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1 mai 2018 2 01 /05 /mai /2018 02:14

« Mai 68 aurait détruit l’idée même de transmission, sans laquelle il n’y a pas de société qui tienne. Mensonge naïf. Mai 68 a perpétué une longue tradition française, celle des "journées" révolutionnaires, de 1830, de 1848, de la Commune, du Front populaire, de la Libération de Paris. On disait "quarante-huitards", on a dit "soixante-huitard". Vieille expression. » (Laurent Joffrin, "Libération", le 21 mars 2018).


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En mai 1968, la gauche croyait tellement à la révolution que François Mitterrand et Pierre Mendès France étaient déjà prêts à gouverner, sans mandat des électeurs, dans le plus grande tradition de prises de pouvoir communistes d’après-guerre. À l’énumération de Laurent Joffrin, il manque évidemment le 6 février 1934, qu’il ne pouvait pas citer car ce n’était pas "son" peuple qui voulait révolutionner.

Certains font commencer le fameux "épisode" ("séquence" maintenant) de "mai 68" au 22 mars 1968. Mais il serait plus exact de le faire commencer le 3 mai 1968 avec l’occupation puis l’évacuation de la Sorbonne par la police, et l’arrestation de 574 étudiants, en particulier Daniel Cohn-Bendit, Jacques Sauvageot (qui est mort il y a quelques mois), le dirigent de l’UNEF, Henri Weber, Alain Krivine, Brice Lalonde, etc. Comme l’université est un sanctuaire interdit aux forces de l’ordre, ce fut sur demande du président de l’université que la police a pu agir, ce qui a scandalisé d’autres présidents d’université peut-être portés à la sympathie de ce mouvement de révolte.

Il n’y a qu’en France qu’on disserte sur ce genre de sujet, les cinquante ans de mai 1968. Les autres pays sont plus pragmatiques et cherchent à préparer l’avenir. Nous, Français, nous sommes toujours à regarder dans le rétroviseur, un peu vieilli ici, pour reprendre de vieilles litanies militantes.

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C’est vraiment la première fois qu’on commémore autant ce mouvement, pour son cinquantième anniversaire, et je n’ai pas souvenir que les autres anniversaires de dizaine furent commémorés. Normal. Disons les choses crûment : la génération qui était étudiante en mai 1968, c’est celle qui est en train de partir à la retraite.

Et si je dis "crûment", c’est pour dire : c’est la génération dorée, privilégiée, qui a eu plus de chance que leurs aînés mais aussi plus de chance que leurs suivants. Celle du baby boom, celle qui a bénéficié à fond des Trente Glorieuses (il suffit de voir le manque de main d’œuvre à la fin des années 1970, par exemple, au CNRS, on pouvait être embauché chercheur avant même d’avoir soutenu sa thèse, alors que maintenant, si un docteur voir un post-doc obtient un simple poste d’ingénieur d’étude, il sera heureux vu le nombre de candidats). C’était une époque où les grandes entreprises finançaient de la recherche fondamentale sans forcément se préoccuper du retour sur investissement (et pourtant, c’est justement avec cette méthode qu’il y a un retour sur investissement, car les découvertes ne se font pas forcément là où on croit les tenir).

Génération privilégiée, oui, assurément. Elle bénéficie d’une retraite que les générations suivantes ne pourront même plus imaginer. Elle a été aussi, pendant sa vie active, ses quarante dernières années, celle qui a fait un endettement de l’État massif pour assurer uniquement ses dépenses de fonctionnement, pour financer sa protection sociale, son niveau de vie, largement au-dessus de ses moyens. Cela signifie que non seulement elle a vécu avec beaucoup d’avantages, mais en plus, elle ne les a pas payés, elle laisse les générations suivantes les payer. Le bébé qui naît aujourd’hui a déjà une dette d’environ 30 000 euros !

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Et si l’on fait la comparaison entre 1968 et 2018, c’est clair qu’on n’est pas dans la même catégorie. En 2018, quelques agitateurs professionnels, parfois relayés par des militants politisés et acharnés (il suffit de voir la désinformation à propos de l’évacuation de Tolbiac le 20 avril 2018). En 1968, une réelle envie de transformer le monde. Sincère. Influencée par l’enlisement au Vietnam, la Révolution culturelle de Mao et les méthodes assez obséquieuses de De Gaulle (il faut bien le reconnaître).

En 1968, comme disait un journaliste célèbre, la France s’ennuyait, ses étudiants étaient des gosses gâtés qui voulaient faire de l’art, trouver d’autres voies à l’intelligence. En 2018, au contraire, l’aspiration est de rentrer dans le rang, d’avoir son chez-soi, de créer son foyer (fût-il novateur), avec son petit confort matériel. On cherche à gagner sa croûte, on cherche à avoir un emploi, à avoir une bonne formation, un bon diplôme.

