« Je t’aime, autrement dit, je me réjouis que tu sois ce que tu es ; et je ferai tout pour que tu le deviennes davantage. » (Maurice Bellet).
Le prêtre, théologien, philosophe et psychanalyste Maurice Bellet est mort à 94 ans ce jeudi 5 avril 2018 à 9 heures 30 à Paris avec ces derniers mots : « Adieu. Adieu… Au revoir ! ». Je l’ai évoqué dernièrement. Ses obsèques ont lieu ce mardi 10 avril 2018 à 11 heures à la chapelle de la Maison Marie-Thérèse, au 277 boulevard Raspail, dans le quatorzième arrondissement de Paris, célébrées par son ancien élève, le père Dumas, aumônier de l’hôpital Sainte-Anne, qui lui a donné le sacrement des malades le 4 avril 2018. L’inhumation se fera au cimetière de Montparnasse, dans le Caveau des prêtres.
Pour beaucoup de personnes qui se sont nourries de ses paroles et de ses écrits (une œuvre monumentale de plus d’une soixantaine d’ouvrages), cela a créé un cruel vide et un manque infini.
Son humilité sous-estimait son apport spirituel fondamental à la réflexion et à la foi. Il disait souvent : « Je ne suis qu’un vieux tuyau rouillé. Mais l’eau pure peut sortir même d’un tuyau rouillé… ». Ce que je me permettrais de réfuter sur le plan scientifique, car la rouille diffuse dans l’eau et la fabrication de composants qui nécessitent une ultrapureté (comme les composants électroniques) se déroule même en salle blanche avec des opérateurs habillés en astronautes pour éviter la diffusion de la moindre impureté qui modifierait les propriétés physico-chimiques des matériaux synthétisés. Là n’est cependant pas l’idée, l’idée, c’était que Maurice Bellet écoutait et ne donnait pas de leçon. Peut-être presque dans la grande tradition socratique de la maïeutique. Laisser dire.
Maurice Bellet savait structurer les esprits. Dans une tribune sur son blog en janvier 2014, il définissait une sorte de devoir d’engagement : « On est neutre pour ce qui n’a pas d’importance. Pour le grave et l’essentiel, impensable. On n’est pas neutre devant Auschwitz. Ou alors !… Il faut bien qu’il y ait un absolu. Mais le grand problème des humains, c’est de ne pas savoir où il est. La ligne de séparation change. L’impossibilité et l’interdit ne sont pas fixés. Où suis-je ? D’où est-ce que je parle ? (…) Il se trouve que mon lieu, mon lieu essentiel (…), c’est la foi chrétienne. Voilà qui situe avec force ! (…) Comment concilier cela avec cette ouverture, cette diversité qui semble exiger l’universel (et le dialogue) ? (….) Il n’y a pas de conciliation. (…) S’il n’y a pas de solution, quel chemin ? Je crois bien que tout ce que j’ai écrit (ou pourrais écrire) est dans l’espace de cette question. ».
Je suis un peu amer par le peu de considération que les médias ont porté sur ce théologien français qui a sans doute été l’un des plus importants de notre époque contemporaine et je ne doute pas que son œuvre nourrisse encore de nombreuses générations après lui. Seuls, les journaux revendiquant une approche chrétienne ont évoqué sa disparition. C’est sûr qu’il n’aura pas un hommage aux Invalides avec une allocution du Président de la République, et c’est tant mieux, cela aurait massacré sa modestie.
Les médias préfèrent sans doute disserter sur l’impossible héritage de Johnny Hallyday, qui, pourtant, relève de la vie privée des personnes concernées, ce qui donne une idée du type de la société dans laquelle nous vivons (voyeurisme et matérialisme), mais c’était justement cela le travail de Maurice Bellet, chercher à atteindre cette société déchristianisée et devenue de plus en plus matérialiste. Pour lui, l’enjeu était majeur. Dans "L’Explosion de la religion" (éd. Bayard, 2014), il projetait un avenir potentiellement sombre du christianisme : « S’il se révèle que la foi chrétienne est incapable d’affronter le monde tel qu’il est, de donner une interprétation valable et efficace de ce que les gens vivent, alors sa défaite est certaine. Et sa place sera au musée, dans le folklore, dans l’histoire des historiens. ».
