« Osmose (du grec ôsmos, poussée). Transfert du solvant d’une solution diluée vers une solution concentrée au travers d’une membrane dite permsélective. » (Dictionnaire Larousse).
Incontestablement, Matteo Salvini est devenu en un an l’homme fort de l’Italie. Qu’on le regrette (c’est mon cas) ou que l’on s’en réjouisse, c’est un fait. Les élections européennes du 26 mai 2019 ont même dépassé les espoirs du leader de l’extrême droite italienne qui n’hésite plus à citer Mussolini. Comment les Italiens en sont-ils arrivés là ? Simplement par la libre compétition politique : celui qui prend le mieux le leadership de la parole politique gagne (ce n’est évidemment pas une particularité italienne, c’est une banalité générale pour la vie politique et les élections).
Lorsque Silvio Berlusconi, conscient du large discrédit du centre gauche du Président du Conseil Matteo Renzi, a décidé de faire alliance avec la Lega de Matteo Salvini pour les élections législatives du 4 mars 2018, il comptait revenir au pouvoir, malgré son grand âge (plus de 82 ans !), par un nouveau rebondissement de l’histoire politique. Son objectif était de verrouiller sa victoire face à une gauche chancelante et face un parti ovni puissant, le Mouvement 5 étoiles (M5S), et pour cela, il avait mis le paquet en faisant une coalition de centre droit avec quatre partis dont les deux principaux sont son parti d’origine Forza Italia et l’ancienne Ligue du Nord devenue la Ligue (Lega).
Malgré les propos souvent extrémistes de la Ligue, une telle coalition de droite n’était pas nouvelle et Silvio Berlusconi a déjà gouverné avec non seulement la Ligue du Nord d’Umberto Bossi mais aussi avec le descendant du parti mussolinien (le Mouvement social italien), devenu l’Alliance nationale de Gianfranco Fini, et qui a vaguement évolué en Frère d’Italie (FdI), composante de la coalition de Silvio Berlusconi en 2018. À l’époque (années 1990 et 2000), c’était ce dernier parti, l’Alliance nationale, qui était l’alter ego du FN français, au point de l’imiter jusqu’à sa flamme dans le logo. La Ligue du Nord n’était alors qu’une formation régionaliste. Ce fut Matteo Salvini qui a nationalisé la Ligue pour augmenter son potentiel électoral (objectif largement atteint).
Les résultats des élections législatives du 4 mars 2018 ne furent pas à la mesure des attentes de Silvio Berlusconi : non seulement aucune des trois coalitions possibles (centre droit, centre gauche autour du Parti démocrate, M5S) n’était en mesure d’avoir le soutien d’une majorité parlementaire, mais à l’intérieur de sa propre coalition, la plus importante numériquement (265 sièges sur 630), Silvio Berlusconi en a perdu le leadership, Forza Italia n’ayant recueilli que 14,0% des voix (et 104 sièges) tandis que la Ligue a eu 17,4% des voix (et 125 sièges).
Le résultat était décevant pour Forza Italia qui stagnait au score très bas de sa défaite lors des précédentes élections législatives des 24 et 25 février 2013, où il avait recueilli 21,6% des voix et 98 sièges sur 630. En revanche, ce fut une nette progression pour la Ligue qui n’avait eu que 4,1% des voix et 18 sièges en 2013. Pensant utiliser la Ligue pour son retour au pouvoir, Silvio Berlusconi a trouvé plus malin que lui. Pire : Matteo Salvin, le leader de la Ligue, a préféré rompre l’alliance avec Silvio Berlusconi en 2018 pour prendre le pouvoir dans une majorité improbable avec le M5S de Luigi Di Maio. Matteo Salvini a réussi à faire, avec sa "petite" Ligue face au "géant" Forza Italia ce que François Mitterrand a réussi à faire en France avec le "petit" PS face au "géant" PCF dans les années 1970, à savoir, une absorption électorale.
