« On voit bien aujourd’hui une dérive totale d’une manifestation qui pour l’essentiel était bon enfant samedi. On voit qu’on a une radicalisation avec des revendications qui ne sont plus cohérentes, qui vont dans tous les sens. » (Christophe Castaner sur les "gilets jaunes").
Avec le mouvement des "gilets jaunes", il y en a un qui a dû être soulagé, soulagé d’avoir donné sa démission à temps de la Place Beauvau, même s’il aurait préféré l’avoir fait avant que n’éclatât l’affaire Benalla. C’est Gérard Collomb, revenu tranquillement dans sa mairie de Lyon ("triomphalement" réélu le 5 novembre 2018 et cumulant, provisoirement, avec le mandat de sénateur du Rhône qu’il a également retrouvé).
Son successeur au Ministère de l’Intérieur, nommé le 16 octobre 2018 après une longue attente et un intérim par le Premier Ministre Édouard Philippe, Christophe Castaner était apparu comme une figure légère à un poste où la poigne est de rigueur : souvenons de Raymond Marcellin, Jacques Chirac, Michel Poniatowski, Christian Bonnet, Gaston Defferre, Pierre Joxe, Charles Pasqua, Nicolas Sarkozy, Jean-Pierre Chevènement, Manuel Valls, Bernard Cazneuve…
Jean-Louis Debré avait manqué de crédibilité à l’Intérieur, alors qu’il fut un excellent Président de l’Assemblée Nationale et un excellent Président du Conseil Constitutionnel (probablement aurait-il été un meilleur Ministre de la Justice, il aurait dû permuter avec Jacques Toubon !). Même Dominique de Villepin y a manqué de crédibilité alors qu’il en avait acquis une très forte au Quai d’Orsay. Quant à Michèle Alliot-Marie, elle faisait plutôt figure de collectionneuse de maroquins régaliens que d’être la première flic de France (ce qu’elle fut dans l’histoire politique de la France, première et,à ce jour, seule femme Ministre de l’Intérieur).
L’un des derniers ministres de l’ère François Hollande (pas le dernier pour cause d’une affaire de collaborateurs parlementaires en pleine affaire Fillon), ce fut le très léger Bruno Le Roux, qui n’a dû sa nomination qu’à sa proximité politique avec le Président de la République, au même titre que Brice Hortefeux, Claude Guéant, Daniel Vaillant, et même François Baroin.
Christophe Castaner est de la même lignée. Il avait, pour le Président Emmanuel Macron, un double avantage évident sur Gérard Collomb et sur les éventuels candidats "techniciens" ("société civile") au poste. La fiabilité personnelle, à la fois fidèle et loyal avec le Président de la République. Et la fiabilité politique. Christophe Castaner est l’un des rares "politiques" de la Macronie, et, au contraire de François Bayrou, Gérard Collomb, Nicolas Hulot, et même Édouard Philippe et François de Rugy, il n’existe politiquement dans le paysage politique national que par l’élection d’Emmanuel Macron. Comme, du reste, Richard Ferrand.
Le dernier avantage, c’est que, contrairement à Jacques Chirac à la fin de la Présidence de Georges Pompidou, à Nicolas Sarkozy sous le second mandat de Jacques Chirac et à Manuel Valls sous le quinquennat de François Hollande, Christophe Castaner n’a pas des ambitions présidentielles, et si d’aventure, il en avait, elles n’auraient aucune crédibilité, ce qui revient un peu au même.
En revanche, la crédibilité technique de Christophe Castaner à l’Intérieur était tellement faible qu’on lui a collé un Secrétaire d’État, Laurent Nunez, qui était alors depuis le 22 juin 2017 le directeur général de la Sécurité intérieure, et à ce titre, qui est l’un des hommes qui connaissent le mieux les problèmes de sécurité.
Au-delà de sa "légèreté technique originelle", bien que diplômé en sciences pénales et criminologie à Aix-en-Provence, Christophe Castaner a été critiqué par les "gilets jaunes" pour avoir eu une jeunesse assez "douteuse" en gagnant sa vie en jouant au poker et en ayant été proche d’un caïd qui a été assassiné le 3 août 2008. Mais cela n’en fait pas pour autant un "caïd"… D’ailleurs, avec son air plutôt sympathique, sa personnalité plutôt souriante, ce serait plutôt son côté "anti-caïd" qu’on lui reprocherait s’il fallait lui reprocher d’être Ministre de l’Intérieur.
Avec le mouvement des "gilets jaunes", démarré le 21 octobre 2018 avec une pétition sur Internet, c’est-à-dire cinq jours après sa prise de fonction Place Beauvau, Christophe Castaner a franchi l’épreuve du feu. La journée du samedi 17 novembre 2018, et surtout, celle du samedi 24 novembre 2018, ont été éprouvantes pour celui qui est responsable de l’ordre public sur tout le territoire de la République française (y compris La Réunion).
Le 24 novembre 2018, environ 5 000 manifestants ont bravé sciemment l’interdiction de manifester sur les Champs-Élysées à Paris alors que l’État ne se sentait pas en état d’y assurer la sécurité des personnes, et certains voulaient même marcher sur le Palais de l’Élysée, laissant un goût amer de remake du 6 février 1934.
