« Celui qui parle de l’avenir est un coquin, c’est l’actuel qui compte. Invoquer la postérité, c’est faire un discours aux asticots. » (Céline, "Voyage au bout de la nuit", 1932).
Depuis ce mercredi 1er août 2018, on peut avoir une meilleure compréhension de la situation …célinienne. La polémique de décembre et janvier derniers sur le projet de réédition des pamphlets antisémites de Louis-Ferdinand Céline, si elle pouvait être justifiée, n’était pas très pertinente. La raison de ce projet, que certains avaient déjà imaginée il y a quelques mois, est désormais confirmée. Lucette Destouches, la veuve de Céline, a fêté son 106e anniversaire le 20 juillet dernier. Un âge exceptionnel avec un état de santé qui nécessite une surveillance de tous les instants. En clair, il faut au moins trois personnes pour l’accompagner dans sa vie. Ce qui est très coûteux.
Or, il se trouve qu’en plus, elle est très endettée. Elle ne reçoit plus sa pension de réversion, pas à cause du Président Emmanuel Macron, mais à cause d’un endettement massif vis-à-vis de l’État (dettes fiscales et impayés à l’URSSAF). L’État n’a visiblement fait aucun cadeau à cette malheureuse centenaire diminuée. « Les hommes sont vaches ! » disait Céline à Louis Pauwels en 1959 dans une interview censurée (dont on peut maintenant télécharger la vidéo). Il fallait donc trouver une solution financière pour la fin de vie de Lucette Destouches.
Ce revirement étonnant de la part de celle qui était restée, jusqu’à maintenant, toujours fidèle aux dernières volontés de Céline, à savoir de laisser dans les oubliettes de la littérature des pamphlets odieux qu’il ne voulait plus imposer à son époque ni à sa postérité, a donc bien une origine, le besoin très criant d’argent. Les publications de son mari dont elle est le seul ayant droit (pour les droits d’auteur) se font surtout en livres de poche et n’apportent pas forcément des sommes importantes.
Céline et Lucette s’étaient installés dans un grand pavillon Second Empire à Meudon-la-Forêt, sur la côte des Gardes, en 1951, l’un pour écrire ses derniers livres mais aussi pour rouvrir un cabinet de consultations médicales, l’autre pour faire ses cours de danse (Lucie Almansor fut danseuse). Lucette Destouches y habite toujours, depuis soixante-sept ans. La maison est dans un très mauvais état, laissée sans entretien pendant de longues décennies.
C’est l’hebdomadaire "Le Point", le matin du 1er août 2018, qui a donné le premier (à ma connaissance) cette information sur la maison du couple. En effet, la veuve de Céline vient de vendre à un voisin sa maison en viager. La somme versée au comptant et la rente viagère pourront ainsi financer les trois personnes aidantes qui l’accompagnent dans la dépendance.
Aucun organisme public n’a souhaité préempter la maison (ni l’État, ni des collectivités locales). Comme la maison de Pierre Henry (qui, elle, avait été louée par le musicien et sa compagne), la maison de Céline disparaîtra en même temps que disparaîtra sa veuve. Du reste, il ne restait déjà plus grand-chose des affaires de Céline après deux graves incendies. L’information la plus importante, c’est donc que cette maison se "décélinisera" forcément, c’est-à-dire qu’il n’y aura pas à cet emplacement de musée Céline et encore moins de point de ralliement ou de recueillement des adorateurs de Céline.
Dans le livre sorti cette année 2018, "Madame Céline" (éd. Tallandier) que David Alliot a consacré à Lucette Destouches, l’auteur a révélé que la veuve de Céline avait déjà envisagé de vendre sa maison en viager en 1996 (elle avait 84 ans), mais l’avocat François Gibault (86 ans), exécuteur testamentaire de Céline, avait empêché la transaction.
Le candidat au rachat aurait été, selon ce livre, François-Marie Banier (71 ans), qui a assigné en diffamation l’éditeur du livre le mercredi 25 juillet 2018 (selon une information de Jérôme Depuis parue dans "L’Express" le 28 juillet 2018), car le livre lui attribue une « affection pour les vieilles dames qui n’est plus à démontrer » et qui fait allusion à sa proximité avec feu Liliane Bettencourt. Lucette Destouches avait néanmoins confirmé la visite de François-Marie Banier chez elle dans un autre livre, "Lucette Destouches, épouse Céline", de Véronique Robert-Chovin, chez Grasset, sorti en février 2017, et elle disait de son visiteur : « Ce Banier était précieux, excessif, outrancier, il y avait quelque chose de faux dans sa façon de parler. ».
Vrai ou fausse, cette histoire montre cependant que le projet de vente de la maison en viager n’est pas nouveau, mais le principal devait être que Lucette Destouches puisse continuer à habiter chez elle et à y terminer sa vie. Ce qu’elle fera. Quant aux scandaleux pamphlets, les impatients de France attendront le 1er janvier 2032…
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (02 août 2018)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Lucette Destouches en viager.
Interview avec Louis Pauwels en 1959 (vidéo à télécharger).
Interview de Pierre-André Taguieff par Marc Knobel sur Céline le 13 décembre 2017 (à télécharger).
Les pamphlets antisémites de Louis-Ferdinand Céline.
Louis-Ferdinand Céline et les banksters.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180801-lucette-destouches.html
https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/celine-et-sa-veuve-ruinee-la-206605
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/08/03/36604854.html
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