« Quand ma mère invitait une amie avec sa petite fille pour qu’elle joue avec moi, cela m’ennuyait prodigieusement. Du coup, je lisais devant la petite fille, que j’installais également sur une chaise pour qu’elle lise aussi ! Le reste du temps, j’étais un vrai diable, très farceuse, toujours prête à faire des blagues. Comme j’étais très souple, j’étais toujours en train d’escalader quelque chose. » ("Paris Match", le 23 mai 2014).
Il y a trois ans, elle avait publié un livre de souvenirs pour expliquer, comme son titre laissait imaginer, que cent ans, l’âge qu’elle venait d’avoir, finalement, c’était passé très vite. Le 24 septembre 2017 à Paris, la comédienne Gisèle Casadesus est passée de l’autre côté du rideau, à l’âge de 103 ans et trois mois, un âge pas si exceptionnel dans sa famille exceptionnelle d’artistes, de musiciens, de comédiens (voir ici pour plus de détail), au point que Wikipédia n’hésite pas à parler de "dynastie" ce qui est un peu exagéré, car la famille Casadesus n’a jamais eu que le pouvoir d’émouvoir, de divertir, d’éblouir le peuple, sans autre arrière-pensée de pouvoir et d’argent. Elle a été inhumée à l’entrée du cimetière d’Ars, sur l’île de Ré, le 28 septembre 2017, après une cérémonie au temple protestant de Saint-Martin-en-Ré.
À l’âge de 91 ans, elle avait décidé d’arrêter le théâtre (elle a reçu un Molière d’honneur pour toute sa carrière en 2003) car c’est assez éprouvant physiquement de jouer un rôle sur les planches, mais elle s’était réservée encore pour faire du cinéma (elle a toujours eu une bonne mémoire). Ce n’est pas commun : elle a eu une carrière de quatre-vingt-trois ans ! Son dernier film est sorti en juin 2017, un court-métrage de vingt-six minutes d’Aytl Jensen pour la télévision : "Si loin, si proche". Son premier film est sorti… le 18 juin 1934, "L’Aventurier" de Marcel L’Herbier (avec Jean Marais).
Le 4 juillet 1934, elle a eu le premier prix de comédie du Conservatoire d’art dramatique. Comme Michèle Morgan (partie le 20 décembre 2016 à 96 ans) et Jeanne Moreau (partie le 31 juillet 2017 à 89 ans), elle était une grande dame très respectée du cinéma français, reçue aussi bien par De Gaulle que par François Hollande qui lui a remis la médaille de grand officier de la Légion d'honneur attribuée le 17 septembre 2013, et elle fut récompensée une dernière fois par Emmanuel Macron le 12 juillet 2017 avec les dignités de grand-croix de la Légion d’honneur (en même temps que Monique Pelletier).
Comme beaucoup de monde, je l’avais vraiment découverte dans le film de Jean Decker "Tête en friche" sorti le 2 juin 2010, un film plein de tendresse. Gisèle tenait le premier rôle avec Gérard Depardieu. Si l’acteur talentueux m’avait paru en faire un peu trop, faisant un peu trop le cabotin à mon goût (un acteur si exceptionnel dans sa jeunesse), c’était très compensé par le rôle de la vieille dame tout en douceur, tout en fraîcheur, tout en amour.
Rencontrée dans un jardin public, Margueritte lit "La Peste" de Camus à Germain, un jardinier illettré. Presque une histoire d’amour, mais aussi un récit poignant sur la vieillesse et la perte d’autonomie des personnes âgées. Le film (scénario de Jean Decker et Jean-Loup Dabadie d’après un roman de Marie-Sabine Roger, et musique de Laurent Voulzy) a bénéficié d'un casting prestigieux (y jouent aussi François-Xavier Demaison, Maurane, Régis Laspalès, Patrick Bouchitey, Claire Maurier, etc.). Mais ce long-métrage avait quelques défauts à mon avis : un certain manque d’épaisseur des autres personnages (autres que les deux héros) et les trop nombreux "clichés" sur les pauvres, sur les cancres, sur la psychologie d’un enfant mal aimé par sa mère, sur les méchants adultes qui malmènent leur mère dépendante, etc. Cela n’a pas empêché ce film d’avoir un succès commercial (plus de 1,3 million d’entrées), qui est mérité, justifié par la prestation majestueuse de Gisèle Casadesus et par les thèmes abordés, assez originaux.