Rappelons très brièvement qu’il y a eu plusieurs dizaines de morts, surtout des manifestants tués par la police, lors des émeutes du 6 février 1934 à la Place de la Concorde, pas loin de l’Assemblée Nationale. Le Ministre de l’Intérieur de l’époque était le socialiste Eugène Frot (1893-1983), qui venait d’être nommé à ce poste le 30 janvier 1934 dans le deuxième gouvernement d’Édouard Daladier à la suite d’une brillante carrière ministérielle qu’il avait commencée le 18 décembre 1932. On parlait même de lui comme futur Président du Conseil (il avait 40 ans au moment des émeutes d’extrême droite). Le nombre très élevé de victimes et la signification politique de ces émeutes ont provoqué la chute du gouvernement le 9 février 1934 et la fin de la carrière ministérielle d’Eugène Frot accusé (probablement à tort) d’être le responsable de ce massacre en ayant donné l’ordre de tirer (il fut proche d’un autre ancien socialiste, Pierre Laval, sous l’Occupation).
Le 24 novembre 2018, la problématique était ainsi celle-ci : comment faire respecter l’ordre et la loi, notamment éviter les dégradations des commerces mais avant tout, les actes de violence sur les personnes, tout en protégeant les passants et les manifestants eux-mêmes ?
En fait, cette problématique est connue et préparée depuis un certain temps par les forces de l’ordre, et donc, il n’y a eu aucune surprise (sans doute contrairement à 1934). Malgré l’extrême violence constatée, il n’y a eu très heureusement aucune victime à déplorer, aucune personne décédée ni quasiment aucune personne blessée gravement (à l’exception d’un policier qui a eu la main brûlée). Christophe Castaner n’est ni Clemenceau en 1906, ni Jules Moch en 1947.
Les Champs-Élysées n’étaient pas adaptés à la sécurité mais n’ont pas non plus été fermés car cela n’avait pas de sens de bloquer la moitié de la capitale pour 5 000 manifestants. Les déclarations très fermes de Christophe Castaner le soir du 24 novembre 2018 ont donc étonné par leur gravité. Avec cependant une inexactitude : ce n’est pas exact de dire qu’aux Champs-Élysées depuis 1945, il n’y a jamais eu que des manifestations festives (Coupe du monde de football, etc.). Il y a eu aussi la grande manifestation gaulliste du 30 mai 1968 qui n’avait rien de festif et qui était spécifiquement politique.
Paradoxalement, en raison de la violence de certains "gilets jaunes", la crédibilité du Ministre de l’Intérieur en est ressortie renforcée, avec un trio qui semble maintenant très au point, composé de Christophe Castaner, Laurent Nunez et du préfet de police de Paris.
Car il fallait à la fois montrer de la fermeté, il n’était pas possible d’accepter les provocations et les violences, et assurer la sécurité même de ceux qui étaient violents. Le canon à eau était donc un moyen adapté de "réprimer" sans "massacrer".
Je le répète. Il était honteux de faire ces appels à marcher vers l’Élysée. Nous sommes une démocratie, le Président de la République a été démocratiquement élu et nous sommes un État de droit. Certains responsables politiques, en particulier dans les extrêmes (RN et FI), ont joué avec le feu ou mis de l’huile sur le feu, et, contredisant l’expression "responsables politiques", ont fait preuve d’une très grande irresponsabilité. Les violences auraient pu coûter la vie de personnes. Deux personnes avaient déjà perdu la vie à cause des blocages routiers du 17 novembre 2018. Ce mouvement n’est pas un jeu politique, c’est un événement grave.
C’était le sens du tweet du Président Emmanuel Macron le 24 novembre 2018 : « Merci à nos forces de l’ordre pour leur courage et leur professionnalisme. Honte à ceux qui les ont agressées. Honte à ceux qui ont violenté d’autres citoyens et des journalistes. Honte à ceux qui ont tenté d’intimider des élus. Pas de place pour ces violences dans la République. ».
Néanmoins, si Christophe Castaner a rempli son job d’assurer la sécurité de tous, il reste que le Président de la République Emmanuel Macron et le Premier Ministre Édouard Philippe doivent apporter une réponse convaincante à cette colère qui, pour la plupart des "gilets jaunes", s’est exprimée de manière sincère et non-violente. Je doute que les mesures présidentielles prévues d’être annoncées ce mardi 27 novembre 2018 soient en rapport avec le niveau d’exaspération de nombreux Français, en particulier sur leur pouvoir d’achat.
En refusant d’évoquer les impératifs budgétaires, ou en ne modifiant pas les objectifs budgétaires, tout en continuant hypocritement à mettre en avant les impératifs d’une transition écologique qui arrive sans crier gare et sans débat, et qui, dans les mesures actuelles, n’entraînera de toutes façons aucune amélioration concrète et réelle de l’état de notre planète, le gouvernement ne fera qu’augmenter l’incompréhension des citoyens et renforcera probablement la détermination de ceux, heureusement rares, qui voudraient créer les conditions d’une véritable insurrection.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (26 novembre 2018)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Christophe Castaner, à l’épreuve du feu avec les "gilets jaunes".
Présidence de LREM.
L’irresponsabilité majeure des "gilets jaunes".
Gilets jaunes : démocratie des urnes et grognement des rues.
Les taxes sur les carburants compenseraient-elles la baisse de la taxe d'habitation ?
Le bilan humain très lourd de la journée des "gilets jaunes" du 17 novembre 2018.
Gilets jaunes, au moins un mort et plusieurs blessés : arrêtez le massacre !
Emmanuel Macron, futur "gilet jaune" ?
Le Mouvement du 17-novembre.
Emmanuel Macron.
Édouard Philippe.
La taxation du diesel.
L’écotaxe.
Une catastrophe écologique ?
Amoco Cadiz (16 mars 1978).
Tchernobyl (26 avril 1986).
AZF (21 septembre 2001).
Fukushima (11 mars 2011).
L’industrie de l’énergie en France.
La COP21.
Le GIEC et son alarmisme climatique.
Vibrez avec la NASA …ou sans !
Le scandale de Volkswagen.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20181124-castaner.html
https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/christophe-castaner-a-l-epreuve-du-209975
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