« Il vaut mieux faire des c@nneries que s’économiser. » ("L’Humanité" du 21 août 1999).
Il est un peu avec le cinéma et le théâtre comme Picasso avec la peinture et la sculpture. Il peut tout, il fait tout, il est là où on ne l’attend pas, il surprend, il conquiert tout, les terrains, les esprits. C’est un monstre sacré, un monument national. Et une personnalité phénoménale, un vrai caractère, un rude carré dans un corps rond après avoir été un fin haricot. Gérard Depardieu, car il s’agit de lui, de cet acteur symbole du cinéma français, fête son 70e anniversaire ce jeudi 27 décembre 2018.
Le 25 mai 2015, il se considérait déjà "accompli" : « Je ne crois en rien. Surtout pas en moi. Parfois, le soir, je voudrais m’endormir pour l’éternité (…). J’ai tout vécu. Cela, il n’y a pas beaucoup de gens qui peuvent le dire, je peux mourir à présent. Qui peut avoir le culot de dire cela ? » ("Vanity Fair"). Quand il chante Barbara, il ne fait que cela, il le fait excellemment bien, avec la surprise de cet homme costaud capable d’imiter à sa manière une femme fragile. Il le dit régulièrement : il n’est pas un intello, il n’aime pas apprendre son texte, il a une oreillette et ne s’en cache pas. Son job, c’est l’interprétation, pas la création.
Avec plus de 200 films à son actif, il est sur tous les fronts, l’ouvrier et le patron, le gentil et le méchant, le pauvre type et l’homme qui doute, le manipulateur et l’amoureux transi, etc., sans compter les grands rôles biographiques (Danton, Christophe Colomb, Balzac, Rodin, Staline, Vatel, Raspoutine, D’Artagnan, etc.) ou d’autres plus anecdotiques mais triomphants comme Obélix. L’un des acteurs français qui a fait le plus d’entrées au cinéma, environ 220 millions, quatre fois la population française, juste derrière Louis de Funès avec plus de 270 millions. 61 films où il a joué ont fait plus du million d’entrées. À ce stade (plus que de football), ce n’est plus un triomphe, c’est une hégémonie.
Il a joué avec tous les grands acteurs et actrices français de notre temps depuis le début des années 1970, fut dirigé par tous les grands réalisateurs français. Depardieu, on l’aime ou l’on ne l’aime pas mais en fait, on l’aime, car on aime au moins un des films qu’il a joué. Il y en a bien un qui soit du goût de chacun. Il faut donc le comprendre : il peut tout se permettre, tout dire, il se moque des conséquences. Il est tout puissant. Probablement l’un des plus grands seigneurs de la guerre. Plus grand que Carlos Ghosn qui, lui, n’est pas à l’abri de la justice d’un pays. Depardieu non plus n’est pas à l’abri de la justice, mais il y a de la marge entre une dénonciation/instruction et une condamnation.
Celui qui a épaté la galerie, aux côtés de Miou-Miou, Jeanne Moreau, Brigitte Fossey et Patrick Dewaere, avec le fameux film "Les Valseuses" réalisé par Bertrand Blier (sorti le 20 mars 1974) qui l’a fait décoller, il a multiplié les reconnaissances et les trophées, dont deux Césars (1981, 1991), une prix au Festival de Cannes (1990), deux prix à la Mostra de Venise dont un Lion d’Or (1985, 1997), etc. Cet acteur de théâtre s’était déjà fait remarquer auparavant dans d’autres films avec des rôles moins essentiels comme dans "Le Viager" réalisé par Pierre Tchernia (sorti le 2 février 1972), avec Michel Serrault et Michel Galabru, dans le rôle du voyou apprenti, et "Stavisky" réalisé par Alain Resnais (sorti le 15 mai 1974), avec Jean-Paul Belmondo, dans le rôle de l’inventeur du matriscope.