Aussi ses ouvrages veulent-ils s’adresser à ceux pour qui la religion, la foi, la spiritualité ne sont rien par rapport à l’argent (ou au manque d’argent, la pauvreté), aux plaisirs (ou aux frustrations), au pouvoir (ou au sentiment de soumission), à la parade (ou au sentiment d’humiliation). Pas en cherchant à singer le langage contemporain des "djeunes", mais en essayant de comprendre les ressorts actuels de la société. Il avait donc besoin d’avoir une vision d’ensemble des faits sociaux. C’était un pari difficile et ces travaux sont sans cesse remis en cause par l’évolution très rapide de la société.
Le dernier billet sur le blog de Maurice Bellet parlait d’économie en novembre 2017. Il avait aussi beaucoup réfléchi sur l’économie : « On dit que notre monde est régi par l’économie. (…) C’est faux. L’économie (…) n’est qu’une idée, et une idée-masque. Elle sert à recouvrir de prétentions rationnelles un formidable chaos de la faim. Car la faim, entendez le primitif désir de liberté, de ce qui lui donnait force et vérité devient le moteur d’un fonctionnement en effet gigantesque, mais qui n’a d’autres substances que ce désir-là. Il est vrai que cela avale tout. La religion elle-même peut y couler et les plus hautes entreprises de la pensée, de la science s’y trouvent asservies. La langue sacrée de ce monde-là est l’argent ; car il n’est rien d’autre qu’une convention de langage qui donne et ôte le pouvoir. Si je suis seul, sans personne à qui commander, comme le voyageur perdu dans une contrée vide, tout l’argent du monde ne me sert de rien car il n’est rien. L’argent n’est que le vecteur des désirs infinis. ».
Il allait ainsi vers les autres, vers ceux qui se sont éloignés de la foi, mais a aussi cherché à les rapprocher de la foi, en adaptant le discours de l’Église, en reprenant le langage de l’Évangile. Il a même abordé le thème de la sexualité dans plusieurs de ses livres, sujet souvent "maltraité" par l’Église.
Dans "La Chair délivrée" (éd. Bayard, 2015), il reprenait la notion de "chair" : « La vérité de la chair est dans le chair à chair quand il est présence, don et tendresse. Cela peut en venir, dans la tradition chrétienne et catholique, jusqu’à des formes totalement déconcertantes. Après tout, la communion eucharistique est bien de chair à chair et dans la forme la plus humble, celle du manger. Elle indique même, dans cette humilité, ce qui est le tout à fait primordial : sans manger, l’homme meurt. Mais cette communion ouvre l’espace où tout ce qui est charnel pourra s’élever à l’esprit. ».
Dans son "Minuscule traité acide de spiritualité" (éd. Bayard, 2010), il n’hésitait pas non plus à parler du désir : « Le devoir sans le désir est triste. Le désir sans le devoir est fou. ». Ou encore : « Pécher contre la chair n’est pas en jouir. C’est la blesser. ». Encore : « Il y a un moralisme qui ressemble à la chimiothérapie du cancer à ses débuts : pour tuer un désir suspect, il préfère tuer tout désir. ». Ce moralisme, il s’en amusait : « Certains, et certainement par bonnes intentions, ont mis les grandes vérités au congélateur pour qu’elles ne pourrissent pas. Elles se sont conservées, mais elles sont immangeables. ».
Prier, cela peut faire peur. Il proposait donc un petit mode d’emploi. Dans la revue "Cahiers pour croire aujourd’hui" n°131 de novembre 1993, il proposait "17 manières de prier sans en avoir l’air" pour apprendre à ne plus être impressionné même par le mot. La première est déjà savoureuse : « Marcher de long en large dans une église romane, belle, assez grande, Saint-Philibert de Tournus par exemple, ou dans une église gothique, Chartres, Reims, Bourges, ou baroque, comme la Wieskirche, et ne penser à rien, rien du tout, laisser le regard errer, laisser la pierre chanter, laisser le lieu dire et s’en aller, au bout d’un temps, sans aucune hâte. ».
Maurice Bellet s’adressait souvent à ceux qui étaient descendus dans une grande détresse. Il cherchait à leur transmettre la petite étincelle qui redonnerait un sens ou un espoir à leur vie.
