« Je me demande souvent comment je vais mourir. Je ne veux pas que ce soit dans la décrépitude ni bien sûr dans d’horribles souffrances. L’idéal, ce serait d’être surprise en bon état. Avoir juste le temps de se donner un coup de peigne et enfiler une culotte propre pour que la mort, cette p*te, ne me trouve pas négligée ! » (Maria Pacôme, "France Dimanche" le 9 mai 2008).
Bousculée par des "gilets jaunes" ? Question saugrenue ? Certainement… sauf si l’on confond fiction et réalité. Car Maria Pacôme, qui vient de disparaître en région parisienne après une longue nuit de maladie ce samedi 1er décembre 2018 en pleine "révolution", a été une comédienne qui s’était identifiée à son rôle fétiche, celui de la bourgeoise "exubérante", selon le terme de Gilles Jacob, ancien délégué général du Festival de Cannes : « Elle avait les dents du bonheur, un talent fou, une drôlerie à faire glousser de rire De Funès (…). C’était la boulevardière Maria Pacôme, avec sur le O l’accent circonflexe de l’exubérance. ». Elle avait 95 ans (née 18 juillet 1923 à Paris).
Un peu trop identifiée comme la bourgeoise exubérante à son goût d’ailleurs, au point d’écrire des pièces elle-même pour choisir ses propres rôles : « Quand j’en ai eu marre de toujours interpréter ce rôle de bourgeoise hystérique qu’on me proposait au cinéma, j’ai écrit mes propres pièces de boulevard. Et comme je jouais toujours sans chaussures sur scène, mon public m’a surnommée "l’actrice aux pieds nus". (…) Si Paris et le métier m’ont oubliée, je peux vous assurer que mes admirateurs et mes spectateurs se souviennent bien de moi. » ("France Dimanche", interrogée par Cédric Potiron le 25 septembre 2016).
Maria Pacôme a été "lancée" tardivement dans son métier de comédienne et d’actrice, même si elle a commencé à 18 ans. D’une famille très modeste et traumatisée par la Seconde Guerre mondiale (son père, garagiste et militant communiste, a été déporté à Buchenwald et son frère de 19 ans fusillé par les nazis), Maria Pacôme s’est retrouvée en 1941 condisciple de futures stars au Cours Simon d’art dramatique, en particulier Danièle Delorme et Michèle Morgan. Elle avait contacté cet établissement en choisissant au hasard une école, et a pu assister gratuitement aux leçons.
Maria Pacôme avait la passion du théâtre qu’elle a attrapée à l’âge de 11 ans en colonie de vacances aux Sables-d’Olonne. Elle avait fait un atelier de théâtre et a joué une pièce se passant au Moyen-Âge. Elle a eu tout de suite du succès auprès de ses camarades.
Comme elle n’a pas voulu gêner la carrière de son mari, également acteur, jeune espoir du cinéma français, Maurice Ronet (1927-1983), qu’elle a épousé en 1950 (et dont elle a divorcé en 1956 de manière "élégante"), elle n’a pas poursuivi le théâtre. Au début, d’ailleurs, les deux époux envisageaient d’arrêter la scène pour faire autre chose. Sa carrière fut donc un peu en dents de scie : « J’ai exactement la carrière que je mérite. Plus, cela aurait été injuste. Jamais, je n’ai jamais téléphoné, je n’ai jamais tiré un cordon de sonnette, jamais tiré un coup. Jamais rien fait pour ça. Jamais. » (6 octobre 2007).
Son retour au théâtre en 1956 démarra sa véritable carrière. Ce ne fut donc plus une très jeune fille qui commença sa carrière devant le grand public mais déjà une femme de 33 ans (ce qui reste évidemment jeune, mais beaucoup moins que les stars du cinéma qui ont débuté généralement avant leurs 20 ans). Sa première pièce fut "La Reine et les insurgés" (d’Ugo Betti) aux côtés de Laurent Terzieff, Maurice Pialat et surtout Edwige Feuillère, qu’elle n’arrivait pas à tutoyer.