Père mal à l’aise de deux acteurs (Guillaume et Julie), il a joué dans des films très intéressants, j’en cite quelques-uns mais sans du tout prétendre à l’exhaustivité : "Sept morts sur ordonnance" réalisé par Jacques Rouffio (sorti le 3 décembre 1975), le chirurgien funeste, avec Michel Piccoli, Jane Birkin, Michel Auclair et Charles Vanel ; "Le Sucre" réalisé par Jacques Rouffio (sorti 3 avril 1978), le trader qui gruge Jean Carmet ; "Buffet froid" réalisé par Bertrand Blier (sorti le 19 décembre 1979), avec Bernard Blier, Jean Carmet et Michel Serrault ; "Mon oncle d’Amérique" réalisé par Alain Resnais (sorti le 21 mai 1980), avec Roger Pierre et Nicolas Garcia ; "Inspecteur la Bavure" réalisé par Claude Zidi (sorti le 3 décembre 1980), tuteur de Coluche dans la police ; "Le Dernier Métro", chef-d’œuvre de François Truffaut (sorti le 17 septembre 1980), sous l’Occupation, avec l’incontournable Catherine Deneuve et Jean Poiret ; "La Chèvre" réalisé par Francis Veber (sorti le 9 décembre 1981), duo mémorable avec Pierre Richard qu’il a récidivé avec le même réalisateur dans "Les Compères" (sorti le 23 novembre 1983) et "Les Fugitifs" (sorti le 17 décembre 1986) ; "La Femme d’à côté" réalisé par François Truffaut (sorti le 30 septembre 1981), terrible mari trompeur avec la troublante Fanny Ardant ; "Sous le soleil de Satan" réalisé par Maurice Pialat (sorti le 2 septembre 1987), avec l’irrésistible Sandrine Bonnaire ; "Germinal" réalisé par Claude Berri (sorti le 29 septembre 1993), avec Miou-Miou, Renaud et Jean Carmet ; "Le Placard" réalisé par Francis Veber (sorti le 17 janvier 2001), le DRH métamorphosé avec Daniel Auteuil, Thierry Lhermitte, Michèle Laroque, Michel Aumont, Jean Rochefort et Laurent Gamelon ; "Bouquet final" rélaisé par Micgel Delgado (sorti le 2008), avec Didier Bourdon, Bérénice Bejo et Marthe Keller ; enfin, "La Tête en friche" réalisé par Jean Becker (sorti le 2 juin 2010), avec l’adorable Gisèle Casadesus, etc.
Il n’arrête jamais ! Cinq films où il a joué sont sortis en 2018, un sixième va sortir en 2019. Parmi les acteurs français les mieux rémunérés chaque année, il avait investi une partie de son argent en 1985 dans la production du premier disque de Patricia Kaas qui n’a pas eu le succès escompté. Il demanda pour se dédommager des droits sur les cinq disques suivants, et là, bingo ! dès 1987, la carrière de la chanteuse lorraine a décollé avec "Mademoiselle chante le blues".
Gérard Depardieu n’est pas riche juste pour être riche. Au-delà de son travail très prenant de comédien, il aime entreprendre et investir, le vignoble (on aime le vin ou l’on ne l’aime pas), et même, l’exploration pétrolière à Cuba, grâce à un pote… et Fidel Castro.
La transformation physique de Gérard Depardieu est sans doute en rapport avec son caractère : « Je ne jette pas la pierre à tous ceux qui ont du cholestérol, de l’hypertension, du diabète ou trop d’alcool ou ceux qui s’endorment sur leur scooter, je suis un des leurs, comme vos chers médias aiment tant à le répéter. » ("Journal du dimanche" du 15 décembre 2012). Il a eu beaucoup d’accident de scooter. Lorsqu’il habitait rue du Cherche-Midi, cela pouvait arriver qu’il tabassât le véhicule garé sur "sa" place de scooter. En fait, il n’avait aucune place attitrée mais la considérait comme sienne. Esprit pourtant authentique, sans intermédiaire, comme aller faire ses courses lui-même.
La religion est dans sa rechercher personnelle : après avoir été pendant deux ans un musulman converti à la fin des années 1960, Gérard Depardieu s’est tourné vers saint Augustin dont il a proposé la lecture des "Confessions" à Notre-Dame de Paris (le 11 février 2003), après avoir rencontré le pape Jean-Paul II en août 2000 à Rome : « Saint Augustin nous parle vraiment. Je puise dans ces lectures une force pour tenir debout et une joie, un espoir… Quelque chose qui est plus fort que le savoir. C’est comme le passage de l’adolescence à l’âge adulte, de l’adulte à la lumière, de la lumière à la vérité, de la vérité à l’absolu. » ("Le Parisien" du 6 février 2003).
La politique, il la voit comme beaucoup de non-alignés, sans antennes : « La politique ne m’intéresse pas. Ce n’est qu’une basse-cour avec des poules et des coqs qui se chient dessus. » ("Journal du dimanche du 19 avril 2010).
Soutien de François Mitterrand en 1988 et de Nicolas Sarkozy en 2007 et en 2012, Gérard Depardieu n’a pas, semble-t-il, de lourdes convictions politiques si ce ne sont les amitiés qu’il peut voir se nouer au cours de son existence et qui l’ont fait apprécier autant Fidel Castro que Ramzan Kadyrov (le Président pro-russe de la Tchétchénie), ou encore celui d’Ouzbékistan, Islom Karimov, et surtout, le Président russe Vladimir Poutine qui lui a offert la nationalité russe sur un plateau d’argent le soir du 5 janvier 2013 à Sotchi. Il aime tellement la Russie qu’il a tourné dans beaucoup de publicités pour la télévision russe.