Toujours dans son "Minuscule traité acide de spiritualité" (éd. Bayard, 2010), son message, c’était de quitter le rôle qu’on pourrait croire irréversible : « Si votre passé est lourd, très lourd, inavouable, criminel (mais oui, cela arrive), alors la tentation des tentations est de lui rester fidèle, ficelé dans le sentiment d’être indigne de vivre, d’aimer et d’être aimé, d’agir et d’enfanter. Mais si vous en êtes sorti, si vous êtes sur le chemin d’en sortir, n’êtes-vous pas au cœur de ce qui fait l’humain de l’homme ? Et davantage ? Car il y a deux interprétations d’un passé infâme : ou bien tout ce que vous êtes vous y ramène, ou bien parvenir à en sortir vous justifie par-delà toute justice. Car ce qui juge un être humain, hors de tout jugement de ce monde, c’est le chemin qu’il fait. Ceux qui viennent de l’abîme, s’ils arrivent jusqu’au seuil de la vérité, n’est-ce pas chose prodigieuse ? Même le mal où vous avez plongé se transmue en grâce. Il vous donne de comprendre et d’accueillir ceux d’en bas ; il vous garde à jamais de la prétention du pharisien. Il va même nourrir, d’une expérience irrécusable, ce que vous ferez et direz. Et il y a plus de joie dans le Ciel pour un qui revient des terres de la mort que pour quatre-vingt-dix-neuf qui sont restés à la maison. ».
La détresse, un sujet souvent traité, comme dans "Incipit ou le commencement" (éd. DDB, 1992) : « Il n’y a pas d’homme condamné. Si quelqu’un se trouve alors sans Dieu, sans pensée, sans images, sans mots, reste du moins pour lui ce lieu de vérité : aimer son frère qu’il voit. S’il ne parvient pas à aimer parce qu’il est noué dans sa détresse, seul, amer, affolé, reste du moins ceci : de désirer l’amour. Et si ce même désir lui est inaccessible, à cause de la tristesse et de la cruauté où il est comme englouti, reste encore qu’il peut désirer de désirer l’amour. ».
Le chemin plus que la situation, le mouvement plus que le statique. Ce n’est pas la fonction qu’il faut voir, mais sa dérivée : « Ma dignité n’est pas mon courage ou ma force. Ma dignité, c’est de ne pas me résigner. Oh, comme je suis privé et manquant de ce que je croyais avoir ! Du niveau que je croyais atteint ! De l’équilibre que je croyais établi ! » ("L’Épreuve ou le tout petit livre de la divine douceur", éd. DDB, 1987).
Je propose ici (j’ai déjà largement entamé !) quelques autres citations de Maurice Bellet pour le faire un peu mieux connaître de ceux qui ne le connaissaient pas. Elles sont toutes issues de ses œuvres dont j’indiquerai les références pour la plupart.
Toute la réflexion de Maurice Bellet est partie de l’écoute et de la parole. De la simple conversation, parfois : « Converser de choses et d’autres, et soudain, il se fait, sans qu’on l’ait voulu, qu’on se met à parler enfin, parler de la vie, la mort, l’avenir de l’humanité, l’amour, la vérité (…), les grands chemins de l’homme (…). On s’en parle les uns aux autres sans haine, sans controverse, sans passion basse, mais parce que cela importe plus que tout le reste et qu’on en parle si peu souvent. Et il arrive alors qu’une parole dite en passant, sans effort et sans intention, soit baume, lait et miel, eau très pure, sang vivifiant juste à temps pour celui qui l’attendait et le fond du cœur est ouvert. » (Je n’ai pas retrouvé la référence de cette citation).
Écouter mais aussi écrire : « J’écris. J’écris comme au milieu du feu, parce que ce que j’ose aborder, c’est l’intouchable. Je vais écrire jusqu’au bout. Je n’entrevois qu’à travers la brume, à travers un nuage de nuit, en vérité, ce vers quoi je vais, et dont j’espère apercevoir quelque clarté. ». Ou encore : « Écrire, c’est parfois la seule façon possible de garder le silence. » (Je n’ai pas retrouvé la référence de ces deux citations).
Entre critique constructive et pas constructive : « La critique ne va au bout d’elle-même que par la création. Sinon, elle continue à dépendre de ce qu’elle critique, elle forme avec lui un ensemble qui va s’enclore en lui-même. » ("Un Chemin sans chemin", éd. Bayard, 2016).
Pour un chrétien, le thème de l’amour est évidemment essentiel. Dans "L’Épreuve ou le tout petit livre de la divine douceur" (éd. DDB, 1987), Maurice Bellet revisite l’amour agapé : « Qu’avons-nous ici et maintenant qui soit impérissable ? Agapé, la divine tendresse et rien d’autre, car tout passera sauf elle… ». Ou encore : « L’amour d’amitié a trois visages : la présence, l’hospitalité, l’écoute. Les trois sont un. On peut parler avec ses mains, avec son regard, avec son silence ; avec la simple présence. Et même : avec l’absence nécessaire. Le vrai amour ne prend rien ; il vous laisse même à votre solitude, la bonne solitude où vous pouvez aller par vous-même, indépendant. Mais le vrai amour ne vous abandonne jamais. Ainsi la parole aimante est-elle comme une demeure où nous pouvons habiter jusque dans l’errance. ».
