« La place du handicap à l’école dit beaucoup de ce que nous sommes, de notre pays, de nos valeurs, de notre capacité commune à ne jamais transiger lorsqu’il s’agit de l’égalité des droits ou bien parfois, plus tristement, de s’accommoder des inégalités. Car c’est bien de l’égalité des droits dont il s’agit aujourd’hui. L’égalité qui fonde notre socle républicain et qui fait qu’un enfant, un élève, ordinaire ou extraordinaire, porteur de handicap ou non, différent ou comme les autres, suivra une scolarité normale, apprendra, grandira, deviendra un citoyen complet et respecté. » (Aurélien Pradié, le 11 octobre 2018 dans l’Hémicycle).
Voici un texte sur lequel tout le monde pourrait se retrouver : « [Les enfants en situation de handicap] sont une richesse pour notre pays. Leur inclusion dans la société constitue tant une obligation morale qu’un défi face auquel nous devons nous montrer à la hauteur, non plus seulement par des slogans mais par des actes forts et déterminants. Pour notre République, donner à chacun la possibilité et la chance de construire sa vie, de devenir une femme, un homme, un citoyen ayant toute sa place dans notre communauté nationale est une absolue et belle exigence. L’inclusion de nos enfants, de tous nos enfants, résonne plus régulièrement encore lorsqu’il s’agit de relever ce défi au sein même de l’École de la République. C’est ici que tout commence, positivement ou négativement. Ces différences sont également une richesse pour tous nos enfants, porteurs de handicap ou non. C’est au sein de l’école que se construisent les citoyens qu’ils seront demain. L’inclusion des enfants en situation de handicap est une chance pour toutes celles et ceux qui les côtoieront, les accompagneront, les comprendront et les regarderont comme des camarades, peut-être différents mais égaux et enrichissants. Au sein de notre République, chacun a sa place, du plus fort au plus fragile, du plus "conventionnel" au plus "différent". Au sein de notre République, les enfants qui en ont le besoin doivent être accompagnés, aidés et portés vers l’avenir qu’ils se construiront, à la hauteur de leurs ambitions, petites ou grandes mais toutes infiniment respectables. C’est le défi de l’inclusion. » (29 août 2018).
Ce texte, que j’ai mis ici en avant, semble en effet être une profession de foi dans laquelle la très grande majorité sinon l’unanimité des citoyens devrait se retrouver. Il est l’introduction à la proposition de loi n°1230 relative à l’inclusion des élèves en situation de handicap déposée le 29 août 2018 par le rapporteur Aurélien Pradié (député LR) et signé par les membres du groupe LR à l’Assemblée Nationale (dont Éric Woerth, Éric Ciotti, Daniel Fasquelle, Olivier Dassault, Virginie Duby-Muller, etc.). Ce texte, examiné par la commission des affaires culturelles et de l’éducation le 3 octobre 2018, a été discuté en séance publique le jeudi 11 octobre 2018 lors de la "niche" des propositions réservées au groupe LR (depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, chaque groupe a un temps législatif consacré à la discussion d’un texte qu’il juge important).
Ce thème du handicap et de l’insertion, ou plutôt, puisque c’est le mot désormais, "l’inclusion" des enfants en situation de handicap dans le milieu scolaire, devrait être un thème de consensus pour l’ensemble des groupes politiques. À la rentrée scolaire 2018, 341 500 enfants en situation de handicap sont scolarisés, soit 20 000 de plus qu’à la rentrée 2017 (il y en avait seulement 100 000 à la rentrée 2006). Ces enfants, pour certains, doivent être accompagnés (c’est là le problème majeur de cette scolarisation). Aujourd’hui, il y a 29 000 emplois aidés pour cet accompagnement, ainsi que 43 041 AESH, qui sont les "accompagnants des élèves en situation de handicap".
En présentant sa proposition le 11 octobre 2018, le rapporteur Aurélien Pradié a commencé avec cet appel au consensus : « L’école de la République, la place que l’on y fait au handicap, ne sont pas des sujets comme les autres. La cause du handicap nécessite de déposer les armes, de faire résonner autre chose que les querelles partisanes. Elle nous impose de nous mettre tous au travail. ».