Mais il a fallu attendre deux ans, en 1958, avant que Maria Pacôme fût consacrée par la scène avec "Oscar" de Claude Magnier (mise en scène par Jacques Mauclair) qu’elle a jouée aux côtés de Jean-Paul Belmondo et Pierre Mondy au Théâtre de l’Athénée. Elle a, par la suite, joué dans une quarantaine de pièces, des comédies de boulevard, dans des œuvres mises en scène notamment par Jean Le Poulain, Pierre Mondy, Jean-Luc Moreau, Agnès Boury, Francis Perrin, etc., aux côtés d’autres grands noms de la comédie comme Louis de Funès (pour un remake de "Oscar", ils ont même joué ensemble à l’Élysée devant Georges Pompidou), Jean Poiret (qu’elle a adoré), Jean Piat, Odette Laure, Daniel Auteuil (qu’elle a adoré aussi), Patrick Bruel, Michel Creton, etc. Plusieurs représentations ont été retransmises à la télévision dans la célèbre émission "Au théâtre ce soir".
Les pièces qui ont fait sa réputation sont notamment "N’écoutez pas, Mesdames" en 1962, "Ta femme te trompe" en 1965, "Interdit au public" en 1967, "Les Grosses Têtes" en 1969, "Le noir te va si bien" en 1972, "Joyeuses Pâques" en 1980, etc. Certaines pièces ont été écrites par Jean Poiret et Michel Serrault, par Sacha Guitry, par René Barjavel… et aussi par elle-même qui fut l’auteure de sept pièces qu’elle a évidemment jouée (dont "Les Seins de Lola" en 1987, jouée sur scène et aussi en téléfilm en 1989).
Sa dernière pièce fut jouée à l’âge de 84 ans en 2008-2009, "La Maison du lac" d’Ernest Thompson, mise en scène par Stéphane Hillel, où elle avait remplacé Danièle Darrieux victime d’un accident (une fracture du tibia à trois jours de la première représentation !). En 2007, Maria Pacôme avait pourtant annoncé qu’elle arrêtait définitivement le théâtre : « C’est vrai que j’avais juré de ne jamais remonter sur scène. Et je suis très embêtée d’avoir l’air d’une girouette, mais je n’ai pas pu faire autrement ! Je vous jure que cela me crucifie de devoir retourner chaque soir au théâtre. Mais voilà, l’amitié, un sentiment qu’habituellement, je ne ressens pas trop, m’a subitement saisie et, après avoir d’abord dit fermement non, j’ai fini par craquer. (…) Je n’ai pas pu dire non à Danielle. Toutes les deux, on s’est toujours bien entendues. Alors, tout d’un coup, cette fameuse famille du théâtre, dont le concept me faisait plutôt rire, j’ai eu le sentiment d’y appartenir et je ne pouvais plus me défiler. Me revoilà donc… (…) Elle comme moi, on n’a pas d’ego et pas mal de distance. Un peu comme les acteurs anglais, on ne se "remplace" pas, on s’entraide. Je l’ai d’ailleurs prévenue : "Sitôt que t’es sur pattes, je me casse !". D’ailleurs, Danielle aurait été victime d’une grave maladie, j’aurais refusé de créer la pièce à sa place. Mais là, pour une histoire d’os, j’ai dit ok. Et puis, je crois qu’elle est vraiment contente que ce soit moi. » ("France Dimanche", interrogée par Alain Morel le 9 mai 2008). En trois jours, elle a donc dû apprendre son texte.
Ella été nommée pour le Molière du one-man-show en 2003 pour "L’Éloge de ma paresse" (spectacle autobiographique qu’elle a écrit en 2002 et joué en décembre 2002 à la Gaîté-Montparnasse). En tout, elle a eu quatre nominations pour un Molière, mais elle n’a jamais assisté à ce genre de cérémonie (poussée par son fils, elle a quand même assisté à une cérémonie des Césars), car elle ne savait pas comment un comédien devait réagir quand il ne recevait pas le prix.
