« En un mot, les États-Unis d’Europe. C’est là le but, c’est là le port. » (Victor Hugo, le 29 août 1876).
Ce samedi 1er septembre 2018 s’est éteint l’ancien député centriste Jean Seitlinger, à Rohrbach-lès-Bitche, dont il fut le maire pendant vingt-quatre ans. Il avait de 93 ans (né le 16 novembre 1924 à Saint-Louis-lès-Bitche). Pour un Mosellan dont la langue maternelle était l’allemand (et donc bilingue dès l’enfance), né à dix-sept kilomètres de la frontière allemande à vol d’oiseau et onze mois exactement avant les Accords de Locarno qui scellaient l’amitié franco-allemande, Jean Seitlinger a consacré naturellement sa vie publique à promouvoir l’idée européenne après avoir lui-même combattu à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
C’est dans ce cadre européen que j’ai eu la grande chance de le rencontrer plusieurs fois au début des années 1990, alors qu’il était encore député et adhérent du CDS. J’étais venu en voisin centriste (de Meurthe-et-Moselle). J’avais notamment visité avec lui le Centre d’études européennes de Scy-Chazelles, ville mosellane où a habité le père de l’Europe Robert Schuman(1886-1963) et là où il est enterré.
Issu d’une famille modeste dans une commune ouvrière, il fit ses études à Sarreguemines puis à Paris en lettres (licence) et en droit jusqu’au doctorat. À 18 ans (en 1943), il a rejoint le maquis des Glières en Haute-Savoie et s’est engagé volontaire en 1944-1945. Entre 1945 et 1949, il assura de l’enseignement, notamment en Autriche, et fut à cette occasion un délégué syndical de la CFTC : comme beaucoup de Mosellans de son époque, il était avant tout démocrate-chrétien.
Devenu avocat de Moselle en 1950, Jean Seitlinger sympathisa rapidement avec Robert Schuman dans les années 1950, figure forte de la vie politique locale. Lors de la dissolution soudaine de la Chambre des députés par Edgar Faure, Robert Schuman lui proposa d’être candidat sur sa liste (c’était un scrutin proportionnel avec apparentements), si bien que le 2 février 1956, Jean Seitlinger fut élu député centriste à l’âge de 31 ans, avec 91 637 voix (leur liste a obtenu quatre sièges). Ce fut le début d’une longue carrière politique, tant locale, nationale qu’européenne.
Jean Seitlinger fut élu et réélu député de Moselle (à partir de 1958 et sauf en 1986, dans la circonscription de Sarreguemines) de février 1956 à octobre 1962 (battu par le candidat gaulliste en 1962, 1967 et 1968), puis de mars 1973 à avril 1997 (d’abord MRP, puis CDP, enfin UDF-CDS). Il fut souvent membre de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée Nationale. Également conseiller général de Rohrbach-lès-Bitche de 1958 à 1964 et de 1976 à 1994, maire de Rohrbach-lès-Bitche de mars 1977 à mars 2001 (son petit-fils Vincent est l’actuel maire de la commune), enfin, député européen de juin 1979 à juin 1984 sur la liste centriste et proeuropéenne de Simone Veil, cumulant avec sa fonction de parlementaire national. Il fut également conseiller régional de Lorraine.
Ce type de carrière, cumulant de multiples mandats sur une longue période (quarante-cinq ans) était très ordinaire en France parmi ses contemporains. En tant que parlementaire, il fut aussi membre de l’Assemblée consultative du Conseil de l’Europe (qui n’est pas la même institution que l’Union Européenne), dont il fut le vice-président de la délégation française (1993 à 1997). En tant que parlementaire, il fut membre de la direction nationale du MRP, puis du CDS, ainsi que secrétaire général fondateur du Parti populaire européen (PPE), le parti des démocrates-chrétiens européens, de 1979 à 1982.
Fondateur et, pendant longtemps, membre dirigeant de la Fondation Robert-Schuman (un think tank proeuropéen), Jean Seitlinger a rencontré de nombreuses personnalités européennes, même lorsqu’il était en retraite. Comme ce 30 septembre 2003 où il a reçu dans les locaux de l’Université Robert-Schuman de Strasbourg le Premier Ministre roumain Adrian Nastase ainsi que le Ministre roumain des Affaires étrangères Mircea Geoana à l’occasion de la parution de la traduction roumaine du livre "Pour l’Europe" de Robert Schuman (préfacée par Adrian Nastase).