Auparavant, cerné par le fisc français, il s’est expatrié en Belgique, à la frontière franco-belge à la fin de l’année 2012, dégoûté par la taxe de 75% finalement invalidée par le Conseil Constitution. Cette désertion a provoqué une polémique nationale, alimentée par un échange musclé contre le Premier Ministre de l’époque, Jean-Marc Ayrault qui la qualifiait de "minable", n’hésitant pas, plus tard, en avril 2014, à traiter François Hollande de « petit bolchevik de l’Élysée » et en décembre 2014, il disait ne pas vouloir « crever comme un c@n dans la France de maintenant », n’hésitant pas à cracher contre les Français « qui n’ont plus rien à faire de la France », généralisant un peu vite sur leur patriotisme.
D’ailleurs, est-ce une angoisse nouvelle ? La citoyenneté française qu’il rejette, la citoyenneté belge à base fiscale, aussi la citoyenneté algérienne (il a annoncé le 19 février 2018 qu’il achèterait une habitation en Algérie), et la citoyenneté russe ne lui suffisent plus. Gérard Depardieu a un nouvel objectif, la citoyenneté turque. Le 16 septembre 2018, il a déclaré ainsi vouloir rencontrer le Président turc Recep Tayyip Erdogan en octobre 2018 pour obtenir un passeport turc, selon un journaliste du journal turc Aydinlik lors d’une rencontre avec l’acteur à …Pyongyang où Gérard Depardieu était présent à la tribune officielle pour assister aux cérémonies du 70e anniversaire de la République nord-coréenne, le 9 septembre 2018. Le 16 juin 2013, l’acteur avait déclaré au "Journal du dimanche" : « J’ai sept passeports de plusieurs pays que j’aime. Enfin, j’aimerais en avoir sept. (…) Ca m’éviterait de demander des visas car je me considère, je vous le redis, comme un homme libre. ». En l’occurrence, Depardieu n’a pas encore rencontré Erdogan à ce jour. Entre désir et réalité.
Mais le plus surréaliste, dans cette drôle de diplomatie, c’est probablement lors de sa visite en Russie il y a presque six ans. Vladimir Volkov, Président de la République de Mordovie, l’équivalent de gouverneur de région, a accordé à l’acteur des Valseuses une domiciliation en Mordovie (dans la capitale, à Saransk, au sud de Nijniy Novgorod, où il fut accueilli le 6 janvier 2013 avec ferveur) et surtout, lui a même proposé d’être son nouveau Ministre de la Culture.
La Mordovie fait partie de la Fédération de Russie. Elle est célèbre pour avoir "accueilli" les premiers goulags. 40 000 prêtres y furent fusillés dans les années 1930. Encore 15 000 personnes y étaient internées en 2013. Une jeune femme du groupe Pussy Riot, Nadejda Tolokonnikova, y fut incarcérée de mars 2012 à décembre 2013 pour avoir été insolente avec Vladimir Poutine dans la nouvelle cathédrale du Christ-Sauveur à Moscou le 21 février 2012.
Gérard Depardieu, qui voulait célébrer le Noël orthodoxe le 7 janvier 2013 à Saransk, a déclaré : « Je suis content, c’est très beau ici. », ajoutant : « Je suis un citoyen du monde et j’ai la chance d’avoir un passeport russe, et je pense que beaucoup de gens aiment la Russie. Ceux qui disent du mal du Président Poutine ne sont jamais sortis de chez eux, ils sont restés en arrière depuis très longtemps. ».
Quant à la Culture en Mordovie, Gérard Depardieu a remercié l’offre de Vladimir Volkov en la refusant poliment et en lui répondant qu’il était le Ministre de la Culture du monde entier ! Qui a dit qu’Alain Delon était solitaire dans la mégalomanie du moi ?
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (24 décembre 2018)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Gérard Depardieu.
Un sex symbol pourtant bien français.
Barbara chantée par Depardieu.
La belgitude de Gérard Depardieu.
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Maria Pacôme.
Ennio Morricone.
Francis Lai.
Bernadette Lafont.
Pauline Lafont.
Marthe Mercadier.
Jean Piat.
Jacques Brel.
Charles Aznavour.
Charlie Chaplin.
Maurice Chevalier.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20181227-gerard-depardieu.html
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