« C’est un groupe de gens politiquement difficilement situables, me semble-t-il, un mélange de gens des banlieues, de l’extrême gauche et peut-être aussi des soraliens. Cela m’étonnerait que ce soient des gilets jaunes d’origine car je suis un des seuls intellectuels à avoir soutenu le mouvement à ses débuts, en pointant qu’il y avait une grande incompréhension par rapport à cette France des méprisés. (…) J’ai été obligé de fuir de peur qu’ils me cassent la gueule et je pense que ça aurait pu mal tourner, mais je n’ai pas été traumatisé, car un cordon de police s’est vite interposé. » (Alain Finkielkraut, "Le Parisien", le 16 février 2019).
Lors de la manifestation des gilets jaunes à Paris de ce samedi 16 février 2019, le philosophe et académicien Alain Finkielkraut a été copieusement insulté par certains manifestants avec des expressions à connotations antisémites. Il a renoncé à déposer plainte, pour ne pas donner trop d’importance à cet énième acte d’antisémitisme, mais le parquet a néanmoins décidé d’ouvrir une enquête judiciaire le lendemain.
L’intellectuel revenait chez lui à pied après être sorti d’un taxi. Alain Finkielkraut a été très impressionné d’avoir reçu de nombreux messages de soutien à cette occasion, pour une mésaventure qui a fait le tour des médias, en particulier un message chaleureux du Président Emmanuel Macron : « Je ne le connais pas, j’étais très étonné car il m’est arrivé de le critiquer, mais j’ai été touché. ». Marine Le Pen aussi a condamné ces insultes. Face à elle, Alain Finkielkraut avait soutenu Emmanuel Macron au second tour de l’élection présidentielle.
Souvent, Alain Finkielkraut ne laisse pas indifférent quand il parle, et il parle souvent, et surtout, il parle en totale indépendance, il suit sa pensée, il a sa propre logique, sa cohérence, qu’on apprécie ou pas, mais il ne se laisse pas intimider ni par les modes ni par le fait éventuel d’être seul à penser ce qu’il pense. Il n’est pas dans la posture, il est dans la réflexion. En ce sens, Alain Finkielkraut est indispensable au débat public. Il est une perle précieuse, un penseur par lui-même, hors de toute mode, de toute courtisanerie aussi, hors de tout intérêt. Il semble d’ailleurs hors du temps, peut-être d’un autre temps, il a parfois des intonations de voix qui rappellent étrangement celle d’un André Malraux.
Le week-end précédent, dans la nuit du 8 au 9 février 2019, des tags antisémites ont vandalisé la vitrine du restaurant Bagelstein et cela a valu ce Tweet de Christophe Castaner : « Un tag antisémite en plein Paris. Un de trop. "Juden" en lettres jaunes, comme si les plus tragiques leçons de l’Histoire n’éclairaient plus les consciences. Notre réponse : tout faire pour que l’auteur de cette ignominie soit condamné. Notre honneur : ne rien laisser passer. ». Des croix gammées ont également été inscrites sur le visage dessiné de Simone Veil. Un arbre planté en souvenir d’Ilan Halimi, un jeune homme de 23 ans torturé et tué le 13 février 2006 par antisémitisme, a été aussi arraché, alors qu’il symbolisait la résistance à l’antisémitisme.
Ces faits sont inquiétants. Ces insultes directes à Alain Finkielkraut sont inquiétantes en ce sens qu’elles ont été proférées dans ce contexte très négatif. On n’était pas loin du lynchage. Le 12 février 2019, le Ministre de l’Intérieur a présenté les dernières statistiques sur l’antisémitisme, et elles ne sont pas optimistes : en 2018, il y a eu 74% de plus d’actes antisémites en France par rapport à 2017 (on peut lire ici le rapport de 2018 en attendant celui de 2019).
L’antisémitisme est souvent "pluriel". Il peut provenir d’une extrême droite plus ou moins clairement nostalgique du nazisme, mais aussi, et il est alors d’une tout autre nature, d’une extrême gauche où se rejoignent des mouvances islamistes dures, utilisant le conflit israélo-palestinien pour prôner un antisionnisme qui n’est qu’un autre mot, plus légal, pour exprimer leur antisémitisme. Mais il ne faut pas non plus exclure des actes de pure bêtise, des provocations qui peuvent provenir d’adolescents sans références historiques.
Pour cette dernière possibilité, j’exclus évidemment les actes mûrement réfléchis, à savoir les assassinats, il y en a eu onze en France depuis 2006, dont Ilan Halimi, et aussi Sarah Halimi, torturée et défénestrée le 4 avril 2017, et Mireille Knoll, tuée et laissée dans un appartement en feu le 23 mars 2018, et également les profanations de cimetière juif, comme celui de Carpentras le 9 mai 1990. Quel scandale, mourir aujourd’hui parce que Juif, après la Shoah !
