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8 décembre 2018 6 08 /12 /décembre /2018 05:48

« Peut-être ai-je cru jusqu’à présent me sortir indemne de cette guerre, mais c’est peut-être cela, l’erreur. Ils ne m’ont pas pris ma vie, ils ont peut-être fait pire, ils me volent mon enfance, ils ont tué en moi l’enfant que je pouvais être… » (Joseph Joffo, "Un Sac de billes").



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S’il y avait seulement quelques livres à lire sur la période de la Seconde Guerre mondiale, de l’Occupation, de la spécificité de cette industrie de la mort, j’en citerais au moins quatre ou cinq, pas de manière exclusive ni exhaustive, mais de manière nécessaire. Il y a le terrible Journal d’Anne Franck (1947). Il y a "La Mort est mon métier" de Robert Merle (1952). Il y a "Si c’est un homme" de Primo Levi (1947). Il y a "Une Vie" de Simone Veil (2007). Et il y a évidemment "Un Sac de billes" de Joseph Joffo (1973).

Après une longue maladie, Joseph Joffo vient de s’éteindre à Saint-Laurent-du-Var ce jeudi 6 décembre 2018, à l’âge de 87 ans (né le 2 avril 1931 dans le 18e arrondissement de Paris). L’annonce de sa mort est évidemment une émotion pour des générations d’anciens enfants.

Si cela ne prêtait pas à confusion ni à indécence, j’aurais écrit que j’avais eu Joseph Joffo dans mon lit lorsque j’avais 10 ans et que j’avais adoré. À l’époque, j’avais subi une série de grippes à répétition qui m‘avaient immobilisé au lit une semaine chaque fois. Pas Joffo dans mon lit, bien sûr, mais son livre, son premier livre. Pour passer le temps où j’étais alité avec de la fièvre, je parcourais au galop les lignes, passionnantes, exalté par l’histoire.

Dans mon souvenir, "Un Sac de billes" était mon premier livre non scolaire, en dehors des premiers livres des collections "bibliothèque rose" et "bibliothèque verte". C’est-à-dire dont j’avais pris moi-même l’initiative de la lecture. Je m’aperçois avec joie que ce livre fait maintenant partie des programmes scolaires dans toute l’Europe.

Moi qui avais appris à lire avec le fameux "Tour de la France par deux enfants" par l’énigmatique "G. Bruno" (en fait, Augustine Fouillée), sorti en 1877 (éd. Belin), j’étais très attaché à Joseph Joffo car il a été l’un de ceux qui m’ont apporté la passion de la lecture. C’était assez facile d’être captivé, avec son histoire, pourtant dure. J’avais son âge lorsqu’il se décrivait à 10 ans, et le pire, c’est que son frère avait le même âge que le mien. C’est dire que le mimétisme et surtout, l’identification du lecteur avec le personnage principal pouvait s’opérer à merveille. Un groupe de deux frères, ici Maurice et Joseph, comme dans le "Tour de la France", André et Julien (là aussi, je m’étais identifié à Julien, enfant de 7 ans dans le livre).

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C’est donc l’histoire de deux enfants juifs en 1941 : « l’histoire de deux petits enfants dans un univers de cruauté, d’absurdité et aussi de secours parfois les plus inattendus ». Ils ont dû quitter Paris pour se réfugier dans la zone libre à Nice. En fait, c’était une fratrie de sept enfants. Joseph avait troqué son étoile jaune contre un sac de billes : « C’est cousu à gros points et le fil n’est pas très solide. Je passe un doigts, puis deux et d’un coup sec, je l’arrache. "Voilà". Les yeux de Zérati brillent. Mon étoile. Pour un sac de billes. Ce fut ma première affaire. ».

La peur n’a pas été le premier sentiment de Joseph Joffo à l’époque : « Au début de mon aventure, j’avais surtout l’impression d’une énorme farce. Tout cela n’était pas sérieux. Je partais avec mon frère, le complice de tous mes jeux. J’avais l’impression que nous allions jouer aux gendarmes et aux voleurs, vivre en direct une des bandes dessinées que nous lisions alors. Ce serait cette fois-ci Bibi Fricotin chez les SS ! Avec l’insouciance de l’âge, je n’envisageais pas la gravité des événements, et je n’imaginais certes pas ce qui nous attendait. (…) Tout cela était au fond assez excitant. Et finalement, la peur, la vraie, survint au moment où je m’y attendais le moins, où je ne l’attendais plus : ce fut à Nice, lorsque je tombai, rue de Russie, dans la souricière organisée par les SS. Face à la mitraillette braquée sur moi, je compris que cette fois, le jeu était bien fini, que ce n’était plus comme au cinéma. (…) Sincèrement, je crois que cette peur-là, je ne l’oublierai jamais. » (Postface).

Quand les deux frères sont revenus à Paris à la Libération, leur père, coiffeur, n’était plus là. Déporté à Auschwitz par le convoi parti le 20 novembre 1943, il n’est pas revenu : « Il y a des moments où il suffit de peu de chose pour que la vie continue ou qu’elle s’arrête. ». À 14 ans, Joseph Joffo arrêta ses études et avec ses trois frères, a repris le salon de coiffure paternel.

Pourquoi avoir écrit ce premier livre ? « Il est sorti de moi comme une chose naturelle, cela m’était peut-être nécessaire. Je me dis qu’il [mon garçon] le lira plus tard et cela me suffit. ».

