« Au sortir de l’enfance, entraîné vers la vérité par un instinct irrésistible, il se dévoua tout entier à ces sciences où elle règne sans partage, et bientôt, il en eut reculé les limites. Si je me bornais à vous citer les problèmes importants qu’il a résolus, les questions épineuses et difficiles qu’il a éclaircies, les méthodes qu’il a inventées ou perfectionnées, les vérités dont il a enrichi le calcul intégral, l’instrument le plus universel et le plus utile que l’esprit humain ait inventé dans les sciences, j’aurais peint un grand géomètre ; mais ces traits lui seraient communs avec d’autres hommes qui ont illustré notre siècle. Ce qui caractérise surtout M. d’Alembert, c’est d’avoir inventé un nouveau calcul nécessaire aux progrès des sciences physiques, tandis que les calculs de Newton et de Leibnitz semblaient avoir atteint le terme des forces de l’esprit humain ; c’est d’avoir saisi dans la nature un principe général et nécessaire, auquel tous les corps sont également assujettis, et qui détermine leurs mouvements ou leurs formes, dès qu’on connaît les forces qui agissent sur leurs éléments ; c’est d’avoir tracé le premier la ligne que l’axe de la Terre décrit dans les Cieux, et calculé les causes qui, en le balançant dans l’Espace, lui font accomplir sa longue période, dont elles conservent la lente et paisible uniformité ; c’est enfin d’avoir illustré son nom par plusieurs de ces grandes découvertes qui survivent aux ouvrages de ceux qui les ont produites, et sont éternelles comme les lois de la nature dont elles ont révélé le secret. (…) Philosophe autant que géomètre, M. d’Alembert sut tirer une partie de sa gloire de ces recherches qui ont été si souvent l’écueil des métaphysiciens, et même des géomètres. Il a, le premier, appris aux mathématiciens à douter des principes du calcul des probabilités, sur lesquels ils appuyaient avec trop de confiance leurs savantes théories. La philosophie lui doit la preuve de cette grande vérité, que les lois de la mécanique sont une suite nécessaire de la nature des corps. Souvent, il a expliqué aux géomètres des paradoxes où le calcul de l’infini les a conduits ; tandis que, développant aux philosophes la nature de l’infini géométrique, il les familiarisait avec cette idée qui étonne toujours notre faiblesse, et l’a si souvent confondue. » (Condorcet, à Paris le 26 février 1784).
Cette grande tirade est l’hommage d’un académicien réputé à un véritable génie multitâches du XVIIIe siècle. Si le 16 novembre 2017 sert aujourd’hui d’occasion pour se rappeler le gouvernement combatif de Georges Clemenceau qui a été nommé il y a un siècle, cette date est aussi un autre anniversaire symbolique : le philosophe et mathématicien Jean Le Rond d’Alembert est né il y a trois siècles, le 16 novembre 1717 à Paris.
Probablement moins connu que Rousseau, Diderot et Montesquieu dans cet éblouissant siècle de Voltaire, le Siècle des Lumières, période particulièrement productive dans le développement intellectuel de l’Europe, tant philosophique et littéraire que scientifique, commençant par Newton et terminant par Lavoisier (la tête coupée),
Fruit d’une liaison "très temporaire", de père (vaguement) inconnu, D’Alembert fut lâché par sa mère et son prénom, Jean Le Rond, provient du saint protecteur de la chapelle de la cathédrale Notre-Dame de Paris où le nourrisson fut abandonné. Son patronyme fut inventé par lui, lorsqu’il s’est inscrit en études supérieures de droit. Il n’a rien d’une noblesse et cela peut faire penser à Voltaire, d’une vingtaine d’années plus âgé que lui, qui, lui aussi, avait "commencé" un nom. Confié à la femme d’un vitrier peu aisé, l’enfant bénéficia secrètement, cependant, de l’attention discrète et de l’aide financière de son véritable père.