La colère de François Ruffin
Or, ce jeudi 11 octobre 2018, les pires querelles politiciennes ont vu le jour à cette occasion. Le point d’orgue, ce fut la "colère" très médiatisée du député François Ruffin (FI). Cette colère, de sa part, je n’en doute pas, est d’autant plus sincère qu’il soutenait un texte du groupe LR (donc, généralement, peu proche politiquement du groupe FI) : « Chers collègues marcheurs, je vous le demande avec solennité : n’avez-vous pas honte ? Honte de votre paresse ? Honte de votre sectarisme ? Je ne m’adresse pas seulement aux citoyens hors de cet hémicycle, mais à vous, ici, pour que vous mesuriez votre déshonneur devant la situation (…). ».
Et d’expliquer la situation des personnes qui accompagnent les enfants en situation de handicap dans les écoles, sous-payées, sans formation, sans statut, avec des contrats précaires : « Pour changer cela, depuis le début de la législature, quelle proposition de loi avez-vous défendue ? Aucune ! Et le gouvernement, quel projet de loi a-t-il présenté ? Aucun ! (…) Aujourd’hui, notre collègue, Aurélien Pradié, qui est de droite, je m’en fiche qu’il soit de droite, du centre, du Sud, de l’Est, de l’Ouest, peu m’importe, propose d’élever un peu leur statut. Son texte n’est pas parfait, loin de là. Il est nettement améliorable. Et nous, les Insoumis, comme les communistes, les socialistes, les UDI, les Républicains, nous avons déposé quantité d’amendements en commission. Vous, les marcheurs, n‘en avez déposé aucun. Alors que vous êtres 300, vous n’avez déposé aucun amendement ! Vous n’avez même pas participé aux échanges. Vous vous êtes contentés, en groupe, en troupeau, de voter contre, contre, contre, de lever la main en cadence, comme des Playmobil. ».
Effectivement, la commission a rejeté tous les articles de la proposition de loi lors de son examen en commission, si bien que c’est le texte initial (sans les amendements présentés en commission) qui fut mis en discussion en séance publique dans l’hémicycle. Les députés de la majorité ont décidé de rejeter le texte purement et simplement. Ce qui explique l’absence d’amendement de leur part en commission.
François Ruffin a conclu ainsi : « Mais aujourd’hui, dans cet hémicycle, c’est pire encore. Vous allez voter une motion de rejet préalable, ce qui d’ailleurs porte bien son nom. Cela signifie que la discussion sur un point aussi important n’aura même pas lieu, que le texte ne sera même pas examiné. Vous empêchez carrément le débat, vous l’interdisez ! J’espère que le pays ne vous pardonnera pas ! Nous demandons un scrutin public. Les noms des votants seront publics. Je les publierai sur ma page Facebook, et je ne serai pas le seul ! Ils circuleront à travers la France et ce vote, j’en suis convaincu, vous collera à la peau comme une infamie. ».
Le ton de rage de François Ruffin, s’il est sincère (ce qui est à son honneur), il est aussi excessif, il dérape, puisque publier des listes de noms, c’est toujours lamentable (et dangereux, des déséquilibrés peuvent vouloir s’en prendre aux personnes nommées). Aussi lamentable que de désigner les 6 000 maires qui ont augmenté la taxe d’habitation sans prendre en compte la situation financière particulière de chacune de leur commune (ce qu’a fait le ministre Gérald Darmanin pour riposter contre ces augmentations qui effacent la baisse gouvernementale).
Sur le plan factuel, François Ruffin a raison. Quelques minutes après son intervention, le texte fut en effet rejeté par une motion de rejet préalable par 70 voix contre 54 sur 124 votants (d’ailleurs, où sont donc les autres députés ? ce sont les absents, la honte, pas ceux qui ont pris position dans l’hémicycle par ce vote).