Mais Matteo Salvini, dont l’ambition pour le pouvoir est connue, ne s’en est pas arrêté là, puisqu’il a abandonné Forza Italia pour le (nouveau) "géant" Mouvement 5 étoiles. Le M5S est un ovni dans la vie politique italienne, il est très difficile de le situer sur l’échiquier politique. Certains l’ont mis à gauche, d’autres parmi les populistes, certains europhobes, d’autres europhiles. Après la Chambre à la majorité introuvable des élections de mars 2018, et malgré la forte volonté du centre gauche, complètement discrédité par cinq années de pouvoir, de faire une cure d’opposition, j’avais imaginé une alliance entre lui (centre gauche) et le M5S dans un programme social et européen. La suite m’a donné tort puisque ce fut une alliance improbable et surtout déséquilibrée entre une Ligue, un tiers, et un M5S qui représente les deux tiers de cette nouvelle majorité qui a été constituée et qui représente elle, 352 sièges sur 630.
Le M5S est un parti puissant depuis plusieurs élections. Aux élections législatives de 2013, le M5S a recueilli 25,6% des voix et 109 sièges (il n’était pas présent en avril 2008 car créé seulement en 2009). Aux élections législatives de mars 2018, il a obtenu 32,7% (presque 11 millions d’électeurs !) et 227 sièges. Lorsque l’alliance Lega-M5S s’est construite, Luigi Di Maio était en position de force face à Matteo Salvini, mais ce dernier a refusé fermement que le premier prît la Présidence du Conseil. Ce fut un apolitique, plutôt proche du M5S, complètement inconnu de la classe politique, Giuseppe Conte, qui a pris la tête du gouvernement le 1er juin 2018, il y a un an. Le Président du Conseil fut encadré par deux Vice-Présidents du Conseil poids lourds politiques, Luigi Di Maio, Ministre du Développement économique, du Travail et des Politiques sociales, et Matteo Salvini, Ministre de l’Intérieur.
À l’évidence, Luigi Di Maio, malgré son poids parlementaire deux fois plus important, ne fait pas le poids face à Matteo Salvini. Une question de personnalité ? de position politique ? Les deux probablement. Toujours est-il que Matteo Salvini a réussi à faire avec Luigi Di Maio la même chose qu’il a faite l’année précédente avec Silvio Berlusconi : une aspiration efficace des voix.
En effet, le scrutin européen du 26 mai 2019 a inversé complètement le poids électoral respectif des deux partis de la majorité. La Ligue de Matteo Salvini fut en effet la grande gagnante avec 34,3% des voix (9,2 millions d’électeurs !), remportant 29 sièges sur 73, soit 24 de plus qu’en mai 2014 (il a multiplié presque par six le nombre de ses élus !). En revanche, le M5S de Luigi Di Maio a chuté à 17,1% des voix et perdu 3 sièges avec 14 élus. Le rapport de forces s’est donc diamétralement inversé par rapport aux élections législatives de mars 2018 : le 1/3 – 2/3 est passé à 2/3 – 1/3 à l’avantage de Matteo Salvini. C’était certes prévisible avec les sondages, c’est désormais un fait électoral.
Si les partis ex-gouvernementaux (Forza Italia et Parti démocrate) ont énormément chuté au scrutin européen de 2019 par rapport à celui de 2014, il est intéressant de comparer leurs résultats aux élections législatives de 2018 : avec seulement 8,8% (la moitié de 2014), Forza Italia (conduit par Silvio Berlusconi, qui a été ainsi élu député européen à la fin duquel il aura presque 88 ans) a continué à chuter par rapport à 2018 (14,0%). En revanche, le Parti démocrate (centre gauche), lui aussi réduit de moitié par rapport à son audience de 2014, a augmenté sa situation de 2018 : avec 22,8% des voix (et 19 sièges sur 73), il a amélioré de 4 points par rapport à 2018, et surtout, il se positionne aujourd’hui comme le deuxième parti d’Italie et comme la seule force de gouvernement crédible pour s’opposer aux forces populistes. Il est donc des renaissances possibles (avis aux amateurs).
