« Est-ce que j’ai jamais attenté aux libertés publiques fondamentales ? Je les ai rétablies. Et y ai-je une seconde attenté jamais ? Pourquoi voulez-vous qu’à 67 ans, je commence une carrière de dictateur ? » (Charles De Gaulle, le 19 mai 1958, conférence de presse au Palais d’Orsay, à Paris).
Ces quelques mots pleins de dérision, De Gaulle les a prononcés alors qu’il n’était pas encore revenu au pouvoir et qu’on lui prêtait de sombres projets de dictature militaire. Il n’en a évidemment rien été, et la suite de l’histoire a montré qu’au contraire, De Gaulle fut celui qui a été le plus scrupuleusement respectueux de la démocratie et de la volonté populaire. Au point justement de quitter le pouvoir après un échec référendaire, alors que les textes ne l’y contraignaient aucunement.
Cela fait maintenant exactement cinquante ans que De Gaulle a quitté définitivement le pouvoir. Le dimanche 27 avril 1969, effectivement, il a perdu son référendum sur la régionalisation et la participation : 52,4% des suffrages exprimés ont choisi le "non" avec une forte participation, 80,1%. L’échec du projet, techniquement assez compliqué (comprenant 52 articles !), était d’abord l’échec personnel de De Gaulle : dix ans, c’était assez.
De Gaulle avait été réélu le 19 décembre 1965 pour un second mandat de sept ans, et celui-ci se terminait en principe le 8 janvier 1973. Pourtant, à l’âge de 78 ans, il décida de quitter l’Élysée dès le lendemain de l’échec, lundi 28 avril 1969 à midi, avec comme seul mot d’accompagnement, ce communiqué à la presse publié à minuit dix, très sec et amer : « Je cesse d’exercer mes fonctions de Président de la République. Cette décision prend effet aujourd’hui à midi. ». Ce n’est guère mieux que les séparations conjugales à coup de SMS. L’histoire a dit plus tard qu’il n’aurait pas atteint la fin normale de son mandat, car il est mort le 9 novembre 1970.
Organisé selon l’article 11 de la Constitution, le référendum a porté sur l’organisation régionale de la France (qui s’est finalement réalisée en 1972) et sur une réforme du Sénat à qui le projet aurait enlevé tout pouvoir de législateur au profit d’un rôle purement consultatif. Le projet fut préparé en 1968-1969 par son ministre Jean-Marcel Jeanneney, fils de Jules Jeanneney, Président du Sénat en 1940, et père de Jean-Noël Jeanneney, historien et futur ministre de François Mitterrand.
Sa démission dans la balance
Déjà le 24 mai 1968, De Gaulle avertissait les Français : « Au cas où votre réponse serait "non", il va de soi que je n’assumerais pas plus longtemps ma fonction. ». Le 10 avril 1969 dans un entretien télévisé avec Michel Droit, il répéta : « De la réponse que fera le pays à ce que je lui demande va dépendre évidemment soit la continuation de mon mandat, soi aussitôt mon départ. ». Il développa cette position : « Si donc le peuple français s’y opposait, quel homme serais-je si je ne tirais pas sans délai la conséquence d’une aussi profonde rupture et si je prétendais me maintenir dérisoirement dans mes actuelles fonctions ? ».
Enfin, dans une allocution télévisée le 25 avril 1969, De Gaulle martela, en passant du conditionnel au futur : « Votre réponse va engager le destin de la France parce que, si je suis désavoué par une majorité d’entre vous, solennellement, sur ce sujet capital et quels que puissent être le nombre, l’ardeur et le dévouement de l’armée de ceux qui me soutiennent, et qui de toute façon détiennent l’avenir de la patrie, ma tâche actuelle de chef de l’État deviendra évidemment impossible et je cesserai aussitôt d’exercer mes fonctions. ».
Pour défendre le référendum du 27 avril 1969, il a montré son engagement personnel : « Conformément à ma mission et à ma fonction, et sur proposition du gouvernement, je vous le demande en faisant appel, directement et une fois de plus, à la raison de notre pays par-dessus tout les fiefs, les calculs et les partis pris. Françaises ! Français ! C’est donc une grande décision nationale que vous allez avoir à prendre. Par la force des choses et des actuels événements, le référendum sera, pour la nation, le choix entre le progrès et le bouleversement. Car c’est bien là l’alternative. Quant à moi, je ne saurais douter de la suite. Car aujourd’hui, comme depuis bien longtemps et à travers bien des épreuves ! je suis, avec vous, grâce à vous, certain de l’avenir de la France. ».