Parmi ses premières contributions parlementaires, Jean Seitlinger fut l’auteur d’une loi proposant une rente pour les enfants conçus et nés après l’accident de leur père (proposition de loi déposée le 19 juillet 1957). Comme il était un spécialiste des affaires européennes, Jacques Chirac avait prévu de le nommer Ministre délégué aux Affaires européennes dans son gouvernement le 20 mars 1986 lors de la première cohabitation.
Mais des parlementaires RPR l’en dissuadèrent (car Jean Seitlinger avait été un très proche de Robert Schuman) si bien qu’avec plusieurs mois de retard, le 19 août 1986, Jacques Chirac a finalement nommé à ce poste Bernard Bosson (1948-2017), jeune maire d’Annecy et Secrétaire d’État aux Collectivités locales. Onze ans plus tard, Jean Seitlinger a eu cependant "affaire" avec Jacques Chirac lorsque celui-ci fut Président de la République et organisa le deuxième Sommet des chefs d’État et de gouvernement du Conseil de l’Europe les 10 et 11 septembre 1997 à Strasbourg.
Je termine par des mots de Jean Seitlinger qui montraient que, s’il étudiait beaucoup les dossiers internationaux et réfléchissait dans une dimension européenne, il n’en était pas moins un élu local bien implanté et qui savait promouvoir le terroir. La citation qui suit date d’avril 1987 lorsque Jean Seitlinger était encore le député-maire de Rohrbach-lès-Bitche et qu’il était présent lors du congrès des arboriculteurs. Elle a été publiée par Serge Haehnel, qui fut président du syndicat des arboriculteurs de Rohrbach-lès-Bitche entre avril 2007 et avril 2010, dans son blog sur le verger.
En voici la teneur : « Chaque fois que nous nous rencontrons, lors de vos congrès, nous en arrivons, bien sûr, à discuter du problème des bouilleurs de cru. La presse en fait largement état dans ses comptes-rendus, si bien que d’aucuns s’imaginent que distiller est votre seul but ! Croire cela n’est que méconnaissance totale de votre art. ».
Et de remercier les arboriculteurs de sa commune pour tous les bienfaits qu’ils accomplissaient : « Pour tous ces arbres que vous plantez et élevez avec amour dans nos campagnes et nos cités, merci ! Pour cet écrin de fleurs qu’à la saison nouvelle vous mettez autour de nos villages, merci ! Pour les cerises que, gamins, nous allions chaparder pour en faire des boucles d’oreilles aux filles, merci ! Pour l’ombre bienfaisante dispensée par vos vertes frondaisons, à la saison chaude, merci ! Pour les beaux fruits qu’à l’automne vous mettez sur nos tables, merci ! Pour les bonnes tartes aux mirabelles et aux quetsches que nous dévorions de préférence encore chaudes, merci ! Pour les noix que nous grignotons au long des soirées d’hiver, merci ! Pour toute cette écologie que vous pratiquez depuis toujours, sans faire grand tintamarre, merci ! Et alors, pourquoi pas… Pour le petit schnaps, à la fin des bons repas de fêtes de famille, merci ! ». Un élu qui remercie autant ses électeurs producteurs, c’était au moins une marque de reconnaissance qui fait peut-être un peu défaut maintenant…
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (02 septembre 2018)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Jean Seitlinger.
Le CDS.
Simone Veil.
Nicole Fontaine.
Henry Jean-Baptiste.
Loïc Bouvard.
Bernard Bosson.
Bernard Stasi.
Dominique Baudis.
Jacques Barrot.
Adrien Zeller.
Alain Poher.
Jean Lecanuet.
René Monory.
Raymond Barre.
Charles Choné.
Bernard Bosson.
La construction européenne.
Marie-Jeanne Bleuzet-Julbin.
Olivier Lejeune.
Roger Mari.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180901-jean-seitlinger.html
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2019/01/01/36983772.html
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