusqu’au gouvernement de Lionel Jospin, l’obligation d’un service militaire : sans appelés, l’armée fait dans l’entre-soi. Il y a plus de risque pour la démocratie avec une armée uniquement d’engagés qu’avec une armée d’appelés qui, eux, faisant partie du peuple, feraient barrage à un éventuel coup de force militaire (c’est aussi la raison de la séparation des gendarmes et des policiers, pour éviter un coup de force policier). Inutile de s’alarmer à court terme puisque Pierre de Villiers n’a pas évidemment l’intention de prendre le pouvoir, il n’a d’ailleurs jamais eu cette intention, mais peut-être que son chef suprême, nouvellement élu et aimant bien, depuis le 14 mai 2017, les choses militaires, a cru le contraire.
Le successeur du chef d’état-major des armées a été immédiatement été nommé en la personne du général François Lecointre (55 ans), remarqué lors de la guerre en Bosnie, le 27 mai 1995 à Sarajevo. Le départ effectif de Pierre de Villiers le 20 juillet 2017, sous les ovations des officiers présents, vidéo diffusée sur le site Internet de l’état-major, a montré que cette histoire est peut-être plus politique que militaire. C’est en tout cas l’accusation qu’a portée le porte-parole du gouvernement, Christophe Castaner, le vendredi 21 juillet 2017.
Cependant, Emmanuel Macron a commis ici sa première erreur. Ou deuxième si l’on rappelle qu’en un mois, il a dû se séparer de quatre de ses plus importants ministres politiques pour cause d’implications judiciaires : François Bayrou (Justice), Sylvie Goulard (Armées), Richard Ferrand (Territoires) et Marielle de Sarnez (Europe). C’était la première erreur, une erreur de casting.
Cette deuxième erreur est grave car le lien entre le politique et le militaire doit toujours être solide. Ceux qui subissent le plus gravement les conséquences des décisions du pouvoir politique, ce ne sont pas les demandeurs d’emploi, pas même les SDF, mais bien les soldats qui, pour certains, y ont perdu leur vie, sur le terrain des opérations extérieures, ou comme cibles d’attentats terroristes (mais sur le ciblage terroriste, tout citoyen est maintenant, à mon avis, cible). Onze soldats français sont morts depuis un an seulement. C’est beaucoup trop.
La vie d’hommes, la tragédie de leur famille, le coût matériel aussi. C’est là l’absurdité du pouvoir qu’il a récupéré : les opérations spéciales sont comptabilisées hors budget de la Défense. C’est assez étonnant, peut-être que cela avait un sens pour préserver un certain secret mais si l’on connaît malgré tout le surcoût de ces opérations, il n’y a plus de secret qui tienne et plus de justification pour cette drôle de comptabilité. Emmanuel Macron souhaite y mettre fin et je pense que c’est une bonne chose. C’est sous ce prisme qu’il faudrait comprendre l’augmentation prévue du budget de la Défense pour les prochaines années (une comptabilité modifiée). Cette augmentation ne serait donc qu’une simple illusion d’optique comptable.
Pourtant, il y a bien eu une erreur commise ces derniers jours. Une double erreur. Une erreur sur le fond et une erreur sur la forme.
Allons d’abord sur le fond. Il y a une part de logique Shadok à annoncer dès maintenant (le 11 juillet 2017 par le Ministre des Comptes publics Gérald Darmanin) une baisse du budget de la Défense de 850 millions d’euros (pas 1 milliard, mais 850 millions) pour 2017 (les cinq prochains mois) et annoncer en même temps qu’une augmentation continue du budget aurait lieu à partir de l’année 2018 pour atteindre 2% du PIB en 2025 (notez que le quinquennat actuel sera déjà fini depuis longtemps). En clair, dans le projet de loi de finances 2018, le budget de la défense devrait donc augmenter de plus de 1,8 milliard d’euros, passant de 32,4 milliards d’euros en 2017 à 34,2 milliards d’euros en 2018. Cette augmentation serait exceptionnelle, sans précédent récent, après une augmentation déjà saluée par toute la classe politique de 600 millions d’euros entre 2016 et 2017.
