« Nous ne pouvons pas nous permettre de garder les mêmes habitudes, les mêmes politiques, le même vocabulaire, les mêmes budgets. Nous ne pouvons pas davantage choisir la voie du repli national, qui serait un naufrage collectif. (…) La seule voie qui assure notre avenir (…), c’est la refondation d’une Europe souveraine, unie et démocratique. Ayons ensemble l’audace de frayer ce chemin. » (Paris le 26 septembre 2017).
Ce jeudi 28 septembre 2017, le Président français Emmanuel Macron rencontre à Tallinn, en Estonie, la Chancelière Angela Merkel fraîchement réélue à l’issue des élections fédérales du 24 septembre 2017. Nul doute que leurs sujets de conversation tournera autour du programme politique de la future coalition qui soutiendra le prochain gouvernement allemand et autour des propositions de la France pour relancer l’Europe et l’amitié franco-allemande.
Car Emmanuel Macron ne veut pas relâcher la pression et se montre un Président de la République française ferme partisan d’une intégration européenne plus poussée, ce qui est assez nouveau depuis une vingtaine d’années. Alors que ses prédécesseurs étaient, certes favorables à la construction européenne, mais très frileux et plus suiveurs qu’initiateurs, Emmanuel Macron a voulu prendre l’initiative de relancer l’Europe alors que l’euroscepticisme envahit les peuples européens.
Pour Emmanuel Macron, c’est justement cette frilosité qui a favorisé l’émergence des populismes en Europe : « L’Europe est aussi une idée. Une idée portée depuis des siècles par des pionniers, des optimistes, des visionnaires, et que sans cesse, il nous appartient de nous réapproprier. Car les plus belles idées, celles qui nous font avancer, qui améliorent le sort des hommes, sont toujours fragiles. Et l’Europe ne vivra que par l’idée que nous nous en faisons. À nous de la vivifier, de la rendre toujours belle et plus forte. ».
Emmanuel Macron a donc prononcé un très important (et long) discours ce mardi 26 septembre 2017 au cœur de la France intellectuelle, humaniste et scientifique, à la Sorbonne, à Paris, devant 800 universitaires et étudiants, ce qui lui a permis de développer sa vision haute et ambitieuse de la relance de la construction européenne qu’il a mise sous le sceau (peut-être une peu prétentieux) de la déclaration de Robert Schuman du 9 mai 1950.
On pourra lire le texte intégral du discours ici (pour les plus courageux). Les propositions reprennent les grandes lignes du discours prononcé à Athènes le 7 septembre 2017. L’Europe se trouve à un tournant et il paraîtrait évident que si elle n’avançait plus, elle ne ferait que reculer (cela avait commencé avec le Brexit en juin 2016).
L’une des idées importantes d’Emmanuel Macron, c’est que l’Europe peut être vaincue par les populismes et les extrémismes, et qu’il faut donc que l’idée européenne se ressaisisse avec une haute ambition : « Voici [l’Europe] aujourd’hui plus fragile, exposée aux bourrasques de la mondialisation (…), à des idées qui se présentent comme des solutions préférables. Ces idées ont un nom : nationalisme, identitarisme, protectionnisme, souverainisme de repli. Ces idées qui, tant de fois, ont allumé les brasiers où l’Europe aurait pu périr, les revoici sous des habits neufs encore ces derniers jours. Elles se disent légitimes parce qu’elles exploitent avec cynisme la peur des peuples. Trop longtemps, nous avons ignoré leur puissance. Trop longtemps, nous avons cru avec certitude que le passé ne reviendrait pas. ».
Et ce refus du repli nationaliste a une raison simple : « L’Europe seule peut, en un mot, assurer une souveraineté réelle, c’est-à-dire notre capacité à exister dans le monde actuel pour y défendre nos valeurs et nos intérêts. Il y a une souveraineté européenne à construire, et il y a nécessité de la construire. (...) Ce que l’Europe représente, nous ne pouvons pas le confier aveuglément, ni de l’autre côté de l’Atlantique, ni aux confins de l’Asie. C’est à nous de le défendre et de le construire dans cette mondialisation. ».
Le lieu choisi n’était évidemment pas anodin. Emmanuel Macron a choisi justement le lieu du fameux débat entre François Mitterrand, Philippe Séguin et Jean d’Ormesson sur le Traité de Maastricht qui a eu lieu il y a un peu plus de vingt-cinq ans, le 3 septembre 1992. Le Traité de Maastricht fut probablement la dernière grande impulsion historique de la construction européenne et les autres traités n’ont été que des aménagements institutionnels du Traité de Maastricht, par un approfondissement des institutions notamment pour réussir l’élargissement à l’Europe centrale et orientale. Emmanuel Macron, au contraire, ne veut plus parler de traités mais de valeurs, d’idées qui réunissent toute l’Europe.
