« Nous connaissons tous l’affection de Gérard Collomb pour sa ville et la métropole lyonnaise. C’est une bonne nouvelle qu’il souhaite y consacrer du temps et de l’énergie. Le Président réorganisera l’équipe gouvernementale lorsqu’il le jugera nécessaire. » (L’Élysée à LCI, le 18 septembre 2018).
La dernière phrase du communiqué de l’Élysée exprime assez explicitement l’agacement présidentiel. Mais quelle mouche a donc piqué le Ministre d’État, Ministre de l’Intérieur ? Dans un entretien à l’hebdomadaire "L’Express", Gérard Collomb a annoncé le 18 septembre 2018 qu’il serait candidat aux élections municipales à Lyon en mars 2020, et qu’il comptait démissionner de son poste de la Place Beauvau en juin 2019, après les élections européennes.
Certes, ce n’est pas nouveau, une démission de ministre pour conquérir une mairie : sous le gouvernement de Lionel Jospin, la très importante Ministre des Affaires sociales Martine Aubry l’avait fait pour prendre la succession de Pierre Mauroy à la mairie de Lille, et, également ministre, l’écologiste Dominique Voynet l’avait fait aussi pour Dole. Mais ici, plusieurs interrogations. Depuis plusieurs mois, Gérard Collomb semblait ne plus être à la hauteur pour son "job" de numéro deux du gouvernement chargé de la lutte contre le terrorisme. Fatigue, absence, l’esprit ailleurs… assurément, son esprit est à Lyon et pas à Paris.
L’affaire Benalla n’a pas renforcé sa crédibilité politique ni son autorité de Ministre de l’Intérieur, faisant celui qui ne savait rien, faisant celui qui ne prévenait personne. D’ailleurs, la version du Ministre de l’Intérieur pouvait ne pas plaire à l’Élysée, dans la mesure où il renvoyait la balle rue du Faubourg Saint-Honoré, une rue à traverser, selon maintenant l’adage présidentiel.
Mais ce qui surprend, c’est sa grande maladresse politique. Depuis quand un ministre dit-il publiquement quand il quitterait son ministère ? En disant qu’il comptait le quitter en juin 2019, il s’est pris pour le Président de la République en s’assurant qu’il resterait à ce poste au moins jusqu’à cette date, et que c’était juste par sa volonté qu’il ne resterait pas plus longtemps. Pour l’un des derniers poids lourds du gouvernement, c’est une démarche qui doit fait sursauter le Président (le vrai Président) Emmanuel Macron. Il y a fort à parier que sa survie au Ministère de l’Intérieur n’est plus qu’une question de semaines sinon de jours… d’autant plus que l’opposition, c’est de bonne guerre, ne cesse de lui envoyer des scuds en réclamant sa démission immédiate afin d’avoir un Ministre de l’Intérieur à plein temps. Surtout après avoir pollué l'annonce de la réforme de la santé le jour même.
Ce n’était pas la première fois que Gérard Collomb se prenait pour le Président de la République. Interrogé en mai 2018 pour l’un des multiples documentaires politiques qui marquaient la première année de l’élection d’Emmanuel Macron, Gérard Collomb a confié qu’entre les deux tours de l’élection présidentielle, il avait participé à un "dîner de pas-c@ns", si je puis dire ainsi. Les convives étaient des fidèles d’Emmanuel Macron réunis autour du futur Président, en particulier Gérard Collomb, et ils avaient invité à venir dîner Édouard Philippe, encore à LR. Gérard Collomb a alors expliqué avec un petit sourire sournois que les convives avaient été convaincus et que cela avait été l’entretien de recrutement du futur Premier Ministre. Ainsi expliqué, alors que lui-même était encore ministre et Édouard Philippe encore Premier Ministre, comment imaginer qu’Édouard Philippe puisse avoir encore de l’autorité sur son Ministre de l’Intérieur ?
Il est vrai que, depuis le début de l’été 2018, Emmanuel Macron n’est plus beaucoup le "maître des horloges" et il s’est pris à l'étranger, sans être prévenu, la démission brutale de Nicolas Hulot. De son côté, Daniel Cohn-Bendit a même expliqué publiquement qu’il avait refusé un ministère qu’on ne lui avait pourtant pas proposé ! Notons aussi que la démission de François Bayrou dès juin 2017 avait déjà réduit la lisibilité politique de son gouvernement et que d’autres "politiques" du gouvernement s’apprêteraient à imiter Gérard Collomb, c’est-à-dire à quitter le navire gouvernemental pour aller à la bataille municipale, en particulier Benjamin Griveaux et probablement Gérald Darmanin. Sans compter qu'Emmanuel Macron doit recadrer sans cesse ses troupes (par exemple, Christophe Castaner qui voulait augmenter encore les droits de succession le 14 septembre 2018).
Place Beauvau, avec le titre de Ministre d’État, c’est pourtant le couronnement de la très longue carrière politique lyonnaise de Gérard Collomb, souvent appelé dans la région le "loser" et qui n’a jamais dû ses premières élections qu’à des circonstances exceptionnelles. C’était aussi son premier portefeuille ministériel. Il aurait voulu être ministre sous Lionel Jospin ou sous François Hollande, mais sans succès dans un monde de moins en moins cumulard (il ne voulait pas lâcher Lyon).