Cela signifie que la défense serait mieux traitée par Bercy qu’auparavant. Mais seulement l’année prochaine, et c’est là une erreur de fond qui est assez incompréhensible. Certes, la réduction de 850 millions d’euros répond à l’impératif de corriger l’insincérité du budget voté par le gouvernement précédent, pour ne pas dépasser le seuil de 3% du PIB de déficit public. En clair, c’est juste un transfert de trésorerie, un retard de cinq mois. Quand on sait que le gouvernement jouit encore de taux d’intérêts très faibles, un surcroît de déficit serait facilement finançable et peu coûteux à la collectivité. Pourquoi faire du yoyo budgétaire alors que les faibles taux d’intérêts permettraient de "lisser" cette "trésorerie budgétaire" ?
Pourquoi est-ce incompréhensible ? Parce que des soldats meurent de leurs mauvais équipements. Ce n’est pas nouveau et la responsabilité n’incombe certainement pas à la nouvelle équipe gouvernementale, mais c’est un véritable problème qui a déjà coûté des vies humaines. Lorsque les soldats français se sont retrouvés au Mali, la forte chaleur leur a fait comprendre, par exemple, que leurs chaussures n’étaient pas adaptées. Leurs équipements matériels aussi sont vieux et vétustes (véhicules, etc.). Certains témoignages sont …désarmants. Certains matériels sont plus vieux que le Président Emmanuel Macron lui-même !
L’appréciation de cette erreur sur le fond est évidemment discutable. Emmanuel Macron a peut-être raison. Il a une priorité plus économique que militaire : montrer que la France, au lieu de se moquer du monde, et en particulier de ses partenaires européens qui, pour la plupart, font d’énormes efforts budgétaires, se moquer comme cela est fait depuis cinq ans avec François Hollande (qui avait promis le retour à 3% du PIB dès 2012 !), est redevenue vraiment sérieuse et honnête, responsable de ses engagements et respectueuse de sa parole donnée en limitant réellement son déficit public à 3% du PIB. Il y a une part de psychologie. Laisser encore filer le déficit en 2017, pour une raison ou une autre, peut donner un très mauvais signal aux investisseurs étrangers et rendre plus lente voire plomber la reprise économique qui devrait s’amorcer. Dans tous les cas, ce débat n’a pas été fait en public, et encore moins devant la représentation nationale.
Sur la forme, l’erreur n’est pas discutable, c’est une réelle erreur. Celle d’un homme probablement plus autoritaire que responsable. Cela s’est passé en plusieurs temps.
Le 12 juillet 2017, le général Pierre de Villiers est interrogé par la commission de la défense du Sénat, dans une audition à huis clos. Cette audition est tout à fait habituelle et régulière, ès qualité de chef d’état-major des armées. Le huis clos a son utilité : elle permet au patron des armées d’apporter ses réponses les plus sincères et proches de la réalité, sans souci de service après-vente médiatique.
Le problème, c’est que parler à plus de trois personnes conduit nécessairement à une fuite dans l’espace public. Cela fut fait et on a dit que Pierre de Villiers avait "rouspété" contre la baisse de budget de 2017 et que cela mettait en péril les missions des armées. Par ailleurs, le message, publié par "Le Monde", a été assez crû. Celui d’un militaire, somme toute : « Je ne me laisserai pas b@iser comme ça ! ». Le général n’a jamais démenti avoir prononcé ces paroles.
Dans un premier temps, de part et d’autres, entre l’état-major et l’Élysée, on a expliqué que Pierre de Villiers gardait la confiance d’Emmanuel Macron et que les deux hommes se mettraient d’accord. Mais le deuxième temps est très étonnant.
Chaque veille de Fête nationale, le Président de la République a pour tradition de prononcer un discours aux armées, pour les encourager, les remercier, en présence du Premier Ministre et du Ministre de la Défense. Ce fut donc le cas d’Emmanuel Macron, accompagné du chef du gouvernement Édouard Philippe (responsable de la Défense nationale en tant que Premier Ministre selon la Constitution) et de Florence Parly, à l’Hôtel de Brienne (siège du Ministère des Armées), le jeudi 13 juillet 2017 (texte du discours lisible ici).
