« Si le roi se trouve dans l’impossibilité de régner, les ministres, après avoir fait constater cette impossibilité, convoquent immédiatement les Chambres. Il est pourvu à la tutelle et à la régence par les Chambres réunies. » (Article 93 de la Constitution belge, ancien article 82).
Ce fut avec une certaine émotion que les Belges ont appris la mort de leur roi Baudouin Ier il y a vingt-cinq ans, le 31 juillet 1993, au sud de l’Espagne, dans sa résidence de vacances, à l’âge de 62 ans (il est né le 7 septembre 1930). Une mort soudaine à cause du cœur. Un deuil national fut proclamé jusqu’au 9 août 1993, la cérémonie d’enterrement a eu lieu le 7 août 1993 dans la cathédrale de Bruxelles en présence de nombreux chefs d’État, en particulier la reine Élisabeth II et le Président François Mitterrand, suivie en direct à la télévision.
Pourquoi une telle émotion pour le roi d’une monarchie constitutionnelle qui n’a quasiment aucun pouvoir sans contreseing d’un ministre ? La réalité du pouvoir est laissée au gouvernement responsable devant la Chambre des représentants. Sans doute par une personnalité peu ordinaire, une foi catholique qui inspira son humanisme et son personnalisme, et sûrement par la durée très longue de son règne, quarante-deux ans, enjambant douze Premiers Ministres.
Baudouin a en effet commencé son règne le 17 juillet 1951 après l’abdication de son père Léopold III (1901-1983), roi depuis le 23 février 1934, malmené par la classe politique d’après-guerre en raison d’une crise nationale due à son comportement pendant la guerre : il était resté en Belgique après la défaite du 28 mai 1940 alors que le gouvernement belge était parti en exil pour continuer la guerre.
Baudouin commença donc à régner très jeune (20 ans) et resta sous l’influence de son impopulaire père pendant près d’une dizaine d’années, jusqu’à son mariage avec Fabiola (1928-2014) le 15 décembre 1960. Son frère, le futur Albert II l’avait précédé d’une année en épousant Paola le 2 juillet 1959 et un fils était né le 15 avril 1960, Philippe. Au bout de quelques années, l’absence de descendance de Baudouin amena ce dernier à considérer son neveu Philippe, l’actuel roi des Belges depuis le 21 juillet 2013, comme son probable héritier.
Pendant toute sa vie, la foi de Baudouin fut déterminante, au point que certains pensaient qu’il allait devenir prêtre. Cette foi a semblé incompatible avec son comportement après l’indépendance du Congo belge et l’assassinat de Patrice Lumumba, une indifférence ou laisser-faire provenant de l’influence encore très forte de Léopold III.
S’il devait y avoir un fait marquant dans le règne de Baudouin, je pense qu’il faut citer la mini-crise constitutionnelle que le roi a lui-même provoquée par sa foi. Sa mort n’était pas sa première disparition mais sa seconde. En tant que roi.
En effet, le 29 mars 1990, à l’initiative de Lucienne Herman-Michielsens et Roger Lallemand, le Parlement belge a voté la loi de dépénalisation de l’avortement. Par conséquent, il était dans le rôle du chef d’État belge de la promulguer, comme pour toutes les lois.
En France, la même question constitutionnelle posée par la première cohabitation de 1986 a obtenu une réponse assez rapidement malgré le comportement conflictuel des deux têtes de l’exécutif : le Président de la République doit promulguer les lois adoptées par le Parlement, même si elles ne lui plaisent pas. En Belgique, le roi en principe doit lui aussi promulguer les lois (sanction royale) et s’il venait à le refuser, il outrepasserait son rôle de souverain constitutionnel.
Le Premier Ministre de l’époque, Wilfried Martens, reçut alors le 30 mars 1990 un courrier de la part du roi : « Ce projet de loi soulève en moi un grave problème de conscience. (…) Vous comprendrez donc pourquoi je ne veux pas être associé à cette loi. En signant ce projet de loi, et en marquant en ma qualité de troisième branche du pouvoir législatif, mon accord avec ce projet, j’estime que j’assumerais inévitablement une certaine coresponsabilité. Cela, je ne puis le faire. ». Il était même prêt à abdiquer. Cette détermination motiva le gouvernement à trouver une sortie honorable pour tout le monde.
Par une astuce constitutionnelle sur l’empêchement de régner du roi (en principe réservé seulement à la maladie et au décès), il a été trouvé une solution institutionnelle très hypocrite mais néanmoins satisfaisant à la fois le déroulement normal et démocratique du processus législatif et la conscience du souverain : le gouvernement constata au conseil des ministres du 4 avril 1990 l’impossibilité de régner de Baudouin, si bien que censé le remplacer en raison de l’article 82 de la Constitution (maintenant article 93), il promulgua la loi sur l’avortement à la place du roi. Le lendemain, les deux chambres du Parlement ont voté le rétablissement du roi dans ses prérogatives. Aucun parlementaire n’a osé voter contre ce rétablissement, malgré l’opposition à la procédure de certains élus. Pendant une journée, Baudouin avait disparu des institutions de manière très artificielle pour ne pas valider une loi que sa conscience réprouvait.
Bien que s’opposant au Parlement sur le plan moral, cette attitude de Baudouin fut saluée par les Belges et augmenta sa popularité. Cette popularité expliqua aussi la forte émotion lors de sa réelle disparition trois ans plus tard. Son neveu Philippe, aussi croyant que Baudouin, n’a pas voulu cependant recourir à cette même astuce lors d’un autre problème de conscience et, quoique très opposé à elle, s’est finalement résigné à promulguer le 28 février 2014 la scandaleuse loi sur l’euthanasie des enfants (qui modifie la loi du 28 mai 2002 et qui a été appliquée la première fois le 17 septembre 2016).
Par son long règne, Baudouin a incarné en quelques sortes pendant deux générations la réalité et l’unité de la nation belge malgré les fortes tensions au sein de la communauté nationale entre Wallons et Flamands et une partition linguistique formalisée avec la mise en place d’une structure fédérale de la Belgique qui fut officialisée en 1993. Il était un monarque moral.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (30 juillet 2018)
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Pour aller plus loin :
Baudouin Ier, roi des Belges.
À quand la partition de la Belgique ?
Jean-Luc Dehaene.
Herman Van Rompuy.
Guy Verhofstadt.
Wilfried Martens.
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