Pompidou, le recours après De Gaulle
Ce que l’histoire ne dit pas, c’est l’intention générale de De Gaulle avec ce référendum. Le sujet de la régionalisation et de la participation lui tenait à cœur, et il avait déjà tenté de le faire le 24 mai 1968 pour sortir de la crise de mai 1968. L’absence de réactions favorables l’a convaincu d’écouter son Premier Ministre Georges Pompidou, à savoir de dissoudre l’Assemblée Nationale le 30 mai 1968 (encore que la majorité parlementaire issue des élections de mars 1967 était très fragile) et d’organiser de nouvelles élections législatives qui furent, en juin 1968, une large victoire gaulliste. Cette victoire était d’abord celle du Premier Ministre Georges Pompidou, mais De Gaulle s’en sépara, ce qui étonna toute la classe politique et médiatique et apporta au "remercié" beaucoup d’amertume sinon de rancœur.
Même s’il a gagné les élections législatives, De Gaulle n’a pas sur retrouver la confiance populaire tout au long de cette dernière année au pouvoir. C’était la raison pour laquelle il tenait à ce référendum, c’était un moyen de redynamiser sa relation personnelle avec les Français. Il a annoncé l’organisation du référendum le 2 février 1969 à Quimper lors d’un déplacement en Bretagne. Le texte du projet référendaire a été finalisé et approuvé au conseil des ministres du 27 février 1969.
Dès lors que certaines composantes de la majorité présidentielle militaient pour le "non", à savoir certains républicains indépendants dont Valéry Giscard d’Estaing, exclu du gouvernement, et que Georges Pompidou, lui aussi exclu du pouvoir, a laissé entendre, dès le 17 janvier 1969 à Rome, qu’il serait candidat à l’élection présidentielle en cas de démission de De Gaulle, le risque politique d’un "non" devenait donc réduit. En effet, la succession de De Gaulle, déjà posée en 1965, serait désormais assurée et pourrait être réalisée dans la continuité politique, sans révolution, sans instabilité, sans chaos.
Aux journalistes présents à Rome, George Pompidou avait déclaré : « Ce n’est, je crois, un mystère pour personne que je serai candidat à une élection à la Présidence de la République quand il y en aura une, mais je ne suis pas du tout pressé ! ». De Gaule, furieux, lui a répondu au conseil des ministres du 22 janvier 1969 : « Dans l’accomplissement de la tâche nationale qui m’incombe, j’ai été, le 19 décembre 1965, réélu Président de la République pour sept ans par le peuple français. J’ai le devoir et l’intention de remplir mon mandat jusqu’au bout. ». Réplique de Georges Pompidou devant la télévision suisse romande (TSR) le 14 février 1969 à Genève : « J’aurai peut-être, si Dieu le veut, un destin national. ».
Grande modernité de De Gaulle
De Gaulle avait beau être né au XIXe siècle, son opposant François Mitterrand avait beau écrire dans "Le Coup d’État permanent" (sorti en 1964) : « Cette conception romantique d’une société politique à la merci de l’humeur d’un seul homme n’étonnera que ceux qui oublient que De Gaulle appartient plus au XIXe siècle qu’au XXe, qu’il s’inspire davantage des prestiges du passé que des promesses de l’avenir. », De Gaulle était dans les années 1960 d’une étonnante modernité : modernité institutionnelle en donnant enfin à la France et aux Français des institutions stables, efficaces et (en même temps) démocratiques, mais aussi modernité économique et sociale avec la politique industrielle de la France qui a contribué à la prospérité économique et à la redistribution sociale.