Emmanuel Macron est allé très loin dans le blâme contre le chef d’état-major, sans le citer : « Il ne m’a pas échappé que ces derniers jours ont été marqués par de nombreux débats sur le sujet du budget de la Défense. Je considère pour ma part qu’il n’est pas digne d’étaler certains débats sur la place publique. J’ai pris des engagements, je suis votre chef. Les engagements que je prends devant nos concitoyens et devant les armées, je sais les tenir et je n’ai à cet égard besoin de nulle pression et de nul commentaire. De mauvaises habitudes ont parfois été prises sur ces sujets, considérant qu’il devait en aller des armées comme il en va aujourd’hui de nombreux autres secteurs. Je le regrette. J’aime le sens du devoir, j’aime le sens de la réserve qui a tenu nos armées où elles sont aujourd’hui et ce que j’ai parfois du mal à considérer dans certains secteurs, je l’admets encore moins lorsqu’il s’agit des armées. Un effort a été demandé pour cette année à tous les ministères, y compris au Ministère des Armées. ».
Il a encore répété qu’il était le "chef" quelques phrases plus tard : « C’est un véritable défi qui doit être décliné à l’aune du contexte stratégique. C’est bien parce que non seulement moi-même, en tant que chef des armées, j’en suis pleinement conscient, mais également le Premier Ministre, la Ministre des Armées et tout le gouvernement que des décisions courageuses en la matière ont été prises. ».
Qu’a dit finalement Emmanuel Macron ? Il a montré qu’il désapprouvait le chef d’état-major des armées, le fait qu’il se soit exprimé ainsi (je le rappelle, dans le cadre d’une audience à huis clos : les parlementaires ne veulent pas de langue de bois, ils veulent connaître la situation réelle du pays). Résultat, il fait ce qu’aucun manager débutant n’oserait faire aujourd’hui : discréditer un chef auprès de ses collaborateurs. Comment pourrait-il avoir une crédibilité interne après cela ? Le "blâme" peut se concevoir, mais certainement pas en public, encore moins devant les hommes du chef d’état-major des armées, et encore moins une veille de 14 juillet qui est d’abord la fête des militaires.
Le député Olivier Faure, président du groupe socialiste, a vu dans cette déclaration un risque pour la vie parlementaire : « Les recadrages et l’humiliation volontaire du chef d’état-major, au lendemain de son intervention devant notre commission de la défense, sont aussi une violation des droits du parlement. Le message ainsi adressé par le chef de l’État à tous ceux qui viendront devant notre assemblée est limpide : silence dans les rangs ! Ce message est forcément incompatible avec les missions de contrôle du parlement. » (le 19 juillet 2017 au Palais-Bourbon).
Au-delà de cette erreur de management, il y a une parole qui est assez étonnante. Pourquoi rappeler deux fois au moins dans le même discours (en fait, encore un peu plus) que c’est lui le chef, alors que cela va sans dire ? Est-il si peu sûr d’être considéré comme le chef des armées qu’il lui ait fallu le rappeler ? Très étonnant, surtout pour celui qui a défilé aux Champs-Élysées le premier jour de son mandat dans un véhicule militaire.
La polémique s’est poursuivie durant le week-end du 14 juillet. Sur Facebook, Pierre de Villiers a déclaré le 14 juillet 2017 au soir : « Parce que la confiance expose, il faut de la lucidité. Méfiez-vous de la confiance aveugle ; qu’on vous l’accorde ou que vous l’accordiez. Elle est marquée du sceau de la facilité. ». Et réponse d’Emmanuel Macron dans le "Journal du dimanche" du 16 juillet 2017 : « La République ne marche pas comme cela. (…) Si quelque chose oppose le chef d’état-major des armées au Président de la République, le chef d’état-major des armées change. ».