Après de brillantes études au cours desquelles il étonna ses professeurs pour son intelligence, sa capacité à acquérir les langues anciennes et sa capacité à disserter (il commenta l’Épître de saint Paul à l’âge de 16 ans), D’Alembert fit des études de droit pour devenir avocat en 1738, il avait alors 20 ans. Mais c’était un métier un peu ennuyeux pour lui dont l’esprit de curiosité était tourné vers de nombreux savoirs très différents. Il fit aussi des études de médecine, puis de mathématiques. Ce fut dans les mathématiques que son esprit allait le mieux s’épanouir, et dont les travaux sont encore utiles de nos jours.
La précocité est peut-être allée de pair avec une certaine audace. À 21 ans, il est allé expliquer aux membres de l’Académie (royale) des sciences de Paris quelques rudiments de mathématiques qu’il avait lui-même mis en forme. Deux ans plus tard, le 29 mai 1741, après une publication sur la mécanique des fluides, une autre sur la réfraction des corps solides et une autre sur le calcul intégral, il fut admis membre adjoint de cette académie, dans la section d’astronomie, puis associé géomètre en 1746 (et membre titulaire seulement en 1765). En 1746, il intégra aussi l’Académie de Berlin, dont il a refusé plus tard, en 1759, la présidence au roi de Prusse Frédéric II (1712-1786), pour la succession de Maupertuis (1698-1759), son premier président fut Leibniz (1646-1716).
Parmi ses travaux importants, son fameux "Traité de dynamique" en 1743 (il avait à peine 26 ans), sa plus importante œuvre scientifique, qui est un ouvrage majeur dans l’histoire des sciences, s’intégrant dans la suite des travaux de Newton (1643-1727) avant les futurs travaux de Lagrange (1736-1813) et de Laplace (1749-1827) sur la mécanique céleste.
Je recommande la lecture de la présentation de ce traité par Christophe Schmit qui conclut ainsi : « D’Alembert entend par son "Traité de dynamique" clarifier les fondements d’une science, tant sur le plan scientifique que philosophique. Il vise à conférer à la mécanique le même degré de certitudes qu’ont les mathématiques et déduit rationnellement des concepts premiers d’espace, de temps, de matière (…), les lois (…) du mouvement qui donnent naissance au "principe général" apte à résoudre tous les problèmes de dynamique (collisions, système à liaison). L’ambition de réfuter les débats philosophiques liés à une approche causale de la mécanique se manifeste par un rejet de concepts porteurs d’un sens autre que scientifique ; ainsi, la force ne devient que le nom d’un effet mathématisé. (…) Ce livre reste (…) un monument dans l’histoire de la pensée, une aventure intellectuelle considérable comme seuls quelques génies des sciences surent l’entreprendre. Et s’il n’avait écrit que ce livre, D’Alembert occuperait déjà une bonne place dans ce panthéon. ».
Dans cet ouvrage, D’Alembert proposa le fameux "théorème d’Alembert" en algèbre qui affirme que tout polynôme de degré n à coefficients réels possède exactement n racines complexes, éventuellement identiques (multiples). Selon les mots du physicien Louis de Broglie (1892-1987) : « On lui doit le théorème fondamental qui porte son nom et qui nous apprend que toute équation algébrique admet au moins une solution réelle ou imaginaire. » (1952). Ce théorème fut plus rigoureusement démontré en 1799, par le physicien et mathématicien Gauss (1777-1855), lors de sa soutenance de thèse, après avoir montré quelques erreurs de démonstration de D’Alembert.
Dans L’Encyclopédie, D’Alembert a énoncé son théorème sous cette forme : « Dans une équation quelconque (à coefficients réels), les racines imaginaires, s’il y en a, sont toujours en nombre pair. Cette proposition, assez mal démontrée dans les livres d’algèbre, l’est beaucoup plus exactement dans une dissertation que j’ai imprimée au tome II des Mém. français de l’Académie de Berlin. De là, il s’ensuit que dans toute équation d’un degré impair, il y a au moins une racine réelle. ».
Ce même ouvrage propose des éléments de mécanique essentiels : ainsi, le "principe de D’Alembert" qui est le principe de conservation de la quantité de mouvement : « Si l’on considère un système de points matériels liés entre eux de manière que leurs masses acquièrent des vitesses respectives différentes selon qu’elles se meuvent librement ou solidairement, les quantités de mouvement gagnées ou perdues dans le système sont égales. » (1743). Ce principe peut aussi s’exprimer en disant que le travail des forces de contraintes (réactions, etc.) est nul.