Dans son livre déjà ancien, "Le Lieu du combat" (éd. DDB, 1976), Maurice Bellet prenait la place de Dieu pour revisiter les Dix commandements, qu’il aurait pu résumer en : « Vous commencerez par le respect », un texte qui pourrait pleinement servir l’actualité de ces dernières années. J’en cite quelques brides ici (bien garder à l’esprit la date de publication du livre).
Ne pas étiqueter les personnes : « Vous commencerez par le respect. Vous ne direz pas : la vieille, qui brûle un cierge et marmonne, est une superstitieuse. Ou : cet homme amoureux d'un enfant n'est qu'un pédéraste. Ou : ce révolutionnaire aigri est un aigri. Ou : cette femme acariâtre et dévoreuse de ses enfants est une malade. Vous ne direz rien de tel. Vous ne mettrez pas votre propre frère et semblable dans une prison. ».
N’être lié par rien : « Vous saurez que vérité comme justice ne sont pas vôtres et que rien ne me fait tant horreur que le fanatisme, l'odieuse confiscation des biens sans prix. Vous n'aurez en vénération ni l'argent, ni la violence, ni les pouvoirs, ni vos plaisirs, ni quelque seigneur ou maître, ni vous-mêmes. Vous serez libres. ».
Le vivre-ensemble, respecter les personnes, respecter la vie : « Vous commencerez par le respect. Vous ne traiterez personne de lâche, vaurien, voyou, vous ne traiterez personne de bourgeois, de nègre, de raton, de moricaud, de flic, de bolchevik, sachant d'ailleurs que ce qui dans votre bouche est injure peut être pour lui dignité. De qui que ce soit, vous ne ferez le simple objet de votre plaisir. (...) Si vous parlez mal de moi, je ne vous en tiendrai pas rigueur, car vous ne sauriez, de moi, parler bien : je saurai entendre vos cris, vos imprécations, vos murmures, et même je saurai comprendre que, ne me connaissant pas, ou conduits malheureusement à me voir tout autre que je suis, vous veniez jusqu'à me maudire, ou à vous désintéresser de moi. Mais je ne vous pardonnerai jamais, si vous vous obstinez, d'écraser ce qui témoigne de moi là où vous êtes, le respect de la vérité, le respect de la vie, et, signe entre les signes, le respect de celui qui vous est semblable et face à face, l'autre homme. ».
Le chemin de l’impossible : « Vous commencerez par le respect. Alors vous sera donné d'entrer dans ce chemin de l'impossible, où vous souffrirez peut-être, et où nul ne vous ravira votre joie. Telle est la porte de mon bonheur. ».
Maurice Bellet a terminé son "Minuscule traité acide de spiritualité" (éd. Bayard, 2010) par ce qu’il a appelé un « recueil de facéties à longue portée », autrement dit, des petites réflexions, parfois ne provenant pas de lui-même mais répétées, avec ses mots : « une suite de plaisanteries, mais dont les arrière-pays sont redoutables, en sorte que chacune (ou presque) pourrait servir de thème à une bonne et brave session où l’on oserait casser la "fameuse langue de bois"… ou de buis », avec ce principe : « De l’humour, oui. De l’ironie, parfois. De la dérision, jamais. ». J’en propose quelques-unes en y écrivant moi-même les entrées (avec ma propre subjectivité).
Croire : « Dieu existe-t-il ? C’est une question d’homme, Dieu ne se la pose jamais. ».
Ne pas croire : « Le sceptique sait que rien n’est sûr, sauf que tous les autres se trompent. ».
Ne pas croire (bis) : « Un athée ne peut être que théologien : il faut bien qu’il sache de quel DIeu il ne veut pas. ».
La détresse : « Les choses se sont suffisamment aggravées pour que l’espoir soit permis. ».
Toujours la détresse : « Puisque, dit le proverbe, le pire n’est pas toujours sûr, on doit penser que le meilleur est toujours possible. ».
Être fort avant d’aider : « Si vous voulez aider l’ami, ou le patient, au fond de sa détresse, restez au bord du cratère ! ».
L’humilité : « L’humilité est la seule vertu absolument sûre, parce que c’est la seule dont on ne peut pas se vanter. ».
Toujours l’humilité, avec un brin d’orgueil : « Nous devons avoir assez d’humilité pour supporter l’humiliation de paraître orgueilleux à tous les imbéciles qui ne savent pas faire ce que nous, nous savons faire. ».
