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20 mai 2018 7 20 /05 /mai /2018 04:17

« Le cynisme ne soulage qu’un moment les consciences écœurées par l’hypocrisie. » (Georges Bernanos, 1939).



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Le lundi 11 juin 2018, plusieurs raffineries ont été bloquées par des syndicalistes paysans. La raison ? Faire pression sur le gouvernement et sur le groupe Total pour que cette société utilise l’huile de colza française plutôt que l’huile de palme asiatique. Le gouvernement avait autorisé l’importation de 300 000 tonnes d’huile de palme.

La semaine précédente, le 6 juin 2018, invité de la matinale de France Inter, le Ministre d’État Nicolas Hulot a expliqué que c’était un accord négocié entre l’État et Total. Le Ministre de l’Agriculture Stéphane Travert a confirmé le 11 juin 2018 qu’il n’était pas question d’y revenir. Il s’agissait d’autoriser Total d’utiliser, pour 70%, de l’huile de palme importée pour faire son biocarburant. Les rendements pour produire l’huile de palme (en tonnes par hectare et par an) sont dix fois supérieurs à l’huile de soja et cinq fois supérieurs à l’huile de colza (un palmier produit 40 kilogrammes d’huile de palme par an). L’huile de palme revient donc bien moins chère que l’huile de colza, mais là n’est pas la seule raison.

Il devrait y avoir un accord européen sur l’huile de palme dans les biocarburants ce mercredi 13 juin 2018 à la suite de négociations entre le Conseil Européen, le Parlement Européen et la Commission Européenne.

Les députés européens avaient voulu le 17 janvier 2018 que les biocarburants composés d’huile de palme fussent exclus des objectifs des énergies renouvelables pour 2021, ce qui signifierait que ces carburants ne recevraient plus de subvention publique. Ils avaient en effet voté une résolution non contraignante : proposition de directive du Parlement Européen et du Conseil relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables.

Plus précisément, deux amendements sur le sujet avaient alors été adoptés le 17 janvier 2018. Le premier : « La résolution du Parlement Européen du 4 avril 2017 sur l’huile de palme et la déforestation des forêts tropicales humides invitait la Commission à prendre des mesures pour faire progressivement cesser l’utilisation dans les biocarburants d’huiles végétales qui entraînent la déforestation, y compris l’huile de palme, de préférence d’ici à 2020. » (considérant 25 bis).

Et le second amendement : « La contribution des biocarburants et des bioliquides produits à partir de l’huile de palme est de 0% à compter de 2021. » (article 7).

Une mesure qui a de quoi inquiéter les principaux fournisseurs. La France devrait faire opposition.

Dans le monde, 27 millions d’hectares de terres sont consacrés à la production d’huile de palme. Des étendues immenses de forêts tropicales ont été dévastées, défrichées et brûlées, pour installer les plantations, mettant en danger d’extinction des espèces en voie de disparition : l’éléphant pygmée de Bornéo, le tigre de Sumatra, l’orang-outan, le rhinocéros, etc. Entre 1990 et 2010, il y a eu 3,5 millions d’hectares de forêts détruites en Indonésie, Malaisie et Papouasie Nouvelle-Guinée, pour faire des plantations de palmiers. De plus, l’Indonésie a émis plus de gaz à effet de serre que les États-Unis en 2015.

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En fait, l’huile de palme, qui concourt à la déforestation de la planète, est un produit qui pourrait même tuer des êtres humains de manière très directe.

L’information est scandaleuse et odieuse. Elle a été révélée par le journal "Libération" le 8 juin 2018 dans un article d’Aude Massiot. Elle se résume par cette phrase choquante : « Serge Atlaoui a failli mourir pour de l’huile de palme. ». Serge Atlaoui, j’ai déjà longuement évoqué sa situation très préoccupante. Il a été condamné à mort en Indonésie pour fabrication de drogue. En fait, il ne s’occupait que de machines dont il assurait la maintenance et ne connaissait pas la finalité du produit fabriqué. Il a échappé de justesse à l’exécution il y a trois ans et depuis cette date, il est toujours en situation d’être exécuté malgré son innocence sur ce point.