Amateur des salons parisiens où le monde intellectuel se rencontrait, D’Alembert fut un grand ami de Voltaire (1694-1778), qui avait diffusé les idées de Newton en France, et le petit génie des maths rencontra à ces occasions Diderot (1713-1784) en 1746. Dès lors, D’Alembert laissa de côté les mathématiques et la physique (sans pour autant les abandonner totalement) pour se consacrer à la phénoménale Encyclopédie.
À la suite d’un projet initial de traduction d’une encyclopédie anglaise parue en 1728 (la Cyclopaedia), projet qui fut abandonné, l’éditeur André-François Le Breton (1708-1779) confia le 16 octobre 1747 à Diderot et D’Alembert la responsabilité de rédiger une nouvelle encyclopédie, la première française, avec notamment des parties peu à la mode (les métiers et les arts mécaniques). Condillac (1714-1780) aurait pu aussi faire partie de l’aventure en juin 1746. L’entreprise a eu quelques difficultés comme une interdiction de paraître en 1752 et 1753, mais elle fut soutenue par Masherbes (1721-1794) alors qu’il était le chef de la censure royale (ce dernier fut guillotiné sous la Terreur).
De 1746 à 1757, D’Alembert et Diderot ont codirigé ce projet gigantesque de rassembler la plupart des connaissances dans un seul livre. Pour cela, ils ont demandé aux meilleurs spécialistes de rédiger des articles sur les sujets qu’ils connaissaient bien pour les avoir étudiés et approfondis. L’Encyclopédie ("ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, par une société de gens de lettres") est l’éclatant signe de la vitalité intellectuelle de la France du XVIIIe siècle. Ce fut une œuvre extraordinaire de collaboration avec des savants de toute l’Europe, de tous horizons, de toutes compétences, créant un réseau intellectuel unique, probablement la première "communauté scientifique internationale".
Seuls, les faits concrets y étaient exposés et les spéculations intellectuelles indémontrables étaient bannies. Cette « conspiration victorieuse de l’esprit humain », selon l’expression de l’historien Jules Michelet, privilégiait une "culture dynamique" de la connaissance, qui pouvait donc être remise à jour en fonction des nouvelles découvertes. D’Alembert rédigea la plupart des articles sur les mathématiques et bien d’autres thèmes encore (les mathématiques avaient l’avantage de ne pas susciter de polémiques ni d’interdiction politique ou religieuse).
Le premier tome est paru le 1er juillet 1751 avec une longue introduction (un "discours préliminaire") rédigée par D’Alembert : « Un tribunal devenu puissant dans le midi de l’Europe, dans les Indes, dans le Nouveau Monde, mais que la foi n’ordonne point de croire, ni la charité d’approuver, ou plutôt, que la religion réprouve, quoique occupé par ses ministres, et dont la France n’a pu s’accoutumer encore à prononcer le nom sans effroi, condamna un célèbre astronome pour avoir soutenu le mouvement de la Terre et le déclara hérétique (…). C’est ainsi que l’abus de l’autorité spirituelle réunie à la temporelle forçait la raison au silence ; et peu s’en fallut qu’on ne défendît au genre humain de penser. ». C’est dans cette introduction que D’Alembert a parlé du "penser par soi-même" qui est un élément majeur de la philosophie des Lumières, s’opposant à l’absolutisme religieux.
Il faut rappeler que depuis la fin du XVIIe siècle, dans toute l’Europe, il y a eu une réelle révolution scientifique avec une nouvelle conception du monde et de la nature (dont la loi de la gravitation universelle de Newton est le plus grand exemple). Une révolution qui se renouvela au début du XXe siècle avec la physique quantique et la relativité générale.