Pour des tags, la bêtise et la provocation peuvent être à l’origine de ce qui reste un acte antisémite. C’est pour cela que face à ce genre d’événement, il faut se garder de réagir trop vivement, même si l’émotion est vive. Même si le résultat est le même, la réalité sociologique est différente entre deux cas, le premier qui est le signe de groupes ouvertement antisémites prêts à tuer, et le second qui n’est qu’un signe de malaise adolescent, du moins psychologique. Ce serait alors difficile de parler d’une société qui deviendrait de plus en plus antisémite. Elle peut aussi être, avant cela, de plus en plus ignorante (ne connaissant rien des atrocités de la Seconde Guerre mondiale, malgré tout ce qu’on a pu en dire), ou tout simplement …de plus en plus bête (où tout est relatif, tout se vaut).
Il est même contreproductif de surréagir, comme certains l’ont fait pour la posture politique, dans la mesure où les provocateurs recherchent avant tout, qu’ils soient politisés, confessionnalisés ou pas, la réaction médiatique : plus celle-ci est forte, plus elle les encourage à recommencer. Mais la frontière est délicate à tenir, car on ne peut pas non plus rester indifférent et il faut également montrer que ces tags sont un acte grave, inadmissible.
Alain Finkielkraut, à mon sens, a réagi de manière très saine. Il explique que ceux qui l’ont insulté ne sont pas vraiment représentatifs des gilets jaunes, ce qui est heureux d’ailleurs. Il explique qu’il a mal entendu les insultes, et pas certaines insultes que d’autres, qui n’étaient pas présents, auraient entendues, et que peut-être d’autres ont eu plus peur que lui-même. En ne voulant pas déposer une plainte, il réagit sainement car il ne veut pas en faire une affaire qui, forcément, si elle devenait judiciaire, durerait longtemps, alors que la société a mieux à faire que cela.
Quant au propriétaire et cofondateur du restaurant taggué il y a dix jours, lui aussi a réagi sainement. Il a envoyé un Tweet le 10 février 2019 pour exprimer son émotion : « Nous sommes choqués, mais nous répondrons demain à ces abrutis sur un ton décalé de sale gosse. Nous voulons garder notre bonne humeur. ».
Et effectivement, il a tweeté le 12 février 2019 une photo (avec trucage) de sa vitrine tagguée, mais avec un tag différent, complété : "Guten Tag" (Bonjour en allemand), et la photo était accompagnée de ces commentaires, non sans humour : « Salut l'artiste : on a fini le travail pour toi ! » suivi de : « Parce que tu seras toujours le bienvenu chez nous. ».
Face à cette capacité à prendre calmement au bond cet acte odieux, sans pour autant nier l’émotion qu’elle a suscitée, et à le retransformer en brin d’humour capable de voler des sourires et en un brin de pardon capable de passer à autre chose, je dis : bravo ! C’était la meilleure réponse à donner à ces irresponsables.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (17 février 2019)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Alain Finkielkraut, l’antisémitisme et la bêtise.
Rapport sur le racisme de la CNCDH publié le 22 mars 2018 (à télécharger).
L’agression antisémite et le besoin de transcendance.
Maréchal, vous revoilà !
Les 70 ans d’Israël.
La France du colonel Beltrame.
Éradiquer l’antisémitisme.
Marceline Loridan-Ivens.
Simone Veil.
La Shoah.
Élie Wiesel.
Germaine Tillion.
Irena Sendlerowa.
Élisabeth Eidenbenz.
Céline et sa veuve ruinée, la raison des pamphlets ?
Les pamphlets antisémites de Louis-Ferdinand Céline.
Louis-Ferdinand Céline et les banksters.
Charles Maurras.
Roger Garaudy.
Jean-Marie Le Pen et ses jeux de mots vaseux.
Antisémitisme et morale en politique : l’attentat de la rue des Rosiers.
Massacre d’enfants juifs.
Arthur, l’un des symboles stupides du sionisme.
Les aboyeurs citoyens de l’Internet.
La Passion du Christ.
Représenter le Prophète ?
Complot vs chaos : vers une nouvelle religion ?
Le cauchemar hitlérien.
Jeux olympiques : à Berlin il y a 80 ans.
Les valeurs républicaines.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20190216-antisemitisme.html
https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/alain-finkielkraut-l-antisemitisme-212739
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2019/02/17/37107702.html
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