Ce ne fut que plus tard, adulte, que j’ai compris que Joseph Joffo, qui était pour moi un "mythe", qui faisait partie de ma mythologie personnelle, celle que je m’étais construite progressivement avec mon éveil au monde extérieur, n’était pas vraiment un écrivain mais un coiffeur. Il n’y a rien de péjoratif d’ailleurs là-dessus et cela ne l’a pas empêché d’avoir des récompenses littéraires dont une délivrée par l’Académie française (en 1974 pour "Un Sac de billes").

Le manuscrit de "Un Sac de billes" a longtemps attendu en "jachère", après des refus d’éditeurs, jusqu’à ce que Jean-Claude Lattès (mort e 27 janvier 2018 à 76 ans) y a vu un grand intérêt éditorial, un témoignage poignant et symptomatique de la période de l’Occupation. Il l’a fait réécrire par un (futur) écrivain, Patrick Cauvin (1932-2010), dont le nom civil a été cité dans les premières pages et qui a été le véritable rédacteur. En quelque sorte, il était l’écrivain public de Joseph Joffo.

Je ne sais pas quelle est la part réelle de Joseph Joffo et de Patrick Cauvin, et le principe de cette réécriture fut intellectuellement décevant, mais le fond de l’histoire, le témoignage riche et tendre, provient évidemment de Joseph Joffo et les mots simples, qui permettent à des enfants de le lire aussi proviennent de lui. C’est cela qui a fait son succès. Il a d’ailleurs reconnu que sa version initiale était beaucoup trop ampoulée : « dans le style des actualités Paramount » ("Le Figaro" du 22 juillet 2011).

Il n’a  jamais prétendu être un grand écrivain mais plutôt, je dirais, un écrivain "populaire" dans le sens où l’écriture venait du "peuple", et était accessible au "peuple", tout le peuple parce que simple à lire et à comprendre. Il ne s’est pas non plus prétendu historien, et d’ailleurs, certaines indications de dates sont erronées, incohérentes avec la réalité historique : « La mémoire comme l’oubli peuvent métamorphoser d’infimes détails. Mais l’essentiel est là, dans son authenticité, sa tendresse, sa drôlerie et l’angoisse vécue. ».

Son succès est justifié. Ce livre est un écrit vraiment indispensable aux générations futures pour comprendre cette période qui a de moins en moins de survivants : « En regardant dormir mon fils, je ne peux que souhaiter une chose : que jamais il ne ressente le temps de la souffrance et de la peur comme je l’ai connu durant ces années. Mais qu’ai-je à craindre ? Ces choses-là ne se reproduiront plus, plus jamais. Les musettes sont au grenier, elles y resteront toujours. Peut-être. ». Le livre a été vendu à plus de 25 millions d’exemplaires (à peu près autant que Le Journal d’Anne Franck) et traduit dans au moins 28 langues. Deux adaptations au cinéma et deux bandes dessinées ont repris son livre.

Il a aussi écrit une suite et une quinzaine d’autres romans autobiographiques, toujours avec l’aide d’un autre écrivain, pour raconter sa vie, celle de sa mère, etc.

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D’un tempérament très disponible et proche des gens, Joseph Joffo était un participant très régulier des événements littéraires et en particulier du Salon du Livre de Paris chaque année où il occupait fidèlement sa place au stand de son éditeur pendant toute la durée du salon (du livre, pas de coiffure !).

Il faut noter qu’il a toujours aimé le contact avec ses lecteurs : « Je puis dire que je n’ai jamais cessé de dialoguer avec mes lecteurs. (…) Les questions suscitées par le récit de mon aventure m’ont souvent surpris, troublé ou déconcerté. Non moins marquante et passionnante a été pour moi la rencontre, dans des dizaines de collèges et lycées où j’ai été invité, d’écoliers qui ont aujourd’hui l’âge que j’avais pendant la guerre. Leur spontanéité, leur gentillesse, la pertinence de leurs questions m’ont bien souvent ému, voire bouleversé. (…) À chaque fois que j’évoque ces années de mon enfance, je revis les moments d’angoisse que j’ai connus quand il me fallait jour après jour, heure après heure, me cacher ou ruser avec ceux qui m’interrogeaient. ».

Pour la petite histoire, terminons par une anecdote regrettable. Son frère Maurice Joffo a été arrêté en mars 1985 et condamné à cinq ans de prison et à 7 millions de francs de dommages et intérêts pour avoir été le plus grand receleur de bijoux parisiens. Le juge d’instruction de cette affaire n’était autre …que le futur Ministre de l’Intérieur Jean-Louis Debré.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (07 décembre 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Pour lire (gratuitement) "Un Sac de bille" avec sa postface.
Noam Chomsky.
Joseph Joffo.
Ivan Tourgueniev.
Guillaume Apollinaire.
René de Obaldia.
Raymond Aron.
Jean Paulhan.
René Rémond.
Marceline Loridan-Ivens.
François Flohic.
Françoise Dolto.
Lucette Destouches.
Paul Claudel.
Louis-Ferdinand Céline.
Georges Bernanos.
Jean-Jacques Rousseau.
Daniel Cordier.
Philip Roth.
Voltaire.
Jean d’Alembert.
Victor Hugo.
Karl Marx.
Charles Maurras.
Barbe Acarie.
Maurice Bellet.
Le philosophe Alain.
Marguerite Yourcenar.
Albert Camus.
Jean d’Ormesson.
Les 90 ans de Jean d’O.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20181206-joseph-joffo.html

https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/joseph-joffo-l-enfant-temoin-210446

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/12/07/36926412.html




 

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