À la fin de sa "préface", D’Alembert a présenté un schéma du "système figuré des connaissances humaines" qu’il avait lui-même construit, fait d’imbrications. Par exemple, il avait classé le calcul intégral dans l’algèbre infinitésimale, elle-même classée dans l’arithmétique, branche, avec la géométrie, des mathématiques pures, partie de la science de la nature, élément de philosophie compartimentée dans la raison, et la raison était l’un des trois chapitres de l’entendement, avec la mémoire (histoire) et l’imagination (poésie).
Ce classement pourrait faire sourire aujourd’hui mais était une œuvre (certainement très ambitieuse sinon prétentieuse) qui voulait englober l’ensemble de la connaissance humaine. Comme "l’arbre de la vie" de la fin du XIXe siècle, il apporte une vision très intéressante de l’idée que les encyclopédistes se faisaient de cette connaissance humaine, avec le souci de l’exhaustivité : « Il n’est pas moins difficile de saisir les branches infiniment variées des connaissances humaines dans un système véritablement unifié. ».
Après la parution du septième tome en octobre 1757, L’Encyclopédie continua à être contestée pour deux raisons, la première, pour accusation de plagiat (certaines planches d’arts et métiers auraient été "volées" alors que l’éditeur a assuré les avoir acquises en bonne et due forme), et pour raison politique et religieuse, le pape Clément XIII (1693-1758) a mis à l’Index l’ouvrage le 5 mars 1759.
Parmi les nombreuses polémiques à propos de L’Encyclopédie, on peut citer celle initiée par Rousseau (1712-1778) lui-même, par une lettre écrite en avril 1748 et publiée en octobre 1748, pour s’opposer au principe du théâtre à Genève (comme les pasteurs calvinistes) alors que D’Alembert le soutenait.
Les deux derniers tomes de L’Encyclopédie furent publiés en 1772 mais D’Alembert avait quitté l’aventure depuis plus d’une dizaine d’années. Mille ouvriers furent employés pendant un quart de siècle pour accompagner cette énorme entreprise de rédaction et d’édition de 74 000 articles étalés sur 18 000 pages de textes (21,7 millions de mots) répartis dans 35 volumes, avec des renvois de mots qui pourraient être considérés comme la préfiguration des liens hypertextes, selon Éric Brian dans "Les Cahiers de Sciences et Vie" n°47 d’octobre 1998. Ces renvois avaient entre autres un intérêt politique : certains éléments politiquement "incorrects" pour le gouvernement étaient indiqués plus discrètement à la rubrique de mots contournés (par exemple, Marie Leca-Tsiomis a remarqué, dans la revue "Recherches sur Diderot et sur l'Encyclopédie" n°50 de 2015, que la querelle des Cordeliers n’était pas expliquée au mot "cordeliers" mais au mot "capuchon").
Le tirage fut de 4 255 exemplaires, ce qui était beaucoup plus élevé qu’un tirage ordinaire (de l’ordre de 1 500 exemplaires). Grâce à la publicité engendrée par les premières interdictions, il y a eu plus e 4 000 souscripteurs. Les exemplaires vendus furent lus par de nombreuses personnes dans les salons et les bibliothèques.
Parmi les zélés soutiens de L’Encyclopédie, figurait évidemment Voltaire qui raconta, dans "De l’Encyclopédie" (un pamphlet publié peu après la mort de Louis XV), cette petite anecdote qui fit dire par Madame de Pompadour (1721-17664) à Louis XV (1710-1774), à propos du précieux ouvrage : « Ah ! le beau livre ! s’écria-t-elle. Sire, vous avez donc confisqué ce magasin de toutes les choses utiles, pour le posséder seul et pour être le seul savant de votre royaume. » et pour conclure : « Chacun se jetait sur les volumes, comme les filles de Lycomède sur les bijoux d’Ulysse ; chacun y trouvait à l’instant tout ce qu’il cherchait. » (1774). Le principe du Handbook souvent professionnel (pour les profanes, il y a avait en France le "Quid") et plus tard d’Internet (avec l’exemple le plus connu de Wikipédia) fut ainsi mis à l’honneur à la cour du roi dès cette époque.
