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7 juillet 2018 6 07 /07 /juillet /2018 03:24

« Marteaux-piqueurs, pelleteuses et bulldozers seront probablement les derniers sons de musique concrète à faire vibrer les murs de la maison de Pierre Henry. En juillet, sauf miracle politique de dernière minute, cette vieille bâtisse de deux étages, cernée d’immeubles (…), sera rasée pour laisser place à une opération immobilière. » (Sébastien Porte, "Télérama", le 20 février 2018).


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J’ai assisté à plusieurs de ses concerts mais je n’ai jamais eu la chance ni l’occasion d’assister à un concert chez lui. Chez le compositeur Pierre Henry, père de la musique concrète et à ce titre, précurseur des nombreuses musiques utilisées notamment au cinéma, mort à 89 ans le 5 juillet 2017, il y a un an. Entre 1996 et 2016, 9 000 visiteurs et auditeurs ont eu la chance de se rendre dans sa petite maison du quartier Picpus, au 32 rue de Toul, dans le douzième arrondissement de Paris. Pierre Henry avait l’habitude de faire portes ouvertes et d’inviter ses auditeurs au sein même de son repaire. Ils étaient une quarantaine par concert.

Cette maison ne paie pas de mine, à la regarder de l’extérieur. Lui et son épouse l’ont habitée depuis 1971. Pour Pierre Henry, c’était sa maison d’artiste, son laboratoire de recherches acoustiques, son atelier d’artisan, un véritable outil de travail : « Les sons que garde la maison sont un soutien pour moi. Comme les manuscrits d’un écrivain. C’est la bibliothèque qui vous enrichit un peu tous les jours. » (Interview de Pierre Henry en 2005 citée par France Musique le 7 février 2018). Tout était sonorisé, de la cuisine à la salle de bains, de la cave (son premier studio) aux petits-coins. Chaque bruit devenait une note de musique, dans son imagination.

Chaque pièce est conçue avec des haut-parleurs, des magnétophones, des appareils électroniques, et lorsque ses spectateurs venaient le visiter, ils pouvaient entendre un bruit d’orage dans les escaliers, se prélasser sur son propre lit pour écouter un morceau de musique et il a même dû débrancher les haut-parleurs des toilettes car les visiteurs y restaient trop longtemps pour écouter la musique qu’il y diffusait.

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Partout, dans le sous-sol, à l’étage, dans les recoins, il y a des appareils, des machines à faire du bruit, des appareils parfois dinosauriens, des cassettes numériques et surtout, une précieuse collection de 15 000 sons minutieusement archivés que le compositeur avait léguée à la Bibliothèque Nationale de France dès 2007. C’était dans cet univers personnel que Pierre Henry a créé, a innové, a composé. Il y trouvait ses inspirations, ses capacités techniques (pour faire tel ou tel son), son lieu de mémoire.

Il n’était d’ailleurs pas que musicien puisque les visiteurs pouvaient voir aussi des centaines de tableaux de "peinture concrète" qu’il avait lui-même réalisés. Des tableaux-sculptures qui reprenaient les outils artisanaux dont il n’avait plus besoin avec le numérique : « Ces peintures concrètes témoignent des moments forts de ma vie et entrent en résonance avec le lieu comme avec ma musique : c’est comme une vibration. (…) Elles me portent à la méditation. Quand je suis dans le studio, isolé avec mes sons, me savoir au milieu des éléments constitutifs de ma musique me rassure. » (Entretiens avec Franck Mallet, livre édité par la Philharmonie de Paris, cité par "Télérama" le 20 février 2018).

Bref, cette maison qui n’a rien d’intéressant sur le plan architectural est une pépite de l’histoire de la musique française. Elle est le lieu privilégié d’un créateur de génie, un exceptionnel lieu de culture et de mémoire, et aussi un lieu de rencontres : « C’est là que furent inventés des procédés techniques de composition depuis lors largement standardisés, et que fut élaboré un pan essentiel de la musique occidentale moderne. (…) Ce créateur titanesque y a coupé, monté, enroulé et déroulé des milliers de kilomètres de bandes magnétiques. » (Sébastien Porte, "Télérama").

Hélas, il semble qu’il n’y ait plus beaucoup de moyens d’éviter la fatalité sauf croire aux miracles ! Pierre Henry n’était pas propriétaire de sa maison et il la louait. Lorsqu’elle fut vendue, en 2012, le couple était déjà trop âgé pour contracter un emprunt bancaire. Ils n’ont pas pu la racheter. Cela montre aussi qu’il était plus un passionné peu porté vers l’argent qu’une star fortunée !

Or, le nouveau propriétaire est un promoteur immobilier qui a l’intention de carrément raser la maison pour construire un immeuble plus moderne dans ce quartier assez tranquille de Paris. À la mort de Pierre Henry, ce promoteur immobilier a donné un an à sa veuve pour quitter les lieux, sinon, il augmenterait le loyer en le multipliant par plus de quatre. Les pelleteuses arrivent donc dans deux mois !