Toujours sur le plan factuel, François Ruffin a effectivement raison sur le fait que ni le gouvernement, ni le groupe LREM n’ont déposé respectivement de projet de loi ou de proposition de loi visant à renforcer l’accompagnement des enfants en situation de handicap à l’école. C’est vrai.
Mais cela ne veut pas dire que le gouvernement ne fait rien à ce sujet. Bien au contraire. La générosité et la sensibilité de François Ruffin ont été implicitement instrumentalisées par le groupe LR. Ce serait presque cocasse si le sujet n’était pas aussi important. Car le groupe LR a déposé ce texte de manière très politicienne, en demandant le consensus de manière très hypocrite. Et son meilleur défenseur se trouve de l’autre côté de l’hémicycle.
Le gouvernement n’a pas attendu Aurélien Pradié ni François Ruffin pour agir
En effet, le gouvernement actuel a agi, peut-être beaucoup plus que les précédents. Le 18 juillet 2018, le Ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer et sa collègue chargée des personnes en situation de handicap, Sophie Cluzel, ont présenté leur action dans le domaine de "l’inclusion" dans les écoles.
La loi n°2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées voulue par le Président Jacques Chirac encourage cette inclusion des enfants dans les écoles. Tout le monde y gagne, ceux en situation de handicap comme ceux qui ne le sont pas et qui voient dans leur camarade non pas "un handicapé" mais un camarade, un convive, certes différent, mais qui peut les aider dans une matière, jouer avec eux pendant la récréation, etc. Au lieu d’être "des handicapés", ils deviennent "des personnes" avec leur spécificité, leur histoire, leurs humeurs aussi, leur psychologie, leurs talents, leurs défauts, etc., bref, tout ce qui fait la vie d’une personne.
La politique menée depuis un an par Jean-Michel Blanquer est très entreprenante dans ce domaine. La vraie différence de points de vue qui a motivé l’adoption de la motion de rejet préalable, c’est que le gouvernement ne désire pas faire passer par une loi (ni projet ni proposition donc) sa politique d’inclusion dans les écoles, mais de manière réglementaire.
La députée Cécile Rilhac a ainsi expliqué au rapporteur du texte, lors de l’examen en commission le 3 octobre 2018 : « Si vous étiez membre de notre commission, vous auriez pu participer aux auditions des ministres Jean-Michel Blanquer et Sophie Cluzel, pour mieux vous rendre compte de nombreuses avancées réalisées ces dernières années. Vous avez dit vous-même que ce texte ne traite pas le sujet dans son ensemble. Or la question de l’école inclusive est beaucoup trop importante et sérieuse pour être traitée aussi partiellement et avec autant d’approximations que dans votre proposition. Les termes utilisés sont très maladroits, trop. Cette grande méconnaissance du vocabulaire démontre que votre texte n’a pas été travaillé. (…) Alors, je m’interroge sur l’opportunité de cette proposition de loi et sur la nécessité de passer par le chemin législatif, là où nous agissons par voie réglementaire depuis plus d’un an. ».
Cette idée a d’ailleurs provoqué, par avance, une diatribe anti-technocratique d’Aurélien Pradié, durant cette même séance de la commission le 3 octobre 2018 : « Ce qui rend les choses incohérentes, c’est cette vision extensive que certains peuvent avoir du domaine réglementaire. Vouloir devenir sous-préfet d’arrondissement ou préfet de département, je l’ai dit, est une vocation tout à fait respectable, mais ce n’est pas exactement, à mes yeux, la mission d’un député. J’ai véritablement un problème profond avec l’idée selon laquelle il nous faudrait progressivement abandonner l’essentiel de ce qui reste le cœur de l’activité du législateur, faire la loi, à un pouvoir réglementaire qui est d’une tout autre nature. Cette séparation des pouvoirs nécessaire est au contraire notre bien commun et nous devrions en prendre grand soin. » (Remarque : comme s’il n’y avait pas assez de lois comme cela !).