Le Président de la Commission Européenne Jean-Claude Juncker, qui lui-même, avait présenté sa vision de l’avenir de l’Union Européenne lors de son discours sur l’état de l’Union le 13 septembre 2017 à Strasbourg, a applaudi des deux mains ce volontarisme français politiquement très novateur, même si l’on peut observer quelques divergences de vue entre les deux hommes. En particulier sur la vision macronienne d’Europe à plusieurs vitesses en opposition à la volonté junckérienne d’une unité européenne pour toutes les intégrations.
Je présente ici de manière synthétique, reprenant le schéma proposé par l’Élysée, les principales propositions d’Emmanuel Macron formulées à la Sorbonne (au nombre de vingt-sept).
I. Plus de souveraineté.
I.1. Assurer une sécurité européenne.
I.1.1. Créer une force commune d’intervention, un budget de défense commun et une doctrine commune. Pour cela, créer un fonds européen de défense.
I.1.2. Créer une académie européenne du renseignement pour renforcer la lutte contre le terrorisme.
I.1.3. Créer une force commune de protection civile.
I.2. Définir une politique migratoire commune.
I.2.1. Instaurer un espace commun des frontières, de l’asile et des migrations.
I.2.2. Créer un office européen d’asile et une police européenne des frontières.
I.2.3. Mettre en place des papiers d’identité biométriques sécurisés communs.
I.2.4. Financer un programme européen de formation et d’intégration des réfugiés.
I.3. Une attention portée à l’Afrique et à la Méditerranée au moyen d’un partenariat fondé sur l’éducation, la santé et la transition énergétique.
I.4. Devenir un modèle du développement durable.
I.4.1. Devenir le leader mondial de la transition écologique par l’efficacité et l’équité.
I.4.2. Créer une taxe carbone européenne pour les produits d’importation.
I.4.3. Lancer un programme industriel pour les véhicules propres et leurs infrastructures.
I.4.4. Réformer la politique agricole commune et renforcer la sécurité alimentaire.
I.5. Accompagner la révolution numérique.
I.5.1. Promouvoir le modèle européen dans la mondialisation, à savoir innovation et régulation.
I.5.2. Créer une agence pour l’innovation de rupture pour financer des projets de recherche.
I.5.3. Réformer la taxation des grands groupes numériques (GAFA : Google, Apple, FaceBook, Amazon) afin qu’ils contribuent aux infrastructures publiques.
I.6. Renforcer la puissance économique et monétaire par la mise en place d’un budget de la zone euro permettant de financer des investissements communs et d’assurer la stabilisation en cas de crise monétaire.
II. Plus d’unité.
II.1. Renforcer la solidarité européenne.
II.1.1. Mettre en place une convergence sociale et fiscale.
II.1.2. Définir un corridor de taux d’imposition sur les sociétés, un salaire minimum et un encadrement des cotisations sociales.
II.2. Promouvoir la culture et le savoir.
II.2.1. Renforcer le sentiment d’appartenance européenne.
II.2.2. Rendre effectif d’ici à 2024 le séjour de chaque jeune Européen dans un autre pays européen pendant au moins six mois (la moitié d’une classe d’âge) et généraliser la capacité de parler deux langues européennes.
II.3.3. Créer des universités européennes par la mise en réseaux des universités de chaque pays et harmoniser les cursus et les diplômes de l’enseignement secondaire (comme cela a été fait dans l’enseignement universitaire).
III. Plus de démocratie.
III.1. Favoriser le débat public avec les citoyens européens sur la refondation de l’Europe en organisant des conventions démocratiques pendant six mois en 2018 dans chaque pays volontaire.
III.2. Rendre transnationales les listes aux élections européennes, d’abord en 2019 sur les 73 sièges laissés vacants par le départ du Royaume-Uni, ensuite généraliser la transnationalité.
IV. Imaginer l’Europe de 2024.
IV.1. Consolider un cadre commun.
IV.1.1. Définir un socle commun des valeurs démocratiques non négociables, du marché unique, d’une politique commerciale avec transparence pour les accords commerciaux, exigence sociale et environnementale et réciprocité.
IV.1.2. Élargissement possible aux Balkans occidentaux.