Parallèlement au théâtre, Maria Pacôme a également poursuivi une grande carrière au cinéma, en jouant dans une trentaine de films et une cinquantaine de téléfilms. Le premier film où elle a joué fut "Voulez-vous danser avec moi ? " de Michel Boisrond (1959). On peut citer notamment ses rôles mémorables dans "Le Gendarme de Saint-Tropez" de Jean Girault (1964), "Les Tribulations d’un Chinois en Chine" de Philippe de Broca (1965), "Tendre Voyou" de Jean Becker (1966), "Le Distrait" de Pierre Richard (1970), "Les Sous-doués" de Claude Zidi (1980) et "La Crise" de Coline Serreau (1992), retour au cinéma après douze ans d’absence, pour lequel elle a été nommée au César du meilleur second rôle féminin en 1993 (elle campe la mère de Vincent Lindon au bord de la crise de nerfs : « Tes problèmes, je m’en fous ! »).
Parmi les films qui lui ont donné de très beaux souvenirs, "Les Jeux de l’amour" de Philippe de Broca (1960) et "Le bel été 1914" de Christian de Chalonge (1996). Sa voix très reconnaissable a également été utilisée dans un film d’animation, "Titeuf" de Zep (2011), pour la grand-mère de l’enfant. Elle a arrêté le cinéma avec "Arrête de pleurer Pénélope" de Corinne Puget et Juliette Arnaud (sorti le 6 juin2012).
Le dernier téléfilm où elle a joué fut "Emma", l’adaptation d’une œuvre de Sophie Tasma (1957-2004), réalisé par Alain Tasma et diffusé le 30 mai 2012 sur France 2. Maria Pacôme est alors la grand-mère de l’adolescente tandis que Julie Gayet la belle-mère froide et élégante : « [Maria Pacôme] est incroyable ! Cette rencontre a été un vrai cadeau. Pendant le tournage, les ados étaient de leur côté et nous du nôtre, dans une ambiance un peu de vacances, à l’île d’Oléron. On dînait tous les trois avec Éric Caravaca [rôle du père de l’ado] et Maria Pacôme, elle nous racontait ses anecdotes, sa vie, on parlait ciné… » ("Télé 2 Semaines", Julie Gayet interrogée par Laurence Gallois le 30 mai 2012).
Maria Pacôme, joueuse, sans chichi, avait un certain humour vache, comme lorsqu’elle racontait cette histoire (drôle) : « Il a débarqué avec une nouvelle copine, une fille charmante et absolument ravissante, mais qui visiblement s’était fait gonfler les lèvres. J’ai résisté à lui dire : mais ne sortez pas comme ça, mettez un slip ! ».
Adepte des animaux récupérés à la SPA, Maria Pacôme a confié qu’elle se sentait plutôt une « fieffée paresseuse » et une « inquiète insouciante » (notamment très dépensière et folle du volant) et n’hésitait pas à accepter n’importe quoi pour pouvoir matériellement vivre avec cette insouciance. À 78 ans, elle attendait encore « un très beau rôle au cinéma »…
Pour donner un petit exemple des charmes de la Maria Pacôme des années 1960, la voici avec Bourvil et aussi… la succulente Alice Sapritch, dans "Le Tracassin ou Les Plaisirs de la ville" d’Alex Joffé (1961).
Maria Pacôme chantait aussi, comme "À la Villette", chanson d’Aristide Bruant, interprétée à la télévision le 24 avril 1982.
Je termine avec sa participation éblouissante à l’émission "On n’est pas couché" diffusée le 6 octobre 2007 sur France 2. Interrogée par Laurent Ruquier à l’occasion de la sortie de son livre "Maria sans Pacôme" (éd. Le Cherche Midi), Maria Pacôme montrait à quel point elle était un esprit libre, plaisant, farceur, spontané. On la voit maugréer le 30 septembre 2007 contre son fils unique qui allait lui "donner" trop tardivement son premier petit-enfant.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (02 décembre 2018)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Entretien de Maria Pacôme avec Serge Bressan (novembre 2007) : « Je ne suis pas timide, je suis sauvage et complexée. ».
Maria Pacôme.
Ennio Morricone.
Francis Lai.
Bernadette Lafont.
Pauline Lafont.
Marthe Mercadier.
Jean Piat.
Jacques Brel.
Charles Aznavour.
Charlie Chaplin.
Maurice Chevalier.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20181201-maria-pacome-0.html
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