Depuis dix mois, Isabelle Warnier, la veuve, et Bernadette Mangin, l’assistante musicale de Pierre Henry, passent leur temps à vider la maison, à ne rien perdre, à retrouver dans les recoins quelques anciennes bandes son oubliées, etc. Et à demander aux pouvoirs publics de réagir pour sauver ce patrimoine culturel unique. Une pétition lancée le 7 juillet 2017 par quelques amis musiciens inquiets n’a recueilli, pour l’instant, que 10 000 signataires (10 074 au 4 juillet 2018). À l’évidence, tout le monde se moque que ce patrimoine parte en fumée, sous les éboulis de la société de consommation.

Comme l’a expliqué Élodie Forêt sur France Inter le 2 mai 2018, en effet, « [les deux gardiennes du trésor] ont entrepris un travail titanesque : faire l’inventaire de toutes les archives, bandes magnétiques et peintures concrètes entreposées dans la maison. (…) Et ce travail, Isabelle et Bernadette le font le cœur lourd. "Ce sera un déchirement", disent-elles, de quitter ces lieux où elles ont tant de souvenirs. ». Outre l’atelier, c’était aussi là où vivait (et vit encore) Isabelle Warnier.

La maire de Paris Anne Hidalgo n’a pas beaucoup aidé. Elle s’est juste contentée de faire voter par le Conseil de Paris l’installation d’une simple plaque rappelant que Pierre Henry a vécu en ces lieux. C’est un peu faible pour sauver le patrimoine artistique de la France. La maire socialiste du douzième arrondissement a attribué un local municipal pour permettre à la veuve de Pierre Henry d’entreposer tous les équipements et la collection évoquée en attendant une utilisation plus réfléchie dans un musée, comme le Musée de la Musique à la Villette, près de la Philharmonie de Paris. Cette maire d’arrondissement a convenu cependant : « Il s’agit d’un dossier immobilier 100% privé dans lequel nous n’avons pas les moyens d’intervenir. » ("Le Parisien", le 18 février 2018).

La Ministre de la Culture semble ne pas avoir réagi à cette situation actuelle. C’est vrai, et heureusement que le droit de propriété est respecté en France, il s’agit hélas d’une affaire privée, un propriétaire privé qui vend un bien à un acheteur privé qui veut ensuite rentabiliser son investissement, dans une ville où le manque de logements est patent.

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Mais ici, il s’agit d’une perle du patrimoine musical français. La mairie a un moyen de bloquer les choses avec le permis de construire. Surtout, le ministère peut classer le lieu comme patrimoine national, et dans ce cas, la préservation de la maison serait acquise. Il est vrai qu’il serait difficile, ne serait-ce que pour des raisons de norme de sécurité, d’en faire un lieu ouvert au public très largement, mais rien n’empêcherait de faire visiter cette maison avec un flux de visiteurs très faible, comme c’est le cas avec la maison de Maurice Ravel à Montfort-l’Amaury.

À l’heure où l’on cherche à sauver la maison de Georges Bizet à Bougival et où l’État pourrait classer la maison de Ravel, et plus généralement, à l’heure où l’on cherche à préparer le futur en conservant la mémoire, l’abandon des pouvoirs publics de ce lieu de mémoire que constitue la maison de Pierre Henry est un véritable scandale culturel.

Le musicien y avait composé cent trente œuvres et sa dernière œuvre fut achevée en mai 2017, juste avant d’être hospitalisé, "Fondu au noir", qui fut interprétée selon ses vœux pour la première fois le 2 mars 2018 à 20 heures dans la salle de l’ancien Conservatoire de Paris (au 2 bis, rue du Conservatoire, Paris 9e), là où en 1952, il interpréta sa célèbre "Symphonie pour un homme seul" devant Igor Stravinsky.

Certains n’ont pas compris l’apport fondamental de Pierre Henry dans l’histoire de la musique et la gravité de la destruction, sous les yeux de ses contemporains, d‘un patrimoine culturel unique en son genre. La première vocation du patriotisme, c’est avant tout protéger l'héritage culturel laissé par les Français de talent et de génie. Cela, même au détriment de profits immobiliers, financiers et donc fiscaux, à très court terme…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (04 juillet 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Pétition : sauvons la maison de Pierre Henry !
La seconde mort de Pierre Henry.
Messes pour un Pierre Henry présent.
Hommage à Pierre Henry (6 juillet 2017).
Le dernier concert de Pierre Henry.
La musique concrète de Pierre Henry toujours à l’honneur de l’été parisien.
Vidéo de "Symphonie pour un homme seul" (Pierre Schaeffer et Pierre Henry).
Barbara Hannigan.
György Ligeti.
Claude Debussy.
Binet compositeur.
Pierre Boulez.
Karlheinz Stockhausen.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180502-pierre-henry.html

https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/la-seconde-mort-de-pierre-henry-204019

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/07/08/36372711.html


 

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