Reprenons sa carrière politique, justement. Agrégé de lettres classiques, ce qui n’est pas sans penser à l’historien de culture classique Édouard Herriot, Gérard Collomb milita à la Convention des institutions républicaines (CIR) dès 1968, microparti de François Mitterrand qui lui a permis de rejoindre et de conquérir le Parti socialiste en 1971. Gérard Collomb se retrouva donc socialiste et l’une de ses principales antennes lyonnaises. Dès mars 1977, il fut élu conseiller municipal de Lyon, dans l’opposition, et c’est un mandat qu’il occupe encore aujourd’hui, bien que ministre (quarante et un ans de longévité pour le moment !).
Grâce à la vague rose de juin 1981, Gérard Collomb est élu député de Lyon à l’âge de 34 ans, battant un député sortant UDF. Il fut réélu sans trop de souci en mars 1986, grâce au scrutin proportionnel, sur la liste socialiste conduite par Charles Hernu (ancien Ministre de la Défense et ami très proche de François Mitterrand, par ailleurs maire de Villeurbanne). En revanche, il fut battu face à Bernadette Isaac-Sibille (UDF), une très proche de Raymond Barre, en juin 1988, et de nouveau battu en juin 1997 par la même adversaire (pour la petite histoire, le fils de cette dernière, Cyrille Isaac-Sibille, engagé dans la vie politique lyonnaise depuis le milieu des années 1990, a été élu député MoDem avec l’investiture LREM en juin 2017, devenu par conséquent l’allié et même le soutien parlementaire de l’ancien adversaire de sa mère).
Pour compenser la perte de son mandat parlementaire, Gérard Collomb a été nommé membre du Conseil Économique et Social entre 1994 et 1999. Il s’est fait aussi élire conseiller régional de Rhône-Alpes de mars 1992 à novembre 1999. En revanche, il a progressé aux élections municipales successives à Lyon (tête de liste du PS), jusqu’à gagner trois mairies d’arrondissement en juin 1995, dont "sa" mairie du 9e arrondissement, ce qui lui a permis de siéger à la Communauté urbaine du Grand Lyon (présidée par Raymond Barre, maire de Lyon entre 1995 et 2001).
C’est à cause de la profonde division à droite (entre Charles Millon et Jean-Michel Dubernard) que ce socialiste plus proche de la sociale-démocratie conservatrice (au point de refuser de célébrer les mariages homosexuels) que du bolchevisme agité, a réussi à convaincre une majorité relative des électeurs lyonnais en mars 2001. Gérard Collomb fut ainsi (enfin) maire de Lyon à partir du 25 mars 2001 et jusqu’au 17 juillet 2017, pour ne pas cumuler avec ses fonctions ministérielles.
Entre temps, il était parvenu à devenir sénateur du Rhône le 2 novembre 1999, grâce à la démission de Franck Sérusclat (il était le suivant de liste). Il fut réélu le 26 septembre 2004 et le 28 septembre 2014 et quitta le Palais du Luxembourg également pour ses fonctions de ministre. Sénateur-maire de Lyon, également président de la métropole de Lyon (qui a maintenant des attributions de conseil départemental), Gérard Collomb s’était fortement opposé aux lois limitant le cumul des mandats sous François Hollande, alors qu’il a été l’un des sénateurs les plus inexistants du Sénat (au point de voir son indemnité parlementaire réduite).
Politiquement, au sein du PS, Gérard Collomb a soutenu à fond la candidature de Ségolène Royal à l’élection présidentielle de 2007, puis, après une vaine tentative d’être lui-même candidat à la candidature en mars 2011, après un soutien à Dominique Strauss-Kahn puis François Hollande, il a été, dès juillet 2016, l’un des premiers parlementaires (socialistes), avec Richard Ferrand, à avoir soutenu la candidature d’Emmanuel Macron. Son soutien a été crucial pour Emmanuel Macron puisqu’il a permis d’utiliser ses réseaux politiques pour faire progresser la candidature du fondateur d’En Marche. C’est aussi grâce à la médiation de Gérard Collomb qu’Emmanuel Macron a pu recevoir le soutien crucial de François Bayrou en février 2017. Lors de l’investiture d’Emmanuel Macron à l’Élysée, Gérard Collomb fut aux premières loges, bénéficiant, très ému, d’une accolade très chaleureuse du nouveau Président.
Depuis le 17 mai 2017, il est désormais le Ministre de l’Intérieur, une responsabilité cruciale dans cette période troublée par les attentats. Voulant montrer de la fermeté pour les questions d’immigration, l’ancien socialiste Gérard Collomb fut même épinglé par l’ancien secrétaire général du RPR Jacques Toubon, devenu entre temps Défenseur des droits. Tout reste à front renversé. Mais c’est normal, car sa ligne de conduite, c’est de plaire à ses électeurs lyonnais, plutôt conservateurs.
À 71 ans, le voici prêt à se désinvestir de ses responsabilités nationales pour vouloir reprendre son mandat de maire en mars 2020, comme s’il était le seul capable de l’assumer. Comme un bon représentant de "l'ancien monde". Son macronisme précoce avait pourtant des visées lyonnaises : en été 2016, il ne croyait pas vraiment au succès électoral d’Emmanuel Macron, mais en revanche, il comptait sur lui pour en faire son dauphin à la mairie de Lyon. Comme quoi, l’histoire n’est jamais écrite…
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (18 septembre 2018)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Gérard Collomb.
Emmanuel Macron.
Édouard Philippe.
Richard Ferrand.
L’affaire Benalla.
Le premier gouvernement d’Édouard Philippe.
Le deuxième gouvernement d’Édouard Philippe.
La réforme des institutions, côté Place Beauvau.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180523-gerard-collomb.html
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/09/19/36717243.html