Une proposition "mal ficelée"
Ce que reprochent le gouvernement et le groupe LREM, c’est que la proposition de loi est bâclée, mal rédigée, qu’elle ne s’occupe du problème que de manière parcellaire voire anecdotique et qu’elle ne prend pas en compte les avancées déjà réalisées dans ce domaine par l’État. S’il y a polémique, c’est bien parce que le groupe LR, de mauvaise foi, a voulu faire de ce sujet un sujet de polémique. Finalement, le bénéfice de la polémique est retombé sur François Ruffin, bien malgré lui, lui-même loin de vouloir en faire une polémique pour une polémique, mais ulcéré du rejet pur et simple du texte qui lui laisse croire que la majorité ne voudrait pas s’intéresser à ce sujet, alors que le gouvernement agit depuis plus d’un an, mais pas par la loi.
Le texte voulait donner un statut aux personnes qui accompagnent les enfants en situation de handicap. Un emploi souvent précaire et sans formation. La principale phrase de l’exposé des motifs est : « Il est temps de passer d’une organisation qui n’est que le produit de petits ajustements, sans vue d’ensemble ni grande ambition, à l’émergence d’un statut d’ "aidants à l’inclusion scolaire", pleinement opérationnel et stable pour l’avenir. ».
Voici deux exemples parmi d’autres qui montrent que ce texte n’est pas pertinent. Le mot "aidant" est maladroit car il désigne aussi bien des professionnels que des particuliers qui aident des personnes dépendantes (c’est le cas avec le "congé du proche aidant"). Vouloir donner un statut avec un terme qui désigne aussi des non professionnels, ce n’est pas très heureux. Le mot "accompagnant" est plus adapté. Du reste, en commission, Aurélien Pradié était d’accord pour modifier ce terme. Autre maladresse : vouloir donner une formation de BAFA (brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur) à ces personnes qui accompagnent, là encore, c’est maladroit car justement, le BAFA est un brevet pour des non professionnels, et en plus, les AESH peuvent déjà passer le BAFA, donc, la proposition de loi ne tient pas compte de la réalité, des avancées déjà réalisées.
Toujours en commission le 3 octobre 2018, la députée Béatrice Piron a passé à la moulinette tout le texte : « Les articles 2 et 3 (…) sont parfois maladroits, ou ne prennent pas en compte les avancées concrètes et ambitieuses en faveur de l’école inclusive réalisées par le gouvernement et la majorité. ». Sur le BAFA : « En termes d’attente, les animateurs et les accompagnants n’ont pas la même mission. Le BAFA forme à l’accompagnement de mineurs à titre non professionnel et occasionnel ; il n’a donc pas l’ambition de former des accompagnants ni des aidants ; et l’on n’attend pas d’un aidant qu’il soit animateur. ». Pour conclure ainsi : « La nécessité de valoriser le métier d’AESH n’est donc pas laissée pour compte par le gouvernement et par la majorité. Nous nous saisissons de ces enjeux en traitant le sujet de l’école inclusive dans son ensemble : or celle-ci ne se construit pas de manière approximative, mais en repensant l’ensemble de notre modèle éducatif pour prendre en compte les besoins éducatifs particuliers en intégrant le secteur médico-social et en accompagnant les établissements scolaires. ».
C’était ce qu’a rappelé la députée Cécile Rilhac lors de la séance publique le 11 octobre 2018 : « Nous regrettons que votre proposition de loi n’apporte pas de réponse adéquate face au constat que, tous ici, nous avons rappelé. (…) Votre proposition de loi ne nous semble pas répondre aux besoins actuels des enfants ni à ceux des accompagnants. Elle rebondit sur les difficultés rencontrées à la rentrée, sans parvenir à formuler des propositions appropriées. Les articles 1er et 2, ainsi que l’article 5, visent à mettre en place des dispositifs qui existent déjà. Quant à l’article 3, il passe à côté du sujet crucial du temps périscolaire. L’article 4, enfin, ne constitue pas une réponse juridiquement satisfaisante. ».
Autre signe qui montre que la proposition de loi d’Aurélien Pradié a été "bâclée", c’est le très faible nombre de personnes auditionnées pour ce sujet si sensible et si importante, seulement neuf personnalités qualifiées, et encore, issues de seulement quatre organismes distincts. C’est un peu court pour faire un tour pertinent de la situation nationale du handicap à l’école.