IV.1.3. Réformer les institutions avec notamment une Commission Européenne restreinte (seulement 15 membres, les pays fondateurs pourraient renoncer à avoir leur propre commissaire européen).
IV.2. Privilégier une Europe à plusieurs vitesses qui permet une intégration européenne ambitieuse pour ceux qui la partagent et restant ouverte à tous les États membres.
IV.3. Refonder l’amitié franco-allemande d’ici à 2024 en négociation un nouveau Traité de l’Élysée pour harmoniser les règles du droit des affaires dans les deux pays, Allemagne et France.
IV.4. Former parmi les États membres adoptant la démarche de la France un groupe de la refondation européenne pour mettre en place les conventions populaires et amorcer un grand débat public dès 2018.
Ce discours est donc avant tout un marqueur. Évidemment qu’il est ambitieux, peut-être même trop ambitieux, d’autant plus ambitieux qu’il est précis sur l’agenda, et donc, qu’on pourra mesurer le chemin parcouru. C’est donc un discours courageux, courageux car Emmanuel Macron sait que la mode n’est pas à l’intégration européenne, plutôt au repli sur soi, et qu’en exprimant sa vision, il redonne un cadre à l’ensemble des pays membres pour repenser démocratiquement l’Europe. En ce sens, ce discours est historique, car il est optimiste, au-delà de la raison !
Emmanuel Macron a voulu attendre les élections fédérales en Allemagne, mais il n’a pas voulu se faire emprisonner par un futur accord de gouvernement âprement négocié en Allemagne dans les prochaines semaines ou prochains mois. Il a voulu se dégager des contingences politiciennes et de court terme pour placer une vision à une échéance de sept ou huit ans, ce qui laisse entendre qu’il souhaiterait rester à l’Élysée jusqu’à cette date, donc, pour deux mandats.
L’impulsion est donnée : « Le temps où la France propose est revenu ! ». Emmanuel Macron, malgré quelques divergences, peut compter sur la Commission Européenne et plus généralement sur les institutions européennes pour le soutenir dans sa démarche à la fois humble et déterminée : « Nous n’avons qu’une responsabilité, celle à laquelle notre jeunesse nous oblige, celle pour les générations qui viennent, celle de gagner leur gratitude, sinon nous mériterons leur mépris. J’ai choisi. ». C’était la conclusion de son allocution à la Sorbonne.
Il reste à savoir quelles seront les réactions des autres États membres, des vingt-six autres États membres à ce discours cadre. Son objectif est d’être soutenu par suffisamment d’États pour que la "mayonnaise" prenne. Le soutien le plus important sera nécessairement celui de l’Allemagne et il a n’a rien dit qui pourrait gêner Angela Merkel dans ses futures négociations intérieures. L’Italie (Emmanuel Macron a rencontré le Président du Conseil italien Paolo Gentiloni le 27 septembre 2017 à Lyon), l’Espagne, le Portugal, la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg seraient déjà enclins à le suivre.
Je me réjouis de cette mécanique ainsi enclenchée : bravo au courage politique et européen d’Emmanuel Macron, capable, même par la seule posture, de déplacer des montagnes… Une telle posture française était attendue depuis au moins 2010 !
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (27 septembre 2017)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Texte intégral du discours d’Emmanuel Macron le 26 septembre 2017 à la Sorbonne.
Communiqué de presse de l’Élysée sur le discours du 26 septembre 2017.
Texte intégral du discours d’Emmanuel Macron le 7 septembre 2017 à Athènes.
Texte intégral du discours d’Emmanuel Macron le 8 septembre 2017 à Athènes.
Texte intégral du discours d’Emmanuel Macron le 19 septembre 2017 à New York.
Texte intégral du discours de Jean-Claude Juncker le 13 septembre 2017 à Strasbourg.
Emmanuel Macron et son plan de relance de l’Europe (26 septembre 2017).
Emmanuel Macron et la refondation de l’Europe (7 septembre 2017).
Emmanuel Macron à l’ONU, apôtre du multilatéralisme (19 septembre 2017).
Le dessein européen de Jean-Claude Juncker (13 septembre 2017).
Une avancée majeure dans la construction européenne.
Les élections fédérales allemandes du 24 septembre 2017.
Les élections législatives au Royaume-Uni du 8 juin 2017.
Résultats des élections sénatoriales du 24 septembre 2017.
La XVe législature de la Ve République.
Emmanuel Macron sous le sceau de l’histoire.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20170926-macron-europe.html
https://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/emmanuel-macron-a-la-sorbonne-l-197193
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2017/09/28/35716613.html