Quel rapport entre l’huile de palme et le Français Serge Atlaoui ? Sans doute sa nationalité française qui l’a épargné lors de la dernière série d’exécutions le 29 juillet 2016. Pourquoi ? Parce que l’Indonésie, dans un cynisme pur et dur, y a vu matière à faire pression sur l’un de ses gros clients.

Car l’Indonésie est, avec la Malaisie, le principal producteur d’huile de palme (l’Indonésie le premier et la Malaisie le deuxième ; à eux deux, ils ont fourni 87% de la production mondiale en 2013, respectivement 51% et 36%), et l’Europe est l’un des principaux marchés juteux de l’huile de palme. Actuellement, 66 millions de tonnes d’huile de palme sont produites dans le monde (en 1997, seulement 18 millions de tonnes), dont 7,1 millions de tonnes exportées en Union Européenne en 2014 pour trois applications principales : 45% pour les biocarburants, 34% pour l’alimentation et 16% pour l’électricité et le chauffage. La part des biocarburants n’était que de 8% en 2010 (une obligation au biocarburant a été décidée en 2009).

De la part de ces deux pays (Indonésie et Malaisie), il y a eu des pressions que je qualifierais de "traditionnelles" parce que commerciales. L’Indonésie était en pleines négociations pour l’achat de 250 Airbus et également de satellites. La Malaisie aussi avait des moyens de faire pression sur la France, avec de gros contrats pour des avions Rafale, dans un contexte où la concurrence internationale reste toujours très rude. Plusieurs centaines de millions d’euros sont en jeu, ainsi que plusieurs milliers d’emplois en France.

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Lors de la discussion sur la loi biodiversité, en 2016, certains députés français avaient été informés, de manière informelle, par les services diplomatiques, d’un chantage absolument honteux : si l’article prévoyant d’augmenter la taxation de l’huile de palme alimentaire était voté à l’Assemblée Nationale, le condamné Serge Atlaoui serait exécuté. Pour bien accentuer la pression, des représentants indonésiens étaient présents lors du vote, en haut de l’hémicycle, sur les bancs des visiteurs.

"Libération" a cité notamment l’ancienne Ministre de l’Écologie Delphine Batho (PS), et surtout, la rapporteure de la loi en question, Geneviève Gaillard (PS) : « Le Ministère des Affaires étrangères et Matignon m’ont demandé expressément de faire marche arrière. Cela m’a beaucoup perturbée de savoir que la vie de cet homme dépendait de ma décision. J’en garde un très mauvais souvenir. ».

Je me suis alors repenché sur les (très longs) débats parlementaires concernant cette fameuse loi n°2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Le texte initial du projet de loi a été adopté au conseil des ministres du 26 mars 2014, et elle n’a été promulguée que le 8 août 2016, deux ans et demi plus tard, deux gouvernements plus tard !

Personne ne reprochera à un gouvernement de mettre du temps à élaborer la loi, car le défaut français est plutôt de légiférer trop vite et trop souvent. Pour ce texte, il y a eu trois lectures en navette, une commission paritaire mixte qui a échoué et une lecture définitive à l’Assemblée Nationale (qui garde toujours le dernier mot pour les lois ordinaires). Le problème, c’était que le texte contenait tout et n’importe quoi, si bien que c’était l’occasion pour les parlementaires d’évoquer de nombreux sujets polémiques.

Et l’un des sujets polémiques, qui correspondait pourtant à très peu de phrases par rapport à l’ensemble du texte (le texte final comptait 174 articles !), c’était ce qu’on a appelé la "taxe Nutella", du nom de la célèbre pâte à tartiner contenant beaucoup d’huile de palme. Revenu en commission à l’Assemblée Nationale après l’échec de la commission paritaire (députés et sénateurs), l’article 27A fut rajouté le 14 juin 2016 pour taxer l’huile de palme alimentaire, afin de prévenir la déforestation de la planète.