Sa conception orgueilleuse du pouvoir était ce lien, indispensable, permanent, qui unit le peuple au Président de la République à partir du moment où ce dernier était élu directement par le peuple. Cela dit, aucun de ses successeurs n’a eu le courage de faire de ce lien de confiance un élément déterminant de maintien au pouvoir. Les échecs législatifs de François Mitterrand (1986, 1993) et de Jacques Chirac (1997) ainsi que l’échec référendaire de Jacques Chirac (2005) sont désormais à mettre sur le même compte que l’échec présidentiel de Valéry Giscard d’Estaing (1981) ou de Nicolas Sarkozy (2012), sans compter l’impossibilité politique de se présenter de François Hollande (2017).
Alors qu’en 1969, comme du reste dans les précédents référendums, en particulier en 1958 (Cinquième République), et en 1962 (Accords d’Évian et élection du Président de la République au suffrage universel direct), De Gaulle avait mis tout son poids politique et personnel dans la bataille, ce qui signifiait que son sort était lié à celui de ces référendums.
Suicide politique ?
De Gaulle était âgé et fatigué. Il savait son temps compté et il ne souhaitait pas finir à l’Élysée. Il voulait au contraire avoir du temps pour rédiger ses mémoires. Son épouse elle-même s’était opposée à sa réélection en 1965 et même, n’avait pas souhaité son retour au pouvoir en 1958, afin de préserver la tranquillité de leur retraite. Mais le devoir et la responsabilité l’ont emporté sur le confort personnel, pour le salut de la France.
Quelques semaines voire quelques mois avant l’échéance référendaire, les sondages pronostiquaient déjà un échec. Pourquoi De Gaulle a-t-il donc voulu poursuivre cette idée avec un certain entêtement ? Certains pensent que c’était parce qu’il voulait partir "en beauté".
Démissionner sans avoir l’air d’abandonner les Français n’était pas une mince affaire. Se contraindre à démissionner parce qu’il y a rupture du lien de confiance entre le Président et le peuple avait du panache, pouvait être compréhensible et en même temps, laissait planer cette ambiguïté sur les intentions réelles de De Gaulle. La réalité était qu’il avait perdu le contrôle de la situation politique avec mai 1968, du reste, son principal opposant aussi, François Mitterrand.
Mais était-ce vraiment partir "en beauté" lorsqu’on partirait sur un échec ? D’un point de vue historique, probablement pas. Comme sur d’autres sujets (principalement l’indépendance de l’Algérie), les intentions profondes de De Gaulle ont souvent été insondables, parce que l’un des premiers principes gaulliens était le pragmatisme (il n’en est cependant pas venu à demander au peuple ce qu’il devait lui-même décider !).
D’autres pensent que, pus probablement, De Gaulle était un homme d’État exceptionnel et que l’homme du 18 juin ne pouvait pas reculer. C’était la position notamment de Roger Frey [Ministre d’État chargé des Relations avec le Parlement]. En tout cas, François Mauriac évoqua à ce sujet le « cas sans précédent de suicide en plein bonheur ».
Quelques témoignages intéressants
Dans ses "Cahiers secrets" chez Fayard, Michèle Cotta a publié les entretiens des principaux protagonistes du dernier référendum de De Gaulle interrogés en novembre 1978. Ils sont très intéressants et j’invite à les lire (dans le tome I qui couvre la période de 1965 à 1977). Je propose ici quelques éléments dont les citations sont extraites de l'ouvrage évoqué de Michèle Cotta.
Jean-Marcel Jeanneney, interviewé le 6 novembre 1978 par Michèle Cotta : « Le Général y a pensé dès le lendemain de la formation du gouvernement Couve [10 juillet 1968]. J’ai été nommé ministre précisément pour préparer le référendum sur la participation et le Sénat. (…) Je lui avais fait deux notes à cette époque [en 1963], qu’il m’avait retournées avec cette annotation : "Régionalisation : intéressant mais prématuré". Dès le mois de juillet [1968], le Général a précisé cette mission par une lettre adressée à Maurice Couve de Murville [Premier Ministre], à Maurice Schumann [Ministre d’État chargé des Affaires sociales], à Raymond Marcellin [Ministre de l’Intérieur]. Et à moi, naturellement [Ministre d’État]. Couve s’est refusé à répartir les rôles entre Olivier Guichard [Ministre délégué chargé du Plan et de l’Aménagement du territoire] et moi. La seule chose qu’il m’ait dite, c’est qu’il fallait aller vite. ».