En 1757, D’Alembert avait laissé à Diderot la poursuite du projet et avait jeté l’éponge face aux nombreuses difficultés de l’entreprise (arrêt de publication entre 1757 et 1759) et à des dissensions avec Diderot, pour se recentrer sur ses travaux scientifiques, en particulier de mathématiques et de physique, et sur ses évasions littéraires et philosophiques ("Mélanges de littérature, d’histoire et de philosophie", de 1753 à 1783, "Essai sur les éléments de philosophie" en 1759, etc.).
Parmi ses travaux mathématiques, D’Alembert a proposé en 1768 la "règle de D’Alembert" qui permet de savoir si une série à termes strictement positifs (somme infinie des termes un) converge ou diverge dans le cas où un+1/un admet une limite finie positive ou nulle (si cette limite est strictement inférieure à 1, la série converge ; strictement supérieure à 1, elle diverge ; égale à 1, pas de conclusion immédiate). En 1754, il a aussi utilisé le développement de Taylor avec reste exprimé sous forme d’intégrale. Il a proposé par ailleurs une méthode pour résoudre les systèmes de plusieurs équations différentielles.
Sans définir exactement l’ensemble des nombres réels, D’Alembert a aussi utilisé la notion de limite pour définir un nombre dérivé (la limite du taux d’accroissement de la fonction sur un très petit intervalle, si elle existe). Lagrange donna par la suite la notation f’(x) pour nommer ce nombre dérivé, le généralisant jusqu’à une notion de fonction dérivée.
Ses travaux en astronomie utilisaient aussi l’observation et l’algèbre pour affiner la connaissance de la très faible variation de la direction de l’axe de rotation de la Terre (estimée en 2015 à un degré tous les 72 ans), pour étudier l’aberration chromatique sur les lunettes astronomiques et imaginer des améliorations technologiques.
Parmi ses autres travaux, il a posé la première équation d’onde en 1747 (l’équation de D’Alembert qui a donné l’opérateur dalembertien) qui a pu être utilisée en électromagnétisme mais aussi pour les ondes sonores : D’Alembert a ainsi résolue son équation aux dérivées partielles pour la vibration d’une corde dans sa théorie sur la musique (aussi en 1747). Il a également étudié l’hydrodynamique (avec quelques résultats intéressants : en 1752, il a posé les équations générales du mouvement des fluides avant Bernoulli et Euler) et il a même réfléchi sur les vents.
Après une tentative infructueuse, D’Alembert fut élu à l’Académie française le 28 novembre 1754 avec l’aide de Montesquieu (1689-1755), reçu le 19 décembre 1754, et fut même élu secrétaire perpétuel le 9 avril 1772, malgré l’opposition du maréchal de Richelieu (1696-1788). Il y fut très actif, pour soutenir L’Encyclopédie et diffuser les idées des Lumières, pour rédiger une histoire des premiers académiciens (qui est restée une référence historique : soixante-dix-huit éloges pour les membres morts entre 1700 et 1770). Il y fut très influent, proposa des méthodes de traduction et les illustra avec Tacite, favorisa l’élection de Condillac, de Condorcet et d’autres nouveaux membres, en revanche, mit son veto à l’élection du mathématicien Jean-Sylvain Bailly (1736-1793) qui fut élu à l’Académie juste après la mort de D’Alembert, le 11 décembre 1783 (Jean-Sylvain Bailly fut par la suite le président de la séance du Jeu de Paume et maire de Paris de 1789 à 1791 avant d’être guillotiné).
Lorsque D’Alembert fut reçu à l’Académie, il évoqua ainsi la figure du roi : « Les lettres ne peuvent dignement être protégées que par les rois, ou par elles-mêmes. L’Académie française verra à la tête de ses protecteurs ce prince si célèbre dans les fastes de la France, de l’Europe et de l’Univers, à la gloire duquel l’adversité même a concouru ; plus grand, lorsque pour le soulagement de ses peuples, il engageait à la paix les nations liguées contre lui, que lorsqu’il les forçait à la recevoir ; enfin, qui mérita de ses sujets, des étrangers et de ses ennemis, l’honneur de donner son nom à son siècle. » (19 décembre 1754).