Alors, bien sûr, le chantage à l’examen ne pouvait être que très efficace ces dernières semaines : certains sont prêts à s’agiter (ils n’aiment pas trop le gouvernement, c’est leur droit), mais pas question de rater une année, de rater leur diplôme, de s’opposer à leur intérêt particulier dans la vie professionnelle. Mais là encore, en 1968, celui qui ratait ses examens n’était pas forcément très sanctionné, vu que sans diplôme mais avec une forte personnalité, on pouvait être embauché (et un révolutionnaire, c’était forcément une forte personnalité).

Que reste-t-il des soixant-huitards ? Il suffit de voir quelques célébrités, bien établies dans la société, parmi l’élite, la nomenklatura médiatique sinon financière ou politique. Est-ce l’évolution logique de tout révolutionnaire de salon ? Probablement.

En 2018, il ne s’agit pas d’être pour ou d’être contre mai 68. C’est. C’est tout. Et l’histoire de France est un bloc, pour paraphraser Clemenceau.

Au début, le pouvoir gaulliste a beaucoup trop minimisé la situation. Du 2 au 11 mai 1968, le Premier Ministre Georges Pompidou était en voyage en Iran et en Afghanistan. Quant à De Gaulle, il n’a pas annulé son voyage en Roumanie du 14 au 19 mai 1968 pour faire risette avec les Ceausescu.

Avec la grève générale à partir du 13 mai 1968, le mouvement de mai a cherché cette "coagulation" tant rêvée par les syndicats actuels : faire converger les étudiants et les ouvriers, alors que, professionnellement, tout les sépare, les ouvriers qui n’ont pas bénéficié d’études supérieures, paient, par leurs impôts, les études de ceux qui ne deviendront pas ouvriers grâce à leurs diplômes !

Révolutionnaires en culotte courte assez naïfs pour tomber dans leur slogan "élections, pièges à c@ns". Et hop ! De Gaulle a ramassé la mise alors que certains le disaient à la ramasse ! Il n’a rien perdu pour attendre, juste un répit de dix mois.

Mai 68 s’est arrêté le 30 mai 1968. Après la "disparition" du Général à Baden-Baden, une énorme manifestation a été organisée par les gaullistes aux Champs-Élysées. Un million de manifestants, selon les organisateurs (reprenant le même nombre que celui des étudiants le 13 mai 1968, établi simplement par une réponse de Daniel Cohn-Bendit qui avait lâché ce nombre d’un million, au pif, vu qu’il n’en savait rien puisqu’il était en tête de la manifestation !).

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Pendant cette manifestation, une allocution présidentielle pour annoncer la dissolution de l’Assemblée Nationale. Avec seulement une vingtaine de pourcents d’abstention, au soir du second tour, le 30 juin 1968, la coalition gaulliste remporta une majorité écrasante, 394 sièges sur 485 (58,1% des suffrages exprimés au premier tour le 23 juin 1968), bien plus que la majorité LREM d’aujourd’hui. L’épisode était donc définitivement clos sur le plan politique. Sur le plan économique et social, il était clos auparavant, au moment où les Français voulait partir en week-end à la Pentecôte et que les pompes à essence étaient encore fermées.

Sur le plan sociologique, peut-être qu’il n’est toujours pas clos. Il y a eu une salutaire libéralisation de la société. Pas seulement des mœurs (les années 1970 furent d’ailleurs tellement "excessives" qu’il y a eu rapidement un retour de balancier), mais surtout dans les rapports sociaux, les rapports humains. Il y a eu nécessité de dépressuriser. Il fallait d’une manière ou d’une autre passer du management directif au management participatif, que la base puisse aussi s’exprimer et que le haut puisse écouter la "France d’en bas". Les étudiants pouvaient plus facilement discuter avec leurs enseignants.

Mais incontestablement, sur ces cinquante dernières années, il y a eu une révolution sociale bien plus importante que celle de 1968. C’est celle de l’informatique, du tout-ordinateur, de l’Internet, du smartphone, c’est-à-dire de la mobilité d’être connecté partout dans le monde avec tout le monde, avec son malheureux corollaire, le traçage massif, permanent et irréversible de sa vie privée…

L’héroïne Barbarella aurait pu être le symbole de mai 1968, le film est sorti le 10 octobre 1968, mais la bande dessinée a été publiée au printemps 1962. Dans l’univers très créatif et fantastique de Jean-Claude Forest, mort il y a dix-neuf ans, Barbarella aurait pu avantageusement prendre le pas sur Dany-le-rouge-vert et sur la gauche caviar devenue la gauche bobo !…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (30 avril 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
50 ans de mai 1968.
Daniel Cohn-Bendit.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180322-mai-1968.html

https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/mai-68-le-beau-marronnier-203918

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/05/02/36365893.html



 

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