Gisèle avait alors été interviewée dans une émission sur le cinéma au moment de la diffusion de ce film sur France 3 le 13 décembre 2012 et elle m’avait époustouflé par sa vitalité, son dynamisme, ses sourires de gentillesse, sa capacité à voir la vie comme un immense don à chérir : « J’ai la chance de faire ce que j’aime. Et je suis reconnaissante à mes parents et au bon Dieu qui m’ont fait une bonne santé. » ("Le Parisien", juin 2014). Sa recette pour rester jeune de caractère : « La présence à mes côtés de mes huit petits-enfants et neuf arrière-petits-enfants. Ils m’apportent la vie, la jeunesse et la joie, m’évitent de me replier sur moi-même et m’obligent à vivre avec mon temps. » ("Paris Match", le 23 mai 2014).
Jean Decker et Gisèle Casadesus partageaient un point commun : ils avaient tous les deux une maison sur l’île de Ré ; Gisèle depuis 1922 : « Ma mère cherchait à l’époque un endroit tranquille, sans casino, où l’on puisse vivre sans être importuné. » (Ré Télé, en 2014). Cette maison était le lieu de rencontre de toute la famille Casadesus. Juste avant le tournage de "Tête en friche", un jour, le réalisateur croisa l’actrice de 95 ans qui faisait du vélo : il l’a alors vertement blâmée d’avoir pris le risque de se faire mal en cas de chute, alors qu’elle devait tourner bientôt dans son film ! D’ailleurs, elle a arrêté la même année de faire du vélo et préférait se laisser alors transporter sur le porte-bagages du vélo de son fils aîné, Jean-Claude Casadesus (81 ans) ; elle avait arrêté de conduire à l’âge de 90 ans.
Gisèle Casadesus avait reçu chez elle l’ancien ministre Daniel Vaillant, maire du dix-huitième arrondissement, le 13 avril 2013 pour fêter ses 99 ans. Elle habitait dans le dix-huitième arrondissement de Paris où elle est née : « Je n’ai jamais vécu ailleurs qu’ici, car je suis née dans cet immeuble ! Mon père avait d’abord habité à Montmartre, mais commençait à trouver son quartier trop agité. Mes parents ont donc choisi de s’installer à cette adresse en 1911, parce que la rue était tout à fait déserte ! (…) Enfin, mon frère Christian [décédé en 2014 à 101 ans] adorait y faire des fouilles qu’il revendait aux antiquaires du quartier, comme de vieux objets en étain. Je me souviens qu’une de nos grandes joies était de voir se monter la fête foraine du boulevard de Rochechouart » ("Paris Match", le 23 mai 2014).
Elle avait aussi répondu présente à l’ancien ministre Paul Quilès pour participer à un hommage à Jean Jaurès pour le centième anniversaire de son assassinat, en jouant le rôle d’une femme, née quelques minutes avant cet assassinat, parlant à son arrière-petit-fils étudiant qui prépare un mémoire sur Jaurès (spectacle créé par Claude Moreau : "Jaurès, une voix pour la paix" à Carmaux, en octobre 2013 puis en juillet 2014, elle avait alors 100 ans). Près de 5 000 spectateurs ont été émus par sa voix : « Son regard perçant, ses rides qui lui confèrent une beauté empreinte de sagesse, son jeu d’artiste plus que réaliste, en font la force du spectacle. » expliquait l’association "Histoire(s) du pays de Jaurès" le 14 juin 2014.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (11 octobre 2017)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Jean Rochefort.
Gisèle Casadesus.
Gisèle Casadesus a 100 ans !
Le cinéma parlant.
Jacques-Yves Cousteau.
Peter Falk.
"Big Eyes" de Tim Burton.
Mireille Darc.
Fadwa Suleiman.
Claude Rich.
Francis Veber.
Mimie Mathy.
Victor Lanoux.
Robert Dalban.
Acting.
Disparition de Zsa Zsa Gabor, Michèle Morgan, Claude Gensac, Carrie Fisher et Debbie Reynolds (dessin).
Kirk Douglas.
Jean Gabin.
Michel Aumont.
Grace Kelly.
Alice Sapritch.
Thierry Le Luron
Pierre Dac.
Coluche.
Charles Trenet.
Georges Brassens.
Léo Ferré.
Christina Grimmie.
Abd Al Malik.
Daniel Balavoine.
Édith Piaf.
Jean Cocteau.
Yves Montand.
Gérard Depardieu.
Michel Galabru.
Bernard Blier.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20170924-gisele-casadesus.html
https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/gisele-casadesus-est-passee-si-197694
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2017/10/13/35763960.html