La démagogie, la sincérité… et l’action
Les propos de François Ruffin le 11 octobre 2018 ont été excessifs. Parce qu’ils ne traduisent pas la réalité de la situation. Sans doute aussi parce qu’il est encore novice en politique et n’a pas vu que la loi n’est pas le seul outil pour améliorer les choses (heureusement, d’ailleurs). Il n’y a pas de honte ni de déshonneur à refuser de voter pour un texte mauvais, incomplet et maladroit quand le sujet concerne la vie des centaines de milliers d’enfants, leurs parents et leurs accompagnants. Il est simpliste de vouer ainsi aux gémonies la majorité qui a déjà beaucoup travaillé sur le sujet. Il est aussi injuste de faire croire que la majorité refuse le débat alors que le Sénat, avec sa majorité LR, a déjà rejeté, lui aussi, une proposition de loi de LREM : « Permettez-moi ici une légère digression car je relève une contradiction : aujourd’hui, l’opposition parle de déni de démocratie, de refus du débat, alors qu’elle voyait de la sagesse quand une proposition de loi de la majorité a été rejetée par le Sénat. » (Cécile Rilhac le 11 octobre 2018).
Le mardi 16 octobre 2018, en pleine effervescence du remaniement ministériel, le député Adrien Taquet (LREM) est revenu sur le sujet lors de la séance des questions au gouvernement : « Je pourrais d’abord évoquer le tombereau d’insultes et de menaces que mes collègues reçoivent depuis quatre jours, de la part de gens attisés par des propos et des comportements irresponsables de certains membres de cette assemblée. Si tenir de tels propos, c’est être un "animateur de la démocratie", soyez convaincus que nous ne partageons ni la même conception du divertissement, ni la même conception de la démocratie. ».
Et de poursuivre sous les exclamations de députés FI : « Je pourrais vous demander, monsieur le ministre, d’expliquer à notre assemblée ce qu’est l’école inclusive ; car, lorsque je lis des propositions de loi ou des amendements qui évoquent, respectivement, les notions de "parcours éducatifs spécialisés" et d’ "inclusion sur mesure", toutes deux contraires à l’article 19 de la Convention des Nations Unies, non seulement les bras m’en tombent, mais je doute que leurs auteurs sachent vraiment de quoi ils parlent. ».
Puis, sous les exclamations de députés LR et FI : « Je pourrais vous demander de rappeler que cette question a fait l’objet de plusieurs heures de débats en commission et d’échanges nourris en séance ; ce à quoi je me permettrais d’ajouter que les groupes d’études de l’Assemblée Nationale sur le handicap ou sur l’autisme, par exemple, sont aussi des lieux de débats et de travail, surtout quand on en assure la vice-présidence. Mais encore faut-il y avoir mis les pieds une fois depuis le début de la législature ! ».
La réponse du ministre Jean-Michel Blanquer a montré que la majorité non seulement se préoccupe du sujet de l’insertion à l’école des enfants à situation de handicap, mais qu’elle y a activement travaillé : « Ce sujet, résumons-le en quelques données : 340 000 élèves handicapés ; plus de 80 000 personnes pour les accueillir ; une politique du gouvernement qui, pour la première fois, tend à réduire le nombre d’emplois précaires, au profit d’emplois robustes dédiés à cet accueil. ».
L’action du gouvernement a été efficace : « Pour la première fois, lors de la dernière rentrée, les accompagnants des élèves en situation de handicap, AESH, ont été plus nombreux que les contrats aidés : pour ces accompagnants, nous avons créé plus de 10 000 postes, auxquels s’ajouteront 12 000 autres dans le prochain projet de loi de finance. Pour la première fois, ces contrats sont assortis d’une politique de formation, à raison de soixante heures par an. Autrement dit, nous ouvrons des perspectives pour ceux qui occupent des emplois. (…) Les progrès accomplis sont salués par tous ceux qui connaissent le sujet. Bien entendu, la situation est encore imparfaite, même si elle s’est largement améliorée lors de cette rentrée. Elle s’améliorera encore à la rentrée prochaine, dans l’unité nationale. ». Le "dans l’unité nationale" que Jean-Michel Blanquer a répété plusieurs fois visait à ironiser sur la volonté d’unité nationale du groupe LR tout en cherchant à provoquer la polémique.