Matteo Salvini non seulement a triomphé en Italie mais aussi en Europe puisqu’il a pris le leadership du groupe Identité et démocratie qu’il vient de former ce 12 juin 2019 au sein du Parlement Européen avec notamment Marine Le Pen du RN, les Allemands de l’AfD et les Autrichiens du FPÖ. En effet, ce n’est pas un député européen français RN qui en a pris la présidence mais Marco Zanni (Ligue). Nicolas Bay (RN), lui, n’est que l’un des deux vice-présidents (avec Marine Le Pen, bonjour l’influence de la France en Europe, même chez les populistes !).
Avec ce nouveau rapport de forces, et des sondages toujours très flatteurs, il est compréhensible que Matteo Salvini ne veuille pas attendre jusqu’en mai 2023 pour organiser de nouvelles élections législatives. Son objectif est qu’elles aient lieu le plus rapidement possible pour qu’il puisse devenir le prochain Président du Conseil. Ce n’est donc pas étonnant que la majorité entre les deux partis du gouvernement multiplient les accrocs. Certes, Matteo Salvini a encore besoin du Mouvement 5 étoiles (car sans lui, pas de majorité envisageable pour la Ligue) mais les différends s’expriment désormais de plus en plus ouvertement.
Les divergences, qui ont une origine programmatique très forte (le M5S veut dépenser plus, la Ligue veut baisser les impôts) ont amené le Président du Conseil Giuseppe Conte lui-même à s’énerver et à menacer de démissionner (et faire éclater la coalition) si les deux camps ne cherchaient pas un minimum de cohésion. C’était en tout cas le contenu de la déclaration de Giuseppe Conte le 3 juin 2019 : « Je demande à chacune des deux forces politiques de faire un choix et de me dire si elles ont l’intention d’honorer encore le contrat de gouvernement (…). Si les comportements ne changent pas, je remettrai mon mandat dans les mains du Président de la République. ». Précisons que personne n’imaginait que cet attelage baroque allait durer plus d’un an, qui plus est dirigé par un novice en politique.
Dès le lendemain, 4 juin 2019, les deux partenaires dissipés de la coalition gouvernementale, ont fait amende honorable. Matteo Salvini : « Nous irons tous de l’avant si nous tenons parole, nous n’avons pas de temps à perdre. ». Luigi Di Maio : « Allons de l’avant avec loyauté et cohésion, nous n’avons pas d’autre alternative. ».
Malgré cette forte popularité de Matteo Salvini, la situation économique et financière de l’Italie est catastrophique depuis un an : chute de la croissance, et augmentation forte de la dette publique, au point que la Commission Européenne est sur le point de lancer une procédure de sanction pour déficit excessif contre l’un des pays industriels les plus importants de la zone euro (avec l’Allemagne et la France).
Matteo Salvini s’en moque un peu, il est convaincu que son heure est pour bientôt…
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (14 juin 2019)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Salvini, le double Mitterrand italien ?
Les élections européennes du 26 mai 2019.
Léonard de Vinci.
Giulio Andreotti.
Ennio Morricone.
Les Accords de Munich.
Une collusion tacite des secours humanitaires avec les passeurs criminels ?
Le radeau Aquarius.
Sueurs froides à l’italienne.
L’Italie en pleine dérive ?
Élections législatives italiennes du 4 mars 2018.
Luciano Pavarotti.
Lino Ventura.
Concini.
Antonio Tajani.
Carlo Ciampi.
Silvio Berlusconi.
Umberto Eco.
Virginia Raggi.
La révolution institutionnelle italienne.
Renzusconi franchit le Rubicon.
Enrico Letta, un nouveau visage en Europe.
Habemus Lettam (29 avril 2013).
Discours d’Enrico Letta du 26 octobre 2013 à Paris.
Giorgio Napolitano.
Le compromis historique.
Aldo Moro.
Erasmus.
L’Europe, c’est la paix.
L’Europe des Vingt-huit.
Mario Draghi.
Tournant historique pour l’euro.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20190604-italie.html
https://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/salvini-le-double-mitterrand-215884
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