L’article 27A du projet de loi, selon le texte, examiné et adopté le 14 juin 2016 par la commission en troisième lecture (à la base de la discussion), était le suivant : « Il est institué une contribution additionnelle à la taxe spéciale prévue à l’article 1609 vicies sur les huiles de palme, de palmiste et de coprah effectivement destinées, en l’état ou après incorporation dans tous produits, à l’alimentation humaine. Est exempté de la contribution mentionnée (…) le redevable qui fait la preuve que le produit taxé répond à des critères de durabilité environnementale. Le taux de la contribution additionnelle est fixé à 30 euros par tonne en 2017, à 50 euros en 2018, à 70 euros en 2019 et à 90 euros en 2020. ».

Le gouvernement, représenté par sa Secrétaire d’État chargée de la biodiversité, Barbara Pompili, écologiste devenue LREM, est revenu sur cet article 27A en proposant et obtenant des députés le 22 juin 2016 son remplacement par le texte suivant, beaucoup moins concret : « Pour contribuer à la préservation et à la reconquête de la biodiversité et préserver son rôle dans le changement climatique, l’État se fixe comme objectif de proposer, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, un dispositif prévoyant un traitement de la fiscalité sur les huiles végétales destinées, en l’état ou après incorporation dans tous produits, à l’alimentation humaine qui, d’une part, soit simplifié, harmonisé et non discriminatoire et, d’autre part, favorise les huiles produites de façon durable, la durabilité étant certifiée sur la base de critères objectifs. » (amendement 457).

Après un passage au Sénat où l’ensemble du projet de loi a été profondément modifié, le texte, en dernier passage, est revenu le 19 juillet 2016 en examen à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée Nationale et n’a pas touché à cet article 27A tel que rédigé le 22 juin 2016. Mais le lendemain, le 20 juillet 2016, le gouvernement a finalement retiré cet article, ce que du reste avaient déjà souhaité les parlementaires de l’opposition dès juin 2016. Notons aussi, pour bien comprendre le contexte psychologique, que la séance du 20 juillet 2016 a commencé par l’hommage aux victimes de l’attentat de Nice qui venait d’avoir lieu quelques jours auparavant.

L’adoption définitive de cette loi sur la biodiversité a eu lieu le 20 juillet 2016, sans finalement qu’aucune taxe additionnelle sur l’huile de palme alimentaire ne fût conservée. Et quelques jours plus tard, le 29 juillet 2016, l’Indonésie a procédé à sa dernière série d’exécutions de condamnés à mort, en épargnant la vie de Serge Atlaoui.

Ce chantage odieux sur la vie de Serge Atlaoui, qui semble confirmé par plusieurs parlementaires français, montre à quel point la justice indonésienne peut être instrumentalisée. Serge Atlaoui n’est plus le coupable d’un crime qu’il n’a jamais eu l’intention de commettre, mais l’otage d’un géant de l’huile de palme pour continuer à faire son business.

Dans un prochain article, je reprendrai plus précisément quelques extraits de ces débats parlementaires à propos de cette taxe sur l’huile de palme, qui sont assez instructifs sur le niveau de sérénité des députés.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (11 juin 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Surtaxer l’huile de palme en France ?
Taxe Nutella : Serge Atlaoui, otage de l’huile de palme ?
Vives inquiétudes pour Mary Jane Veloso.
Le cauchemar de Serge Atlaoui.
Peine de mort pour les djihadistes français ?
L’industrie de l’énergie.
L’industrie aéronautique.
L’industrie ferroviaire.
L’économie dans un monde globalisé.
La concurrence internationale.

_yartiAtlaouiSergeJ01



http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180520-serge-atlaoui.html

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/06/13/36483265.html


 

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