Sur l’action du gouvernement, pour prendre un exemple, le décret n°2018-666 du 27 juillet 2018 « consolide la formation initiale des accompagnants en affichant l’obligation d’un volume de soixante heures de formation continue » selon les mots de Jean-Michel Blanquer lors de la séance du 11 octobre 2018 qui commenta ainsi : « L’enjeu n’est pas tant de créer une nouvelle formation que de favoriser l’accès effectif à cette formation de base et de la compléter par un parcours de formation qualifiant en cours d’emploi, prévu par le décret n°2014-724 du 27 juin 2014. Grâce à ce décret, les accompagnants des élèves en situation de handicap qui ne sont pas titulaires d’un diplôme professionnel peuvent suivre une formation incluse dans leur temps de service effectif. Ils peuvent en outre bénéficier, toujours sur leur temps de service, de la formation nécessaire à l’obtention du diplôme. Cette dernière me semble bien plus importante que la possibilité pour les accompagnants de passer le BAFA (…). Les AESH ne sont pas des animateurs, mais des professionnels de l’accompagnement. ».
Dans sa réponse à Adrien Taquet le 16 octobre 2018, Jean-Michel Blanquer a ajouté aussi un problème de calendrier, légiférer maintenant ne prendrait pas en compte d’autres consultations à venir : « Dans dix jours, débutera aussi une concertation prévue de longue date. C’est sans doute un hasard si une proposition de loi mal ficelée a été présentée au même moment ! ». Par ailleurs, est prévu un comité interministériel du handicap le 25 octobre 2018 à Matignon. Le gouvernement ne ferait-il rien sur le sujet ? Intox totale donc.
Comme on le voit, le thème de l’insertion à l’école des enfants à situation de handicap, qui devrait être un sujet sérieux de consensus, a été instrumentalisé pour être un sujet de simples joutes parlementaires. Ce n’est pas nouveau d’attaquer un adversaire sur ce thème, même si c’est particulièrement odieux, démagogique, irresponsable et surtout, irrespectueux des personnes qui souffrent d’un handicap.
La loi ELAN inquiétante pour les personnes en situation de handicap
C’est vrai que le gouvernement pouvait être soupçonné de mal se préoccuper des personnes en situation de handicap. En effet, le projet de loi (n°846) portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ELAN) adopté en conseil des ministres le 4 avril 2018 pouvait inquiéter, et pas seulement par son volume (588 pages avec l’exposé des motifs et l’étude d’impact, 65 articles pour le texte initial).
À l’origine (texte initial), reprenant les orientations décidées par le comité interministériel du handicap du 20 septembre 2017, son article 18 a réduit énormément les exigences d’accessibilité dans les bâtiments collectifs d’habitation « en créant la notion de logement "évolutif", c’est-à-dire accessible en grande partie et pouvant être rendu totalement accessible, par des travaux simples ». Il s’agissait également « de promouvoir l’innovation dans la conception de logements pour garantir leur évolutivité tout au long de la vie, plutôt qu’exiger que tous les logements soient accessibles. Un quota de 10% de logements accessibles est maintenu. ».
Il faut se rappeler que la loi du 11 février 2005 oblige actuellement que 100% des logements neufs dans les bâtiments collectifs d’habitation soient accessibles aux personnes en situation de handicap. C’est normal car même s’il n’y a que 8% de population qui est en situation de handicap, 100% des personnes peuvent (hélas) le devenir par la vieillesse, la maladie ou un accident.
Le texte définitif adopté le 4 octobre 2018 par les députés (et par les sénateurs le 16 octobre 2018), après l’accord obtenu à la commission mixte paritaire du 19 septembre 2018, a augmenté le quota de logements accessibles à 20% (au lieu de 10% dans le texte initial, mais surtout, au lieu de 100% dans la loi du 11 février 2005). L’innovation juridique est de définir des "logements évolutifs" obligatoires pour les 80% restants, qui permettraient (on verra à l’usage) de concilier à la fois la simplification des constructions de logements et l’accessibilité des personnes en situation de handicap.