Deux philosophies se sont alors rapidement opposées. Olivier Guichard était partisan d’une loi-cadre et d’un texte référendaire simple et compréhensible posant seulement les principes. Au contraire, plus rigoureux juridiquement mais moins politique, Jean-Marcel Jeanneney voulait proposer un texte fini, qui pût être directement applicable une fois adopté. Ce fut cette voie-là qui fut choisie par De Gaulle. Jean-Marcel Jeanneney a eu le pilotage du projet et Olivier Guichard en fut écarté. Et De Gaulle refusa toute négociation avec le Sénat pour rédiger le texte (le sénateur Étienne Dailly avait été initialement sollicité).
Jean-Marcel Jeanneney fut prêt avec son texte en octobre 1968 (c’était l’objectif fixé par De Gaulle) : « J’ai passé trois après-midi entiers avec le Général en octobre et en novembre. Il relisait avec moi ligne à ligne le texte en préparation. Il l’a corrigé de sa main. ». Mais Maurice Couve de Murville ne voulait pas entendre parler d’un référendum avant début 1970 car il voulait dévaluer le franc et avoir le temps de stabiliser la monnaie (Raymond Barre, Vice-Président de la Commission Européenne, a finalement contribué à convaincre De Gaulle de ne pas dévaluer). Ni Maurice Couve de Murville ni Michel Debré [Ministre des Affaires étrangères] ne croyaient en ce projet et ils voyaient d’autres urgences plus criantes.
Jean-Marcel Jeanneney a livré deux témoignages de De Gaulle. Le premier lors d’un déjeuner le 19 février 1969 : « Au café, le Général me demande : "Ce référendum, faut-il le faire ?". Je lui réponds : "Mon général, vous venez de l’annoncer. Mais ne vous engagez pas vous-même. Si vous voulez, je pourrais démissionner". Refus du Général : "Vous ne pensez pas, mon petit, me dit-il, que je vais vous laisser vous battre tout seul !" ». Et peu avant le référendum : « Lors du dernier conseil [des ministres] avant le scrutin, De Gaulle, qui revenait de l’enterrement d’Eisenhower, a eu une phrase du genre : "Les Français ne se rendent pas compte de ce que je représente". ».
Selon les notes prises par Yves Guéna [Ministre des Postes et Télécommunications], De Gaulle aurait dit précisément à ce conseil des ministres du 2 avril 1969, au lendemain de l’enterrement de l’ancien Président américain Dwight Eisenhower : « Il est vrai qu’en ce moment, notre action diplomatique est efficace et bonne. Je m’en suis aperçu pas plus tard qu’hier à Washington où, au milieu des envoyés du monde entier, la France jouit d’une considération évidente. Ce sera confirmé si le référendum est favorable ; sinon, tout serait perdu, puisque le Président de la République se retirerait. Cette consultation a donc la plus grande importance au moment où la politique étrangère joue dans notre destin un rôle plus important que j’aurai dans notre histoire. ».
Michèle Cotta a rencontré Olivier Guichard le 20 novembre 1978 : « À son sens, le Général De Gaulle s’est-il politiquement suicidé ? A-t-il cherché et trouvé sa sortie ? Guichard ne le croit pas. Le Général pensait simplement qu’il avait raison. Lui, Guichard, pensait que ce référendum n’était pas une bonne idée, parce que mélanger le rôle du Sénat et celui des collectivités régionales était dangereux. Mais il n’était pas sûr d’un échec. ».
Olivier Guichard est revenu sur le rôle de Georges Pompidou : « Pourquoi Pompidou n’aurait-il pas lancé son appel de Rome ? Le Général lui avait demandé de quitter Matignon pour préparer sa succession ; je ne vois pas pourquoi Georges s’en serait caché. (…) Peut-être que certains Français ont pensé que Georges Pompidou était là pour assurer la relève, mais ils auraient eu la même réaction si cela n’avait pas été le cas. ».