Le principe de réalité : « Vient un moment où il faut renoncer à faire ce qu’on ne peut pas faire, sous peine de ne pas faire ce qu’on peut faire. ».
Les lois de l’économie et des mathématiques revisitées : « 2 + 2 = 4, plus le travail de l’addition. N’oubliez jamais l’ouvrier… ».
Argumenter : « En politique, pour avoir raison, il faut deux choses. Premièrement, avoir raison. Deuxièmement, gagner. ».
Ne pas argumenter : « Argumenter avec la bêtise, c’est labourer le ciment. ».
Faire et ne pas faire : « On trouve des gens qui disent ce qu’il faut faire, ce qu’il faudrait faire, ce qu’il aurait fallu faire, ce qu’il ne faut pas faire. C’est, souvent ou quelquefois, très bien vu. Et il y a les gens qui font. Ce n’est jamais très bien fait. Mais du moins, c’est fait. ».
Un résumé qui me paraît très pertinent : « Les malheurs de l’humanité viennent, par ordre de gravité croissante : du crime organisé, de la bêtise des honnêtes gens, du manque d’imagination. ».
Je termine sur cette "divine douceur" que j’ai évoquée dans le titre de ce billet. Elle exprime l’extrême sensibilité poétique de Maurice Bellet, dans "L’Épreuve ou le tout petit livre de la divine douceur" (éd. DDB, 1987) :
« La divine douceur est paix, profonde paix, paix miséricordieuse, apaisement.
C'est une main douce et maternelle, qui sait, qui conforte, qui répare sans heurt, qui remet dans la juste place.
C'est un regard comme celui de la mère sur l'enfant naissant. C'est une oreille attentive et discrète, que rien n'effraie, qui ne juge pas, qui prend toujours le parti du bon chemin d'homme, où l'on pourra vivre même l'invivable.
Elle est ferme comme la bonne terre sur qui tout repose. On peut s'appuyer sur elle, peser sans crainte. Elle est assez solide pour supporter la détresse, l'angoisse, l'agression, pour tout supporter sans faiblir ni dévier. Elle est constante comme la parole du père qui ne plie pas. Ainsi est-elle le lieu sûr où je cesse d'être à moi-même frayeur.
C'est pourquoi c'est sottise de la croire faiblesse. Elle est la force même, la vraie, celle qui fait venir au monde et fait croître. L'autre, celle qui détruit et tue, n'est que l'orgie de la faiblesse.
Mais la divine douceur sauve tout, elle veut tout sauver. Elle ne désespère jamais de personne. Elle croit qu'il y a toujours un chemin.
Elle est inlassablement inlassable à enfanter, soigner, nourrir, réjouir et conforter.
La divine douceur est charnelle, elle est du corps. Elle ne se passe pas en idées et discours, en décisions, en états d'âme. Elle ne se soucie pas d'exhorter ou d'expliquer.
Elle est dans les mains, le regard, les lèvres, l'oreille attentive, le visage, le corps entier. Elle est dans les gestes du corps. Elle est l'âme aimante du corps agissanlt. Elle est la beauté aimante du corps humain.
La divine douceur est sans preuve. Elle ne se donne pas par des arguments, des explications, des justifications. Elle paraît naïve et désarmée devant le soupçon ; en fait, elle y est indifférente.
Car elle se goûte.
Pourquoi divine ? parce qu'elle ne serait pas humaine ? C'est tout l'inverse : elle est divine d'être humaine, entièrement humaine en vérité.
Elle est l'amour d'amitié. Elle est l'amour par-delà l'amour, parce qu'elle ne cherche ni preuve, ni satisfaction, ni possession, ni rien de semblable. Elle ne se donne pas par devoir, mais par goût. Elle ne sait même pas qu'elle se donne. Elle est d'un naturel exquis.
Elle peut se faire service, et de mille façons. Mais elle est d'abord elle-même, ô douceur divine, et ce don-là précède tous les autres.
Elle est présence, elle est hospitalité, elle est parole échangée. Elle est compassion. Elle est la discrétion même. Oh, qu'elle est désirable ! ».
Merci, Maurice Bellet !
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (07 avril 2018)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Site officiel de Maurice Bellet.
Maurice Bellet.
Quelques citations de Maurice Bellet.
Le philosophe Alain.
Paul Ricœur.
Emmanuel Levinas.
Sigmund Freud.
Simone Weil.
Étienne Borne.
Edgar Morin.
Aimé Césaire.
Roland Barthes.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180405-citations-maurice-bellet.html
https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/divine-douceur-sur-canape-il-y-a-203207
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/04/09/36306193.html
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