À partir de 1772, D’Alembert régna en maître presque autoritaire sur la sage assemblée des immortels. Condorcet portait ce témoignage sur lui : « Combien de fois l’avons-nous entendu dans ces assemblées, tantôt combattre les préjugés littéraires, avec les armes d’une philosophie sage et lumineuse, tantôt accabler les ennemis de la raison sous les traits de l’éloquence ou de la plaisanterie, n’employant que les managements qui étaient utiles à la cause de la vérité, évitant avec adresse de soulever contre elle les esprits timides ou prévenus, mais dédaignant les clameurs dont lui seul était l’objet, et bravant avec courage cette foule impuissante d’ennemis et d’envieux que les vertus et les talents traînent à leur suite ? » (26 février 1784).
La seule passion amoureuse de D’Alembert fut une enfant naturelle comme lui, Julie de Lespinasse (1732-1776), écrivaine, qu'il a fréquentée pendant une vingtaine d'années, et il a décrit ses rapports avec elle dans une lettre à Voltaire : « Il n’y a entre nous ni mariage ni amour, mais de l’estime réciproque et toute la douceur de l’amitié. » (cité par l’encyclopédie Larousse).
Parce qu’il n’a jamais imaginé voyager et quitter la vie mondaine de Paris, D’Alembert refusa en 1762 à Catherine II de Russie (1729-1796), pourtant très généreuse, de devenir le précepteur de son fils et futur tsar Paul Ier (1754-1801) qu’il a reçu chez lui. Malade et stoïque face à sa propre fin, Jean d’Alembert est mort à 65 ans le 29 octobre 1783 à Paris, peu avant la Révolution, avec une réputation intellectuelle immense en Europe. Ce fut Condorcet (1743-1794) qui fit son éloge funèbre à l’Académie. Parmi les successeurs de D’Alembert à l’Académie (25e fauteuil), on peut citer Mérimée (en 1844), Hippolyte Taine (en 1878), Marcel Pagnol (en 1946) et le professeur Jean Bernard (en 1975).
D’Alembert a laissé une importante correspondance, avec son ami Voltaire (trente-trois ans, entre 1745 et 1778), qui surnommait D’Alembert "Protagoras", avec Frédéric II, avec beaucoup de philosophes européens. Depuis quelques années, les Éditions du CNRS sont en train de publier les "Œuvres complètes" de Jean d’Alembert, y compris ses ouvrages scientifiques (la sortie du premier tome de sa "Correspondance annotée" fut présentée par Catherine Bréchignac et Hélène Carrère d’Encausse le 12 janvier 2016 à l’Institut de France).
Par ailleurs, l’Académie des Sciences a mis en ligne, sous le Coupole à Paris le 19 octobre 2017 à 17 heures 30 la totalité de la première édition de L’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert sous forme numérique grâce à l’exemplaire détenu par la Bibliothèque Mazarine. Son but : « Répondre aux questions qu’elle pose et les mettre en perspective avec les savoirs d’aujourd’hui pour susciter de nouvelles avancées, démocratiser l’accès à l’œuvre et défendre l’un de ses plus grands trésors : son esprit critique. » (communiqué de l’Académie des sciences, le 9 octobre 2017).
Ce Siècle des Lumières fut, à mon sens, une extraordinaire occasion de montrer le développement intellectuel dans toute l’Europe sans frontière (il n’existait pas encore de carte d’identité nationale). Voltaire en fut le maître incontestable, plus spécialement pour la littérature et la bataille philosophique, et Jean d’Alembert en fut le maître scientifique, surtout mathématique. Je recommande la lecture du site de Serge Mehl sur les jeux mathématiques de D’Alembert (je pense qu’il suffit d’avoir le niveau de terminale scientifique pour comprendre).
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (14 novembre 2017)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Jouons avec les mathématiques de D’Alembert.
Traité de Dynamique (1743).
L’Encyclopédie en ligne (2017).
Système figuré des connaissances humaines (1751).
Jean d’Alembert, le savant universel.
Marie Curie.
Saint-Just.
Être vivant sur Terre.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20171116-d-alembert.html
https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/d-alembert-le-savant-universel-et-198689
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2017/11/14/35865932.html
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