Interrogé le 21 ou 22 novembre 1978 par Michèle Cotta, Yves Guéna a donné aussi son témoignage : « [De Gaulle] voulait promouvoir une politique de réforme, et il ne croyait pas que celle-ci pût être conduite par la voie parlementaire. Il restait convaincu que, depuis la Libération, toutes les grandes réformes du gaullisme avaient été obtenues soit par référendum, soit par ordonnance. ». Précisons ce que cela veut dire réellement : que seuls les textes gouvernementaux, non modifiés (non amendés) par le Parlement, pouvaient faire de grandes réformes. C’est intéressant d’avoir ce type de conception en 2019 au temps du Président Emmanuel Macron.
Yves Guéna a ajouté aussi, pour l’après-1968 : « Le Général est sorti diminué de mai 1968. Il n’avait pas été légitimé par les élections législatives qui avaient suivi. Il avait besoin de se retremper lui-même aux sources de la légitimité. (…) Le Général n’avait plus la popularité qui avait été la sienne, il le sentait bien. ». Sur le projet référendaire : « Au conseil des ministres où Jeanneney a défendu son texte référendaire, tous les ministres étaient moroses, et le Général bougon. Il a dit : le gouvernement m’a proposé ce référendum, j’y consens. Ce qui était incroyable, vu qu’il l’avait lui-même demandé ! (…) Quant aux milieux patronaux, ils nous ont laissés tomber ; la droite n’avait plus la trouille parce que les élections législatives s’étaient bien passées pour elle et que le recours existait, c’était Pompidou. ».
Yves Guéna a assisté à un déjeuner le 16 avril 1969 avec De Gaulle et d’autres (dont Maurice Schumann) : « Le déjeuner était très triste. Émouvant même, parce que De Gaulle, qui parlait peu à table, a commencé par parler des fleurs qui décoraient la nappe. Puis la conversation a dévié sur la politique. "Bof, a-t-il lâché à un moment donné, on verra…". Puis il a évoqué la visite du Président indien, prévue pour après le 27 avril : "Nous l’amènerons à l’Opéra et il faudra prendre l’ascenseur car il a des problèmes de cœur. Nous verrons, si nous sommes toujours là…". » (Michèle Cotta).
Selon Yves Guéna, lors de son dernier conseil des ministres le 23 avril 1969, De Gaulle aurait dit aux ministres : « En principe, à mercredi prochain. Peut-être, s’il n’en était pas ainsi, un chapitre de l’histoire de France serait terminé, mais nous avons espoir ! ».
Le 29 novembre 1978, Michèle Cotta a aussi interrogé Raymond Marcellin, qui était pour le report du référendum : « "Ma voix, dit-il, est tombée dans le vide. J’étais furieux". Selon lui, le Général était convaincu qu’il gagnerait jusqu’en février. C’est à ce moment qu’il a eu (…) les premiers renseignements négatifs. » (Michèle Cotta). Raymond Marcellin rencontra De Gaulle le 18 février 1969 : « De Gaulle me demande ce que je pense du référendum. Je lui réponds qu’il me paraît dangereux ; que tous les renseignements concordent, qu’ils sont négatifs, et qu’il vaudrait mieux surseoir. Réaction du Général De Gaulle : "Alors c’est un piège à cons ! Personne n’a le droit de se mettre dans un piège à cons !" ». Mais finalement, De Gaulle ne changea pas de position. Raymond Marcellin est parvenu à reparler à De Gaulle en tête-à-tête et ce dernier lui a expliqué : « Ils sont tous venus me dire que le Général ne recule pas. J’ai eu tort de reculer l’année dernière. (Silence) Et puis, quelle belle sortie ! ».
Record de longévité
En quittant l’Élysée, De Gaulle a battu le record de longévité pour un Président de la République (plus de dix ans). Deux de ses successeurs sont restés plus longtemps que lui, François Mitterrand qui, avait deux septennats, a battu le record historique de quatorze ans, désormais constitutionnellement impossible à battre par ses successeurs, et Jacques Chirac qui est resté douze ans à l’Élysée.
Pour ne pas interférer dans la campagne de l’élection présidentielle qu’il a précipitée, De Gaulle est parti séjourner en Irlande du 10 au 23 mai 1969, en compagnie notamment de François Flohic, puis se replia à Colombey-les-deux-Églises où il commença à rédiger ses mémoires ("Mémoires d’espoir"). Le 15 juin 1969, Georges Pompidou fut élu Président de la République avec 58,2% face à Alain Poher, le Président du Sénat depuis le 3 octobre 1968, qui venait d’assurer l’intérim de la Présidence de la République.