Christophe Castaner, l’unique porte-voix du pouvoir, a expliqué sur France Info le 17 juillet 2017 : « Ils vont se voir, ils vont échanger. Ils vont prendre une décision ensemble. Emmanuel Macron lui a confirmé sa confiance en le prorogeant dans ses fonctions. Il faut qu’ils discutent, ils vont le faire. ». La discussion aurait dû avoir lieu le 21 juillet 2017 à 18 heures. Elle n’aura jamais eu lieu.
Une telle déclaration présidentielle (le 13 juillet 2017) ne pouvait qu’entraîner la démission de Pierre de Villiers qui répond, plus que certaines autres professions, à un certain code de l’honneur. Elle fut donc annoncée le 19 juillet 2017 dans la matinée, par un communiqué provenant de Pierre de Villiers lui-même qui a déclaré « ne plus être en mesure d’assurer la pérennité du modèle d’armée auquel [il] croit pour garantir la protection de la France et des Français, aujourd’hui et demain » : les mots sont forts, inquiétants, lourds de conséquence et feront date dans l’histoire militaire de la France. Et il a ajouté : « J’ai estimé qu’il était de mon devoir de leur faire part de mes réserves, à plusieurs reprises, à huis clos, en toute transparence et vérité. ».
Apprenant la nouvelle, le député LR du Var Jean-Louis Masson a déclaré dans l’Hémicycle le 19 juillet 2017 : « Les militaires, qui risquent leur vie chaque jour, ont besoin de soutien, de considération et de respect, pas de coupes budgétaires et d’actes d’humiliation. La démission, aujourd’hui, du général d’armée de Villiers est un événement exceptionnel. Le quotidien "Le Monde" titre : "Un événement historique". La confiance entre le chef d’État et notre armée est gravement mise à mal, sans doute rompue, peut-être définitivement. ».
Terriblement absente dans cette polémique qui devrait la concerner au premier chef, la Ministre des Armées Florence Parly n’a même pas été capable de répondre à la question que ce député (Jean-Louis Masson) lui avait posée à ce sujet, n’ayant pas compris qu’elle n’elle n’avait que deux minutes pour lui répondre. Le Président de l’Assemblée Nationale, François de Rugy, lui a coupé le micro en plein milieu d’une phrase !… Son absence de réaction l’a complètement discréditée auprès des troupes.
Il va sans doute falloir du temps pour retisser les liens de confiance indispensable entre le pouvoir politique qui est en place pour cinq ans et l’armée qui s’est sentie atteinte par le blâme contre le général Pierre de Villiers. Parmi les considérations budgétaires, écartelées entre les besoins croissants des militaires depuis cinq ans et les nécessités de réduire la voilure de l’État et de réduire les dépenses publiques, le seul salut devrait provenir de l’Europe : seule une juste participation de l’Union Européenne de l’effort de défense de la France qui agit souvent, militairement, au nom des intérêts et des valeurs de l’Europe, pourrait résoudre cette quadrature du cercle budgétaire. Mais on entre là dans le domaine diplomatique.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (22 juillet 2017)
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Pour aller plus loin :
La XVe législature de la Ve République.
Emmanuel Macron sous le sceau de l’histoire.
Emmanuel Macron et l’armée (19 juillet 2017).
Discours d’Emmanuel Macron le 13 juillet 2017 à l’Hôtel de Brienne, à Paris (texte intégral).
Discours d’Emmanuel Macron le 20 juillet 2017 à Istres.
Emmanuel Macron et les Territoires (17 juillet 2017).
Discours d’Emmanuel Macron le 17 juillet 2017 au Sénat sur les Territoires (texte intégral).
Emmanuel Macron et le Vel d’Hiv (16 juillet 2017).
Hommage d’Emmanuel Macron à Simone Veil le 5 juillet 2017 aux Invalides.
Hommage d’Emmanuel Macron à Helmut Kohl le 1er juillet 2017 à Strasbourg.
Discours de politique générale d’Édouard Philippe le 4 juillet 2017.
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Audit de la Cour des Comptes du quinquennat Hollande (29 juin 2017).
Portrait officiel du maître des horloges.
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Édouard Macron II : bientôt la fin de l’indétermination quantique.
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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20170719-macron-armee.html
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/emmanuel-macron-aux-armees-silence-195321
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