Le texte définitif de la loi ELAN dit que des décrets devront préciser : « Les modalités particulières applicables à la construction de bâtiments d’habitation collectifs ainsi que les conditions dans lesquelles, en fonction des caractéristiques de ces bâtiments, 20% de leurs logements, et au moins un logement, sont accessibles tandis que les autres logements sont évolutifs. La conception des logements évolutifs doit permettre la redistribution des volumes pour garantir l’accessibilité ultérieure de l’unité de vie, à l’issue de travaux simples. Est considéré comme étant évolutif tout logement dans les bâtiments d’habitation collectifs répondant aux caractéristiques suivantes. 1° Une personne en situation de handicap doit pouvoir accéder au logement, se rendre par un cheminement accessible dans le séjour et le cabinet d’aisances, dont les aménagements et les équipements doivent être accessibles, et en ressortir. 2° La mise en accessibilité des pièces composant l’unité de vie du logement est réalisable ultérieurement par des travaux simples. ».
Pour l’anecdote, l’une des rapporteurs du projet de loi ELAN était la députée de Gironde Christelle Dubos (LREM), nommée le 16 octobre 2018 Secrétaire d’État auprès de la Ministre des Solidarités et de la Santé.
Sujet polémique déjà en 2007
Le handicap a déjà été un sujet polémique lors d’une bataille présidentielle cruciale. Effectivement, le 2 mai 2007, il y a plus de onze ans, une candidate à un second tour de l’élection présidentielle avait affiché une colère froide, particulièrement hypocrite et déplacée, sur ce thème lors du débat télévisé avec le futur Président de la République. Ségolène Royal avait mal choisi son angle d’attaque : reprocher à Nicolas Sarkozy, et à travers lui, à la majorité sortante, de n’avoir rien fait pour les enfants à situation de handicap était particulièrement malvenu puisque la loi qui fut majeure date justement de 2005 sur la volonté de Jacques Chirac (sujet promu comme priorité nationale le 14 juillet 2002, juste après sa réélection). La démagogie n’est d’ailleurs pas forcément efficace puisque Ségolène Royal n’a pas été élue.
Quand François Ruffin, de façon totalement irresponsable, crie : « J’espère que le pays ne vous pardonnera pas ! », qu’il se méfie de ne pas être l’arroseur arrosé. Le "pays", lui, est capable de comprendre dans quel camp se trouve l’esprit de responsabilité et l’esprit de solidarité sur ce sujet qui aurait mérité un peu plus de hauteur et de dignité. Pauvres enfants !
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (17 octobre 2018)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Proposition de loi d’Aurélien Pradié sur l’accompagnement des enfants en situation de handicap, déposée le 29 août 2018 (à télécharger).
Loi ELAN (projet déposé le 4 avril 2018 et "petite loi" définitivement adoptée le 3 octobre 2018, à télécharger).
Colère de François Ruffin sur le débat sur le handicap (le 11 octobre 2018).
Question et réponse de Jean-Michel Blanquer sur le débat sur le handicap (le 16 octobre 2018).
Le handicap, prétexte à la polémique politicienne ?
Handicap : le miraculé d’un train régional malgré l’indifférence des autres ?
Une candidate à l’élection présidentielle va toucher une auditrice en situation de handicap.
Loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées (version consolidée au 7 octobre 2021).
Un débat électoral où le handicap était prétexte à une colère politicienne.
La scolarisation des enfants en situation de handicap, où en est-on ?
Et si nous bâtissions une société accessible à tous ?
Le congé de proche aidant.
L’élimination des plus faibles ?
Intouchables : le modèle républicain en question.
Un fauteuil pour Vincent.
Stephen Hawking.
Vincent Lambert.
Monique Pelletier.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20181016-handicap.html
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/10/18/36793955.html