Alain Poher avait été consulté par De Gaulle au cours de deux entretiens à l’Élysée le 16 octobre 1968 et le 17 janvier 1969, mais il en était ressorti pas du tout convaincu de l’intérêt de la réforme : « Si le Sénat devient un grand Conseil Économique et Social, ce n’est plus un Sénat ! » (4 février 1969). Dès le texte connu, Alain Poher a mené la campagne du "non" en faisant le tour de France avec des meetings Lille, Nice, Nantes, Étampes, etc. Les sénateurs lui furent des relais d’opinion naturels au niveau local. Le 17 avril 1969 à la télévision, Alain Poher a même rassuré les Français tentés par le "non" en disant que le gouvernement resterait en place, ainsi que le parlement, et qu’il assumerait l’intérim en maintenant la continuité de l’État, histoire de dire que l’alternative "moi ou le chaos" n’était plus d’actualité.
Son directeur de cabinet, Pierre Bordry, interrogé par Michèle Cotta le 7 décembre 1978, raconta : « La chance a voulu qu’au lendemain du discours de Quimper, Poher soit l’invité de l’émission politique de Michel Droit à la télévision. Poher est alors peu connu en France, il a néanmoins une grande technique parlementaire. Et il a un coup de génie lorsqu’il adjure le Général De Gaulle de ne pas se retirer en cas de victoire du "non" au référendum, sur le mode : Restez, le Sénat ne vous en voudra pas ! Il a su donner une image non agressive du Sénat, ce qui a été capital. ».
Relais locaux de l’Élysée
Je termine par cette note intéressante de Michèle Cotta dans ses "Cahiers secrets" datée du 4 février 1969 : « Georges Suffert est convaincu que De Gaulle entend, par sa réforme régionale, créer des élites locales, des notables dont l’absence lui a fait cruellement défaut en mai dernier. Je pense, moi, qu’il avait un référendum rentré sur l’estomac depuis qu’il y a renoncé, l’année dernière. En tout cas, alors que le camp gaulliste se tait, les premières réactions à gauche ne sont pas bonnes. Guy Mollet parle d’une "fausse régionalisation, d’une fausse participation, d’un référendum faussé". ».
L’idée de Georges Suffert (éditorialiste et politologue) est intéressante, car cinquante années plus tard, on peut avoir l’impression de revivre les mêmes choses avec Emmanuel Macron et l’absence de relais locaux soutenant sa politique au moment de la crise des gilets jaunes, ce qui l’a incité à promouvoir un nouvel acte de la décentralisation et un statut le d’élu.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (26 avril 2019)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
De Gaulle, kamikaze référendaire au nom de la démocratie.
Les élections législatives de mars 1967.
Le retour au pouvoir en mai 1958.
La proportionnelle éloigne les élus du peuple.
Montesquieu, Alain Juppé et l’esprit des institutions.
Valéry Giscard d’Estaing et sa pratique des institutions républicaines.
Les risques d’un référendum couplé aux européennes.
De Gaulle : soixante ans de Constitution gaullienne.
Institutions : attention aux mirages, aux chimères et aux sirènes !
Ne cassons pas nos institutions !
Non à la représentation proportionnelle aux élections législatives !
Vive la Cinquième République !
L’amiral François Flohic.
Jean Moulin.
Daniel Cordier.
Le maréchal Philippe Leclerc.
De Gaulle et le Québec libre.
Philippe De Gaulle.
L’ambition en politique.
De Gaulle réélu.
Halte à la récupération de De Gaulle !
La première élection présidentielle française.
Faut-il supprimer l’élection présidentielle ?
Le quinquennat.
La Ve République.
De Gaulle face à l’Histoire.
L’appel du 18 juin.
De Gaulle Président.
Les valeurs du gaullisme.
L’héritage du gaullisme.
Péguy.
Le Comité Rueff.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20190428-de-gaulle.html
https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/de-gaulle-kamikaze-referendaire-au-214659
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2019/04/26/37288977.html